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mardi 30 octobre 2012

L'homosexualité et la différence

Alors que le débat fait rage, en France, à propos du "mariage pour tous", je retrouve, dans mes archives, un texte du chanoine Pierre de Locht, paru dans le Soir, en 1997.


Pierre de Locht (1916-2007), docteur en théologie, a été, dans les années 1980, la bête noire de l'Eglise catholique belge en raison de ses positions non traditionnelles sur la dépénalisation de l'avortement, le mariage des prêtres, l'ordination des femmes. Il a abondamment écrit sur la morale, particulièrement l'éthique de la sexualité.

Voici ce qu'il écrivait, en 1997, à propos de l'homosexualité :

"Que l'homosexualité ait suscité d'abord en moi un réflexe d'étonnement, de prise de distance, sinon de réaction hostile, je ne puis le nier. Mais, dès que j'ai été en contact direct avec la réalité vécue par certains, parfois très proches, mes idées toutes faites et grands principes abstraits ont fait place à une réflexion et à une recherche quant au respect et au sens de cette situation, dans le cadre des défis que nous posent les relations interpersonnelles. On mesure mal le désarroi, la difficulté de vivre, voire le désespoir des jeunes prenant conscience de leur homosexualité dans un monde qui ne leur fait pas place, qui leur est souvent hostile.

La sexualité concerne la personne toute entière, dans sa morphologie, son affectivité, son mode penser, son être. Plus essentiellement encore que sa fonction procréatrice, elle constitue pour chacun, quel que soit son état de vie, un facteur décisif de réalisation de soi au coeur des relations aux autres.

La différenciation sexuée, si prégnante soit-elle, ne peut absorber l'attention, car c"'est au niveau de l'identité toujours unique de chaque personne que se situe en définitive la rencontre dans la différence.

La spécificité sexuelle n'est qu'une étape d'accès à la différence foncière qu'est la personnalité de l'autre.

En dernière analyse, il ne s'agit pas de la rencontre de la masculinité et de la féminité, mais de telle personne avec telle autre. Ceci nous interdit dès lors de prétendre que l'homosexualité refuse la différence. Elle la rencontre, peut-être plus difficilement, dans ce vis-à-vis de personne à personne.

Si la fidélité des couples homosexuels semble aussi plus difficile, ne serait-ce pas dû pour une large part au contexte social qui leur refuse les multiples éléments de reconnaissance sociale et de stabilité ?

L'absence de fécondité dans les enfants constitue aussi pour eux une difficulté supplémentaire.

Ne nous cachons pas cependant combien nombreux sont les couples, qui bien qu'ayant des enfants, se séparent.

Et pourquoi n'est-on pas prêt  à reconnaître la réalité et les formes de créativité des couples homosexuels.

Des études particulièrement sérieuses indiquent qu'au moins 5 % des humains sont des homosexuels profonds : 5 % cela veut dire en clair au moins 500.000 de nos concitoyens.

L'homosexualité, entend-on dire, n'est pas naturelle.

Que peut signifier une telle affirmation, si ce n'est que nous nous targuons d'occuper la situation que vit la majorité, autour de laquelle la vie sociale s'est organisée, pour dénier aux autres le droit d'exister et d'(être reconnus. Avons-nous vraiment besoin de rejeter la minorité pour être à l'aise, dans notre identité hétérosexuelle ?

Puis-je ajouter, en tant que chrétien, que rien dans l'évangile ne justifie un tel rejet, qui est en opposition avec l'attitude de Jésus qui accueille tout être, quel qu'il soit. "

Comme quoi les hommes d'Eglise ne disent pas que des bêtises ...

Et surtout cette phrase : " Avons-nous vraiment besoin de rejeter la minorité pour être à l'aise dans notre identité (en l'occurrence hétérosexuelle) ". Cette phrase résonne bien au-delà de l'homosexualité.




lundi 29 octobre 2012

L'aveugle



Jésus sortait de jéricho, la dernière oasis sur le chemin vers Jérusalem, étape dans la longue marche qu'il a entreprise depuis le nord de la Galilée pour rejoindre son destin. La foule était massée sur le bord du chemin pour voir et acclamer celui dont tout le monde parlait, celui qui fascinait par ses paroles et ses guérisons. Ce rôle de vedette populaire, on le sait, ne plaisait pas à Jésus, il le subissait.  Lui, voulait toucher au plus profond le coeur de chacun loin de tout événement médiatique.

Noyé dans cette foule, un aveugle, un mendiant, un marginal, vivant de la charité des autres, Bartimée  ( = fils de Timeios), nous dit l'évangéliste Marc. Il se demande pourquoi toute cette agitation, toutes ces clameurs. On lui dit que c'est Jésus qui passe.  Il se met alors à crier " Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! " Il n'est pas à l'unisson des vivats, il clame sa détresse et son malheur, il les crie même, tandis que les autres cherchent à le faire taire.

Cette imploration " Jésus, fils de David, aie pitié de moi (pécheur)", est à la base de ce que l'on appelle la prière du coeur dans la tradition orthodoxe. Une invocation murmurée sans cesse. Un texte anonyme Les récits d'un pélerin russe a fait découvrir à l'occident ce joyau de la tradition orthodoxe (présentation par Jean Laloy en 1974).



On peut s'étonner que Bartimée appelle Jésus : "fils de David". Que savait-il de la généalogie de Jésus ? Pour tous les autres, Jésus était celui qu'on appelait Jésus de Nazareth. Bartimée n'est de toute évidence pas sur la même longueur d'onde que la foule. Autre chose doit le relier à Jésus.

Dans les clameurs de la foule, Jésus va entendre la voix de l'aveugle, la seule qui le touche vraiment peut-être. "Appelez-le", dit Jésus. Bartimée se lève, abandonne son manteau et encouragé par la foule se présente à  Jésus. Suit un bref dialogue. Jésus lui dit : " Que veux-tu que je fasse pour toi ? ". Il répond : " Rabbouni, que je voie. " Et Jésus lui dit : " Va, ta foi t'a sauvé ". Aussitôt, il se mit à voir et il suivait Jésus sur la route.

Il y a beaucoup à dire à propos de cette rencontre. Juste deux choses.

Je suggérerai tout d'abord une  comparaison avec une autre rencontre de Jésus, celle avec le jeune homme riche. Voilà deux hommes, qui, avec détermination, et même une certaine urgence, présentent à Jésus une requête peu banale : "Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? " (pour le jeune homme riche) ; " Rabbouni, que je voie "  (pour Bartimée).

Une chose est commune à ces deux hommes, l'enjeu sera de suivre Jésus et d'affronter avec lui, comme lui, la plongée dans la mort pour renaître.

Bartimée abandonne son manteau, qui lui servait de protection, une des rares choses qu'il possédait, pour rejoindre Jésus et le suivre. Il voit. Le jeune homme riche s'avère incapable d'abandonner quoi que ce soit,  il préfère la sécurité que lui donne l'argent. Il s'en va tout triste.

Quelle leçon !  Commencer par abandonner ce qui nous protège et nous sécurise : notre confort matériel, nos idées ou notre foi toutes faites, nos cocons affectifs. Voilà ce que Jésus attend. Cela implique d'une manière ou d'une autre une mise en danger. La vie spirituelle ne porte des fruits qu'en passant par là.

Je voudrais dire une deuxième chose : le récit de la guérison de Bartimée ne vient pas sans raison dans l'évangile de Marc. Depuis quelques semaines, les lectures du dimanche nous ont confrontés, semaine après semaine, à l'incompréhension des disciples et de la foule à propos du discours de Jésus concernant l'argent, la famille, les enfants, la première place et  la suprématie, sans parler du risque encouru à Jérusalem annoncé à plusieurs reprises. Ils ne "voyaient" pas ce que Jésus voulait dire. Le cycle se clôt avec Bartimée. Lui voit.

Références :
- Bartimée : Mc, 10, 46-52
- Le jeune homme riche : Mc, 10, 17-30

dimanche 28 octobre 2012

Il n'y a plus rien qui va

"Il n'y a plus qui rien qui va", me disait, ce matin, mon octogénaire voisine, qui avait lu le journal la Meuse.

Il y avait de quoi : les bus TEC du dépôt de Jemeppe n'assuraient qu'un service au compte-goutte ; d'autres avaient décidé de ne pas respecter les horaires, et de freiner subitement, pour perturber la circulation ; les postiers de la région de Tournai étaient en grève ; les cheminots annonçaient une grève à cause des projets du ministre Magnette. Il y avait eu au moins deux accidents et trois agressions dans la région. Et ne voilà-t-il pas, en plus, que les écoles catholiques veulent donner des cours de religion islamique ! Pas une semaine, sans que des milliers d'emplois soient perdus (Arcelor Mittal, Ford Genk, La Louvière). Et, en plus, la reine Paola aurait eu une liaison avec Salvatore Adamo (j'ai cru déceler ici un peu d'envie) et aussi avec un ministre (André Cools, Alain Vanderbist, Guy Mathot, à moins que ce ne soit Paul van den Boeynants ?). Et, pour finir, le prince Philippe serait homosexuel ! Trop c'est trop ! Pauvre Mathilde ! Mais je n'ai rien contre les homosexuels, me dit-elle finalement : ils sont souvent très prévenants et délicats ... Euh, oui, sans doute, vous devez avoir raison et en faire un peu l'expérience tous les jours.

