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samedi 28 juillet 2012

L'ivraie et le bon grain

Tout le monde connaît ce passage des évangiles (par exemple, Mt, 13, 24-30), où il est question du bon grain et de l'ivraie, sauf peut-être quelques mécréants incultes (tous les mécréants n'étant pas incultes, bien entendu).

Voici un homme, un agriculteur, comme souvent dans les paraboles de Jésus, qui voit, dans son champ qu'il avait fait semer de blé, proliférer une mauvaise herbe. Elle ressemble au blé, mais ne porte pas de fruit utile. Elle est d'une espèce invasive qui étouffe le blé et l'empêche de se développer. Surprise des ouvriers agricoles. Ils soupçonnent un ennemi d'avoir semé ce mauvais grain. Que faire ? Maître, veux-tu que nous arrachions cette ivraie pour permettre au bon grain de se développer dans les meilleures conditions ? Comme toujours dans les évangiles, le Maître a une réponse inattendue. Laissez les choses en l'état. Laissez la bonne et la mauvaise herbe pousser ensemble jusqu'à la moisson. Eradiquer la mauvaise herbe pourrait compromettre la vie de la bonne herbe. Le jour de la moisson venu, je saurai reconnaître l'une et l'autre à leurs fruits et alors vous brûlerez l'ivraie et récolterez le blé.

Cette parabole m'a toujours frappé.

Je n'ai pas l'intention de la commenter ici de manière approfondie, elle est susceptible de multiples lectures.

On peut lui donner des résonances très actuelles : rappelez-vous le thème de l'identité nationale à la mode Sarkozy/Guéant ; songez aussi, plus évidemment, à la politique des multinationales des engrais, pesticides et semences (Monsanto) : quel est encore le bon grain ? Bref, où le Royaume promis par  Dieu se trouve-t-il ? Bien entendu, cette parabole a aussi une signification dans ce qui nous constitue et dans la manière où nous gérons, dans nos vies et nos coeurs, le bon grain et l'ivraie.

Je préfère livrer ce qu'en disait un ancien (Saint Jean Chrysostome, la "bouche d'or", archevêque de Constantinople, mort en 407) :

" La méthode du diable, c'est de mêler à la vérité l'erreur, afin d'abuser aisément, sous les couleurs de la vraisemblance, ceux qui sont faciles à tromper ... ".


Jean Chrysostome relève aussi qu'il s'agit d'un conflit intra-humains : des hommes ont semé de blé le champ du Maître, d'autres hommes ont semé de l'ivraie dans ce même champ. Certes, il y a, à l'écart, le Maître et l'ennemi. Mais tout passe par les hommes.

Avec des nuances, " les serviteurs (du Maître) n'ont qu'un but : non pas châtier le responsable, mais éviter que se perde la moisson.  (Pour eux), l'urgence n'est pas la vengeance ". A méditer.

Il ne s'agit point d'éradiquer, d'éliminer, d'uniformiser, d'empêcher que l'un s'impose sur l'autre... Laissez donc l'ivraie croître, dit le Maître, de peur, en l'arrachant, de détruire le bon grain. Non, hommes, ce n'est pas à vous de réaliser le tri. Première leçon.

Deuxième leçon, d'après Jean Chrysostome : " tant que l'ivraie reste près du blé, il faut l'épargner, car il se pourrait même que les ennemis deviennent du bon grain ". A méditer tout autant.







vendredi 27 juillet 2012

Se surpasser

Tous les athlètes qui vont concourir aux Jeux Olympiques 2012, à Londres, sont mus par deux moteurs :
- se surpasser, faire mieux encore que la fois précédente, gagner deux centièmes de seconde, améliorer leur score personnel : il faut reconnaître qu'ils travaillent dur pour cela, jusqu'à l'obsession, sinon l'absurde, pour certains, des coaches sans pitié n'autorisant chez eux aucune faille ;
- être le meilleur ou un des trois meilleurs, revenir avec une médaille, d'or, de bronze ou d'argent (qu'ils exposeront dans leur salon), l'Etat, sous la bannière duquel ils concourent, ne manquant pas de se glorifier de ses ressortissants (?) et les citoyens de cet Etat de vibrer dans une fière communion nationale. Il faut parfois attendre cet événement pour voir des Etats, frileux sur les populations étrangères, considérer tout à coup qu'elles font partie du ferment national.

Cela est évidemment à l'extrême opposé de ce qui me paraît important dans la vie, sans parler des sommes astronomiques que nécessite l'organisation de ces jeux, indécentes face aux besoins criants qui se manifestent un peu partout dans l'humanité.

Comment ne pas voir, dans cette recherche de la performance, la tentation de se prendre pour un demi-dieu, la croyance que, par ses propres forces, on peut toujours repousser plus loin ses limites, plutôt que de les accepter ? Grandit-on en suivant cette voie ? Pourtant, les sportifs de haut niveau doivent connaître plus souvent qu'à leur tour l'échec et les remontrances de leur coach pour arriver à se surpasser. Jamais, à mon avis, on ne doit leur dire ceci : "c'est lorsque je suis faible, que je suis fort" (2 Cor, 12, 10) ou, "ma grâce te suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Cor, 12, 9).  La faiblesse ne fait pas vraiment partie des valeurs olympiques. Il s'agit plutôt d'être sans faiblesse, pour être le meilleur.

Etre le meilleur, plus fort que les autres ! Quelle belle satisfaction ! Je n'ai aucune affinité avec la culture du mérite, la glorification du meilleur. J'ai toujours eu en horreur la séance où, à l'Université, on proclame les résultats en commençant par les meilleurs, les moins bons étant dans l'angoisse de savoir si leur nom sera seulement cité. J'ai toujours pensé qu'il fallait commencer par les moins bons et finir par les meilleurs, ne fût-ce que pour laisser ceux-ci un temps dans l'angoisse de savoir s'ils auront une GD ou une PGD, c'est tellement moins important que de savoir si on a réussi. Le mieux serait d'énoncer simplement par ordre alphabétique les reçus, sans mention du grade, avec publication de la liste des reçus/non-reçus avant la date de la proclamation. Mais ils aiment tous tellement cela ; il faut voir les "pères et mères de" se rengorger des performances de leur rejeton ! Si en plus, ils reçoivent une médaille du doyen, alors la fierté les envahit ! Les portes d'un avenir radieux attend leur progéniture, les portes des cabinets d'avocat aussi. Moi, dans ces circonstances-là, j'ai toujours été près de ceux qui avaient échoué ou de ceux qui avaient réussi, sans être "le fils de". J'ai la compétition en horreur. Je lui préfère de loin la solidarité. Mais, comme d'habitude, les héros seuls sont adulés.

Viennent ensuite les sentiments nationaux ... Les Etats-Unis, la Chine et la Russie vont encore pavaner avec leurs lots de médailles qui leur donnent vraiment le sentiment d'être de "grandes nations", alors qu'il n'en est rien, sauf en taille, si on regarde d'un peu près ce qui s'y passe. Peut-on dire aujourd'hui, en l'état, et honnêtement, que ces trois Etats sont des modèles de civilisation ?

Je ne suis pas sportif et ne suis pas intéressé du tout à contempler des sportifs s'affronter. C'est ainsi. Ce n'est pas pour cela que je ne reconnais aucune valeur au sport, à l'exercice physique, bien au contraire. Je regrette même de ne pas m'y adonner davantage. Mais alors en toute convivialité, sans compétition, sans enjeu financier, sans sponsor, sans barnum, sans media. Gratuitement, juste parce notre corps mérite autant d'attention que notre esprit.

Ah oui, à propos, sait-on déjà où auront lieu les prochains jeux olympiques ?






jeudi 26 juillet 2012

A propos de la mutualisation

On entend beaucoup parler aujourd'hui de "mutualisation", notamment à propos de la dette publique des Etats européens.

Mon père a tenu, pendant un temps, les permanences d'une mutuelle ; il a ensuite représenté celle-ci au sein du Conseil d'administration d'une société coopérative pharmaceutique. L'expérience de mon père va nous éclairer. Il y avait aussi, dans mon enfance, des magasins de proximité portant le sigle "Coop".

