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dimanche 27 mai 2012

Mais qui est-il cet Esprit, que l'on dit saint ?

Qui est-il donc cet Esprit que les chrétiens disent saint et qu'ils commémorent particulièrement lors de la fête de la Pentecôte ?

J'évoquais récemment le pont de l'Ascension. Pour nos contemporains, le week-end de la Pentecôte est  l'occasion d'un deuxième pont. Quel pont ?

http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=3243255382335412750#editor/target=post;postID=5721900483257872908

Incrédulité, lucidité, incandescence. Je traçais ainsi, avec mes mots à moi, le chemin de Pâques à la Pentecôte , en passant par l'Ascension, ce chemin offert à tous finalement.

J'ai parlé d'incandescence à propos de la Pentecôte parce que ce qui frappe le plus l'imagination au premier abord, dans le récit des Actes des apôtres (Ac, 2, 1-11), ce sont les langues de feu. C'est ce qui me frappait le plus, en tout cas, quand j'étais enfant. L'imagerie des manuels d'Histoire Sainte n'y était pas pour rien.

Je retiens le feu. Rappelez-vous le buisson ardent : ce buisson qui brûle, sans se consumer, que Moïse contourne, sans oser le regarder (Ex, 3, 2 et sv.). Ce n'était pas un phénomène extérieur à Moïse, c'est ce que Moïse vivait au plus profond de lui-même. Un feu intérieur qui ne crée pas de cendres et qui ne s'éteint pas. L'Esprit de la Pentecôte est identique à ce feu vécu par Moïse. Il a été offert aux disciples. Il nous est donc offert à nous aussi. Certes, il peut nous paraître vacillant parfois. Retenons néanmoins de l'expérience de Moïse qu'il ne consume pas (ce n'est pas un feu destructeur) et qu'il ne s'éteint pas (jamais).

Mais les textes évoquent bien d'autres aspects de l'Esprit : ainsi les langues. Ce jour-là de Pentecôte, il n'y avait plus qu'une seule langue, malgré les idiomes propres. Une commune compréhension, déconcertante d'ailleurs pour ceux qui étaient là. Comment ne pas songer ici au mythe de la tour de Babel (Gn, 11, 1-9) ? Le lieu et le moment où Dieu "brouilla la langue de toute la terre et dispersa les hommes sur toute la surface de la terre "(Gn, 11, 9). Un nouveau langage commun, sous l'influence de l'Esprit, est donc proposé. On pourrait s'étonner de l'inconséquence de Dieu qui divise pour finalement réunir. Mais on m'a toujours dit que les voies de Dieu sont impénétrables. Ceci est néanmoins fort important. Il existe donc un lieu (un temps aussi sans doute) où tous les hommes pourront se comprendre, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur condition sociale, quelle que soit leur fortune, quelles que soient leurs croyances.

Ce qui unit et ce qui sépare. Ce qui rassemble et ce qui divise. Quel beau thème de réflexion pour notre monde ! Sur tous les plans, économique, politique, religieux ...

Une autre dimension de l'Esprit est révélée par l'évangéliste Jean, dans un passage qui n'est malheureusement pas proposé à la méditation de ce jour (Jn, 3, 8). Jésus lui-même compare l'Esprit à un vent, un souffle, une brise et en dit ceci : "Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va ".


J'aime beaucoup ce texte, parce qu'il rend l'Esprit insaisissable. On ne peut l'enfermer dans une formule, le résumer ou le contenir. Il souffle toujours là où il veut (donc pas nécessairement là où nous aimerions qu'il souffle, ni où d'autres voudraient qu'il souffle). On ne sait d'où il vient, ni où il va et il est vain d'essayer de le fixer quelque part. Mais nous l'entendons et parfois cela nous remue, nous fait avancer un pas de plus.

Je préfère cette conception au discours de Paul de Tarse qui, dans sa lettre aux Galates (5, 16-25), proposée par la liturgie de ce jour, établit un catalogue de ce qui relève soit de l'Esprit, soit de la chair (qu'il considère comme le contraire de l'Esprit) :
" On sait bien à quelles actions mène la chair : débauche, impureté, obscénité, idolâtrie, sorcellerie, haines, querelles, jalousie, colère, envie, divisions, sectarisme, rivalités, beuveries, gloutonnerie et autres choses du même genre ... Mais voici ce que produit l'Esprit: amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi ".


Entre les lieux communs de Paul et la perception que Jean a de l'Esprit, pour moi, il n'y a pas photo.

Lors des grandes fêtes, on chante une séquence. J'aime beaucoup dans le texte de celle de ce jour le passage suivant:

Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride, 
guéris ce qui est blessé.


Assouplis ce qui est raide,
réchauffe ce qui est froid,
rends droit ce qui est faussé.


Quand je lis ces mots, je pense à ma psy qui voue sa vie à cela pour tant de patients. Je ne l'identifie pas au saint Esprit (encore que  ... comme il souffle où il veut). Elle m'a fait la confidence suivante. Un de ses jeunes patients, fort perturbé, a fait une crise mystique jusqu'au jour où il a écrit, non pas le "saint Esprit", mais le "sain Esprit". Ma psy l'a encouragé sur cette voie et l'a guéri.









samedi 26 mai 2012

Ils abusent (réflexion fiscale pour le plus grand nombre)


J'avais pourtant juré que je ne m'intéresserais plus jamais aux débats portant sur la fiscalité. Et bien, je n'ai pas tenu mon engagement. Cette semaine, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt - le sujet ayant par le passé beaucoup retenu mon attention - une étude fouillée de mon successeur et d'un jeune assistant (texte à paraître). Je lis aussi beaucoup de choses dans la presse générale et spécialisée.

Franchement, certains abusent !

Petit cours élémentaire de droit une fois de plus. Il y a deux manières de payer moins d'impôt : en fraudant ou en pratiquant l'évasion fiscale. Frauder, c'est tromper le fisc en pratiquant le mensonge et la dissimulation. Cela est illicite, donc répréhensible et puni de sanctions administratives et pénales (financières et/ou de prison). Frauder est un délit.

Rappelez-vous, il y a bien des années maintenant, quand vous reveniez de vacances à l'étranger avec vos parents et que se profilait la menace d'un douanier à la frontière, qui ne manquerait pas d'arrêter le véhicule et de dire sur un ton peu amène : " avez-vous quelque chose à déclarer ? " Moi, j'étais mort de trouille, j'avais peur qu'il ne confisque mon nounours. Mon père n'avait jamais rien à déclarer. Une fois, nous avons subi la fouille des bagages. Pour voir si entre deux vêtements et trois culottes ne se cachaient pas des marchandises de contrebande. Humiliation suprême ! Ma mère était éplorée, moi paniqué et mon père expliquait au pandore qu'ils étaient collègues, vu qu'il travaillait aussi dans une institution publique (un "parastatal", comme on disait à l'époque, un mot que je ne comprenais pas).

Et  bien, si le douanier avait trouvé quelque chose, mon père aurait été un fraudeur, vu qu'il avait d’abord répondu qu'il n'avait rien à déclarer. Heureusement,  à côté des valises, il n'y avait que les restes du pic-nic et deux bouteilles de calvados fabriqué maison, en toute illégalité, par notre cousin breton, qui n'avait aucune licence. Alors que dire de ceux qui mentent réellement en gonflant leurs frais professionnels, en ne séparant pas toujours très exactement leur activité privée de leur activité professionnelle ou créent des sociétés écrans , ou recourent à des comptes anonymes à l'étranger ...

Et puis, il y a les autres, ceux qui pratiquent l'évasion fiscale, parfaitement licite, mais pas nécessairement souhaitable au regard du budget de l'Etat.

On cite toujours les artistes et les sportifs qui fuient la France pour se réfugier en Suisse, au Luxembourg ou en Belgique. Et puis quelques grandes fortunes du nord de la France qui ont compris qu'il suffisait d'habiter un peu plus loin, de l'autre côté de la frontière, pour ne plus devoir payer l'impôt sur la fortune ou l'impôt sur les plus-values en France.