Bref, mon octogénaire voisine, qui aime le service public et la famille royale, ne savait plus que penser. Etat d'âme qu'elle a résumé en me disant : "Il n'y a plus rien qui va". Je lui ai conseillé de lire un autre journal que La Meuse, et surtout de ne pas lire le livre du sieur Deborsu sur la famille royale. Je ne trouvais pas d'autre réponse, à vrai dire. Pour la divertir, je lui ai prêté le DVD de Brokeback Mountain, la prévenant qu'elle aurait besoin de kleenex. J'avais peur que le sujet ne la perturbe. Mais elle est très ouverte d'esprit, mon octogénaire voisine. Elle a pleuré, comme moi. Elle, au moins, a su reconnaître l'amour là où il est. Du coup, elle m'a demandé d'autres films où des hommes s'aiment. Le problème avec les films où deux hommes s'aiment, c'est qu'ils finissent souvent mal.

Un autre voisin s'en prenait au facteur, un des derniers facteurs à être encore payé par l'Etat, m'a expliqué ce dernier (un vieux facteur en quelque sorte). Tout le courrier de mon voisin émanant de la banque de BPost est systématiquement envoyé à une autre adresse que la sienne. Il est envoyé rue de Gaulle à 4020 Bressoux, alors qu'il habite Quai de Gaulle à 4020 Liège. Le logiciel de Bpost se montre incapable de faire la différence : il imprime systématiquement la première adresse. La poste livrée à la privatisation ne s'est pas contentée de remplacer les fonctionnaires par des contractuels, des stagiaires et des intérimaires, elle ne s'est pas limitée à imposer aux facteurs des tournées surréalistes, dictées par un logiciel tout aussi surréaliste, elle se montre en outre incapable de faire la différence entre deux adresses : une rue à Bressoux et un Quai à Liège, tous les deux à 4020. Vive la privatisation des services publics !

Evidemment, il y a des choses qui ne vont pas. Il y en a toujours eu. Essayons d'être un peu lucide.

La vie privée de la famille royale n'est pas, à cet égard, le dysfonctionnement le plus important à commenter.

J'en retiendrai quatre parce qu'ils me semblent nous concerner tous concrètement comme citoyens de mon pays. Je ne développerai pas, mais il faudrait un jour avoir le courage de pointer les responsabilités politiques de ce qui apparaît à maints égards comme un gâchis.

Premier sujet d'inquiétude. Les effets peu probants, voire néfastes, de la privatisation et de la libéralisation des services publics. Non, la libre concurrence n'assure pas toujours au consommateur le meilleur service au meilleur prix loin de là. La libre concurrence pratique en outre l'obscurité et non la transparence. Allez donc comparer les tarifs de deux sociétés de téléphonie/internet ! Ce qui est surtout très inquiétant, c'est que le mouvement pourrait s'étendre à des domaines aussi essentiels que l'enseignement, les soins de santé, les pensions, les prisons. Voulons-nous être soumis au même sort que les citoyens américains ? Notons quand même que les républicains américains, tellement opposés à l'Etat sous toutes ses formes, sont les premiers à voter des budgets militaires. On sait le lobby des armes fort puissant aux Etats-Unis.

Deuxième sujet d'inquiétude. La faiblesse (l'impuissance ?) des Etats face au capitalisme mondialisé. Les Etats ne pèsent plus rien face aux groupes financiers ou industriels. Le dieu Mammon,  assure de plus en plus sa suprématie, fait toujours plus de victimes et trouve chez les politiques parfois des alliés, le plus souvent des suiveurs contraints et dépassés. Est-il admissible que les Etats, en principe gardien de l'intérêt général et du bien-être de tous les citoyens, soient ainsi asservis à des intérêts particuliers et doivent en outre supporter les conséquences de leurs errements ?

Troisième sujet d'inquiétude. L'épargne et son allocation. La Belgique, dit-on, aurait un atout considérable par rapport aux autres Etats de l'Union européenne : le niveau de l'épargne y est très élevé. Mais une épargne pour quoi faire ? Je parle ici surtout des fonds appartenant à des épargnants modestes,  ou moyens, ceux qui réussissent à mettre quotidiennement un peu de côté, en se privant parfois. Cette épargne est bien plus importante qu'on ne croit. Rien à voir, avec ceux qui, bien nés, gèrent, plus ou moins bien, un capital acquis. L'épargne des premiers vient de leur travail, celle des seconds d'un capital qui leur a été transmis et a souvent été permis par le travail des autres. Ces seconds investissent, et jouent, en bourse, sans payer aucun impôt sur les plus-values qu'ils réalisent. Le fait de ne payer aucun impôt sur le revenu, ou sur le capital, ne les perturbe en rien : mais je paie la T.V.A. comme tous les autres, m'a répondu, un jour, un de ces rentiers ! Leurs capitaux tournent, de ventes en rachats, mais quel est leur apport pour une économie vivante?

Mes parents, ont toujours cherché la sécurité, pour s'assurer un avenir, et ont confié leur argent à une banque pour en retirer un revenu garanti. Ils voulaient aussi que leur épargne soit utile dans des investissements locaux au service de tous : ils n'avaient pas choisi le Crédit Communal sans raison. Mes parents ont été trahis par les dirigeants de cette banque des communes, quant à l'allocation de leur épargne, sans compter leur revenu de moins en moins garanti. Aujourd'hui, le risque est réel que cette épargne dorme dans des bas de laine : les banques n'offrent même plus un taux d'intérêt de nature à couvrir l'inflation et l'Etat belge ne sachant plus quoi taxer se tourne vers les revenus de l'épargne (on est ainsi passé de 15 % à 21 % sur les intérêts et on parle aujourd'hui de 25 %, tandis que les plus-values sur actions pourraient encore être épargnées). Il est amusant de relever que, lorsque l'Etat émet un emprunt destiné au public, le taux d'intérêt annoncé ne veut rien dire, puisqu'avant même de vous payer les intérêts auxquels vous avez droit l'Etat en remet illico une partie dans sa poche.

Quatrième sujet d'inquiétude, et non le moindre. Le chômage des jeunes. Le sujet est vaste : il concerne la formation et l'adéquation de la formation aux besoins du marché de l'emploi, tout autant que l'offre d'emploi. Les entreprises privées abusent des statuts précaires ou licencient tant et plus (pour des raisons qui peuvent parfois se comprendre, mais pas toujours). L'Etat ne remplace plus ses fonctionnaires qu'au compte-goutte. Quel espoir pour un jeune ? Il se sent lâché par les uns et par les autres, surtout s'il est peu diplômé. A charge de qui va-t-il se retrouver ? Un peu de l'Etat et surtout de ses parents, s'il a la chance d'en avoir pour l'aider. Ou alors à la rue. Chacun assume-t-il alors toutes ses responsabilités ? Il est clair qu'une économie basée sur le profit ne peut pas répondre aux besoins de toute une population, elle finit toujours par ne profiter qu'à quelques-uns. L'exemple américain devrait nous faire réfléchir davantage.

Les démocraties occidentales se sont fondées sur le trio "Liberté, égalité, fraternité". La fraternité semble aujourd'hui bien mal en point. Quant à l'égalité, l'ultra-libéralisme n'en a pas davantage cure puisqu'il crée partout où il est appliqué une société duale faite de riches et de pauvres avec des droits différents. 47 % de pauvres et d'assistés aux Etats-Unis dont le candidat à la présidentielle Mitt Romney estime ne pas avoir à tenir compte, ceux-là ne feront rien pour la croissance de l'Amérique, mais pourront être envoyés comme soldats lors d'un prochain conflit, car on imagine mal des Etats-Unis républicains sans guerre.


lundi 22 octobre 2012

Une trompe n'est pas un cor



Mon beau-père, de la vie d'avant, était sonneur de trompe dans un groupe appelé le Bien aller Ardennes. Mon beau-père sonnait aussi parfois en solitaire dans les bois non loin de la maison de Nivezé, pendant que moi je détruisais en cachette les collets qu'il avait posés par compassion pour les lapins. Mon beau-père n'était pas un grand chasseur, il était surtout un sonneur de trompe, un peu braconnier. Je trouve cela sympathique.


"Sonner", tel est le mot. Celui qui joue de la trompe sonne, que fait le joueur de cor ? Il trompe ? De toute façon, s'il le fait, c'est au fond des bois, de manière à réjouir Alfred de Vigny et Charles Trenet.