Que l'on parle de société mutuelle ou de société coopérative, un même élément transparaît : des personnes se regroupent, sans esprit de lucre, dans une structure commune qui leur permettra, mais à elles seules :
- de faire face à certains risques de la vie, moyennant une cotisation, sur la base d'un partage des chances et malchances, la chance des uns permettant aux plus malchanceux de n'être pas démunis (à charge de revanche) ;
- de faire leurs achats à des conditions plus favorables, en regroupant ceux-ci.

Dans ces structures, les associés sont les bénéficiaires et les bénéficiaires sont les associés. Pour faire court, il n'existe pas, dans ce schéma, un capitaliste qui pourrait certes offrir le même service, mais avec une perspective de profit personnel. C'est toujours un projet solidaire géré solidairement.

Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui ?

Plus grand chose, cela n'est plus dans l'air du temps, cet air actuel, capitaliste et libéral, étouffant, qui nous submerge et démolit tout sur son passage, sans état d'âme, ne comptant qu'avec l'individu (surtout le battant, l'entrepreneur qui réussit, le créateur de richesses), sans grand égard pour la solidarité. Voyez aux Etats-Unis, qui reste pour quelques faibles d'esprit le modèle à suivre absolument.

Ainsi, notamment, les compagnies privées d'assurances belges ont accusé de concurrence déloyale les mutuelles, qui cherchent, dans le bien commun de leurs partenaires, à réduire leur coût. Et ces compagnies privées ont obtenu gain de cause. Ce qui, pour moi, est un vrai scandale.

Des idéalistes, un peu baba cool, créent bien des groupes d'achat directement chez les producteurs locaux, mais ils sont tellement minoritaires. Impossible d'acheter quoique ce soit aujourd'hui, sans supporter le coût d'intermédiaires multiples, pour des produits formatés et de plus en plus sans saveur.

Mutualiser les dettes publiques européennes, c'est accepter un mécanisme de solidarité où les plus chanceux supportent les moins chanceux. L'Europe étant malheureusement composée d'Etats nations, très égoïstement centrés sur eux-mêmes, n'admettant de l'Europe que ce qui peut leur être profitable, on doit bien constater que la solidarité fait défaut. Les riches n'ont aucune envie de payer pour les pauvres. D'autant que, s'il existe des Etats défaillants, c'est nécessairement de leur faute. Pourquoi le vertueux devrait-il aider le défaillant ? Et, si les choses étaient un peu moins simples que cela ? Et si le vertueux devait, par exemple, sa bonne fortune aux défaillances des autres.

Pourquoi les Etats doivent-ils venir au secours des banques défaillantes, souvent parce qu'elles ont été mal gérées ou n'ont cherché que plus de profit par la spéculation ? Et surtout, comment se fait-il que ces banques privées, sauvées par de l'argent public, exigent encore des taux d'intérêt quand elles prêtent aux Etats ?

J'ai rencontré, ce matin, un jeune homme, bourré d'idées, originales et innovantes. Il appartient à un mouvement citoyen qui a décidé de présenter une liste aux élections communales d'octobre à Liège. Ses analyses sont souvent pertinentes, et bien étayées, ses solutions originales, mais parfois fort ambitieuses. Elles ont en tout cas un double mérite : elles voient plus loin que le court terme (elles s'étalent sur une durée de trente ans) et sont globales (aucune question n'est abordée pour elle-même, elle l'est toujours en relation avec d'autres). Voilà qui n'est pas fréquent en politique.

Parmi ces idées, une a retenu particulièrement mon attention : créer, au sein des quartiers, au plus proche des gens, des maisons des services publics. Des fonctionnaires plus ou moins polyvalents, plus ou moins spécialisés, réunis en un seul lieu, pourraient vous fournir des documents administratifs (actes de naissance, permis de conduire, etc.), renouveler votre abonnement aux transports en commun, accomplir les tâches d'un point poste, offrir les services d'une banque publique sans frais (où l'épargne collectée et rémunérée servirait à financer des projets locaux, ce que faisait dans le fond le Crédit communal) et, pourquoi pas, assurer le remboursement des frais médicaux et le paiement des allocations de chômage. Plus besoin de courir d'un endroit à l'autre, terminé les renvois d'un organisme à l'autre (ONEM, FOREM, Mutuelle, Syndicats ...). Un guichet unique. Il me semble que c'est un exemple de bonne gestion. Un rêve ? Oui, car il implique une mise en commun pour le mieux être de tous. Une manière de mutualiser certains services au public. Je ne suis pas sûr que tous soient prêts.










mercredi 25 juillet 2012

Le plaisir retrouvé de l'étude

Je n'avais plus, depuis longtemps, éprouvé autant de goût pour l'étude, avec prise de notes, liste de questions à poser, élaboration de synthèses, transcription de celles-ci dans un cahier.

Je me confronte en effet à de nouvelles disciplines comme l'exégèse, la théologie, l'anthropologie biblique, avec une joie de la découverte permanente. A travers les vieux mythes de la Bible, l'Ancien testament, pour le moment, j'entends avant tout parler de l'homme et des expériences existentielles qui le définissent.

Je me familiarise aussi à de nouvelles méthodes de lecture, donnant une grande place aux symboles. Je découvre que la Bible est bien une parole vivante, qu'elle se vivifie d'elle même une fois qu'on la connaît suffisamment pour établir des rapprochements entre les passages, des oppositions, des intuitions
répétées sous des formes parfois différentes. Les découvertes sont encore plus passionnantes pour ceux qui s'adonnent à l'hébreu biblique. Nous ne lisons en effet généralement les textes aujourd'hui qu'après traduction de l'hébreu en grec ou de l'araméen en grec, puis en latin, puis en français, etc. Un exemple : "fuit vir", en latin, est traduit en français "il fut un homme" ... or, en hébreux, le "un" n'est pas, dans la même expression, article, mais adjectif. Il s'agit donc d'un homme "un", unifié. La nuance est importante.

On ne peut plus lire la Bible aujourd'hui comme hier et c'est ce qui la différencie le plus du Coran, parole largement figée et, paraît-il, intraduisible. Il y a eu tout d'abord bien sûr l'apport des sciences historiques (histoire des faits, des idées et des religions), tout autant que de l'archéologie. Cela permet de ne pas soumettre ces écrits inspirés à une lecture fondamentaliste. Mais on peut aussi compter aujourd'hui sur l'apport des sciences humaines, l'anthropologie, la psychanalyse et la psychologie des profondeurs en particulier, lesquelles permettent de nouvelles lectures prometteuses et d'une richesse insoupçonnée.

Je voudrais en donner une illustration à propos des deux récits de la création du monde figurant dans le livre de la Genèse.

Premier récit (Gn, 1 à 2,4) : Dieu crée le monde en 6 jours, il met de l'ordre dans le chaos originel, il sépare notamment le jour et la nuit, la terre et la mer et termine, le 6ème jour, avec ce qu'il considère comme son chef d'oeuvre : l'être humain. Le 7ème jour, il se repose. ll remet ensuite la terre à l'homme pour qu'il la domine, notamment en maîtrisant les animaux (Gn, 1, 26 et 28), tout en l'invitant à suivre un régime végétarien (Gn, 1, 29) ! C'est aussi dans ce récit, qu'il est dit que Dieu a créé l'homme à son image et qu'il l'a créé, mâle et femelle (Gn, 1, 26-27). On observera aussi que le Dieu de la Genèse exerce sa puissance créatrice, sans violence, uniquement par la force de sa parole (ce qui était loin d'être le cas dans les autres religions du Proche-Orient antique).

Deuxième récit (Gn, 2) : dans ce récit (le plus ancien des deux), Dieu crée l'homme en premier et puis tout ce qui est nécessaire à son bonheur. Il va même le gratifier d'un véritable paradis et ... d'une femme pour ne pas qu'il s'ennuie. L'homme (Adam) est façonné avec de la terre, de l'humus, auquel Dieu insuffle la vie (c'est plus que la vie biologique, c'est aussi l'anima). Dieu offre le paradis à l'homme pour qu'il y soit heureux. Il lui dit toutefois : tu peux manger tous les fruits du paradis, même ceux de l'Arbre de Vie, mais ne touche pas aux fruits de l'Arbre de la connaissance du bien et du mal, si tu le fais, tu mourras. Tentée par le serpent, la femme conduira l'homme à la faute et ils seront chassés du paradis. L'harmonie est rompue. La vie ne sera plus que souffrance, labeur et larmes. C'est la fin du paradis offert.