Ceux-là ne sont pas des fraudeurs. Ils agissent en toute transparence, ils ne dissimulent pas, ils tirent profit de l'état des législations existantes. S'il en est ainsi ce n'est pas de leur faute, c'est la conséquence d'un manque de convergence entre les législations fiscales de pays limitrophes. L'Europe aurait pu encourager, ou imposer, cette convergence. Cela a toujours été impossible, car les matières fiscales ont ceci de particulier qu'elles requièrent une unanimité des Etats membres, tous jaloux de leur souveraineté fiscale. Alors, vous pensez à 27 !

Mais le plus surprenant est que le phénomène se produit aussi au sein d'un seul et même Etat.

Voici pourquoi : quand le législateur poursuit, par principe, un objectif de taxation, il oublie parfois qu'il règle aussi les questions de droit civil, commercial, social ... Etrange dédoublement de la personnalité. Il en résulte ceci : les citoyens peuvent utiliser toutes les ficelles du droit non fiscal pour échapper au droit fiscal ! On ne peut rien leur dire puisqu'ils respectent le droit et ne mentent pas. Ils ne fraudent pas. Des cabinets d'affaires ont bien entendu compris tout le profit qu'ils pouvaient tirer de cette faille et on peut dire, avec admiration, qu'ils ne manquent pas d'ingéniosité.

Ceci ne plaît évidemment pas du tout à l'administration des finances, chargée de collecter l'impôt, qui, depuis les années soixante, en Belgique, multiplie les démarches judiciaires ou législatives pour contrer cet état de fait.

D’abord, elle a utilisé un critère fort peu fiable : le comportement normal ou anormal. Tout comportement anormal, à ses yeux, devait être remplacé, pour la taxation, par le comportement le plus normal. La Cour de cassation a heureusement fermé les portes de cette voie hasardeuse. Qu’est ce que la normalité notamment économique ?

Ensuite, elle a expliqué que la réalité juridique ne correspondait pas nécessairement à la réalité économique. Le droit n’est jamais qu’un habillage, il faut voir la réalité économique des choses derrière l’habit juridique. Cela était d’autant plus étrange que la seule réalité économique, dont l’administration ne voulait pas entendre parler, était celle qui consiste à chercher à payer le moins d’impôt possible, ce que d’autres n’hésitent pas à considérer comme un acte de saine gestion patrimoniale ou entrepreneuriale. A partir du moment où la société fait de la maximisation du profit, un but en soi, il est évident qu’on pense d’abord à soi et ensuite au fisc. La Cour de cassation, une fois encore, a mis fin à cette tentative de l’administration. Nouvel essai manqué.

Après ces deux échecs judiciaires, l’administration a convaincu le ministre des Finances d’agir par la voie législative. Sage décision vu que le problème vient d’une incohérence interne à la législation (mais j'aime tellement dire : du législateur) qui veut taxer une chose et permet, en même temps, qu’on y échappe légalement.

En 1994, un texte a exploré une nouvelle voie : toute chose en droit a un nom, c’est comme cela qu’elle devient une réalité juridique. Si vous vous mettez d’accord avec un tiers pour qu’il devienne propriétaire de votre voiture moyennant un prix, vous réalisez une vente (ce qui rend applicable un certain nombre de règles juridiques). L’administration, par un texte légal, a voulu obtenir une certaine autonomie dans la qualification juridique des réalités. Certes, il y avait des conditions et un jeu de preuve. Très rapidement cependant, à l’épreuve des faits, il est apparu que l’administration prenait un peu ses rêves pour les réalités. Pour donner en droit un nom à une opération, même complexe, il faut tenir compte de ce qu’elle est, a dit la Cour de cassation. Toute tentative visant à ignorer le moindre de ses effets serait illégitime. Il est ainsi apparu que la disposition légale était sans grand effet, sauf dans quelques cas marginaux.

Satanée cour de cassation et pauvre administration fiscale, qui ne sait plus à quel saint se vouer ! Existe-t-il seulement un saint patron des collecteurs d’impôt ? Saint Matthieu sans doute.

Tel un phoenix renaissant de ses cendres, l’administration a mis dans les mains du nouveau gouvernement Di Rupo 1er, un nouveau texte qui a été adopté en Conseil des ministres et au Parlement et suscite déjà beaucoup de réflexions et réactions.

Un nouvel angle d’attaque est adopté. On ne joue plus avec les qualifications, mais avec les opérations elles-mêmes. Toute opération conforme au droit qui ne serait pas en outre conforme aux objectifs de la législation fiscale, pourra être ignorée par le fisc lors de l’établissement de l’impôt.

Ceci confère au droit fiscal une espèce de supériorité par rapport aux autres branches du droit. Le législateur se dédouane de ses incohérences en se reportant sur les citoyens : lorsque vous accomplissez un acte en respectant le voeu du législateur civil ou commercial, n'oubliez pas que vous devez aussi respecter le voeu du législateur fiscal (qui est le même), même si une contradiction existe. En d'autres termes, celui qui agira conformément au droit, mais en omettant d'agir en même temps dans l'intérêt du fisc, pourra être soupçonné d'abuser de la législation !


Ceci est maladroit et frise l'absurde.

Maladroit : supposons que deux parties, au lieu de conclure un bail, constituent plutôt un droit d’usufruit au profit de celui qui aura la jouissance du bien. Le droit civil le permet; or, les conséquences fiscales ne sont pas les mêmes, dans ces deux cas. Pourrait-on voir là un abus de la législation, compte tenu que le rendement fiscal pourrait être moindre, en cas de choix pour l'usufruit ? Je ne le crois pas, car c'est bien le législateur qui a décidé de traiter différemment le bail et l'usufruit sur le plan fiscal. Qu'il modifie alors la législation fiscale ! Le considérerait-on,  la nouvelle mesure ne permet pas de requalifier une opération (ce qui reviendrait à prétendre ici que la constitution d'usufruit mérite plutôt d'être qualifiée de bail), elle permet seulement de l’ignorer. Je ne vois pas quel est dès lors le gain pour le fisc. En d'autres termes, alors qu'elle se veut générale, la mesure adoptée laisse sur le carreau des comportements finalement assez fréquents.

Absurde : il est dit, dans les travaux préparatoires de la loi, que la mesure ne vise pas que les entreprises (grandes ou petites) et, plus généralement, le monde des affaires (là où la fraude à grande échelle se pratique), mais aussi la gestion par les particuliers de leurs avoirs.

L’inquiétude est grande, après cette déclaration. On parle beaucoup dans la presse du don manuel. On peut en effet donner de l’argent, par exemple, à un de ses enfants de la main à la main. On appelle cela un don manuel. C’est, en droit civil, une donation véritable et valide. Oui, mais, le droit fiscal impose les donations (à un taux de 3% en ligne directe, entre époux et co-habitants). Aucun droit n’est pourtant pratiquement perçu sur les dons manuels, parce qu’ils ne sont pas connus du fisc, le Code des droits d’enregistrement n’imposant pas leur déclaration. Réalisés par quelqu’un dans les trois ans qui précèdent son décès, ils doivent être repris, par contre, dans la déclaration de succession, pour être soumis aux droits de succession. Il appartient toutefois à l’administration de prouver l’existence de la donation dans la période critique (ce qu'on oublie souvent).

Il ne faut pas trop s’inquiéter quant aux dons manuels. La législation fiscale elle-même les soustrait de facto, dans la plupart des cas, à l’imposition. Pour que cela change, il faudrait que le législateur impose leur déclaration … chose à peine imaginable et impossible à contrôler. Va-t-on permettre à l'administration, au cas où elle aurait connaissance d'un tel don, de dire : certes vous avez agi conformément au droit, mais vous n'avez pas assez pensé aux intérêts du fisc ? Le pourrait-elle, elle se heurterait encore à un obstacle : les donations mobilières ne sont imposables au droit de donation que si elles sont valablement constatées dans un titre, c'est-à-dire un écrit ... or, par définition, ce n'est jamais le cas d'un don manuel.