Lors de grands rassemblements à Saint Hubert, mon beau-père rencontrait d'autres sonneurs venus d'ailleurs, ils incarnaient tous ensemble la grande tradition de la vénerie française et le marquis de Dampierre les réunissaient. Les trompes sonnaient alors de manière impressionnante dans la grande nef de l'abbatiale et alentour.


Marquis de Dampierre (1676-1756)
Il a été surnommé le "père des fanfares de chasse".


Quand j'entends les trompes, je ne puis m'empêcher de pleurer. Pourquoi ? Je n'aime pas la chasse
et je ne suis pas amateur de chien. Peut-être pour ceci. La trompe de chasse ne permet pas de jouer toutes les notes de la gamme, même si quelques astuces sont utilisées par les plus doués (la main dans le pavillon). Cet incomplet me sied. Et puis, il y a ce vibrato, ces accents, ces messages pour les chasseurs. La trompe dit toujours quelque chose.






Les allemands, à ces rassemblements, ne viennent pas avec des trompes, mais avec des cors, la trompe joue sur le mode de ré, le cor de chasse est accordé en mi bémol, le son est plus lisse, moins rugueux. On y joue davantage "boum-boum-tralala". On y dit moins de choses  aussi.





Mon fils Sam aimerait devenir sonneur de trompe, mais la trompe de son grand-père ne lui est pas destinée dans le projet d'héritage. Elle ira à un fils qui n'en a sans doute rien à foutre. Ainsi sont les familles.

Nouveaux coups de coeur musicaux

Je me suis senti l'âme juive ce week-end. J'ai, en conséquence, fait quelques recherches pour trouver de la musique parlant à mon coeur. Mes recherches n'ont pas été vaines.

J'ai puisé à toutes les traditions et privilégié toutes les formes musicales (à l'exception de la musique chantée dans les synagogues).

Mes coups de coeur sont ceux-ci, par ordre décroissant d'émotion.

A tout seigneur tout honneur, un très très beau disque intitulé Chants juifs (2010), un dialogue violoncelle et piano. Au violoncelle, Sonia Wieder-Atherlon. Plusieurs compositeurs dont ... Jean-François Ziegel et la tradition.



Deuxième découverte : un disque intitulé Mosaic d'Espana (2009). Une chanteuse, Elanara, au service de chants anciens espagnols et séfarades, deux traditions tellement proches qu'on pourrait les confondre. Que dire alors de la musique arabe-andalouse ?




Giora Feidman (que mon correcteur orthographique s'obstine à écrire François Feldman !) est un clarinettiste comme les aime les Hassidim, virtuose et capable de faire lever une assemblée pour danser (hommes et femmes séparés bien entendu). Le disque qui a retenu mon attention est plus mélancolique, plus retenu : Giora Feidman, Dance of joy (2009).







Et puis bien sûr, Itzak Perlman qui n'hésite jamais à prendre des chemins de traverse, surtout quand il s'agit de rejoindre ses racines. Un bel album : Itzak Perlman plays Klezmer (2008).


dimanche 21 octobre 2012

Retrouvailles et désillusions

Ce matin, à la messe à Wavreumont, j'ai revu tout à fait par hasard les membres de l'Equipe-Notre-Dame à laquelle nous appartenions Anne et moi, dans la vie d'avant. Les Equipes-Notre-Dame, un mouvement très catho pour couples catho.

C'est toujours un choc de revoir, après quinze ans, des gens que l'on a fréquentés.

Surprise de découvrir que nos enfants ont aujourd'hui 37 ans, pour le plus âgé, 24 ans, pour les plus jeunes !

Certains n'ont pas changé du tout, ceux, en fait, qui depuis toujours ont fait le choix d'être les plus naturels possible. Il y a bien quelques cheveux gris, mais le sourire et le regard sont intacts, à peine quelques rides. D'autres aussi naturels semblaient s'être un peu ratatinés, chiffonnés. Un des maris semblaient n'avoir en rien vieilli, toujours aussi joli garçon, toujours aussi fringant. On dirait un à peine quadragénaire. Il ne faut pas gommer le temps avec des teintures et deux couches de fond de teint.

Nous avons échangé quelques nouvelles. Le climat était très cordial. Ils participaient à un week-end sur le thème de la violence, un parcours biblique détonnant, m'ont-ils dit.

Ils étaient fort surpris quand je leur ai dit que j'avais pris ma retraite et que j'avais un projet au monastère.

Je me suis un peu attardé avec J., l'aumônier, le seul avec qui j'avais gardé quelque contacts. Il est doyen maintenant. Nous avons parlé à peine plus de cinq minutes. J'avais en face de moi un prêtre usé et désabusé -  il a cinquante ans ! - qui ne voit aucun avenir dans ce qu'on lui demande de faire et n'en perçoit plus le sens. Il se raccroche, comme il peut, aux contacts humains pour survivre.

Il n'y croit plus, ai-je cru comprendre, mais il fonctionne encore. Que pourrait-il faire d'autre à cinquante ans ? J'ai perçu une réelle détresse chez lui. Je ne la laisserai pas sans suite.

Il m'a dit que souvent il succombe à la jalousie, il voulait plutôt dire l'envie. Il pensait notamment au prédicateur de la retraite, un ancien prêtre, bibliste chevronné, qui s'est reconverti en conférencier. Peut-être pensait-il aussi à moi, en retraite anticipée, qui décide aujourd'hui de vivre autre chose ?






Deux textes de Françoise Hardy

Etienne Daho et Jérôme Soligny ont consacré un livre-album à Françoise Hardy, leur référence : Françoise Hardy, Superstar et ermite, Jacques Grancher, 1986. On y trouve des photos, des souvenirs, des déclarations, les paroles de certaines chansons.

Je suis un grand fan de Françoise Hardy, davantage pour ses textes que pour sa voix ou les arrangements musicaux de ses chansons.





Deux de ces textes m'ont touché, un beau jour. Le plus étrange est qu'ils résonnent toujours en moi, des années après, avec parfois une signification, une coloration, différente. Peu de textes peuvent prétendre à cela.

La question

Je ne sais pas qui tu peux être
Je ne sais pas qui tu espères
Je cherche toujours à te connaître
Et ton silence trouble mon silence

Je ne sais pas d'où vient le mensonge
Est-ce de ta voix qui se tait
Les mondes où malgré moi je plonge
Sont comme un tunnel qui m'effraie

De ta distance à la mienne
On se perd bien trop souvent
Et chercher à te comprendre
C'est courir après le vent

Je ne sais pas pourquoi je reste
Dans une mer où je me noie
Je ne sais pas pourquoi je reste
Dans un air qui m'étouffera

Tu es le sang de ma blessure
Tu es le feu de ma brûlure
Tu es ma question sans réponse
Mon cri muet et mon silence


Tu ressembles à tous ceux qui ont du chagrin

Tu ressembles à tous ceux qui ont du chagrin
Mais le chagrin des autres ne m'intéresse point
Parce que les yeux des autres sont moins bleus que les tiens
Et comme tous les gens qui ont du chagrin
Ton visage souvent a l'air dur et lointain
Mais le visage des autres est moins beau que le tien
A  cause d'un regard, à case d'un chagrin

Je voudrais dire "j'aime" et je voudrais dire "'viens"
Mais ce n'est pas  possible d'être sûr du bien
Ni du mal qu'on va faire alors je ne dis rien
J'aurais peur moi aussi de te faire du chagrin
Et pourtant aujourd'hui c'est à toi que je tiens
Et pourtant toi aussi peut me faire du chagrin
Parce que les yeux des autres sont moins blés que les tiens

samedi 20 octobre 2012

Les têtes politiques liégeoises

Le pouvoir communal, à Liège, s'illustre, depuis une semaine, dans six têtes de liste, majorité et opposition confondues.




La majorité est au centre de la photo, autant qu'au centre de l'échiquier politique, P.S. et C.D.H., Demeyer et Firket, de vieux alliés, qui n'ont pas à rougir de leur action.

A gauche de la photo, Raoul Hedebouw, PTB, extrême gauche, qui entre au conseil communal. La campagne de son parti a été offensive et médiatique et la crise (pensez à Arcelor Mittal) ne pouvait que lui amener des voix.

A gauche, mais plus au centre, bien qu'à gauche quand même, Brigitte Hendericks, ecolo. Le parti sympa qui se maintient.

A droite de la photo, Christine Defraigne, MR, un parti bien ancré à droite, et qui, à Liège, a subi un échec assez sérieux. Pour des raisons de personnes ou de programme ? Sans doute les deux. La faute aussi, me semble-t-il, à une campagne qui, chez certains candidats, a essentiellement consisté à dénigrer les autres à défaut de propositions originales.

Et enfin, à l'extrême droite ... de la photo, François Schreuers, qui doit se demander ce qu'il fait là. Vega, le collectif dont il est l'élu, ne se définit-il pas comme plus vert que les verts et plus à gauche que ceux qui se disent de gauche. Sans doute fallait-il équilibrer la photo ? Beau succès pour un tout jeune mouvement, qui ressemble plus à un "think thank" qu'à un véritable parti.