Les lectures classiques faites de ces deux récits disent toutes généralement ceci :
- Dieu est Tout-Puissant, il a manifesté cette Toute-Puissance dans son oeuvre de création ;
- L'homme est subordonné à Dieu ; quand Dieu lui confie la terre, il en devient seulement le gérant, non le propriétaire. Certes, il est appelé à poursuivre l'oeuvre créatrice de Dieu, mais dans la soumission à celui-ci ;
- C'est parce que Dieu lui confie cette part de création que l'homme est à l'image de Dieu, mais non point son égal ;
- Dieu est jaloux de sa supériorité sur l'homme, c'est pourquoi il entend mettre une distance entre eux (l'interdiction de toucher à l'Arbre de la connaissance du bien et du mal ... qui représente l'autonomie morale) ;
- En ayant cherché à être l'égal de Dieu, en bravant l'interdit, l'homme a scellé son destin pour l'éternité : une vie, on l'a dit, faite de labeur, de souffrance et de larmes ;
- Il faudra que Dieu envoie son fils et qu'il meure pour racheter le péché du monde.

Si vous avez été au catéchisme, comme moi, dans les années 1950-1960, et même après, c'est ce qu'on vous aura appris. Et si le texte voulait dire tout autre chose ?

Dans un ouvrage, costaud, qui m'a passionné, le théologien belge André Wenin (L'homme biblique, Cerf, 2004) propose une toute autre lecture, que je vais synthétiser ici.



Dieu, le Tout-Puissant a mis une limite à l'exercice de sa Toute-Puissance. Il aurait pu continuer son oeuvre créatrice après le 6ème jour, ne pas se reposer le 7ème ou au moins s'y remettre le 8ème pour l'éternité, avec un éventuel repos hebdomadaire, le "sabbat de Dieu". Non, Dieu est plus fort que sa force. La Toute-Puissance ne l'intéresse pas dans le fond. Il préfère la relation, faire alliance. Il laisse ainsi une place à l'homme. Il en fait son partenaire. Dieu est fondamentalement, essentiellement, ouvert à l'altérité.

Dans aucun des deux récits, Dieu ne se proclame supérieur à l'homme et jaloux de cette supériorité. C'est le serpent, dans le deuxième récit, qui instille ce discours ; il parle d'une concurrence entre Dieu (le Tout-Puissant) et l'homme (subordonné à ce Dieu Tout-Puissant) et dit à l'homme qu'en mangeant de l'Arbre de la connaissance, il rompra cette distance entre Dieu et lui, devenant ainsi son égal. C'est le serpent qui invente de toutes pièces la jalousie de Dieu pour sa supériorité et l'envie chez l'homme de le rattraper. Pourquoi donne-t-on, dans l'interprétation traditionnelle, autant de poids à ce que dit le serpent et si peu à ce qu'il est dit de Dieu ?

Ceci pose la question de la limite et du sens de l'interdit dans ces récits.

S'agit-il d'un interdit, avec la frustration qui peut en naître, ou plutôt d'un conseil d'ami de la part de Dieu ? Pourquoi, quand on veut élever Dieu, faudrait-il toujours abaisser l'homme ?

Rappelons-nous que Dieu, le Tout-Puissant, a mis une limite à son oeuvre créatrice pour ouvrir une place à l'homme. Quand il est dit que Dieu a créé l'homme à son image, quel est le sens ? Et si cela était une invitation donnée par Dieu à l'homme d'agir comme lui, c'est-à-dire de refuser la toute puissance, le tout à moi, le tout dépend de moi, une invitation en d'autres termes à laisser toujours un espace pour l'autre, l'Autre. On perçoit aisément la force de ce message dans notre monde actuel de finance folle et de surexploitation de la planète.

Je t'offre tout ce qui constitue le paradis, mais si tu veux la vie, ne l'accapare pas pour toi, laisse une place. Ne cherche pas à tout avoir. Tu domines la terre, mais pour te nourrir, tu peux te contenter d'un régime végétarien. Ce sont de petits indices, mais le message est capital.

Celui qui ne réserve pas une place à l'autre, à l'Autre, celui qui n'est plus capable d'entrer en relation ne vit pas. Il génère la mort. Car il n'est point de vie sans relation aux autres, au monde, à l'Autre. Tel est le message.

Voici une autre illustration de cette manière d'aborder les textes anciens.

Lors de mon séjour au monastère, fr. Renaud, le prieur m'a invité à  travailler un peu sur la vie de Saint Benoît, telle qu'elle a été rapportée par Grégoire le Grand (540-604), dans ses Dialogues. Un récit avant tout hagiographique, comme on aimait à l'époque, un catalogue de miracles, de prodiges, mais moins bien anodin qu'une lecture au premier degré pourrait laisser supposer.

Le chapitre 2 parle ainsi d'un crible brisé et réparé par Benoît. Voici un résumé du récit.

Benoît avait été envoyé à Rome pour suivre des études de lettres. Le milieu qu'il va rencontrer dans cette grande ville, lui qui dès son plus jeune âge avait déjà le mode de vie d'un ancien, par sa tempérance et son caractère raisonnable, va l'effrayer. Il a l'impression qu'il pourrait, en y souscrivant, perdre son identité et que ce n'est pas en faisant comme les autres qu'il pourra réaliser son chemin d'homme. Il décide donc de vivre à l'écart et part à la recherche d'un endroit retiré, une grotte comparable à celles occupées déjà par des moines ermites. Sa nourrice le suit. Elle est prête à le servir, de devenir "bonne du curé", en quelque sorte. Lors de leur périple, ils sont invités à s'arrêter dans un village et la nourrice, pour préparer le repas, emprunte à une villageoise un crible, cet ustensile sous forme de tamis qui sert à séparer des solides entre eux : des grains de blé de leurs scories, des cailloux des pépites d'or. Elle le laisse tomber (consciemment ou non ?) et il se brise. Elle vient en larmes auprès de Benoît qui se montre plein de compassion pour elle. Il se retire alors à l'écart : il pleure et prie. Il revient ensuite près de la nourrice avec l'ustensile réparé. Le soir même, il part en secret pour se retirer du monde.

Une fois encore, sous l'anecdote, il y a peut-être plus que cela. Ce n'est pas un hasard si le premier miracle de Benoît concerne un crible (objet de séparation) et si c'est la nourrice qui brise le crible, et non Benoît. La nourrice (la mère) refuse, au fond d'elle-même, la séparation. Benoît, par son miracle, rend la séparation à nouveau possible et part, loin, dans le secret, vivre sa vie propre. Belle leçon !


lundi 23 juillet 2012

Liège, un jour d'été, en touriste

J'ai passé une journée à Liège comme un touriste ... et bien, je reviendrai.

Après une flânerie dans les rues du centre ville, avant qu'il ne fasse trop chaud, je me suis attablé
à une terrasse avec un ami qui connaît la ville moins bien que moi.
Agréable conversation tout en reluquant les passants qui passaient.
Ah ... tous ces bermudas et ces gambettes plus ou moins poilues !
Nous avions choisi de manger dehors.

Je n'y étais plus allé depuis un certain temps : notre choix s'est porté sur Les Saintes Chéries, place des Béguinages. Déjeuner à l'ombre des arbres sur une petite place calme, avec un petit vent bienvenu.
Un accueil vraiment charmant et une cuisine parfaitement à la hauteur de nos attentes pour un déjeuner.
Il y a quelques années, avec P., nous fréquentions régulièrement la précédente implantation des deux maîtresses de maison, Le Continental, place de la Cathédrale.

http://www.saintescheries.be/

De là, j'ai emmené mon ami vers la Collégiale Saint Jean pour une rapide visite. Il avait travaillé à 50 mètres dans une banque sans avoir jamais eu la curiosité de pénétrer en ce lieu. Nous y sommes restés deux heures !