Après tout ceci, on reste, en ce qui concerne l’administration, avec l’image d’un enfant faisant un château de cartes, qui à chaque fois s’écroule.


Dans une démarche tout à fait nouvelle, et pour apaiser les esprits, le Ministre responsable, flanqué d'un professeur d'université, a déclaré solennellement à la RTBF que ces pratiques privées resteront en dehors du champ d'application de la loi. Ce n'est pas la première fois qu'un ministre fait voter un texte, puis donne pour consigne à son administration de ne pas l'appliquer dans certains cas. Une telle position s'exprime le plus souvent dans une circulaire ou dans une réponse à une question parlementaire, ce qui est déjà à la limite de l'acceptable, car cela revient à dire au Parlement, qui a été le plus souvent prié de voter le texte (majorité contre opposition), que la loi qui sera appliquée ne sera pas celle qui a été votée. Cette fois, un pas de plus a été franchi : une déclaration solennelle à la télévision, avec la caution d'un professeur d'université ! A quand un twitter ? Ne serait-il pas plus décent de reconnaître que le texte soumis au vote du Parlement n'était pas un bon texte  et d'en proposer un autre meilleur ?


http://www.rtbf.be/info/economie/detail_la-planification-successorale-ne-sera-pas-assimilee-a-une-fraude?id=7776335

Pour faire plus sérieux, la véritable question n’est-elle pas celle de l’intégration du droit fiscal dans l’ensemble du droit ? Vieux sujet de discussion : le droit fiscal serait-il, au sein du droit, autonome ?

vendredi 25 mai 2012

Baudolino

Baudolino, roman de Umberto Eco, ed. Grasset & Fasquelle, 2002, pour la traduction française, aussi en Livre de Poche.




" Ratisponnne Anno Dommini (Domini) mense decembri MCLV kronika Baudolino nomen Aulario
moi Baudolino de Gazliaudo des Aulari avec une teste ki semble d'un leon alleluja Graces soient rendues al Seignor ki me pardonne habeo facto la desroberie la plus grande de ma vie en somme j'ai pris dans un escrin de l'evesque Oto moult feuilles ki peut être sont choses de la chancellerie impériale et les ai gratté quasi toutes fors ce ki ne partait point et ores j'ai autant de parchemin pour y escrime ce ke je veulx en somme ma chronica meme si je ne la sais ecrire en latines ... ".


Rassurez-vous, tout l'ouvrage n'est pas écrit en cette langue étrange qui était celle de Baudolino. Un mélange de langues, à l'orthographe fantaisiste. Baudolino a des choses à raconter et il le fait avec ses seuls moyens. Umberto Eco aime user de ces langages. Rappelez-vous le frère Salvatore dans le roman (et le film) Le nom de la rose.


Baudolino est avant tout un fieffé menteur, charmeur, coquin et roublard. Il deviendra le conseiller de l'empereur Frédéric (dit Barberousse). Et, dans ce palpitant roman, les délires de Baudolino s'inscrivent peu à peu dans l'histoire. On y parle de la troisième croisade, du mythique Prêtre Jean, de la destruction de Constantinople.

Il s'en suit une fresque historique, picaresque, philosophique et humoristique.

" Kom c'est beau d'estre un savant ki l'eut jamais dit gracia agamus en somme soit rendue grâce au Seignor toutefois escrire une chronic fait v enir des bouffées de chaleur messe en hiver et ce pour la peur aussi kar la chandelle s'éteint et com disoit  l'autre j'ai mal au poulce ".

jeudi 24 mai 2012

Jacqueline Harpman

On a appris, ce jour, le décès de Jacqueline Harpman, à l'âge de 82 ans, à la suite d'une longue maladie.



Psychanalyste reconnue, elle a écrit de nombreuses oeuvres de fiction, faisant d'elle une figure connue, et primée, de la littérature belge contemporaine.

J'ai, pour ma part, lu plusieurs de ses ouvrages. Ainsi, j'ai aimé La plage d'Ostende (Stock, 1991), Orlanda (Grasset, 1996, Prix Médicis), La vieille dame et moi (Le Grand miroir, 2001). J'ai surtout beaucoup aimé Orlanda, qui aborde de manière très originale le mythe de l'androgyne.

Jacqueline Harpman ne fait pas l'unanimité parmi mes "amis" de Facebook, ni apparemment au coeur du monde littéraire belge. Je n'en ai rien à faire. Les livres que l'ai lus m'ont plu.

Nicolas Ancion, qui a sans doute de bonnes raisons, a, avec délicatesse et humour, écrit ceci : " Jacqueline Harpman est décédée. Elle a si souvent dit du mal de ce que j'écrivais que je suis tenté de dire du bien de son départ ...".

Un autre Nicolas, qui n'a aucune raison particulière - j'imagine - d'en vouloir à l'écrivaine défunte s'est exprimé en ces termes sur Facebook : "a trouvé aujourd'hui une bonne raison de ne pas désespérer de la littérature contemporaine: Jacqueline Harpman n'écrira plus de livre ".

Il aurait pu se contenter de dire qu'il n'aimait pas les romans de Jacqueline Harpman, ce qui est son droit le plus strict. Pourquoi évoquer la littérature contemporaine pour l'en exclure ? Pourquoi se réjouir qu'elle n'écrira plus de livres, alors que des lecteurs ont aimé ses livres ? Quel mépris, non seulement pour l'auteur, mais aussi pour ses lecteurs !

Ce mépris pour les autres qu'affichent certains arbitres du bon goût qui savent mieux que les autres ce qu'il faut lire, voir, écouter, penser m'horripile de plus en plus. Ils ne sévissent pas seulement dans quelque cénacle parisien, ils sévissent même autour de moi. Ils essayent de faire aussi bien qu'à Paris, mais en beaucoup moins bien, livrant leur verdict méprisant avec ce qu'ils croient être de l'esprit. Tout le monde n'est pas Angelo Rinaldi. Cela me désole pour eux. Mais il faut reconnaître que cela marche : ils finissent toujours par trouver des disciples flagorneurs ou complices, ce qui ne peut que satisfaire leur ego.


lundi 21 mai 2012

La France, entre présidentielle et législatives : encore un entre-temps


Je n'arrête pas de méditer, depuis quelque temps, sur ce blog, à propos de l'entre-temps : de la crucifixion à la résurrection, de l'incrédulité à la lucidité, de la foi à l'incandescence.

Mes amis français qui viennent d'élire, à la majorité, un président de gauche sont aussi maintenant dans un entre-temps, celui qui sépare l'élection présidentielle des prochaines législatives.

Cette période n'est pas convaincante. Elle sous-entend que ce que le peuple de France a dit, le 6 mai, pourrait être contredit par le même peuple quelques semaines plus tard, lors des législatives. C'est ce que croit évidemment l'UMP. Quel respect des français et quel éloge à leur maturité politique ! Une nouvelle fois, les français vont devoir choisir au scrutin majoritaire, à deux tours, entre des représentants certes plus proches, mais qui n'ont pas moins d'ego que ceux du scrutin précédent. Ces élus-là ressembleront, mais en plus pâle, et en moins abouti, aux précédents candidats. Ils n'ont pas l'étoffe pour un destin national, ils se contenteront de leur fief et feront allégeance à celui qui se trouve au-dessus d'eux. La démocratie française serait-elle féodale ? Un monarque élu et des barons tout aussi élus, constituant une caste, avec, concédons-le, une place pour une possible opposition. Mais n'y avait-t-il pas déjà des barons rebelles, sous l'Ancien régime ? Aujourd'hui, le monarque et ses barons, qui n'ont rien à envier à leurs prédécesseurs, se rassurent en se disant qu'ils tiennent leur légitimité du peuple (plutôt que de Dieu). La différence ne me paraît pas si évidente ?

C'est donc cela la France, après la révolution symbolique de 1789 ?