Poursuivant mon analyse, j'ai remarqué que certains de ces élus ont déjà les dossiers en main, les autres les ont dans leur sac à main ou dans la tête.

Ils marchent tous d'un pas conquérant vers l'avenir de la cité. Enfin, certains ont l'air plus conquérants que d'autres.

Je relève aussi deux clans ceux qui portent une écharpe et ceux qui n'en portent pas. Etrangement, tous ceux qui portent une écharpe sont à droite de la photo. Ces écharpes n'ont pas toutes la même signification. L'écharpe rouge de François Schreuers fait penser à celle de François Mitterrand, bien qu'une comparaison entre les deux protagonistes me paraisse prématurée. Celle de Michel Firket n'a aucune connotation politique : l'échevin sexagénaire veut faire jeune, un point c'est tout. Quant à Christine Defraigne, elle porte une écharpe, bien nouée, comme le font tant de femmes de son milieu. Je lui sais gré de ne pas avoir porté un carré Hermès.

A gauche et à droite

Je vais décevoir sans doute tous ceux qui, suite à cet intitulé, attendent un commentaire à propos des dernières élections.

L'évangile de ce dimanche (Mc, 10, 35-45) commence par deux requêtes : "Nous voudrions que tu exauces notre demande" et "Accorde-nous de siéger, l'un à ta droite, l'autre à ta gauche". Ces deux requêtes sont formulées par Jacques et Jean, les fils de Zébédée. On les appelait "fils du tonnerre", "Boarneges".

Quelques informations contextuelles :
- les fils de Zébédée viennent d'une famille plutôt aisée, leur père a créé une entreprise de pêche florissante, dans laquelle il emploie des ouvriers ;
- Pierre, lui, est un petit patron pêcheur travaillant pour son compte ; il semble pourtant, aux yeux de Jésus, appelé à être le leader du groupe des disciples, et celui en qui Jésus met sa confiance pour l'avenir (Mt, 16, 18-19);
- le récit se situe lors de la lente montée de Jésus vers Jérusalem, où il n'arrête pas de prévenir ses disciples de ce qu'il pressent : "Le fils de l'homme va être livré aux mains des hommes et ils le tueront ..." (Mc, 9, 31). Les disciples semblent ne pas bien identifier le "fils de l'homme", dont parle Jésus. Marc ajoute aux propos de Jésus (mais Jésus a-t-il jamais dit cela ?) une finale, qui, si elle a été dite, n'aura fait qu'ajouter à l'incompréhension : "lorsque le fils de l'homme aura été tué, trois jours après il ressuscitera".

Deux constatations :
- Jésus a beau leur annoncer le pire pour les jours à venir, les disciples n'arrivent pas à y croire, leurs préoccupations sont totalement déconnectées de ce que Jésus leur dit. Déjà, un peu auparavant, ils se disputaient pour savoir qui, parmi eux, était le plus grand (Mc, 9, 33-37). Voilà aujourd'hui deux d'entre eux qui lui demandent rien moins que d'être associés à sa gloire en étant assis l'un à sa gauche, l'autre à sa droite. Ils demandent TOUT ;
- cette demande n'émane pas de n'importe qui. Les fils de Zébédée sont, comme on dirait aujourd'hui, des fils de bonne famille, des enfants "bien nés", non à cause de leurs vertus particulières, mais parce que leur père a réussi en affaires et fait fortune.

A partir de là, on peut imaginer bien des choses. Notamment, une révolte et une manoeuvre des fils "bien nés" pour supplanter Pierre. L'ordre des choses n'impose-t-il pas que le leadership soit réservé à ceux qui pèsent d'un certain poids dans la société ? Que vient faire Pierre, le petit patron pêcheur, dans l'organigramme ? L'arrogance des fils "bien nés" suscitera de l'indignation chez les autres apôtres (Mc, 10, 41).

Il y a beaucoup d'orgueil dans les propos des fils de Zébédée. D'abord, ils abordent Jésus sur un mode bien particulier : "Nous voudrions que ...". Ils n'interrogent pas Jésus, sur ce que lui veut. C'est leur  volonté qu'ils expriment et imposent comme commencement du débat. Et, quand Jésus leur répond : la gloire? à mes côtés? "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire , recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? " (Mc, 10, 38). Ils répondent, sans rien comprendre : "Nous le pouvons" (Mc, 10, 39). Drôle de dialogue, n'est-il pas ?

La réponse de Jésus, comme souvent, va les remettre à leur place. Il ne m'appartient pas de décider qui siégera à ma gauche et à ma droite, leur dira Jésus (Mc, 10, 40). Bref, non seulement vous ne posez pas la bonne question, mais, en plus, vous ne l'adressez pas au bon interlocuteur ! Ce n'est pas la bonne question en effet. Point de gauche ni de droite, point de premier ni de dernier, auprès du Dieu-Père dont Jésus se veut le témoin.

Jésus, que ces querelles de pouvoir devaient lasser, aurait dit, selon Marc : "Ceux qu'on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands (les tiennent) sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous ... Si quelqu'un veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur. Et si quelqu'un veut être le premier parmi vous, qu'il soit l'esclave de tous " (Mc, 10, 42-43).

Les évangiles seraient lettre morte s'ils ne nous confrontaient sans cesse aux réactions les plus humaines. A chacun d'actualiser le texte et l'éclairage que j'en ai donné, mon rôle s'arrête là.




vendredi 19 octobre 2012

Le pouvoir discret du psy

Il y quatre ans, je me suis senti mal physiquement et mentalement. Mes devoirs, professionnels et familiaux, me détruisaient. J'avais le sentiment de ne plus exister, sans cesse tendu pour être à la hauteur de ce qu'on exigeait de moi. On ne peut pas vivre heureux quand on agit par devoir ou sans cesse tendu pour être à la hauteur des événements. On m'a pourtant éduqué comme cela, le devoir avant tout. Faire face. S'oublier, pour faire face.

Etrangement, j'avais vécu le même contexte quinze ans plus tôt. J'en étais sorti parce qu'alors je n'étais pas seul, qu'un nouvel amour avait fait tomber des barrières, que cet amour m'avait rajeuni, qu'il m'avait fait sortir du milieu qui était le mien, qu'il m'ouvrait à d'autres livres, d'autres musiques, de nouveaux amis. Michel Foucault a bien raison de dire que "l'homosexualité ne saurait se réduire à un acte sexuel entre hommes", même si celui-ci constitue souvent l'entrée en matière.

Pourquoi, un peu plus de dix ans plus tard, alors qu'un grand pas avait été franchi, ai-je connu à nouveau le temps sombre d'avant ? Parce que je n'étais plus "en amour"? Sûrement. Il fallait dorénavant tout assumer seul. Les enfants problématiques et la Faculté toujours plus étrangère, lointaine, hostile. Pouvoir se reposer sur une épaule aimante change beaucoup de choses.

J'ai rencontré la psy qui m'a permis de m'en sortir. Je veux lui rendre hommage et la remercier.

Comment a-t-elle fait ?

Les moyens mis en oeuvre semblent tellement peu de chose : beaucoup d'écoute et quelques médicaments pour ne pas sombrer.

Beaucoup d'écoute. Une écoute bienveillante, sans jugement. De temps en temps, à peine, un encouragement, une suggestion. Etre écouté sans jamais être mis au défi. Une attention particulière à ce qui peut, puis finalement devient, un autre chemin ... à découvrir, à parcourir, à conforter. Encourager le lien entre les intuitions du temps de la jeunesse et le désir d'aujourd'hui.

Parfois, je me dis, à l'issue d'une séance, que rien d'intéressant n'a été dit. C'est une erreur. Car c'est précisément le plus banal qui compte. Et puis, au fil du temps, un lien se tisse. Ma psy, que je continue à appeler Doc, est devenue comme une amie que j'aime rencontrer pour lui raconter "mes petites histoires". Elle reste pourtant le doc, car une amie me raconterait "ses petites histoires".

Je ne sais pas si je dispose des qualités pour jouer un rôle semblable, mais j'aimerais beaucoup. Cela m'est arrivé.




Paul de Tarse et ses amis

Les lectures de ce jour nous confrontent à un passage sans intérêt, issu d'une épître de Paul de Tarse, la deuxième lettre à Timothée (2 Tm, 4, 9-17). Rien à tirer de ce texte - qui ne fait part que d'anecdotes - sauf à s'interroger sur les personnes qu'il cite.

Tout le monde connaît Timothée, celui que Paul appelle "son véritable enfant dans la foi" (1 Tm, 1, 2). Un jeune homme timide et réservé, de santé fragile. Il venait d'une famille où l'on parlait le grec. Il n'était pas circoncis et c'est Paul qui l'a circoncis pour éviter les problèmes avec les judaïsants, lui, Timothée, n'en demandait pas tant. Le jeune Timothée a souvent accompagné Paul dans ses nombreux déplacements. Quel était son rôle ? Quelles raisons l'attachaient à Paul ? Il fut aussi envoyé en émissaire auprès de certaines communautés. Timothée a toujours diffusé le message de Paul là où il était envoyé.