Nous avons été "cornaqués", en effet, par un guide volubile, bien au fait de son sujet, assez rigolo et qui, de toute évidence, appartenait à la même génération et la même coterie que nous ! Une certaine complicité s'est ainsi créée où les commentaires historiques ou artistiques dérapaient parfois subtilement ... En plus, il connaissait tout de l'histoire du monastère de Wavreumont et plusieurs moines de la communauté. Il était incollable sur la noblesse et les blasons, ce qui ne pouvait que réjouir mon aristocrate, mais tellement simple, ami.

Il y a vraiment dans cette antique collégiale un peu décatie des merveilles. Instituée par Notger un peu avant l'an mil, son architecture s'inspire de la chapelle palatine à Aachen, d'où cette curieuse architecture en trois morceaux. Le clocher roman et les deux tours annexes sont les survivants du bâtiment d'origine.







A l'intérieur, deux chefs d'oeuvre.

D'abord une Sedes sapientiae, très bel exemple de l'art mosan. Cette période de 100 ans, tout au plus, antérieure au gothique, qui a suscité tant de merveilles en nos régions.


Mais, pour moi, le vrai chef d'oeuvre, celui qui me touche le plus et dont je ne trouve malheureusement aucune trace iconographique à partager, ce sont ces deux statues en bois qui entouraient un Jésus en croix, aujourd'hui disparu. Marie à gauche et Jean à droite. Je suis plus que touché par Jean et sa tristesse tellement palpable.

Deux heures après, nous avons rejoint la place du Marché. Un garçon, fort sexy, au sourire aussi énigmatique que celui de la Joconde, m'a fait découvrir la nouvelle bière liégeoise : la Curtius, la création de deux jeunes entrepreneurs. Agréable, par temps estival, mais sans commune mesure avec une bonne trappiste.

http://www.lacurtius.com/

Il était déjà 18 heures, j'ai rejoint mes pénates, mes géraniums, mes coups de téléphone destinés à rassurer et à affirmer les liens familiaux.

dimanche 22 juillet 2012

Mon accent

On m'a souvent dit que je n'ai pas d'accent (ce qui n'est pas tout à fait vrai). Que voulaient-ils dire ceux qui m'ont dit cela ?

Ainsi, un jeune rémois, faisant ses classes dans un restaurant de Durbuy, m'a pris pour un français ; il faut dire que, depuis le début de son stage, tous ses clients étaient néerlandophones (bataves ou flamands). Entendre un client lui parler dans sa langue, sans accent, a dû lui faire un choc.

Cela m'inquiète, à vrai dire.

Mes intonations et modulations ne seraient pas celles des vrais liégeois, les "nés-natifs", comme on les appelle parfois. Il faut dire qu'à Liège, la population est de moins en moins "née-native". Mais, quand je parle, tout le monde voit bien que je ne suis ni italien, ni espagnol, ni maghrébin et encore moins indien ou africain.

Je n'ai pas l'accent borain.
Je n'ai pas l'accent picard.
Je n'ai pas l'accent, ni le vocabulaire, si savoureux, des brusseleirs.
Je ne parle pas comme le roi Albert II.
Je ne parle pas comme à Uccle ou au Zoute.
Je ne parle pas comme un québécois
Je ne parle pas non plus comme un parisien.
Je n'ai pas l'accent d'un flamand parlant français, référence de l'accent belge pour mes amis français.
Je n'ai pas l'accent chantant du Sud.
Je ne suis ni d'Oc, ni d'Oïl.

Certes, il ne faut pas longtemps, quand je voyage, pour adopter l'accent du coin !
Manque de personnalité, désir d'intégration ou simple oreille musicale ?

On dit souvent qu'il faut aller en Touraine pour entendre parler le vrai français avec le bon accent.

Je ne dois pourtant pas parler comme un tourangeau.

Je ne cherche pas non plus à "pincer" mon français, pour avoir l'air d'en être et je dis bien "septante" et "nonante".

Je décline la langue française, vraisemblablement, avec un accent aseptisé, sans identité véritable.

Deux documents assez anciens m'ont inspiré ce texte.

Le premier concerne un poème de  Miguel Zamacoïs, intitulé "L'accent", popularisé par Fernandel. J'ai fait un tabac, avec ce texte, sur la scène de mon école primaire, parfaitement drillé, cela va de soi, par ma mère.

http://www.dailymotion.com/video/x5w9io_fernandel-l-accent_fun

Mon ami JPR a diffusé sur Facebook un reportage concernant le cinquantième anniversaire de l'orchestre philharmonique de Liège. On y entend une édile, ou une mélomane, voire une autorité académique (Rita Lejeune ?), faire,  à la création de l'orchestre, un discours avec un accent on ne peut plus liégeois ! Ah quand elle parle du "théiiaaatre" ...

http://vimeo.com/22738066








Quand le frère en charge de l'homélie se demande ce qu'il va bien pouvoir dire


Homélie extraordinairement bien troussée d'un pauvre moine qui s'est demandé ce qu'il allait bien pouvoir raconter sur l'évangile du jour ! Sans des frères comme cela dans une communauté, la vie serait fort triste ...

Il y a huit jours, j'ai eu l'occasion de rencontrer un professeur qui, sans renier ses ascendances flamandes, a traduit en wallon l'évangile selon saint Jean. Au cours de cette lecture forcément attentive, il a été impressionné par le nombre de répétitions. En effet, la pensée du quatrième évangile avance volontiers en spirale, en repassant plusieurs fois aux mêmes endroits, pour approfondir ses découvertes. Remarquez que, pour le traducteur, c'est toujours ça de travail en moins.



Dans les écrits anciens, la répétition a aussi un autre rôle. C'est la façon normale de mettre en évidence, de souligner. Les anciens répètent ce que nous imprimerions en gras, ce que le lecteur doit retenir s'il veut lire la suite avec profit, en comprenant ce qu'il lit et en le savourant. Ainsi, dans notre passage, Jésus dit à ses apôtres : "Venez à l'écart, dans un endroit désert, et reposez-vous un peu." Marc pourrait se contenter d'ajouter : "Aussitôt dit, aussitôt fait." Il économiserait du parchemin. Mais il préfère écrire : "Ils partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l'écart." Car le détail a toute son importance pour la suite, il veut être certain que nous l'avons bien enregistré.



Quand Jésus et les apôtres arrivent à destination (à l'écart, donc, dans un endroit désert), le désert est noir de monde. La foule qui les empêchait de manger sur l'autre rive les a devancés à pied, elle a même rameuté des gens de toutes les villes des environs, la cohue est pire qu'au départ. Pour goûter le comique de la situation, il faut avoir entendu Jésus dire à ses apôtres : "Venez à l'écart, dans un endroit désert." Tu parles !



Mais ce n'est pas tout. Jésus se met à instruire cette multitude. Longuement, précise Marc. Ce qui veut dire que l'heure du repos et du repas est encore retardée, mais aussi que le temps passe et que le soir finit par approcher. Tant et si bien que les apôtres s'impatientent au bout du compte, non seulement parce qu'ils ont faim, mais parce qu'ils voient venir le moment où il sera trop tard pour renvoyer les gens. Ils viennent dire à Jésus : "L'endroit est désert." Ce qui ne manque pas de malice. Tu voulais aller dans un endroit désert, à l'écart, c'est réussi. Nous sommes effectivement à l'écart, à l'écart de tout, à l'écart des magasins où tes auditeurs pourraient se procurer de quoi nourrir leurs corps quand ils seront, enfin, rassasiés de ta parole.



Les apôtres avaient emporté de quoi manger, puisque c'était pour le faire en paix qu'ils avaient pris le large. Notez qu'ils n'étaient pas gourmands : cinq petits pains et deux poissons, pour treize, cela suppose des appétits modestes. Mais de là à partager avec tout ce monde ! La nécessité d'une multiplication des pains est ainsi adroitement amenée par les détails du récit, que Marc souligne avec humour.



On a souvent présenté Marc comme un écrivain de seconde zone, brouillon, s'exprimant mal dans un mauvais grec. Mais il est très fin et les maladresses apparentes de son évangile sont souvent pleines de sel. Il mérite bien de prendre un peu de repos lui aussi, à l'écart, dans un endroit désert et tenu secret. Les cinq dimanches à venir, l'évangile de Jean assurera l'intérim. En français, car nous ne disposons pas du texte wallon.