Dans ce contexte, et c'est ce que ce que croit et espère l'UMP : il faut imposer à François Hollande une cohabitation. Ils ont quelques semaines à peine pour lui faire ce « coup fourré ». Dans les partis plus extrêmes, on cherche plutôt à peser de quelque influence sur le pouvoir élu. Le nouveau président ne pourra alors que faire la synthèse. Le destin de la France est donc, si je compte bien, aux mains de manoeuvriers.

Vu de l'extérieur, je trouve assez absurde que le président ait pu (dû ?) former un gouvernement, avant même de savoir avec quelle majorité parlementaire il pourra travailler. En effet, d'après l'UMP, tout peut encore changer. D'autres plus éclairés que moi seront à même de m'en expliquer les raisons, je n'en doute pas. Il est clair que les vaincus du 6 mai cherchent par tous les moyens à imposer une "cohabitation" au nouveau président. Quel beau défi ! Constructif surtout.

Depuis l'élection présidentielle, les ego locaux sont en piste et, parmi eux certains sont "graves", comme disent les jeunes. On assiste ainsi à des choses parfaitement extraordinaires où des partisans de l'ancienne majorité présidentielle osent tout : d'un recours demandant l'annulation de l'élection présidentielle à la mise en cause de la nouvelle "première dame de France" qui en ferait trop, quand elle s'interroge sur cette appellation même.

Parmi tous ces partisans de l'ancienne majorité, qui vont pourtant solliciter les suffrages des citoyens, madame Maryse Joissains-Massini, maire UMP d'Aix-en-Provence, est incontestablement un cas :


Je ne voudrais pas vous effrayer, mais vous allez aussi retrouver les autres : Morano, Copé, Ciotti, Dati, Bertrand, Hortefeux, Guéant, Guaino, Besson ... les habitués des procédés de bas étage. Ils sont pires parfois qu'au Front national dans l'imbécillité de leurs réactions primaires et intéressées.

Madame Taubira, nouvelle garde des sceaux, est déjà leur tête de turc ! Ils ne lui passeront rien, c'est clair. D'ailleurs, elle n'est pas blanche et vient de cette partie de la France qui se trouve Outre-mer.  

De quoi se mêle-t-elle quand, conformément au programme de François Hollande, elle remet en cause les mesures ultra-sécuritaires de Nicolas Sarkozy et veut rétablir une justice propre pour les mineurs. Elle n'est bien sûr qu'une "bécasse angélique", selon le langage toujours subtil et châtié que l'on pratique à l'UMP.


Ceci est triste à entendre pour deux raisons : d'abord, pour le manque de respect témoigné à l'égard de la nouvelle ministre par les membres de l'ancienne majorité ; ensuite, parce que des représentants d'un parti qui risque bien de se retrouver dans l'opposition, on aimerait d'autres arguments que ceux-là. J'ose espérer que le discours de l'UMP, dans l'opposition, ne sera pas fait que de rancoeurs. Et que les motifs de leurs incessantes réformes avaient un peu plus de coffre.

L'ennemi à abattre : n'est-ce pas ce qui résume un scrutin majoritaire ?

Que défendent-ils ces « frères ennemis » ? Des idées ? Leur carrière ? Leur avenir ? L'intérêt des français ? Leur ego ? Leurs mesquineries ? 

Plus ils éructent (et dieu sait s'ils éructent à l'UMP), plus il s'enfoncent dans l'incrédibilité. Ces serviles marquis et courtisanes ne sont plus rien, leur monarque est déchu. Déjà, ils n'étaient pas grand-chose et n'existaient que par la faveur du prince ; je comprends leur désarroi, maintenant qu'ils ne sont plus rien. Ils font flèche de tout bois.

D'autant qu'il se dit que l'avenir de leur monarque déchu se trouverait désormais dans un palace à Marrakech, à lui offert par un émir pour la naissance de sa petite Giulia. Je ne sais si l'information est exacte, mais on le dit. On comprend que Nadine Morano en ait la langue qui pende. Elle va chercher à se faire inviter, c'est sûr, pour des vacances au bord de la piscine du palais. Mais il n'est pas sûr que le monarque déchu lui accordera ce droit : elle ne lui sert plus à rien. Et puis imagine-t-on Carla et Nadine les meilleures amies du monde ?


En mon âme et conscience, je condamne :
- Nadine Morano à une retraite de cinq ans dans un ermitage sans aucun lien avec l'extérieur, pour apprendre le silence ;
- Claude Guéant à des travaux d'intérêt général, pendant cinq ans au moins, dans une prison ou un centre d'accueil pour demandeurs d'asile au profit des détenus et des demandeurs d'asile qui s'y trouvent ;
- Jean-François Copé à un stage visant à déconstruire l'ego, pour devenir soi ... il faudra bien cinq ans ;
- Henri Guaino à lire et à recopier la totalité des oeuvres de La pléiade, ce qui prendra plus que cinq ans ;
- Xavier Bertrand à retourner à l'école primaire, au premier rang, pour apprendre autre chose que ce qu'on lui a toujours dit de dire, sur les bancs de l'UMP.  Il faudra bien cinq ans aussi ... au moins ;
- François Fillon à méditer sur son avenir, cinq ans sont pour le moins nécessaires ;
- Frédéric Miterrand à continuer à se foutre un peu de tout, il est le moins dangereux, je lui accorde le sursis ;
- Rachida Dati à ne plus se la jouer bourgeoise et à se faire limer les dents, cela prendra bien deux ans, ce qui ne veut pas dire que tout sera réglé. Afin d'éviter les conflits, dans son parti, je lui conseille de s'engager dans l'encadrement des jeunes enfants dans la crèche de son quartier, plutôt qu'à la mairie;
- Brice Hortefeux à suivre un stage professionnel pour devenir coiffeur, d'abord pour lui-même, ensuite pour les autres ; je lui suggère la "section teinture" ... son cas requiert un certain temps de formation, je ne puis le fixer, mais il devrait être suffisant pour qu'il ne puisse plus nuire, cinq à dix ans ;
- NKM ... elle est plutôt sympa, vue comme ça, mais a fait preuve de tellement d'allégeance qu'elle doit être condamnée aussi. Je la condamne donc, pendant cinq ans, à installer des panneaux solaires sur les toits de bâtiments publics ;
- Eric Besson ... lui, il a été tellement faux-cul qu'il lui faut une sanction particulièrement adaptée : je le condamne à devenir gogo-boy et à n'avoir plus rien d'autre à faire valoir que ... de manière à découvrir sa juste place. Le temps de la peine pourrait être la perpétuité.

J’en oublie sans doute … Et pardonnez-moi la licence de mes propos.





Deux moments musicaux

Après une semaine fort perturbée par de nombreuses contrariétés, j'ai vécu un dimanche un peu plus serein. Un repas détendu avec mes parents. Un retour par la braderie en ville. Quelques rencontres inopinées.

Un premier moment musical sur la braderie, entraînant et jubilatoire en diable. Un orchestre de rue, uniquement composé de saxophonistes et de deux percussions, jouant de leurs instruments, chantant, dansant et déambulant, braderie oblige. Un répertoire fait de standards de jazz, de mambos, de chacha, de musiques de films (ah ... la musique du générique final de la série Les Gendarmes avec Louis de Funès). Il n'était pas étonnant de voir le public les suivre. Et puis un bel hommage dans le fond à Adolphe Sax, le concepteur (belge) du saxophone.

http://www.saxafond.eu/

Le soir, pour une fois délivré de mon devoir de surveillance, les émotions étaient autres.

J'ai déjà exprimé ici mon intérêt pour les démarches artistiques qui jettent des ponts, associent les disciplines. J'ai évoqué, il y a quelques semaines déjà, la dramatisation par un comédien des psaumes dans la traduction de Paul Claudel.

http://xavierciconia.blogspot.com/2012/04/liturgies-quatre-jours-wavreumont.html

Une démarche proche était proposée, hier soir, à la collégiale Saint Denis de Liège.

L'élément fédérateur était le Cantique des cantiques, un des plus beaux poèmes d'amour de l'humanité.