On connaît Luc aussi, l'auteur d'un évangile et des Actes des apôtres, tous les deux dédiés à un certain Théophile. Luc a dû appartenir à l'entourage de Paul.  S'agit-il de celui que Paul appelle "le cher médecin" (Col., 4, 14) ? Beaucoup s'interrogent encore à ce propos. Contrairement à Timothée, qui aura été la "voix de son maître", Luc se présente comme un historien. Il n'est pas un témoin direct, mais il entend traiter les événements en historien avec les témoignages recueillis. Rien d'étonnant dès lors qu'il reprenne largement ce que Marc et Mathieu ont écrit. En cela, Luc fait preuve d'une certaine indépendance par rapport au discours de Paul qui, confessons-le, ne se préoccupe guère de ce que Jésus a fait et dit. N'oublions pas en effet que Paul, l'apôtre auto-proclammé, se prévaut d'une certaine supériorité par rapport aux autres apôtres. Eux ne seront jamais que les témoins de ce qu'ils ont vu, vécu et entendu. Lui, Paul, a reçu une révélation lui conférant pleine connaissance, il n'a jamais vu Jésus, mais Jésus lui serait apparu et depuis il saurait tout ce qu'il y a lieu de dire (1 Co, 15, 3-8, Ga, 1, 11-16). Dois-je dire que cela ne crédibilise guère le personnage à mes yeux ?

On connaît moins (selon le récit du jour) :
- Démas qui a abandonné Paul "par amour pour le monde présent" et est parti à Thessalonique ;
- Crescens qui est parti chez les Galates (sans que Paul ne précise pourquoi) ;
- Marc, un proche de Luc, que Paul réclame, tant il est précieux pour le ministère ;
- Tite qui est parti en Dalmatie (sans que Paul ne précise pourquoi non plus). De Tite, on sait un peu plus que de Crescens, puisque Paul lui a envoyé une lettre (l'épître à Tite). Il serait issu d'une famille grecque et c'est Paul qui l'aurait converti, sans le soumettre, comme Timothée, à la circoncision. C'était un homme de talent, capable de résoudre les conflits, à Corinthe, par exemple (2 Cor, 7, 7). Car il ne faut pas oublier que là où Paul a essaimé, le résultat était toujours fragile, la controverse toujours présente. Paul en effet, depuis toujours, a plus suscité la controverse que l'apaisement ;
- Tychique. Je n'avais jamais entendu parler de lui jusqu'à ce jour. On l'évoque pourtant dans les Actes des apôtres de Luc (Ac, 20, 4). Lui est envoyé par Paul à Ephèse. Une importante mission (!) lui est confiée : il doit ramener un manteau laissé à Troas chez Carpos, des livres et surtout des parchemins. On peut ainsi supposer que Paul a séjourné à Troas (une ville, un port, au nord-ouest de l'Asie mineure) et en est parti en y laissant certaines de ses affaires. Mais pourquoi nous narrer cela ? Quel est l'intérêt ?

Enfin, Paul parle d'un certain Alexandre, un forgeron, qui lui a fait beaucoup de mal, car
il se serait opposé à ses paroles. Paul, l'incompris, aime jouer au calimero. Mais Alexandre n'a qu'à bien se tenir : "il recevra du Seigneur le salaire de ses actes" (2 Tm, 4, 14). Ainsi pense et croit Paul de Tarse. Ainsi pense-t-on, aussi au Vatican, où l'on est plus disciples de Paul que de Jésus, à mon humble avis.

Le vide et le silence

Deux choses ne manquent pas de frapper celui qui pénètre pour la première fois dans un monastère, qu'il soit très ancien ou résolument contemporain : le cloître et le soin apporté à ménager des lieux de silence.

Le cloître autour duquel sont agencés les grands lieux de la vie commune (l'église, le réfectoire, la salle du chapitre et, jusqu'à une certaine époque, le chauffoir, la seule pièce chauffée du monastère) est bien plus qu'une galerie couverte permettant de passer d'un lieu à l'autre sans subir les rigueurs de la pluie ou du soleil ou qu'un déambulatoire permettant de se promener et lire. Le sens du cloître gît en son milieu. Un espace vide, souvent aménagé en un sobre jardin, avec parfois une fontaine. C'est le mot vide qui est important.

Point d'expérience de Dieu sans l'expérience du vide. Le centre du cloître rappelle cela au moine plusieurs fois par jour. Toute rencontre intime avec Dieu nécessite de celui qui la désire, l'espère, qu'il  fasse le vide en lui. Le vide que nous créons en nous est la place que nous réservons à Dieu. Faire le vide des pensées qui nous assaillent, des sentiments qui nous submergent, du corps qui ne cesse de se rappeler à nous. Dieu a besoin que nous lui fassions de la place. En nos sociétés contemporaines, qui prétendent assouvir tous les désirs, cette idée de vide ne peut être que dérangeante.

Cela dit, je le crois profondément, le symbole qu'est le cloître va bien au-delà de cela, car tout est symbole dans un monastère. Tout chercheur de Dieu doit savoir qu'il sera, dans sa quête, souvent confronté à son propre vide malgré l'intensité et la pureté de son désir, comme si Dieu refusait d'occuper l'espace offert. Il doit pourtant y avoir des gratifications dans cette quête de Dieu. Les moines que je connais n'ont pas l'air malheureux. Certains sont même particulièrement épanouis et rayonnants et leur vie témoigne d'une réelle fécondité. Qui peut savoir ce qui se passe dans l'intimité du coeur d'un moine ? Je sais, par expérience, que certains moments privilégiés de la vie spirituelle sont faits d'abandon et d'une tendresse inouïe. Ces moments marquent à vie.

Le silence n'est pas seulement une convention de la vie ensemble - on parle tellement pour ne rien dire - c'est bien entendu autre chose. Le silence rejoint ici le vide. "Faire taire" ce qui distrait de l'essentiel. Des lieux et des moments sont prévus pour cela. A Wavreumont, le monastère vit particulièrement le silence, tous les jours, après l'office de vêpres (sans compter les heures du petit matin). Les monastères trappistes parlent du "grand silence" à partir de la fin de l'office des complies. Mais il n'y a pas que des moments de silence privilégiés, il y a aussi des lieux, l'église, un oratoire plus isolé, un ermitage.

Frère Yves, à Orval, quand j'avais vingt ans, m'a conduit un jour dans ce qu'il appelait le coeur du monastère. Le coeur du monastère n'était pas l'église, si grande et si impressionnante et pourtant tellement silencieuse, ni le cloître. C'était un endroit à droite de la nef, un peu à l'écart. Il n'y avait même pas le Saint Sacrement, si mes souvenirs sont bons. Je me suis mis à genoux à côté de frère Yves, nous étions juste là, lui et moi. Etait-ce sa prière à lui ou le lieu, ou ma jeunesse, mais j'ai été profondément touché et ému, j'avais l'impression d'être relié à autre chose qui me dépassait. Un ami m'a appris par la suite qu'un tel lieu existe dans tous les monastères construits selon les règles anciennes. Les bâtisseurs de cathédrale et leur savoir y sont sans doute pour quelque chose. Ces gens-là ne construisaient rien au hasard. Avaient-ils découvert le moyen de se relier au ciel ?

P.S. J'ai renoncé à illustrer par des photos ce qui doit être vécu et ressenti en lieux et temps réels.

jeudi 18 octobre 2012

Coups de coeur

Je n'ai pas la compétence de certains de mes amis pour conseiller la meilleure version discographique de telle symphonie ou de tel opéra ou comparer deux versions entre elles. Je suis un mélomane curieux qui fonctionne au coup de coeur et souvent un peu à la marge du répertoire dit classique (ou carrément en dehors).

J'aimerais ici évoquer quelques coups de coeur récents.

Le premier est né d'une rencontre entre le violoncelliste Vincent Segal et le joueur de kora Ballaké Sissoko. Le violoncelle et la kora, deux instruments classiques appartenant à deux univers différents, unis pour un disque. Le résultat est très réussi. On se trouve invité à des confidences entre deux musiciens que lie une évidente connivence. Dans ce dialogue, il y a beaucoup de sobriété, mais surtout une grande cohérence. Ballaké Sissoko et Vincent Segal, Chamber music (2012).






Ben Harper n'est pas une découverte. Je le suis depuis longtemps. Son dernier album By my side  (2012) me touche une fois de plus. En plus, il sourit sur la pochette, ce qui est rare.