Et vous vous demandez sans doute où j'ai voulu en venir. Peut-être à vous donner l'envie de lire ou de relire l'évangile de Marc, en vous arrêtant à toutes ses bizarreries et en vous demandant si ce sont de vraies sottises ou des traits de génie. Je vous promets beaucoup de plaisir.

Fr. François 

samedi 21 juillet 2012

L'être humain et son aventure

Je reviens d'une semaine dans mon monastère "fondement", nourri de tant de choses, intellectuelles, spirituelles et humaines. Il faut maintenant être prêt à affronter le monde, et surtout les proches qui sont tellement éloignés de ces réalités.

J'aimerais partager un texte, qui m'a rejoint au plus profond, espérant qu'il puisse rejoindre l'un ou l'autre lecteur.

" L'être humain grandit d'abord dans le sein d'une mère, puis en sort. Il grandit ensuite au sein d'une famille où se tissent peu à peu dès son tout jeune âge, et même avant, des liens extérieurs mais surtout intérieurs : avec la mère, le père, la fratrie, la famille. Liens nécessaires, repères indispensables, tout tordus qu'ils puissent être parfois. Vient le jour où ces liens, quels qu'il soient, emprisonnent et étouffent plus qu'ils ne font vivre, car on les reproduit sans cesse sous des variantes le plus souvent inaperçues, mais qui n'en compromettent pas moins l'épanouissement de nouvelles relations.


Certains - pourquoi ? - ne perçoivent pas ces liens complexes et se plient à leur loi. Sans même le savoir, ils courbent l'échine, se vouant à un malheur que parfois ils nomment bonheur. Pas d'autre issue pour eux. D'autres voient ces liens, mais leur pression est telle que la peur est plus forte et qu'ils se résignent à ce qu'ils savent être un malheur. Pour ceux-là, la roue continue de tourner et les liens d'enchaîner, et pas seulement eux-mêmes. Car, selon le décalogue, le défaut de liberté des pères se reporte sur les fils et sur trois ou quatre générations (Ex., 20, 5).


Certains qui ont perçu ces liens entreprennent - mais le choisissent-ils vraiment ? - de les délier patiemment. Ils prennent le risque - non sans peur, car il leur faut vaincre bien des résistances intérieures et extérieures -  de mourir à une certaine manière d'être où l'on existe en fonction de, sous le regard de, selon le désir de ... Mourir à la mort, tant il est vrai que ce qui conduit à la mort est "ce détour où j'emprunte l'oeil d'autrui pour me nier moi-même" (P. Beauchamp). C'est le risque de naître à soi-même pour vivre en "je", selon son désir propre.


Mais est-ce possible seul ? Ce risque peut-il être pris sans une parole qui donne d'y croire et à laquelle faire confiance ? Plus profondément, d'où vient cet appel intérieur, cette énergie à risquer ce que l'on est, cette force qui refuse d'être réduit à vivoter ? D'où vient cette folie qui donne de croire que le goulot n'est pas l'impasse, qu'aucun mur intérieur n'est définitivement infranchissable, que le mort peut accoucher d'un vivant et l'esclave d'un affranchi ?


Une telle question ne s'impose pas, mais il est permis de la poser. En se risquant à y répondre, certains parlent d'énergie vitale, d'autres de quelque chose qui en l'homme passe l'homme, de transcendance ; d'autres de Dieu ... C'est le cas, je pense, de l'évangéliste Jean : " Nul à moins de naître de nouveau, ne peut voir le règne de Dieu " (Jn, 3, 3). Pour l'évangéliste, l'authentique connaissance est liée à la nouvelle naissance. Et lorsqu'il dit qu'il importe de faire ce passage pour voir comment Dieu règne, il choisit de nommer "Dieu" cela ou celui dont l'homme reçoit de naître vivant et libre ... "


André Wenin
L'homme biblique, 
Cerf, 2004







samedi 14 juillet 2012

Ils allaient deux par deux

C'est la première fois que Jésus envoie ses disciples en mission (Mc, 6, 7-13 - évangile de ce dimanche). La manière dont il organise cet envoi et les consignes qu'il donne à ses disciples sont riches d'enseignement.

D'abord, il les envoie "deux par deux", pas "seul à seul". Pour les rendre plus forts face à de potentiels adversaires ? Je ne crois pas. Tout le message de Jésus, message d'amour, suppose qu'on n'est jamais seul face à Dieu et encore moins seul pour le représenter. La bonne nouvelle n'existe que si elle est communautaire.

Il leur dit aussi de partir en mission en se dépouillant de tout, avec moins même que l'essentiel, seulement un bâton de pèlerin: ni pain, ni sac, ni pièces de monnaie ; juste des sandales et même pas une tunique de rechange. Pour témoigner vraiment, il faut donc arriver à se dépouiller de presque tout, afin de laisser toute la place à la bonne nouvelle et ne pas la polluer avec nos besoins ou nos désirs propres.

Jésus dit aussi à ses disciples envoyés en mission de ne pas s'acharner, de ne pas insister, de ne pas s'imposer et de partir, en secouant la poussière de leurs pieds, là où ils ne sont pas accueillis. Le témoignage chrétien ne peut être que discret, intime. Il ne doit pas chercher à s'imposer. Il ne devrait jamais sombrer dans le triomphalisme, ni dans les manifestations de masse. Jésus n'a jamais guéri des masses. Il a plutôt eu pitié d'elles. Toutes les guérisons de Jésus reposent toujours sur une conversion individuelle, une confiance donnée. Jésus annonce à ses disciples qu'ils connaîtront l'échec, les volets fermés, les coeurs aussi, les préjugés et les frilosités de leurs contemporains. Seuls les coeurs purs (ou purifiés) peuvent accueillir la nouvelle. Ce n'est pas un privilège. C'est un appel à se convertir.

Peut-être aussi le message chrétien doit-il, malheureusement aujourd'hui encore, se débarrasser d'un vernis qui le trahit ? Revenir à l'essentiel, un message transmis sans pain, ni sac, ni pièces de monnaie, juste des sandales, un bâton et même pas une tunique de rechange. C'est le prix, je pense, à payer pour sa crédibilité.


vendredi 13 juillet 2012

Humour belge

On parle souvent de l'humour belge, beaucoup plus décalé, surréaliste, dit-on parfois, que l'humour français.

Je dois bien avouer que les caricatures de Plantu sont souvent justes, mais ne me font pas rire. Petillon et Fred Thouron, dans le canard enchaîné, suscitent un peu parfois mes zygomatiques, mais bien moins que Philippe Geluck et Pierre Kroll.

Philippe Geluck et Pierre Kroll, mes compatriotes, non seulement visent juste, mais ils entretiennent une tendre distance, touchant à l'absurde, que je ne trouve nulle part ailleurs.

Quand les français découvrent ces humoristes belges, ils découvrent un univers qui n'est pas vraiment leur quotidien et cela les séduit parfois  (Michel Drucker  et Laurent Ruquier).

Un ami colombien m'envoie régulièrement des caricatures issues de la presse de son pays, cela n'égale jamais mes deux compatriotes. C'est souvent même assez affligeant.

J'ai demandé à mes amis flamands de Facebook si, dans la presse flamande, des caricaturistes sévissaient aussi et s'ils étaient aussi drôles que Kroll et Geluck. En Belgique, il est vrai, les gens du nord ne lisent pas la presse du sud et les gens du sud ne lisent pas la presse du nord, sauf exceptions.

On m'a ainsi parlé de Gal qui publie ses dessins dans le magazine flamand Knack. J'ai été voir. Je n'ai pas été touché. Ses dessins ne sont pas drôles. Il leur manque quelque chose. Il s'agit de caricatures au premier degré, alors que ce que nous aimons nous, enfin moi, c'est le deuxième (et parfois le troisième) degré.

Rit-on de la même chose sous toutes les latitudes ? Sans doute pas. Est-il possible que ce que certains trouvent drôle ne le soit pas pour d'autres ? Evidemment oui, cela arrive tout le temps. Existe-t-il un humour flamand et un humour francophone en Belgique? Je crois bien que oui. Les destinataires de ces humours ne sont pas les mêmes, cela tient à leur état d'esprit. Il y a donc bien une frontière non pas linguistique, mais humoristique, entre la flamandie et la wallonie. En tiendra-t-on compte dans la réforme de l'Etat ?