Une artiste inspirée, Sabine Corman, a peint ce poème. Dans l'explication qu'elle fournit de sa démarche artistique, elle explique, dans le fort beau programme disponible à l'entrée, être passée du simple poème d'amour à l'allégorie qui voit dans le bien-aimé, le Dieu d'amour, créateur de toute vie, et dans la bien-aimée, son peuple, mais aussi et surtout l'âme et la personnalité profonde de chacun. L'on se retrouve ainsi dans la bien-aimée qui dort, qui cherche, qui poursuit, qui désire, qui s'égare. Et l'on découvre dans le bien-aimé un amoureux passionné, qui attend, se cache, qui passe, qui guette, qui frappe, qui enlace, caresse et étreint.




Il y avait donc le texte (dit, hier soir, par Gérard Hubert), les peintures de Sabine Corman, projetées en video et offertes au regard dans des versions réduites dans tous les recoins de l'église.

Il y avait aussi la prestation de l'ensemble vocal Marignan. Le niveau de qualité dans l'interprétation, la cohésion de l'ensemble, la beauté des voix sont remarquables, portées par l'acoustique généreuse de la collégiale Saint Denis.




J'ai été aux anges avec la première partie consacrée à la musique ancienne, un peu moins séduit par les Sieben Lieder op. 62 de Brahms, non à cause des interprètes, mais parce que la première partie alternait les émotions et les couleurs, et que, avec Brahms, un assez long moment était proposé semblant enfermé toujours dans un même registre. Ma plus belle découverte a été la pièce de Debussy " Dieu! Qu'il fait bon la regarder ". Mais aussi des pièces de William Walton et Healey William, inconnus de moi.

Ceci n'est pas une critique, mais il m'a semblé que la sélection des pièces musicales prolongeant le Cantique des cantiques en a uniquement retenu le poème amoureux, contrairement à la démarche de Sabine Corman. Mais, rien que de ce point de vue, l'expérience a été, pour moi, passionnante. Les paroles de Turtle Dove ont une filiation évidente avec le Cantique des cantiques, par exemple.

Si jolie tu es, ma toute belle,
Et je suis si passionnément amoureux, 
Jamais je ne tromperai ma bien-aimée
Jusqu'à ce que les étoiles tombent du ciel


(English folksong)

Avec un auditeur musicien venu de Gand, nous devisions sur l'adéquation entre l'image et la musique. Alors que j'ai été vraiment séduit par le travail de Sabine Corman, la musique parfois m'a tellement pris que, malheureusement pour elle, je ne regardais plus l'image, question de sensibilité sans doute. Lui, me disait, que ce qui ne fonctionnait pas parfois, hier soir, dans l'association étroite entre image défilante et musique, aurait été par contre parfaitement adéquat avec la musique d'Arvo Pärt, par exemple. C'est un avis.

Tout cela est question de sensibilité.

Je tiens à souligner l'originalité de l'initiative, le très haut niveau des performances. Il faut poursuivre.

Un dernier élément à souligner concerne le programme disponible à l'entrée. Celui-ci de qualité permet, ce qui est rare, de prolonger l'émotion. Non seulement, il parle des intervenants et de leur démarche. Il parle aussi bien entendu des oeuvres et en donne le texte. Il donne en plus le texte du Cantique des cantiques et trois reproductions des tableaux de Sabine Corman. Là, je dis bravo !

Concernant l'ensemble vocal Marignan : www.ensemblevocalmarignan.be


dimanche 20 mai 2012

A quoi tient l'amitié ?

Je me suis beaucoup trompé en amitié, surtout à une époque, où, mon instabilité affective me poussait à confondre un peu trop vite l'amour et l'amitié. Je tombais amoureux pour devenir ami. Je ne trouvais pas d'autre moyen. Autant dire que je me suis planté quelque fois.

Avant, je n'avais jamais eu vraiment beaucoup d'amis, sauf ceux que ma mère me suggérait, et puis, à l'époque du collège/lycée et de la troupe scoute, quelques-uns avec qui j'ai partagé beaucoup de moments (4 ou 5, des amis, pas des moments). Quarante après, sauf dans un cas, nous sommes devenus tellement différents l'un de l'autre qu'il est bien difficile d'encore trouver quelque chose à se dire, sauf l'évocation nostalgique des vieux souvenirs, ce qui n'est pas ma tasse de thé.

C'était une époque, il y a quinze ans, ou un peu plus, où des jeunes gens et jeunes filles se sont un peu entichés de moi, moi, qui pouvais être leur père, ou à la place du père absent, ou le père tellement différent, un père ouvert à leurs désirs, à leurs délires, comme à leurs turpitudes. Ils ont beaucoup réglé de comptes à travers moi, avec eux-mêmes, avec leur propre père, avec leur destin, avec l'amour. Ils n'en étaient pas toujours conscients, je crois. Moi, non plus, j'étais sans doute un peu aveuglé par l'intérêt qu'ils me portaient. Je le sais aujourd'hui. Je ne suis pas sorti tout à fait indemne de cette période. Ils se cherchaient et moi aussi, bien que leur aîné de 20 ans. Je n'ai pas de regret de cette époque pourtant. Et je crois bien que, sans ces histoires d' "amitié/amour" avec ces jeunes gens, plutôt des garçons (moi image du masculin et du père !), je ne serais pas celui que je suis aujourd'hui. J'ai gardé d'excellents rapports avec plusieurs d'entre eux d'ailleurs. Avec d'autres moins. Cela tient sans doute autant à eux qu'à moi. Je suis prêt à affronter tous les orages, guère les affronts et certains ne m'ont pas été épargnés. Puis les distances géographiques font aussi que les liens se distendent et que d'autres choses sont vécues de part et d'autre. Plusieurs années après, malgré les souvenirs heureux, ou plus ou moins heureux, on peut encore se retrouver, mais on ne se retrouve plus les mêmes. Je n'ai pas la chance de connaître, dans ma vie, des amitiés indéfectibles de 40 ans, du genre "à la vie, à la mort". Je ne dois pas être doué pour cela.

Mais de nouvelles amitiés ou complicités se sont manifestées. Sans ambiguïté. Où le jeu de la séduction n'est plus vraiment au rendez-vous. Ai-je d'ailleurs jamais été un séducteur ? Si oui, je suis le premier à l'apprendre, tant je me suis toujours senti démuni de ce point de vue.

Je découvre que des personnes que j'avais croisées il y a des années, sans les connaître vraiment, souvent d'anciens étudiants, moins souvent d'anciens collègues, se trouvent aujourd'hui des affinités avec moi et sont capables d'écoute, de compréhension et de compassion. Et puis d'autres débarquent, inattendus.

J'ai pourtant toujours eu la conviction que je suis trop différent et trop solitaire pour susciter l'amitié. Il en reste des traces dans mon comportement d'aujourd'hui. Je tiens toujours à garder mes distances, à éviter l'emballement, les dérapages, à ce que la relation soit juste, à préserver ma solitude ? Est-ce une bonne chose ? Aurais-je mis fin à une certaine folie pour une vraie sagesse ? Les chemins vers la sagesse ne se ressemblent jamais.

A toutes ces amitiés anciennes et nouvelles, je veux pourtant donner une place. Dans une nouvelle partie de ma vie, où les priorités, les urgences, les modes d'expression seront différents, mais non moins empreints d'affection. A mes amis de me suivre.











samedi 19 mai 2012

Le dimanche entre l'ascension et la pentecôte

Décidément, ils aiment nous faire attendre !

Trois jours avant l'annonce de la Résurrection ; quarante jours pour l'Ascension, et dix jours de plus pour la Pentecôte, l'effusion de l'Esprit.

Je le disais, lors de ma méditation à propos de l'Ascension, nous avons parfois besoin de temps, d'un certain temps, de beaucoup de temps même pour nous convertir.

Il en faut du temps en effet pour passer de l'incrédulité, de l'incompréhension, du besoin de vérifier, à la lucidité de la foi. Rappelez-vous l'Ascension.

Il en faut aussi pour pouvoir en vivre, pour rayonner, pour devenir incandescent : laissons donc à l'Esprit le temps nécessaire. Ce moment sera celui de la Pentecôte.