Le Boeuf sur le toit a été une institution à Paris dans les années 1920, un rendez-vous de l'intelligentsia, un cabaret fort inspiré par Jean Cocteau et Jean Wiener. Alexandre Tharaud, davantage connu pour ses interprétations du répertoire classique, a choisi de nous surprendre et réuni autour de lui quelques comparses (chanteurs, musiciens, comédiens) pour restituer l'ambiance mythique du célèbre cabaret. Une initiative sympathique et réussie. Alexandre Tharaud, Le boeuf sur le toit (2012).





Enfin, un disque plus ancien (2007), Ashokan Farewell. Beautiful Dreamer, Songs of Stephen Foster.




Stephen Foster (1826-1864) est considéré comme l'un des pères de la musique américaine et l'auteur de  nombreuses chansons qui furent très prisées en son temps ... Oh Suzannah, c'est lui. Sur ce disque, il compte sur des interprètes d'exception, à commencer par Thomas Hampson.

mercredi 17 octobre 2012

Un joli conte

Le conteur, à la veillée, le premier soir.

Il y avait dans le désert un pauvre chamelier qui n'avait jamais été à la ville. Des voyageurs de passage lui avaient vanté ses maisons, ses nuits, ses charmes. Un autre monde. Il rêvait d'y aller. Il était comme envouté. Chaque matin, il se disait : ce soir, je pars. Bien sûr, il voyagerait de nuit, le jour est trop chaud. Chaque fois, le soir tombé, sa femme l'en empêchait. Elle ne connaissait pas la ville non plus. Les femmes sont jalouses. Les femmes sont jalouses de ce qu'elles connaissent et encore plus de ce qu'elles ne connaissent pas. La ville, c'était l'ennemie. Chaque soir, le pauvre chamelier cédait devant les cris de sa femme. Parfois il était déjà en selle et il lui fallait redescendre. Mais avec au coeur la rage de voir la ville.
Enfin un soir, sa femme lasse d'interdire le laissa faire.
- Vas-y, puisque tu y tiens tant. Mais alors, rapporte-moi de la ville un cadeau.
- Bien sûr, oui certainement.
- Je veux un grand peigne en argent qu'on met dans ses cheveux comme un diadème. Tu ne vas pas oublier ?
- Non. Oui. Je ne sais pas. Parfois je n'ai pas de tête.
- Alors si tu oublies, regarde la lune, et tu te souviendras.
La lune à son premier quartier, très mince, brille dans le ciel, elle est un diadème d'argent à poser dans ses cheveux. Le pauvre chamelier regarde et dit :
- Un peigne en argent à mettre dans ses cheveux. Oui.
- Tu n'oublieras pas ? Un peigne en argent ?
- Je n'oublierai pas.
- Regarde la lune.
- Je regarderai la lune.
Et il fit claquer sa langue, tapa de sa baguette le flanc du chameau et partit pour la ville.
Combien de jours il y resta, je ne sais pas. Mais c'est seulement un soir, quand il était déjà en selle qu'il se souvint de sa promesse de rapporter un cadeau à sa femme, en disant adieu à un commerçant à la sortie des souks.
- Une louable promesse, dit le commerçant. J'ai ici tout ce qu'il faut. Que désire ton honorable épouse ?
- Je ne sais plus. Ca y est : le trou de mémoire. Ma pauvre tête. Ah, ma femme m'a dit : si tu oublies, regarde la lune et tu te souviendras tout de suite de ce que je veux.
- Bien, dit le commerçant, Regardons la lune.
Mais la ville était loin du campement du pauvre chamelier. Le voyage avait été long. Le temps avait passé. La lune qui était à son premier croissant à son départ était maintenant pleine, ronde, lumineuse, comme un miroir d'argent.
- C'est évidemment un miroir, dit le commerçant.
Et il enveloppa le miroir, comme on sait faire en ville, dans un paquet-cadeau.

Le conteur, à la veillée, le deuxième soir.

Le pauvre chamelier a pris avec lui le cadeau pour sa femme qui est comme une lune d'argent, et il rentre chez lui. Et il dit à sa femme : voilà le cadeau que tu m'avais demandé et que je t'avais promis.
Et la femme prend le cadeau et va se cacher dans un coin pour l'ouvrir. Qu'est-ce qu'un plaisir que tout le monde peut partager ? Elle ouvre le paquet-cadeau. Elle le regarde. Elle le regarde et elle pleure. Il faut dire que comme le chamelier elle est très pauvre et qu'elle n'a jamais été à la ville. Elle n'a jamais vu un miroir.
Sa mère qui est dans l'autre coin lui demande :
- Pourquoi pleures-tu ma fille ?
- Je pleure parce que mon mari ne m'aime plus.
- Comment peux-tu croire cela ?
- Je le sais, pleure-t-elle, en regardant le miroir. Je lui avais demandé de me rapporter un cadeau de la ville. Et il a rapporté une autre femme.
- Je veux voir, dit la mère.
La mère est aussi très pauvre, n'a jamais été à la ville, n'a jamais vu de miroir. Elle prend en main et le regarde. Elle dit :
- C'est vrai. Il a rapporté une autre femme. Mais tu n'as rien à craindre. Elle est très vieille et très laide.

(extrait de Jean-François Deniau, La lune et le miroir, roman, Galimard, 2004)

mardi 16 octobre 2012

Quand Paul parle

Je n'ai guère d'affinités avec Paul de Tarse, c'est le moins qu'on puisse dire. Je me sens bien plus proche de Jean l'évangéliste.

Il n'en reste pas moins que Paul dit parfois des choses essentielles, qu'on ne soupçonne pas toujours.

Un passage de sa lettre aux Galates est proposé aujourd'hui par la liturgie (Gal., 5, 1 à 6). Il y est question de liberté et d'esclavage, un sujet éternel aux facettes nombreuses, si on veut un peu s'y confronter, ne fût-ce que personnellement. De quoi suis-je esclave ? En quoi suis-je libre ? Par les questions qu'elle pose la Bible mérite qu'on s'y arrête fréquemment.

Paul oppose, dans ce passage, la loi et la foi.

La circoncision est tenue par Paul comme le symbole de la loi. Il fustige ceux qui croient devenir des justes en pratiquant la loi à la lettre. Combien se croient encore aujourd'hui devenir des justes en appliquant une loi à la lettre ? Cela existe dans toutes les religions, dans certaines plus que d'autres cependant.

Ce n'est pas par le respect scrupuleux d'obligations extérieures qu'on devient un juste, un béni de Dieu.

Pour Paul, on devient un juste "par la foi agissant par la charité". Voilà un chemin bien plus stimulant.

La foi n'est pas l'adhésion à un corpus de règles, de croyances, de dogmes. Elle est une expérience intime. C'est pourquoi il est si difficile d'en parler à ceux qui n'en ont point encore fait l'expérience ou se refusent, par principe ou par conviction, de l'envisager pour eux-mêmes. La foi heurte la raison n'est-il pas ? Mais il y a bien d'autres choses qui heurtent la raison, à commencer par l'émotion.

La foi dont parle Paul doit être agissante. Il s'agit bien d'action, de passage à l'acte. Il ne s'agit pas de se confiner dans les sacristies ou les églises entre soi. Et le mode d'action de la foi est la charité. L'amour pour les proches bien sûr, mais aussi au gré des rencontres, sans exclusive, sans s'arrêter à des cénacles définis, l'amour pour la terre enfin qui implique le respect de celle-ci.

Cette manière d'agir n'est pas, et de loin, le monopole des seuls chrétiens.

L'Ecriture peut tantôt nous poser une question essentielle (de quoi es-tu esclave? en quoi es-tu libre?), tantôt nous inviter à agir de concert avec les autres hommes de bonne volonté que la charité anime.
La charité n'est pas le monopole de la foi. La foi n'est qu'un chemin pour y parvenir qui convient à certains et pas à d'autres. A chacun son chemin.

samedi 13 octobre 2012

Un peu de sagesse

Des lectures de ce dimanche, je retiendrai l'extrait du livre de la Sagesse (Sg, 7, 7-11) et l'extrait de la lettre aux Hébreux (He, 4, 12-13). J'ai déjà commenté précédemment l'épisode contant la rencontre entre Jésus et un homme riche (Mc, 10, 17-30). Quand on A beaucoup, le chemin est ardu pour atteindre la liberté d'ETRE beaucoup ? Quand on a organisé sa vie sur le faire, le respect scrupuleux d'obligations, il reste encore un énorme chemin pour être en vérité.

" J'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée. J'ai supplié et l'esprit de la sagesse est venu en moi. Je l'ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d'elle, j'ai tenu pour rien la richesse ; je ne l'ai pas mise en comparaison avec les pierres précieuses ; tout l'or du monde auprès d'elle n'est qu'un peu de sable, et, en face d'elle, l'argent sera regardé comme de la boue. Je l'ai aimée plus que la santé et que la beauté ;  je l'ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s'éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle, et par ses mains une richesse incalculable " (Sg, 7, 7-11).

Plusieurs choses me frappent.