Après ces propos, je me dois d'illustrer ceux-ci.

KROLL




 




PHILIPPE GELUCK (Le TOP)


 


Enfin Gal, dans le magazine Knack.


















jeudi 12 juillet 2012

De Vlaamse kust (en toute mauvaise foi)

Je n'ai jamais aimé la côte qui était encore belge, dans mon enfance, et qui est devenue flamande depuis. De Vlaamse kust.

Ayant connu très jeune la Bretagne, je n'ai jamais trouvé aucun charme à cette côte rectiligne, bordée de stations balnéaires qui se ressemblent plus ou moins toutes les unes et les autres, ces barres de buildings en front de mer, comme dans une cité, ces restaurants où les menus sont les mêmes partout, ces terrasses entourées de parasols ou de pare-vents d'où on ne voit même pas la mer. L'absence quasi totale de plages sauvages. Je peux y passer une journée à la condition de marcher le long de la mer, mais pas plus. Cette côte me lasse vite.

Il est vrai, ma famille n'a jamais eu les moyens de s'offrir une villa sur les terres du comte Lippens. Nous allions à Coxyde (Koksijde) ou à La Panne (De Panne). Et je ne pratiquais pas la voile, le surf ou le char à voile, bien trop peureux pour cela. J'aimais les oiseaux du Zwin, le plus loin possible dans la réserve, comme toujours, loin des autres et proche des oiseaux. Je n'ai jamais été un grand amateur de cuisse-taxes sur la digue. Il y avait toujours de petits imbéciles pour faire des collisions par plaisir. Les poissons et crustacés vendus sur place viennent généralement de loin, voire de très loin, alors qu'en Bretagne, on déguste les huîtres au bord même du parc à huîtres. Même les moules ne viennent pas de Flandre, elles viennent de Zélande. Les gaufres que l'on vend à la Vlaamse kust sont, soit de Liège (Luikse wafels), soit de Bruxelles (Brusselse wafels). Comme spécialité locale, il y a bien les "babeluttes", une espèce de caramel dur, qui n'est cependant pas si locale que cela puisqu'on en trouve aussi à Lille (Rijsel pour les flamands), en France.




Bref, cette Vlaamse kust me paraît surfaite, malgré l'abbaye des dunes, la maison de Paul Delvaux, le musée Ensor et quelques manifestations intéressantes qui pourraient tout aussi bien avoir lieu ailleurs qu'à la mer. Je ne sais même pas si, à Oostduinkerke, les pêcheurs à cheval ramassent encore des crevettes ...



Les nouvelles qui en proviennent, ces derniers temps, ne sont pas vraiment rassurantes.

Le comte Lippens, bourgmestre de Knokke, en veut aux météorologues. Leurs prévisions pessimistes découragent le tourisme. Surtout le tourisme d'un jour. C'est amusant, car il y a quelque années, le même avait déclaré qu'il en avait plus qu'assez des touristes "frigo box" dans sa station, propriété de quelques familles fortunées. Bref, lui et quelques autres ont décidé d'introduire une action en justice contre les météorologues. Le ridicule de la démarche n'a pas échappé au journal télévisé de Fr2 qui l'a évoquée. Je dois reconnaître que cette démarche insensée a fait tache d'huile en Wallonie, puisque des patrons de parcs d'attraction ont emboîté le pas. Comme quoi, les flamands et les wallons sont parfois unis plus pour le pire que le meilleur ... Le business contre la météorologie !

http://www.rtbf.be/info/societe/detail_meteo-belgique-dans-le-collimateur-de-la-cote-belge?id=7800352




Mais ce n'est pas tout, voilà qu'une édile ostendaise veut éradiquer les mouettes, jugées être une nuisance. Or, moi, si je vais à la mer, cela veut dire voir et jouer avec les mouettes. En Bretagne, j'ai même séjourné, à Dinard, dans un tout petit hôtel, qui s'appelait "Les mouettes", où on était réveillé par des mouettes rieuses.



Ici, on parle de systèmes très sophistiqués pour ramener les mouettes vers le large, il est même question d'installer en mer des stations artificielles pour leur offrir de la nourriture. Pauvres amis de la Vlaamse kust, ils découvrent seulement que c'est l'urbanisation de leur côte, avec tous les déchets qu'elle engendre, qui fait venir les mouettes !

http://www.dhnet.be/infos/belgique/article/401491/la-ville-d-ostende-veut-s-attaquer-aux-mouettes.html

Dans d'autres pays que le nôtre, il existe des instances visant à conserver le littoral et à interdire la construction d'immeubles. Rien de cela chez nous, ou si peu (quelques km de dunes et le Zwin ?). Nous avons 70 km de côte, il fallait évidemment que cela rapporte de l'argent. C'est cela entre autres le miracle économique flamand. Triste.

Et ce n'est pas tout, comme nos amis flamands très entreprenants ont agrandi le port de Zeebruge, un banc de sable se forme au large de Knokke-Heist qui, si l'on ne prend pas des mesures, pourrait déplacer l'accès aux plages de plusieurs centaines de mètres ... Pourquoi sont ils inquiets à Knokke ? Ils créeront un petit train touristique pour rejoindre la plage, cela créera des emplois et générera des bénéfices. J'ai connu cela au Portugal, dans la région de Faro. Les stations balnéaires y sont construites à un km ou plus du front de mer resté sauvage. Mais c'était pour préserver la côte.

http://www.levif.be/info/actualite/sciences-et-sante/l-apparition-d-un-banc-de-sable-devant-knokke-heist-inquiete/article-1194669485719.htm

Et puis de toute façon, avec la hausse programmée du niveau des mers et océans, la Mer du nord qui s'était écartée de Bruges, il y a quelques siècles, pourrait bien y revenir ...

Mes amis flamands devront alors construire des digues, comme leurs voisins néerlandais. Heureusement, les wallons n'auront pas à financer ces digues, l'Etat fédéral (s'il en existe encore un) non plus, les flamands seuls paieront pour sauver la Vlaamse kust !







mercredi 11 juillet 2012

A mes amis flamands, bonne fête

Mes amis flamands, le 11 juillet, fêtent la Flandre, leur nation ( ?). On a beau leur répéter, chaque année, qu'il existe aussi une Flandre française avec laquelle ils ne faisaient qu'un sous le comté de Flandre. On a beau leur dire que la bataille des éperons d'or est une drôle de date pour célébrer la nation flamande, ils n'en démordent pas. En effet,  cette bataille a opposé certes des milices flamandes au Royaume de France, mais rien n'aurait été possible, ce jour-là, sans des troupes namuroises et des troupes zélandaises. La bataille des Eperons d'or, à Courtrai (Kortrijk), n'est pas une victoire flamande comme le croient encore nombre de flamands aujourd'hui en Belgique.

On se crée une identité comme on peut. Demain, peut-être, la fête nationale flamande sera le jour de l'adoption par le Parlement de la scission de B.H.V. Une autre grande victoire flamande !

Chaque année, les flamands saisissent l'occasion de cette fête pour jouer les gros bras.

Bart de Wever, une fois de plus, a clairement dit de quelle Flandre indépendante, il voulait. Une flandre riche qui ne paiera pas pour les moins nantis (la Wallonie, bien entendu .... mais aussi, dans l'Europe, les pays faibles). Le parallèle qu'il fait est saisissant entre la Flandre qui ne veut pas payer pour la Wallonie et l'Allemagne qui n'a aucune envie de devenir les flamands de l'Europe en payant pour la Grêce, l'Espagne ou le Portugal.

Kris Peeters, ministre-président de la Flandre, a fait fort lui aussi. Il estime que la Flandre n'est pas assez représentée au niveau européen. Quand les ministres des finances ou des affaires étrangères de l'Etat fédéral Belgique siègent dans les instances européennes, la Flandre ne se sent pas assez représentée. C'est pathologique. Les flamands ont toujours l'impression qu'on les prive de quelque chose, qu'on les empêche d'exister.

