L'évangile de ce dimanche (Lc, 7, 36 à 8, 3) rapporte un épisode bien connu : alors que Jésus est invité à un dîner, une femme s'introduit, avec un vase de parfum, et pleurant, elle inonde les pieds de Jésus de ses larmes et de parfum, les baisant et les essuyant avec ses cheveux. On peut imaginer que l'intrusion de cette femme, au beau milieu de ce dîner, et plus encore la réaction de Jésus, qui ne la rejette pas, ont dû faire jaser.
Reprenons quelques éléments du récit pour aller au-delà de l'anecdote et la mieux comprendre.
Jésus avait été invité à dîner par un pharisien, nommé Simon. Ce n'est pas, d'après Luc, la seule invitation chez un pharisien que Jésus a acceptée (voy. aussi Lc, 11,37 et 14, 1). Luc est toutefois le seul à rapporter de tels repas. Nous avons une image déformée des pharisiens. Nous les considérons avant tout comme hypocrites, pointilleux sur les règles et aimant occuper les premières places dans les synagogues. Ah les préjugés sociaux et religieux !
A vrai dire, les pharisiens sont des juifs pieux qui n'ont pas trouvé d'autre moyen que le rappel des règles de la Loi, jusqu'au scrupule parfois, pour s'arcbouter contre l'invasion de la culture hellénistique. Ils cherchaient par là à sauvegarder leur différence et leur identité face à un rouleau compresseur que rien ne semblait pouvoir arrêter. On ne peut manquer de voir là bien des similitudes avec des événements actuels où les crises identitaires se multiplient face à la mondialisation.
Ils sont chaleureux. Ils se réunissent souvent pour des repas fraternels, joyeux, où l'on finit toujours par discuter (ergoter ?) sur une règle de la Thora. Les juifs sont ainsi faits. Nombreux sont ceux qui sont encore comme ça.
C'est à un tel repas que Jésus a été invité.
Apparemment, lors d'un tel dîner, il n'était pas impossible qu'un intrus s'introduise. Les portes de la maison restaient-elles ouvertes ? Pour respecter le sens de l'hospitalité ou accueillir le pauvre qui passait.
Une femme de la ville s'introduit et adopte un comportement étrange.
Elle est désignée comme une " pécheresse ". Certains disent qu'il s'agissait d'une prostituée, impure parmi les impures. Le texte ne permet pas cette conclusion. On ne cite pas son nom, mais ce qui est sûr, c'est que tout le monde la connaît comme étant une pécheresse. Ils la connaissent sous cette étiquette. Quel efforts ont-ils fait pour la connaître vraiment ?
Son comportement est inhabituel : elle s'approche de Jésus et inonde ses pieds de ses larmes et de parfum et les essuie avec ses cheveux (ce qui est scandaleux, les femmes doivent tenir, comme en Islam encore aujourd'hui, leur chevelure voilée). Voilà de quoi interloquer les convives. Ce qui les surprend toutefois le plus, c'est que Jésus se laisse faire. Il aurait dû refuser tout contact avec cette femme impure. Une fois de plus, Jésus brise les convenances au profit d'une rencontre. Jésus a très bien compris le sens de la démarche. Elle ne vient pas à lui
pour obtenir le pardon de ses nombreux péchés, mais
parce qu'elle a compris, ayant écouté Jésus, comme beaucoup d'autres, que lui seul ne la rejetait pas, qu'il l'aimait malgré son étiquette de pécheresse, qu'il la rejoignait au fond de son coeur et de son attente. Elle a compris que le pardon de ses péchés ne passera pas par des rites au Temple, mais plutôt par un regard.
Le mot qui s'impose est la gratuité : Jésus a offert à cette femme - peut-être inconsciemment - une ouverture, qui la débarrasse de son étiquette, sans rien attendre d'elle. Sans espérer quoi que ce soit, elle vient pour dire sa gratitude à Jésus et brave pour cela une tablée de notables bien pensants. Chapeau.
Restaient les convives et Simon. Jésus leur raconte une petite parabole, comme il en a le secret.
Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cent pièces d'argent, l'autre cinquante. Comme ni l'un, ni l'autre ne pouvait rembourser, il remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera davantage ? Simon répond : "
c'est celui à qui il a remis davantage". "
Tu as raison ", lui dit Jésus. Puis Jésus lui dit : "
Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi, et tu ne m'as pas versé de l'eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas embrassé ; elle, depuis son entrée, elle n'a pas cessé d'embrasser mes pieds. Tu ne m'as pas versé de parfum sur la tête ; elle, elle m'a versé un parfum précieux sur les pieds. Je te le dis : si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c'est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d'amour ".
Quelle leçon pour Simon ! Simon est de toute évidence un brave homme, fidèle à sa femme, qui gère honnêtement ses affaires. Il n'a presque rien à se reprocher. Juste des pécadilles. N'ayant pas grand chose à se faire pardonner, son amour est frileux, timide, tiède. Jésus lui fait prendre conscience que la pécheresse, qui a beaucoup à se faire pardonner, aime davantage. Elle passe ainsi avant lui aux yeux de Dieu.
Ceci n'est bien entendu pas un appel au péché, mais l'invitation à comprendre que beaucoup nous précéderont et qu'ils pourraient bien, à nos yeux, être inattendus.