La sagesse est une intelligence, un regard, une compréhension des choses du monde, une distance par rapport à celles-ci. La sagesse fait autant appel à notre intellect qu'à notre coeur, la sagesse suppose un équilibre entre les deux, équilibre fragile.

On parle parfois de "science infuse", la "sagesse infuse" existerait-elle ? Que dit le texte ? La sagesse est toujours donnée et suit presque toujours un temps de prière et de supplication. Celui qui ne prie jamais ne doit pas s'étonner de ne pas avoir accès à la sagesse. J'ai parlé de la prière précédemment.

http://xavierciconia.blogspot.be/2012/10/la-priere.html

D'après le texte de ce jour, la sagesse a pour essence un certain rapport vis-à-vis du pouvoir, des richesses, de la santé et de la beauté. Elle tient tout cela pour choses, sinon vaines, accessoires. Ainsi, bien peu nombreux sont les sages autour de nous, à commencer par nous-mêmes.

La sagesse est une clarté, plutôt qu'une lumière. Elle ne subit point l'alternance du jour et de la nuit. Elle est diffuse au coeur de l'homme.

La sagesse enfin est bénéfique, celui qui lui donne place dans sa vie et dans son coeur en retire une richesse incalculable.

Le discours de Paul aux Hébreux (He, 4, 12-13) porte sur la parole de Dieu. Avec la parole de Dieu, on n'est jamais loin de la sagesse.

Paul en souligne quelques traits : elle est vivante ; elle est énergique ; elle est coupante ; elle pénètre au plus profond de l'âme, jusqu'aux jointures et jusqu'aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du coeur. Quel programme ! Pour le ressentir, il faut la fréquenter.

Oui, elle est vivante, parce qu'elle n'est jamais figée, qu'elle évolue, qu'elle s'adapte, qu'elle s'éclaire sans cesse de nouvelles perspectives.

Oui, elle est énergique parce qu'elle est capable de nous remuer, de nous sortir de nos torpeurs et de notre passivité.

Oui, elle est coupante, parce qu'elle nous rejoint presque toujours là où cela fait mal en nous.

Oui, elle est pénétrante pour qui s'ouvre à elle. Une fois qu'on est rejoint par la parole de Dieu plus rien en nous n'est épargné. Elle nous habite.

Oui, c'est à notre coeur qu'elle s'adresse, plus qu'à notre intellect, notre coeur dans ses élans, ses intentions et ses pensées.

Disant toutes ces choses, j'ai parfois l'impression de me parler à moi-même, d'être inaudible par les autres. Puis, je lis sur Facebook ce message posté par un "ami" : "N'apprends pas à ton enfant à être riche, apprends-lui à être heureux. Quand il grandira, il connaîtra la valeur des choses et non leur prix". Cet ami-là, je crois, est sur le même chemin que moi.








Deux personnages

Ce matin, j'étais attablé, comme tous les matins, à la terrasse du café Randaxhe, pour boire mon café, manger mon croissant et lire le journal. S'assied à la table à coté de la mienne un africain.

Il me dit bonjour, puis commande une bière.
- "La journée est belle, n'est-ce pas ?", me dit-il.
- "Oui, en effet".
 - "Regardez les pigeons (des pigeons picoraient les mies de mon croissant) ; ils ne baissent la tête que pour manger, tout de suite après, ils ont la tête haute".
Je l'avoue, je ne m'étais jamais fait cette réflexion.
- "Et puis, me dit-il, ils n'ont que leur bec pour construire leur nid. Nous, nous avons deux bras, deux jambes et il nous faut en plus des machines. Pourquoi ?".
Je me suis dit : cet africain philosophe n'est pas banal.
-  Je lui réponds : "Oui, et les oiseaux n'ont pas besoin de machines pour voler. D'ailleurs, l'oiseau le plus génial de tous est le canard, lui dis-je. Il nage, il marche et il vole par ses propres moyens, alors que nous. "
Mon africain s'esclaffe, comme peut s'esclaffer un africain, à propos de mon canard.
Et il poursuit :
- " Pourquoi l'homme qui est au sommet de la création n'est-il pas (ou plus) capable de vivre simplement, prenant la nourriture là où elle est, se contentant de transmettre la vie, de fonder une famille, de la nourrir et de l'éduquer ? "
- "Parce que l'homme est un homme et pas (ou plus) un animal. Ce qui ne le met pas nécessairement au sommet de la création", me hasardai-je à dire. "Tout n'est pas mauvais pourtant dans l'homme. Les pigeons, quand ils sont malades n'ont pas de médecin, par exemple. L'animalité, c'est aussi la loi de la jungle. Le plus faible sacrifié pour le plus fort. Cela dit, il faut bien constater que tous les êtres humains ne sont pas aussi humains qu'on le croit et que la nature n'est pas toujours aussi conciliante qu'on aimerait".

Changement de sujet.
- "Vous avez-vu ? Le soleil nous éclaire. Ce n'est pas un hasard. Il illumine notre rencontre ", me dit mon gaillard.
- "Bientôt, il va disparaître derrière le pignon de cette maison. Le soleil bouge".

Changement de sujet.
- "Vous buvez déjà une bière à 8 heures du matin", lui dis-je.
- "Oui, parce que c'est la fin de la semaine et qu'on doit fêter cela. On travaillera de nouveau lundi. Je suis rentré de Paris hier soir, j'y ai été voir mes enfants. Mes enfants vivent en France. Je me suis mis au lit à 3 heures du matin, mais le soleil m'a réveillé vers 6h30. Je me suis levé. Il ne faut jamais rater le rendez-vous avec le soleil".

Changement de sujet.
"Mes parents m'ont donné la vie. Moi, on ne m'a pas demandé mon avis. Ma mère m'a nourri de son lait. Ils m'ont appris à marcher. Ils m'ont envoyé à l'école. On doit avoir du respect pour ses parents et agir avec nos enfants comme nos parents ont agi avec nous. Moi, j'ai deux enfants et leur mère est une belle femme. Je suis fier d'eux parce que ce sont mes enfants", me dit-il encore.

Mon interlocuteur m'a dit avoir fait des études d'ingénieur civil en France. Il travaille, en Belgique, comme électricien. Il a trois nationalités : togolaise (là où il est né), française (par naturalisation), belge (par mariage). Ira-t-il voter demain ? Pour quel oiseau ou quel soleil ?

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Un grand coeur. L'humanité qui fait les grands coeurs se trouve souvent au bout des chemins de traverse, des parcours difficiles et tortueux.

Ce vendredi, Sam a subi une opération à l'oeil droit. Famille et amis proches l'entourent.

Une des premières à m'avoir téléphoné a été Muriel, ma femme de ménage, pour prendre des nouvelles de Sam. Je vous ai déjà parlé de Muriel. Muriel, l'orpheline, qui a élévé 9 enfants, a été chanteuse dans un dancing et roule en Harley Davidson.

mercredi 10 octobre 2012

Piano bar

C'était l'époque des palaces, des salons feutrés, des robes en lamé, des messieurs en smoking, du chic et du glamour.




Au bar, on buvait du Champagne, du Martini on the rocks, des cocktails ; on parlait à voix douce, les femmes tenaient de longs fume-cigarettes.











Souvent, un pianiste assurait une ambiance sonore, une musique de fond. Travail ingrat. L'écoutait-on seulement ? Il contribuait pourtant grandement à l'ambiance.





Mon père, quand il a été déporté en Allemagne, a fait la connaissance de quelqu'un qui deviendra par la suite pianiste de bar. Il s'appelait Jean Paques.

Celui-ci a officié longtemps dans ce qui était alors l'hôtel le plus prestigieux de Liège, l'hôtel de la Couronne, en face de l'ancienne gare des Guillemins. On parlait alors beaucoup de Jean Pâques et de sa musique douce. Je crois qu'après une époque liégeoise, il a connu une époque parisienne.




Pour faire plaisir à mon père, j'ai fait des recherches sur son ancien ami.

J'ai ainsi découvert qu'il a une discographie imposante (disponible sur spotify). Plus de 20 albums, tous construits sur le même moule. Quatre ou cinq rythmes de base, sur lesquels il greffe des airs connus de tous. Il commence toujours par une introduction, puis l'exposition du thème à la main gauche, auquel il ajoute ensuite fioritures et arpèges, puis une conclusion.

C'est délicieusement désuet et cela m'amuse. Sur la longueur, c'est un peu répétitif, vu qu'il ne s'agit point d'une musique à écouter, mais d'une musique d'ambiance. Pour travailler, j'aime assez.

Cependant, comme j'ai toujours aimé les vieilles chansons, je m'octroie aussi de temps en temps un karaoké personnel. J'ai ainsi le plaisir de chanter avec mon pianiste personnel : Douce France, La Petite Tonkinoise, Merci Chérie, Que c'est triste Venise, Blue Moon, Only you, La mer, C'est magnifique, Les roses de Picardie, La balade irlandaise. Quel bonheur !




mardi 9 octobre 2012

La prière ?