Je suis interpelé aujourd'hui par le fait que la liturgie nous met "entre deux temps", comme dans un temps suspendu, pour l'avènement d'un autre temps.

Nous avons déjà vécu cela le jour du samedi saint, rappelez-vous. Ce jour où Dieu n'est plus que silence et où nous expérimentons le vide, avant l'annonce de la Résurrection.

Une fois de plus, ce dimanche, nous nous trouvons suspendus entre deux temps.

Chaque fois que l'on parle d'incandescence, c'est toujours chez Jean l'évangéliste que l'on trouve les mots les plus justes. Il s'agit précisément des lectures de ce jour.

" Dieu personne ne l'a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous (grâce à nous, par nous ?) sa perfection " (1 Jn, 4, 12).

" Pour eux, je me consacre moi-même, afin qu'ils soient eux aussi consacrés par la vérité " (Jn, 17, 19). Consacrés ? Je dirais plutôt voués à la Parole et vivifiés par elle.






Prendre son mal en patience (surtout quand il est dentaire)


Cela fait déjà quelque temps qu’une dent me cause des soucis : elle se réveille tout à coup, et me fait endurer les pires supplices et des nuits sans sommeil, puis elle se tait à nouveau pour un temps. Bien entendu, elle se réveille toujours à la veille d’un week-end ou quand mon dentiste est en vacances.

Ce matin, après une nuit d’insomnie, je décide d’aller aux urgences en dentisterie au CHR de la Citadelle. Je savais pertinemment ce que le (ou la) dentiste allait me dire: " je ne peux rien faire dans l’immédiat ; il y a de l’infection, voici un antibiotique, un anti-douleur et un anti-inflammatoire. Prenez rendez-vous avec votre dentiste le plus vite possible ".

Quand je me suis présenté aux urgences, à 9 heures, la réponse a été on ne peut plus claire : “ Monsieur, armez-vous de patience ”. En effet,  plus de 25 personnes attendaient dans le couloir, à croire que tout le monde choisit d’avoir mal aux dents le même jour et au même moment. Il y avait 5 chaises, pas un seul magazine pour tuer le temps.  On attendait debout. Un monsieur interpelle la dentiste de garde : “ Pouvez-nous indiquer le délai d’attente ? “.  “ Impossible, lui répond-elle, il y aura peut-être des soins lourds et des diagnostics légers.  Mais, à vue de nez, vous ne passerez pas avant 13 heures … “. Il était trois numéros avant moi. Gloups.

Je n’en veux pas à la dentiste de garde, mais je me suis vu confronté au dilemme suivant : ou je prends mon mal en patience ou je perds patience dans le couloir.

J’ai choisi la première solution. Je suis passé chez ma pharmacienne et tout va mieux.

Je ne vais pas remercier le service d’urgence pour le résultat obtenu (je redoute la nuit), mais je puis témoigner de deux, trois, choses : je vais garder le médoc de ma pharmacienne pour la nuit … le jour, l’alcool apaise plutôt efficacement le sentiment de douleur (je sais, ce n'est pas bien) ; une douleur chasse l’autre : cela fait plusieurs mois que je souffre d’une douleur au pied, depuis que j’ai mal aux dents, je n’ai plus mal au pied … allez savoir pourquoi ; et peut-être demain, ma dent se sera-t-elle rendormie pour me laisser à nouveau avec une douleur au pied !

Tout ceci ne ressemble pas une science très exacte.

L’expérience fait découvrir la patience, qui ne consiste pas seulement à accepter le temps qui passe inutilement, compte tenu de notre sentiment d’urgence, mais à vivre avec ce qui nous fait souffrir et à l’apprivoiser, bref à relativiser.

jeudi 17 mai 2012

Le pont de l'Ascension


Pour un grand nombre de mes contemporains, le pont de l’ascension signifie un week-end prolongé. Un temps de  chômage légalisé : les banques sont fermées au même titre que les administrations et les syndicats, étrange voisinage, soit dit en passant. Même les boulangers se mettent à faire le pont ! C’est le cas du mien. Plus de pain, plus de vie. Etre boulanger était jadis un sacerdoce pour la communauté. Des boulangeries industrielles vendant du pain, sans âme, se sont substituées à lui. Certains travaillent pendant les ponts, un peu plus même que d’autres jours. Dans le domaine du tourisme et de l’HORECA bien entendu. Plus prosaïquement et égoïstement, je pense aux boulangeries, aux boucheries et aux épiceries arabes de mon quartier. Toujours ouvertes, même quand les banques et les syndicats ne le sont pas. Un exemple ?

Le pont de l’ascension, c’est aussi l’occasion,  pour beaucoup, d’un "city-trip", d’un week-end à la mer, de randonnées à vélo (en Belgique, certains persistent à dire « en » vélo …), de BBQ et de rencontres. Autant de perspectives réjouissantes, que j’apprécie aussi.

Et si ce pont en cachait un autre ?

Une fois de plus, je puiserai mon inspiration dans la Bible, sans intention de convertir qui que ce soit.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais depuis Pâques, nous vivons encore toujours un peu dans l’incrédulité. Jésus est mort, ça c’est sûr. On a beau nous dire et répéter qu’il est ressuscité après trois jours.  Cela reste difficile à avaler.

Selon la tradition de l’évangéliste Luc, il a fallu quarante jours aux disciples pour être un peu plus sûrs (Ac, 1, 3). Le temps de se faire à l’idée, de pouvoir en faire un acte de foi, avant aussi d’être prêts à accueillir l’Esprit. Il nous faut du temps souvent, un certain temps, avant de franchir un pas important pour notre vie. Quarante jours, je remarque que c’est l’exacte durée de la retraite de Jésus au désert, au début de son ministère (Mt, 4, 1-11, Mc, 1, 12-13, Lc, 4, 1-13). Ce moment où Jésus se découvre et se définit.

Il a fallu quarante jours à Jésus pour découvrir, au désert, qu’il porterait une parole qui n'évoquerait que peu les besoins matériels des hommes, ou les utiliserait pour qu'ils se trouvent au plus profond d’eux-mêmes ; une parole qui se distinguerait éternellement des slogans « du pain et des jeux »,  ou « hors de la religion, point de salut », si présents pourtant, en son  temps et aujourd’hui encore ; quarante jours, pour découvrir qu’il n’aurait pas à compter sur les anges pour réussir dans sa mission, et, enfin, pour découvrir que son œuvre n’aura jamais rien à voir avec la puissance et la domination, car elle utiliserait d’autres chemins, plus discrets et plus doux.

Quarante jours, comme les quarante ans de traversée du désert par les Hébreux aussi. Le temps de passer de l’esclavage à la liberté.

Il nous faut bien, à nous aussi, au moins quarante jours pour passer de la crédulité vacillante à la foi. Cela en valait la peine, car la fête de l’Ascension est bien celle d’un pont, d’un autre pont.

Plus d’apparitions pour les disciples pour se rassurer, ou se convaincre, comme Thomas (Jn, 20, 24- 29). Notre situation aujourd’hui.

Jésus disparaît à tout jamais de tout regard, de tout sens, de toute perception, mais pas n’importe comment.

D’après Luc, il se sépare d’eux et est emporté au ciel, une nuée le soustrait à leurs regards (Lc, 24, 51 ; Ac. 1, 9). Lui qui est descendu parmi nous s’élève ou, plus exactement, est élevé. Et ils le voient. Le texte ne veut évidemment pas dire qu’ils le voient matériellement, à moins de considérer tous les auteurs du passé comme des obscurantistes patentés, amateurs de miracles.  Je préfère une autre interprétation.  "Voir" veut dire ici "comprendre". Quelque chose de l’ordre de la lucidité. Enfin, je vois clair et donc je comprends.

Toute vie, je le pense, est animée de ce double mouvement : descente et élévation, plus ou moins en équilibre, avec parfois des tensions entre les deux mouvements. Que Dieu ait choisi de s’associer à ce mouvement, n’est-ce pas extraordinaire ? Plonger au plus profond de ce qui fait notre humanité et être élevé ensuite, à cause de cette plongée en nous-même.