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_fete-de-la-communaute-flamande-les-declarations?id=7803255

La Belgique est un Etat fédéral. Ce n'est pas le seul en Europe. L'Allemagne et l'Autriche sont aussi des Etats fédéraux. Les ministres-présidents des länder allemands et autrichiens ont-ils les mêmes revendications que Kris Peeters ? Imagine-t-on un seul instant les 16 présidents des länder allemands représentant l'Allemagne, en plus du représentant fédéral ? Déjà, l'Europe à 27 patine ...

Alors que les politiques flamands, de moins en moins d'accord entre eux, font les gros bras, il est intéressant de savoir ce qu'en pensent les flamands tout court.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/749225/eric-van-rompuy-de-wever-est-une-menace-pour-notre-prosperite.html

Une enquête auprès d'ados flamands révèle que ceux-ci se sentent plus belges que flamands et que leur attache locale (commune ou ville) passe avant leur sentiment d'être flamand.

http://www.levif.be/info/actualite/belgique/l-adolescent-flamand-se-sent-plus-belge-que-flamand/article-4000135917036.htm

Enfin, certains flamands sont bien éloignés du discours de leurs matamoresques représentants.

Ainsi, un ami flamand de Facebook n'a pas hésité à publier sur son mur, cette virile chanson de Jacques Brel sur les flamingants. Moi, en ce jour de fête flamande, comme wallon, je n'ai pas osé.

http://www.youtube.com/watch?v=fGpV8rX-9oA









lundi 9 juillet 2012

Le "point godwin" et ma lettre ouverte au bourgmestre

On apprend des choses tous les jours. J'aime apprendre des choses que je ne connais pas. C'est une de mes qualités : ne me considérant pas omniscient, je sais que j'ai toujours quelque chose à apprendre. Je le reconnais bien humblement, surtout vis-à-vis de ceux qui aiment me faire savoir qu'ils en savent plus que moi.

Ainsi, un lecteur apparemment régulier de mon blog aime le commenter de manière anonyme. C'est la règle du jeu dès lors qu'on ouvre son blog à tous et aux commentaires. Ce n'est pas très courageux de sa part pourtant. D'autant que ses commentaires ont généralement pour objet de souligner mon insuffisance intellectuelle, mes sophismes ou de qualifier mes réflexions de propos de comptoir. Je ne dis pas qu'il n'a pas raison, mais je ne me vois pas engager une discussion argumentée avec un inconnu, qui plus est, anonyme.

Grâce à lui, j'ai appris quelque chose : ma lettre ouverte au bourgmestre aurait montré mon aptitude à atteindre le "point Godwin" et à y succomber. Beaucoup plus ignorant que mon commentateur, j'ai immédiatement entrepris une recherche pour savoir de quoi il s'agissait. Il nous arrive en effet de faire des choses que nous ne soupçonnons même pas.

Voici ce qu'en dit Wikipedia : la loi de Godwin provient d'un énoncé fait en 1990 par Mike Godwin, que sont censés connaître tous les adeptes d'internet, sauf moi : "Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1". Celui qui atteint le point Godwin se discrédite dans une discussion, signifiant par là qu'il est à court d'argument et signifie de la sorte à son interlocuteur que le débat est clos et n'appelle pas de suite. L'énoncé même de cette loi témoigne de son insuffisance : à partir de quand est-ce longtemps ?

Le sieur Godwin n'a rien inventé pourtant, semble-t-il. Il ne ferait que stigmatiser une variante très spéciale (référence à Hitler et au nazisme) de l'argument ad hominem et plus encore de l'argument ad personam.  Notions bien connues dans l'art de la rhétorique.


En relevant une analogie entre la démolition des bancs publics chez moi et une décision similaire prise en France par un maire du Front national, j'aurais franchi le point Godwin.

A vrai dire, peu me chaut. Mais j'ai quand même cherché à savoir la raison de cet opprobre.

Je n'ai pas les qualités intellectuelles de mon commentateur, mais je trouve qu'il invoque fort légèrement la dite loi de Godwin.

Tout d'abord, ma lettre ouverte est une réaction d'humeur, pas un exercice de rhétorique. De plus, je ne clos en rien la discussion avec monsieur le Bourgmestre, par un argument définitif, j'attends même sa réponse et ses arguments.

En relevant la coïncidence de deux décisions municipales sur les bancs publics, je ne vois pas en quoi j'énonce un argument ad personam. L'actualité fournissait simplement une inattendue coïncidence. De plus, il ne s'agit pas d'un argument dans mon discours, mais d'une information, d'un éclairage. En outre, si j'écris au bourgmestre, ce n'est pas lui que je vise mais une décision qui a dû être collégiale. Je lui écris comme premier magistrat de la ville.

Je m'étonne que mon commentateur ne dise rien de l'essentiel, car mon propos tenait avant tout à la manière dont on choisit de vivre ensemble et à l'exercice de la démocratie à ce propos. Cela ne l'intéresse peut-être pas, trop préoccupé à traquer les failles dans le discours des autres.

Je le remercie néanmoins de m'avoir fait découvrir le fantaisiste "point Godwin". Sans lui, je risquais de mourir un peu plus idiot que je ne le suis maintenant.










dimanche 8 juillet 2012

Nul n'est prophète en son pays

Les lectures de ce dimanche (Mc, 6, 1-6) nous parlent de Jésus de retour chez les siens, dans son pays, à Nazareth. Là, ce qu'il parvient à faire chez les autres - transmettre une parole et porter la guérison, plus intérieure que physique d'ailleurs - s'avère impossible. Il n'est pas entendu et il n'opère aucune guérison. Pourquoi ?

Jésus, ne l'oublions pas, a transgressé l'ordre établi du village : il  a quitté, un beau jour, son établi de menuisier, sans donner d'explication, pour aller écouter Jean-Baptiste sur les bords du Jourdain; il a laissé là sa mère, sans doute veuve, ses frères et ses soeurs ; après, il s'est isolé dans le désert et, depuis, il sillonne les routes, avec une poignée de disciples un peu vagabonds. Il y parle d'un Royaume méconnu, il guérit et il relève, plus les âmes que les coeurs, l'un n'allant pas sans l'autre en fait chez lui.

Sa mère et ses frères s'étaient déjà inquiétés de son parcours marginal ... surtout quand s'étant présentés à lui, sans entrer dans le lieu où il se trouvait, ils s'étaient vu répondre par des intermédiaires : " Qui sont ma mère et mes frères ? " et à propos de ceux qui étaient assis autour de lui " Voici ma mère et mes frères  " (Mc, 3, 31-35). Celui qui renie ainsi sa famille et son village pour on ne sait trop quelle vie doit avoir alimenté bien des commérages et des réactions indignées.

Quand Jésus revient, un beau jour, vers les siens, il n'est pas vraiment accueilli comme le fils prodigue de la parabole ! Tous sont au courant des conditions de son départ et de ce qu'il a répondu quelque temps auparavant à sa mère et à ses frères ; ils ont entendu aussi des rumeurs sur sa prédication et ses guérisons. Ils sont, par rapport à lui, remplis d'a priori. Pour qui les prend-il donc ? Et ne voilà-t-il pas que le chef de la synagogue invite Jésus à commenter la Parole. Cela est, à nos yeux, surprenant d'inviter le charpentier du village à cet exercice, mais, à cette époque, chacun pouvait être appelé à prouver devant tous sa connaissance de l'écriture. Pour être un bon croyant, il fallait démontrer que l'on était dans la droite ligne de la tradition et, si possible, citer l'un ou l'autre rabbi compétent. Or, Jésus s'en dispense, on le sait (Mc, 1, 27), il ne fait pas comme les scribes, il parle d'autorité. Le scandale est accompli. Tous sont frappés d'étonnement ou de stupeur, certains sont sans doute choqués, scandalisés. D'après Luc (4, 28-30), ils le pousseront même hors du village jusqu'à une roche escarpée. Mais Jésus, fendant la foule, reprendra son chemin.

Jésus dira aussi que " un prophète n'est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison " (Mc, 6, 4). Cette parole inspirera le proverbe " Nul n'est prophète en son pays ".

Deux axes de réflexion :
1. - Jésus se définit lui-même comme prophète ;
2. - Des conditions doivent être remplies pour entendre la voix des prophètes.