" Si je prie, c'est avant tout pour me rappeler à moi-même ce que je voudrais être et, avivant ainsi ma conscience, le devenir un peu plus, un peu mieux ... C'est pour me transformer moi-même. Pour me libérer de l'agitation mentale qui brouille mon écoute intérieure. Pour me débarrasser de tous les parasites locaux que j'engendre moi-même et me régler sur la longueur d'onde de Dieu" (Bernard Besret, Confiteor, Albin Michel, 1991, p. 170).

"Parler à Dieu, c'est se parler à soi-même avec des paroles vraies. Entendre Dieu c'est s'entendre dire soi-même des paroles vraies" 

"La parole
qui s'efforce de dire exactement 
ce que j'attends de Dieu
malgré une ignorance invincible
de nature ;

ce que j'espère de lui
malgré l'ordre transcendant qui
le sépare de moi ;

ce que j'aspire à être
par ce qui est le plus authentique
en moi-même ;

ce que j'atteins de moi
quand je suis à moi-même dans la lucidité,

est la seule prière
dans le langage de l'homme
qui soit langage pour Dieu

- L'adressant à moi-même
dans le recueillement
je me tiens devant Dieu

- L'adressant à Dieu
dans l'adoration,
j'entre en ma présence.

Autant qu'il m'est donné,
quand je parle ainsi,
Dieu m'écoute.

Quand je me parle ainsi,
Dieu me parle.

(Marcel Légaut, Intériorité et engagement, Aubier 1977)

"Je voudrais aimer si profondément les mots que chacun me devînt une prière" (Pierre Emmanuel)

"Est-il difficile de prier ? Un moine byzantin du XIVème siècle ... répond à cette question par l'exemple du joueur de luth. Le joueur de luth se penche sur son instrument et écoute attentivement la mélodie, tandis que ses doigts manient le plectre et font vibrer harmonieusement les cordes à plein son. Le luth est devenu musique, et celui qui en joue sort de lui-même, car la musique est douce et elle entraîne.

Celui qui prie doit se mettre à l'oeuvre de la même façon. Il dispose d'un luth et d'un plectre. Le luth est son coeur, les cordes, ses sens intérieurs. Pour faire vibrer les cordes et jouer du luth, il a besoin d'un plectre : le souvenir de Dieu, la Parole.

Personne n'apprend à voir. On voit naturellement. Ainsi en est-il de la prière. La "belle prière" on ne l'apprend pas d'un autre. Elle a en elle-même son propre maître "

(André Louf, Seigneur, apprends-nous à prier, Ed. Foyers Notre-Dame, Bruxelles, 1972).

dimanche 7 octobre 2012

Le mariage selon les rabbins, selon Jésus et après


Les lectures de ce dimanche abordent deux réalités intemporelles : le mariage et les enfants. Je parlerai seulement du mariage.

Le sujet du mariage est abordé aujourd'hui sous l'angle de la controverse (Mc, 10, 1-12).

On sait que les rabbins aiment beaucoup discuter à perte de vue sur un texte, une loi. Ils ne se contentent pas de couper les cheveux en quatre, ils sont capables de bien plus.
Ils entendent mêler Jésus à leur jeu et lui tendent un piège (Mc, 1, 2) : "Est-il permis à un homme de répudier sa femme ? ". Observez que, pour eux, la question ne se pose même pas de savoir s'il est permis à une femme de répudier son mari.

La réponse à la question posée est oui, dans la loi de Moïse (Dt, 24, 1),  mais il faut un motif : quelque chose chez la femme doit  "faire honte" au mari. C'est sur ce motif que les rabbins se divisent. Les partisans du Rabbi Shamaï estiment qu'il faut une raison très grave, ceux du Rabbi Hilliel estiment que tout motif est bon (... mauvaise cuisinière, rencontre d'une femme plus jolie?). Il s'agit bien d'un piège, car, quoi qu'il puisse dire, Jésus se mettra à dos les partisans de l'un ou de l'autre.

Jésus, dans un premier temps, va refuser d'entrer dans cette vaine controverse.

Si vous aviez le coeur pur, la question ne se poserait pas : "C'est en raison de l'endurcissement de votre coeur que Moïse a formulé cette loi" (Mc, 10, 5). Et toc !

Jésus, selon Marc, se serait alors référé à la Genèse pour remettre les choses un peu à leur place (Gn, 2, 18 - 24).

Il y a deux récits de la création de l'homme et de la  femme dans la Genèse (Gn, 1, 26-27 et Gn, 2, 18-24). Les deux récits ne datent pas de la même époque et ne sont pas du même auteur.

Dans le premier récit, au sixième jour de la création, Dieu crée l'homme et la femme, à son image, parfaitement égaux, et leur confie la terre en héritage, les associant à son pouvoir créateur en le leur partageant. C'était tellement bon, aux yeux de Dieu, qu'il s'est reposé le lendemain, le septième jour. Tout était accompli ... ou à peu près.

Dans le second récit, le plus ancien, Dieu fait comme le constat d'une faille dans sa création. Lui, qui avait pensé à tout, se retrouve avec un être humain un peu perdu. L'homme créé par Dieu souffre de solitude.  Il décide de lui accorder "une aide". Dieu prit alors une côte (un côté ?) de l'homme pour en faire une femme pour servir d'aide à l'homme souffrant de solitude. La femme ainsi n'est rien sans l'homme (elle lui doit d'exister) et est appelée à l'aider, ce qui ne la met pas vraiment sur un pied d'égalité. Cette conception-là n'est-elle pas exactement celle que le pouvoir islamiste, en Tunisie, entend faire figurer dans sa future Constitution ?

En relisant ces textes, on comprend mieux les références des uns et des autres.

Je suis un peu déçu que Marc ait choisi le second récit, plutôt que le premier, que je trouve plus moderne.

Que fait-il dire à Jésus?

Quand un homme et une femme quittent leurs père et mère pour s'unir, ils ne font plus qu'un, aux yeux de Dieu. Il ne leur appartient pas de séparer ce que Dieu a uni.

Dans la tradition religieuse qui a nourri Jésus, trois concepts reviennent sans cesse : dualité, altérité et union. Ils apparaissent clairement dans la réponse de Jésus. Ces mêmes concepts nous interpellent toujours aujourd'hui. Ils ne sont pas imperméables l'un à l'autre. J'écrirai sans doute plus tard à ce propos. 

Jésus tire pourtant des conséquences sans concession.

" Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère" (Mc, 10, 11-12).

Je ne voudrais pas jouer au rabbin, mais je constate plusieurs choses :
- Jésus, selon Marc, ne semble accorder aucun égard aux motifs de la rupture, contrairement aux rabbins qui se disputaient à ce propos ;
- Jésus ne semble pas réserver à l'homme le droit de répudiation ;
- est adultère, selon Jésus, celui qui, étant déjà uni, cherche à vivre "la même chose", d'autres "épousailles", avec un ou une autre partenaire. Mais que faut-il entendre exactement par "épousailles" ?
- est adultère celui qui, pour vivre ces autres épousailles, répudie son conjoint, la répudiation étant un acte juridique selon la loi juive.

Tout cela est bien subtil et de nature à alimenter de nouvelles controverses entre rabbins.  Le Jésus de Marc me déçoit un peu dans sa réponse.

Est-il possible d'en tirer une leçon pour mieux vivre aujourd'hui ?

Est-il possible de transposer à l'homme l'image du Dieu fidèle, que rien ne distrait de son amour et qu'aucune faiblesse de notre part ne fait vaciller ?

Demander à l'homme qu'il aime à l'image de Dieu, discours que l'on entend parfois, dans l'Eglise, me paraît une erreur. Si l'homme pouvait aimer comme Dieu, il n'y aurait plus de place pour Dieu. Point de place pour Dieu, en effet, sans les failles qui existent en l'homme.

Dieu ne nous impose jamais rien que nous ne puissions supporter, il enverrait plutôt un ange (Thomas d'Aquin). Or, il peut arriver qu'un couple devienne un enfer. Il se peut même, dans un couple, que les partenaires s'aiment vraiment, mais se rendent finalement malheureux. On ne divorce pas toujours par légèreté ou inconstance.

Quelle place alors pour Dieu, pour la vie ?

Sûrement pas dans la condamnation, dans la culpabilisation, dans la mise à l'écart.

Les lectures de ce dimanche sont dérangeantes. Le discours actuel de l'Eglise à propos des divorcés remariés peut y trouver une justification. Je ne puis  m'empêcher de me demander où l'amour est alors ?

La loi ou l'amour ?

Je me rassure en me disant que ceux qui "ratent" en amour sont peut-être les plus proches du coeur de Dieu. Ce Dieu qui, d'après le second récit de la Genèse, proposé ce jour, n'a pas réalisé du premier coup son acte créateur et doit ainsi comprendre mieux que d'autres ceux qui demandent une deuxième chance (ou plus).