Mais, ce Jésus, qui nous ressemble tellement, que nous dit-il de plus que nous ?

Il nous indique qu’il existe un pont entre la terre et le ciel, entre l’humain et le divin, entre le temps présent et l’éternité,  entre le sublime et le prosaïque et, si on admet ces prémisses, il en existe fatalement d’autres entre bien des êtres et des choses encore, sans cesse à découvrir et à explorer.

Un autre pont en effet.



De la distraction


Les homélies de frère François, à Wavreumont, sont des modèles du genre. Il est vain de vouloir y ajouter quoi que ce soit, commentaire, critique ou prolongement.

Je vous offre celle-ci en cadeau : 

Il y a peu, un ami de la communauté, un saint prêtre à qui nous pensions ne plus rien pouvoir apprendre, a demandé par personne interposée que l'un ou l'autre d'entre nous rédige pour lui quelques lignes sur les distractions dans la prière. La personne interposée s'est adressée à moi, ce qui suppose un certain flair. Elle a dû deviner que je pourrais parler d'expérience. En tout cas, elle a frappé à la bonne porte : je dois bien avouer que je suis particulièrement compétent dans le domaine de la distraction.



Entendons-nous bien. Il y a dans notre monastère, comme dans tous les groupes humains, des distraits professionnels. Je ne me suis jamais mesuré à eux, je pratique la distraction en amateur. Mais quand il s'agit plus précisément de l'art d'être distrait pendant la prière, là, je peux dire en toute simplicité que je suis devenu un spécialiste. Pour cet ami prêtre qui demandait quelques lignes, j'ai aussitôt rédigé quatre pages.



Si je vous en parle ce matin, c'est parce que j'ai fait allusion, dans ces notes sur les distractions, à l'évangile de ce jour. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Dans cette phrase, le mot donner est une traduction trop précise, trop "active" d'un verbe qui veut simplement dire poser, mettre, déposer. Donner, c'est encore imposer, s'imposer. La traduction œcuménique propose : se dessaisir. C'est intéressant, mais cela risque d'insister exagérément sur un aspect négatif ou mortifiant de renoncement. Le verbe de l'évangile est plus simple que cela : c'est poser, déposer, mettre à la disposition.



Or il me semble que, pour l'essentiel, la prière est justement cela : c'est se mettre à la disposition de Dieu. Dans la prière, il y a notre part et la part de l'Esprit. C'est l'Esprit qui fait le plus important. Notre part, pour l'essentiel, c'est une présence et c'est du temps. C'est d'abord être là, physiquement présent, ce qui est toujours à portée de notre volonté. Notre esprit est souvent ailleurs et, là-dessus, nous avons finalement peu de prises. Mais être physiquement présent, cela ne dépend que de nous. Et c'est être là pour un temps, plus ou moins long, un temps où nous nous interdisons d'être ailleurs. Le reste (presque tout le reste) appartient à Dieu.



Dans la prière, nous nous mettons à la disposition de Dieu, pour qu'il nous modèle à sa guise. Et il utilise alors tout ce que nous lui offrons, dans cet acte simple d'abandon et de confiance, pour faire de nous ce qu'il veut, peu à peu. A l'occasion, il se sert même de nos distractions pour nous donner des idées, orienter nos démarches, canaliser nos énergies.



Cela ne veut pas dire que nous devons nous complaire dans nos distractions, partir de l'idée que nous sommes définitivement dispensés de l'effort de "penser à Dieu en l'aimant", ce qui est pour Charles de Foucauld la définition de la prière. Si nous prenons conscience d'être distraits, il nous appartient de revenir à Dieu (même si cela ne dure que quelques instants...) et, comme on nous l'apprenait au séminaire, chaque retour à la prière est un acte d'amour. Mais si nos distractions, nos soucis, notre fatigue nous empêchent de fixer sur Dieu notre pensée, nous pouvons être certains qu'il fait des merveilles avec le peu que nous lui offrons.



Pour peu que nous nous mettions effectivement à sa disposition. Que nous nous mettions en prière par amour pour lui. Car ce que Jésus dit de nos amis vaut pour Dieu : Il n'y a pas de plus grand amour que de se mettre à la portée de celui qu'on aime.


Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques 2012.

mercredi 16 mai 2012

Moi, oui

Avez-vous déjà vécu, au quotidien, avec quelqu'un qui ne vous ressemble pas, qui ne partage avec vous aucun goût commun, qui vous inonde de discours qui vous passent au dessus de la tête et qui n'entend pas vos propres propos, qui vous impose son désordre, son chaos, jour après jour, dans les moindres détails ?

Avez-vous déjà vécu avec quelqu'un qui vous aspire sans cesse vers le bas, anéantissant en vous tout ce qui constitue votre vie sociale, votre vie culturelle, votre équilibre de vie et votre environnement même?

Avez-vous déjà vécu avec quelqu'un qui vous inonde de paroles sans égard pour ce que vous êtes en train de faire, vous interrompant sans cesse et sans vergogne?

Avez-vous déjà vécu avec quelqu'un qui se frappe lui-même sur la tête, quand ce n'est pas sur les murs ? Et qui vous invite à le frapper.

Avez-vous déjà vécu avec quelqu'un qui menace de se suicider, parce que vous refusez, selon lui, de comprendre ce qu'il dit ?

Avez-vous déjà dû vous battre avec un fils qui vous menace verbalement et physiquement ? Puis qui, le lendemain, est le plus doux des agneaux, ne se souvenant de rien.

Avez-vous dû déjà retenir un fils qui menace de se jeter dans le vide, du quatrième étage, et que vous retenez à la dernière minute , au prix d'un combat singulier ?

Moi, oui.

C'et là que se mesurent les limites de l'amour.

Pour le moment, j'ai l'impression que tout ceci me détruit.



lundi 14 mai 2012

Y a-t-il une limite à l'amour ?

Ce dimanche, les lectures de la liturgie touchent au plus profond de l'être et de la vie.

" Pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie ... aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés " (Jn , 15, 11-12).


D'abord, l'enjeu : le texte parle de joie, et même de joie en abondance. Le bonheur n'est-t-il pas le désir de tout homme ? Une joie indescriptible nous est donc promise. Certains êtres sont naturellement prédisposés à la joie, au bonheur. Pour d'autres, le chemin est plus aride, plus compliqué, plus sinueux. Je ne sais pas si vous avez déjà eu la chance de fréquenter des personnes trisomiques. Il y a souvent en elles un esprit d'enfance, un naturel, qui les conduit directement à la joie.

Car elles savent intuitivement, ce que dit le texte : " POUR que ma joie soit parfaite et que vous soyez comblés de joie ... aimez-vous les uns les autres ...". Elles sont pour nous de fameux exemples, elles pour qui l'affection et l'amour sont innés et spontanés.

Oui, Jésus nous livre le secret de la joie : c'est l'amour.  A vrai dire, ce n'est pas une surprise. Tous les amoureux vous le diront : c'est quand on est amoureux qu'on est le plus heureux.

Ce qui fait la différence ici, c'est que Jésus dit : " aimez-vous les uns les autres, COMME je vous ai aimés ". 


Il nous donne un modèle de l'amour. Contempler Jésus "aimant" pendant sa vie nous fournit un guide. Accueil des enfants, accueil des plus faibles, accueil des plus meurtris, accueil de l'étranger, du différent. Perpétuel souci de relever, de guérir, de libérer, de faire avancer, de remettre en marche, de reconnaître l'autre en lui disant qui il est vraiment.

Mais aimer comme Jésus comporte aussi une exigence, qui peut paraître insurmontable : "il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis " (Jn, 15, 13). Donner sa vie. Il ne s'agit point ici de se sacrifier, même si l'impression peut nous effleurer. Il s'agit d'expérimenter l'amour sans limite, qui ne va pas sans découragement parfois. Que cela soit dans une vie consacrée ou dans une vie vouée à ses enfants ou à un être cher dépendant de nous, par exemple.

