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vendredi 19 octobre 2012

Le vide et le silence

Deux choses ne manquent pas de frapper celui qui pénètre pour la première fois dans un monastère, qu'il soit très ancien ou résolument contemporain : le cloître et le soin apporté à ménager des lieux de silence.

Le cloître autour duquel sont agencés les grands lieux de la vie commune (l'église, le réfectoire, la salle du chapitre et, jusqu'à une certaine époque, le chauffoir, la seule pièce chauffée du monastère) est bien plus qu'une galerie couverte permettant de passer d'un lieu à l'autre sans subir les rigueurs de la pluie ou du soleil ou qu'un déambulatoire permettant de se promener et lire. Le sens du cloître gît en son milieu. Un espace vide, souvent aménagé en un sobre jardin, avec parfois une fontaine. C'est le mot vide qui est important.

Point d'expérience de Dieu sans l'expérience du vide. Le centre du cloître rappelle cela au moine plusieurs fois par jour. Toute rencontre intime avec Dieu nécessite de celui qui la désire, l'espère, qu'il  fasse le vide en lui. Le vide que nous créons en nous est la place que nous réservons à Dieu. Faire le vide des pensées qui nous assaillent, des sentiments qui nous submergent, du corps qui ne cesse de se rappeler à nous. Dieu a besoin que nous lui fassions de la place. En nos sociétés contemporaines, qui prétendent assouvir tous les désirs, cette idée de vide ne peut être que dérangeante.

Cela dit, je le crois profondément, le symbole qu'est le cloître va bien au-delà de cela, car tout est symbole dans un monastère. Tout chercheur de Dieu doit savoir qu'il sera, dans sa quête, souvent confronté à son propre vide malgré l'intensité et la pureté de son désir, comme si Dieu refusait d'occuper l'espace offert. Il doit pourtant y avoir des gratifications dans cette quête de Dieu. Les moines que je connais n'ont pas l'air malheureux. Certains sont même particulièrement épanouis et rayonnants et leur vie témoigne d'une réelle fécondité. Qui peut savoir ce qui se passe dans l'intimité du coeur d'un moine ? Je sais, par expérience, que certains moments privilégiés de la vie spirituelle sont faits d'abandon et d'une tendresse inouïe. Ces moments marquent à vie.

Le silence n'est pas seulement une convention de la vie ensemble - on parle tellement pour ne rien dire - c'est bien entendu autre chose. Le silence rejoint ici le vide. "Faire taire" ce qui distrait de l'essentiel. Des lieux et des moments sont prévus pour cela. A Wavreumont, le monastère vit particulièrement le silence, tous les jours, après l'office de vêpres (sans compter les heures du petit matin). Les monastères trappistes parlent du "grand silence" à partir de la fin de l'office des complies. Mais il n'y a pas que des moments de silence privilégiés, il y a aussi des lieux, l'église, un oratoire plus isolé, un ermitage.

Frère Yves, à Orval, quand j'avais vingt ans, m'a conduit un jour dans ce qu'il appelait le coeur du monastère. Le coeur du monastère n'était pas l'église, si grande et si impressionnante et pourtant tellement silencieuse, ni le cloître. C'était un endroit à droite de la nef, un peu à l'écart. Il n'y avait même pas le Saint Sacrement, si mes souvenirs sont bons. Je me suis mis à genoux à côté de frère Yves, nous étions juste là, lui et moi. Etait-ce sa prière à lui ou le lieu, ou ma jeunesse, mais j'ai été profondément touché et ému, j'avais l'impression d'être relié à autre chose qui me dépassait. Un ami m'a appris par la suite qu'un tel lieu existe dans tous les monastères construits selon les règles anciennes. Les bâtisseurs de cathédrale et leur savoir y sont sans doute pour quelque chose. Ces gens-là ne construisaient rien au hasard. Avaient-ils découvert le moyen de se relier au ciel ?

P.S. J'ai renoncé à illustrer par des photos ce qui doit être vécu et ressenti en lieux et temps réels.

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