Enzo Bianchi explique très justement ce qu'est un prophète : " A partir de l'Ecriture et de la grande tradition, le prophète apparaît comme un porte-parole de Dieu. Ce n'est pas celui qui prédit le futur grâce à des qualités divinatoires, mais celui qui sait lire l'action de Dieu, même dans le futur. Ce n'est pas celui qui conteste l'institution pour le plaisir de contester, mais celui qui discerne et dénonce l'infidélité et le péché. Ce n'est pas celui qui vient avec ses propres paroles, mais celui qui n'a d'autre parole que celle qui surgit de Dieu qui l'inspire, et dont - d'une manière qui l'écrase presque - il serait l'écho. C'est surtout celui qui fait sentir la présence de Dieu, non seulement par la parole, mais par toute sa vie, par un style, par son langage et par son silence " ( in Si tu savais le don de Dieu, éd. Lessius, 2001). Celui qui écoute Jésus écoute le Père. Si être prophète, c'est faire sentir la présence de Dieu, alors tous les croyants sont appelés à être prophètes.

On voit bien, dans le récit de Marc, ce qui prive le prophète Jésus de tout pouvoir de parole et de guérison parmi les siens : les a priori, cette incapacité à voir et à entendre sans le miroir déformant des préjugés, des présupposés, des traditions, de ce que l'on sait déjà de l'autre. Bien des prophètes se sont cassé les dents dans l'histoire face à ces obstacles. D'autres le font encore aujourd'hui.

C'est drôle, mais j'ai l'impression que les prophètes de la Raison n'ont pas moins de mal, de ce point de vue, que les prophètes de Dieu. Dans le fond, ils ne sont peut-être pas si éloignés que ça les uns des autres.









mercredi 4 juillet 2012

Lettre ouverte à mon bourgmestre


Liège, le 4 juillet 2012,

A monsieur Willy DEMEYER,
Bourgmestre de la ville de Liège
Hôtel de Ville de Liège
Place du Marché, 24
4000 - LIEGE
  
Objet : la disparition des bancs publics Quai de Gaulle

Monsieur le Bourgmestre,

Je vous écris, en tant que riverain du Quai de Gaulle.

Il y a un mois, j'ai constaté que les bancs en bois qui se trouvaient au pied de mon appartement ont été enlevés et ne seront pas remplacés, selon l'agent de quartier.

Hier, j'ai constaté, que les bancs en pierre se situant sur le quai des "Marcatchous", le quai de halage en contrebas du quai de Gaulle, ont été démolis par vos services avec des marteaux-piqueurs.

Je tiens à vous faire part de ma consternation et de mon incompréhension.

Une rumeur circule selon laquelle ces mesures auraient été prises à la demande d'un comité de quartier qui ne souhaite pas voir, à sa porte, des populations indésirables.

J'ignore tout de ce comité de quartier qui ne m'a pas consulté.

Je me vois privé de bancs publics où lire en été et engager la conversation avec un voisin de banc, fût-il étranger et sans papier.

Un quartier, un morceau de quartier, sans banc public est un quartier qui s'enferme sur lui-même et meurt.

La destruction des bancs publics sur un espace de 150 mètres, soit de la Passerelle au Pont des Arches est risible. Les "populations indésirables" iront ailleurs, un peu plus loin. Et les riverains "honnêtes" du Quai de Gaulle se voient privés, de commodités qui avaient compté dans leur choix de vivre à cet endroit.

Au destructeur de l'espace public qui sévit actuellement, je signale qu'il peut aussi venir avec ses marteaux-piqueurs démolir tous les rebords en pierre entourant la végétation du quai de halage, là où viennent les pêcheurs et abordent les bâteaux venant des Pays-Bas. Des populations indésirables pourraient s'y asseoir ! Que dire de l'image de la ville, pour nos hôtes étrangers, confrontés à des amas de pierre laissés en l'état.

Je ne sais qui a pris cette décision idiote et qui l'a inspirée. J'aimerais vous faire remarquer néanmoins qu'elle comporte un antécédent.


Or, il s'agit, en France, d'un maire du Front National ! Je n'imaginais pas que de telles idées puissent exister dans ma ville et sous votre juridiction.

J'aimerais, monsieur le Bourgmestre, être éclairé, en tant que citoyen, et riverain, sur les raisons qui vous ont conduit à satisfaire certains et à priver d'autres d'un droit fort élémentaire : profiter du fleuve et de ses abords.

Espérant que vous ne resterez pas sourd à mes arguments, je me réjouis, monsieur le Bourgmestre, de lire votre réponse.

Je vous prie, monsieur le Bourgmestre, d'agréer mes sentiments citoyens.







Xavier PARENT











Fraipont, mon ami, mon fils et moi

Depuis peu, j'ai un nouvel ami. Il est généreux et accueillant. Il l'a été, ces trois derniers jours, pour moi-même et pour mon fils Sam.

Sa fort belle demeure ancienne se situe à Fraipont. Une splendide terrasse. Un grand jardin. Un chemin qui mène à la propriété entre les vergers. Une drève toute proche où se promener, se ressourcer. Un étang et un saule pleureur. Deux poules qui courent partout et un coq un peu ridicule qui tantôt les suit, tantôt les précède. Des arbres centenaires, des fleurs et une étonnante variété d'oiseaux. J'ai toujours aimé observé les oiseaux. En trois jours, j'ai vue une pie, des martinets, des bergeronnettes, des accenteurs mouchets, des verdiers, des rouge-queues, un couple de corbeaux, un rouge-gorge, un épervier, deux buses, un geai. Ils partageaient le même paradis que les deux poules et le coq un peu ridicule.

Mon ami nous a ouvert les portes de sa demeure. Quel bonheur de se lever le matin, d'ouvrir la fenêtre et de voir la vallée et les forêts. Quel bonheur, avant de prendre le café du matin, de marcher en méditant sur le chemin d'accès à la propriété. Quel bonheur de lire sur la terrasse. Quel bonheur de finir la soirée près de l'étang sous le saule pleureur. Quel bonheur de franchir le tunnel de verdure offert par un vieux magnolia.

Mais ces bonheurs-là ne sont rien à côté d'un autre. Celui d'être accueilli. Celui de la rencontre. Celui du partage. Celui du respect du rythme de chacun. Mon ami a tout fait pour qu'il en soit ainsi.

Moi, j'ai toujours la bougeotte et ne sais pas rester sans rien faire. Il faut que je marche, que je lise, que j'écrive, que j'aie une activité. Mon ami et Sam, pouvaient rester toute la journée à parler, le verre à la main, sur la terrasse. Moi, j'allais faire le tour de la propriété, je coupais les fleurs fanées, je parcourais la drève, dans un sens puis dans l'autre, puis je revenais. J'aurais aimé lire, quand ils étaient là, mais m'isoler pour lire aurait été inconvenant.

Bien qu'attentifs, nous n'avons pas entendu passer le tour de France dans le bourg et la victoire des espagnols (à moins qu'il faille parler de la cuisante défaite de l'Italie) n'a donné lieu, dans cet endroit protégé, à aucun concert de klaxons.

Le plus extraordinaire a été l'accueil et la connivence de mon ami pour Sam. Je les ai laissés parler des heures entières. De quoi ont-ils pu parler ? Mon ami m'a dit qu'il avait conclu un pacte avec Sam en vue de l'aider. J'espère que Sam saura se montrer digne de la confiance qui lui a été donnée.

J'ai réussi à faire bouger un peu mes deux compagnons, lundi après-midi. Une petite balade en voiture avec quelques haltes parmi les jolis villages de la rive droite de la Vesdre : Saint Hadelin, Olne, Forêt et surtout Soiron, un des plus beaux villages de Wallonie. Autant de lieux que mon ami, pourtant tout proche, ne connaissait pas.

Soiron, une église remarquable, étonnante par ses dimensions, son mobilier et ses lambris boisés (de style Louis XIV). Soiron, plusieurs belles demeures villageoises anciennes. Soiron, un château qu'on peut juste apercevoir, occupé par la même famille depuis 1647. Soiron, un ensemble homogène.

Nous avons eu de la chance : le sacristain nettoyait l'église (d'habitude fermée) et nous a fait visiter le lieu. J'aurais dû prévenir mon ami avant : les occupants du château sont des amis de sa mère, m'a-t-il dit. Peut-être aurions-nous été autorisés à pénétrer dans le parc ?