Il y a toutefois deux certitudes qui peuvent nous aider :
- c'est que l'amour que nous prodiguons n'a qu'une seule source : Dieu (1 Jn, 4, 7), dont l'amour est sans limite ;
- c'est qu'en aimant, nous devenons les amis de Jésus (Jn, 15, 14). Nous participons, en d'autres termes, à son intimité. Nous ne sommes plus simplement des disciples fidèles, voire scrupuleux, nous avons part à la connaissance de Dieu qui était celle de Jésus. Ce n'est pas rien.

dimanche 13 mai 2012

Le sel dans la pâte

Un ami, s'inquiétant un peu pour moi, m'interrogeait, l'autre jour, sur ma vie de foi, qui l'intriguait, et, plus encore, sur son expression particulière, la vie monastique. Il me disait : ne te coupes-tu pas ainsi de la vie ?

Ma réponse risque de surprendre mon ami.

Tout d'abord, ce qui caractérise la vie monastique, c'est en effet un certain retrait, une certaine distance, un certain silence. Le retrait (faire retraite) permet toujours de voir, à la fin, les choses autrement. Il n'y a rien de religieux là-dedans. Il s'agit plutôt de renoncer un temps (ou plus longtemps) à l'agitation du monde, de redonner une vertu au temps et au silence. Un peu avant mon départ, le jeune doyen promu de ma faculté, imprégné des vertus "manageuriales" américaines avait décidé d'une "mise au vert," une fois par an, de l'ensemble du personnel enseignant. Au programme, ateliers,  débats, rencontres conviviales, parcours d'aventure ou de golf, sport extrême, concert, repas gastronomique ... On ne trouvait, dans ce programme, ni temps de silence, ni moments de solitude. Je savais, quant à moi, que, si l'on avait imposé deux heures de solitude silencieuses obligatoires, mes estimés collègues en auraient profité pour travailler, ce qui n'était pas le but. Par contre,  un certain nombre d'entre eux envisageaient avec excitation un saut en parachute ou un passage au dessus d'un gouffre sur un pont de singe.

Ensuite, je voudrais dire à mon ami que les habitants des monastères ne sont ni ignorants, ni séparés de la vie. Bien au contraire.

Dans les monastères que je connais, et dans celui que je fréquente particulièrement, la vie ne cesse d'être présente sous bien des formes. D'abord, au sein de la communauté, avec ses joies et ses difficultés. Le monastère n'est pas, ou est de moins en moins, un monde enfermé par une clôture. Bien des questions, bien des errements, bien des attentes, bien des souffrances s'y trouvent exprimées, vécues et portées par la communauté. La porte est ouverte. La communauté accueille tout le monde, même les non-croyants, avec une prédilection pour ceux qui sont les plus fragiles. Le monastère ainsi est, grâce à l'hôtellerie et à son réseau de familiers, un lieu d'égalité : on y croise des riches et des pauvres ; des "né-natifs" et d'autres de toutes les races ; des valides et des moins valides ; des croyants et des non-croyants. Bien plus que partout ailleurs, on rencontre au monastère une extrême diversité d'êtres humains. Dans le vie, nous sommes tellement conditionnés par nos milieux sociaux, professionnels, culturels, religieux ou rivés à ceux-ci. Là, les barrières tombent.

Qu'y a -t-il de plus, ou de différent, dans ma vie, à partir du moment où je la définis comme une vie de foi ? J'ai envie de dire : un grain de sel.

Du pain sans un peu de sel n'a pas de goût. Mais on ne peut pas isoler le sel dans le pain. Le sel donne au pain sa saveur, il est discret et parfaitement intégré à tous les autres ingrédients. Telle est la place de la foi dans ma vie. Discrète et donnant du goût à celle-ci.

J'ai envie de dire à mon ami : à chacun d'épicer sa vie, comme il l'entend ; ce qui compte, c'est de trouver le juste dosage, comme dans les 500 versions qui existent du curry, par exemple, afin que la vie soit vie et qu'elle porte du fruit.

Une chose est sûre, sans sa dimension religieuse, ma vie n'aurait sans doute pas, à mes yeux, la même valeur d'être vécue






samedi 12 mai 2012

Anniversaire en famille

Ce vendredi, ma mère, qu'enfant j'appelais "maman" et que j'appelle aujourd'hui "mami", à l'unisson de mes deux fils, atteignait son 90ème anniversaire ; cela sera le tour de mon père dans quelques mois.



J'ai une chance inouïe d'avoir encore mes deux parents en vie, toujours ensemble, toujours relativement autonomes, toujours lucides, toujours intéressés par la vie, la vie qui va de plus en plus lentement et un peu trop à côté d'eux.

Souvent, ils m'ont dit qu'ils n'avaient jamais pensé arriver à cet âge. Ils y sont arrivés et je sais que nous fêterons encore d'autres anniversaires !

Comment en sont-ils arrivés là ?

Surtout, je crois par leur engagement, sans défaut, et sans limite, pour leurs petits-fils et pour leurs fils. Ils ont fort à faire pourtant : aucun des trois n'appartient, chacun dans son genre, à la normalité. Celle dont on peut se prévaloir en présence de ses amis ou amies pour dire que tout va bien et qui permet d'être fier de ses rejetons parce qu'ils ont merveilleusement réussi dans la vie, si possible à l'étranger.

Ils tiennent bon, non sans souci. Car mes parents aiment se faire du souci. Ce n'est pas toujours sans raison. Cela leur donne aussi une raison d'exister de se faire du souci. C'est en se souciant qu'ils tiennent le coup.

Souvent, je me dis que je ne suis pas assez présent à leurs côtés. D'autres fils, ceux que ma mère appelle les "bons fils", ne passent-ils pas voir leurs parents (surtout leur mère), tous les jours ?

Ce vendredi, nous avons fêté ma mère. Benjamin recevait et, un peu aidé par sa mère à lui, a pris en charge l'apéritif et l'entrée. Samuel a réalisé un diaporama avec de vieilles photos et quelques commentaires. Je me suis chargé du reste.

Je pense que mes parents ont été très heureux hier.




Cela n'aurait pas été la même chose, si nous avions choisi un excellent restaurant.

Mami, à un moment de la soirée, s'est levée pour nous lire un texte, qui nous a fort émus. Benjamin toujours réceptif à l'émotion de l'autre m'a tout de suite serré la main, peut-être en avait-il besoin lui aussi ? On reconnaît l'enseignante sur la photo qui va suivre. Je suis sûr que si on lui demandait, elle serait prête à recommencer une carrière d'enseignante.




J'ai demandé à ma mère qu'elle me donne son texte, écrit de sa belle écriture, sans défaillance, personnelle aussi.

J'ai envie de le partager très simplement :

A vous trois, nos chéris, nous disons merci pour tant d'efforts déployés et de gentillesse pour fêter ce jour de nos anniversaires.


90 ans ... non exempt d'épreuves, de joie, qui malgré tout nous font dire que nous sommes nés sans doute sous le signe de la chance. Un moral inébranlable nous a permis de passer à force de volonté au travers de tant d'événements bons ou mauvais.


Il nous reste un trésor inestimable, notre foi dans l'avenir qui nous attend, et aussi la présence toute proche de vous trois, toujours disponibles pour nous venir en aide.


En ce qui nous concerne, notre seul but est de vous voir heureux, que l'entente entre vous soit  bonne. Notre seul but : vous voir heureux, que la vie vous soit douce, en dépit d'un avenir bien incertain.


Nous souhaitons que Samuel et Benjamin trouvent du travail et peut-être l'amour, l'amour vrai et pur. Là, je ne sais plus juger. Chacun fera selon ses goûts et ses possibilités.


Encore merci à vous trois pour cette belle réunion de famille, ce bon repas dans un cadre jeune fait pour le bonheur. Surtout, merci à toi, Ben : toi qui a suggéré de nous recevoir chez toi.




P.S. J'ai quand même fait remarquer à ma mère que mon père était toujours octogénaire et qu'une autre fête aura lieu pour lui en septembre ...

Instantanés de la soirée