Au cours de mon parcours universitaire, certains professeurs m'ont paru exemplaires et d'autres pas. Ce sentiment était fort subjectif. J'avais envie de ressembler à certains d'entre eux, à d'autres pas du tout. A quoi cela tenait-il ? Au contenu de leur enseignement parfois. A leur personnalité sûrement. A leur ouverture aux étudiants aussi (dialogue à la pause, confrontation des opinions autour d'un café à quelques uns après le cours, accueil à l'examen oral et souci de toujours expliquer la note mise). Devenu moi-même professeur, j'ai tenté d'exprimer ce que j'étais tout en me référant à mes modèles. Sans ces quelques modèles, je n'aurais pas été le professeur que j'ai été, bon ou mauvais, ce n'est pas à moi de le dire.
Serais-je aujourd'hui celui que je suis sans le modèle de ma grand-mère ? Une volonté tenace, un dévouement total pour ses trois filles et son seul petit-fils. Mes tantes (de Paris, comme je les appelle) ont dû perturber tous les repères de ma grand-mère. Leur mode de vie était tellement différent. Elle n'a jamais failli à son devoir, mais je n'aime pas ce mot, disons plutôt qu'elle les aimait. Elle est allée à Gardahia, quand il le fallait, elle est allée à Londres, elle a passé de longues semaines horribles, à Paris, quand ma tante A. était à l'hôpital. Elle a accueilli chez elle sa fille convalescente et lui a donné sa chambre. Elle avait une foi d'hier, mais était ouverte au questionnement. Elle n'a jamais cessé de se poser des questions. Son arbre, dans la foi, était celui de la tradition bénédictine. Je sais aussi qu'elle a eu des doutes dans sa foi, c'est à moi qu'elle les a confiés (j'avais 22 ans, cela m'a marqué à tout jamais). Peut-être s'est-elle confiée à moi parce que j'étais le seul à pouvoir l'entendre dans la famille ? Nous étions les deux bénédictins de la famille.
Les habitants de ma résidence aiment beaucoup mes deux fils. Ils sont, paraît-il, toujours aimables, serviables, attentionnés. Les vieilles grand-mères les adorent. Il faut dire qu'ils les embrassent aussi. J'ignore s'ils me prennent pour modèle. Mais si mon exemple est à l'origine de leur comportement, je puis dormir en paix.
Mais revenons à des choses plus sérieuses, plus didactiques. A l'époque des bons pères jésuites, nous disposions d'une collection de textes appelée "Les modèles français" (6 volumes, un par année). On y apprenait l'histoire de la littérature, mais c'était dans le fond accessoire, on nous confrontait avant tout à des modèles d'écriture. Ils m'ont influencé, je dois le dire, et m'évitent aujourd'hui de m'exprimer comme certains prétendants à la magistrature suprême, en France.
Je crois profondément qu'on devient ce que l'on est au travers de modèles. Ces modèles diffèrent selon les individus, heureusement. Il faut aussi, comme ma grand-mère, être capable parfois de mettre le modèle en question.
Mais il est faux de croire qu'on puisse se construire sans modèle.
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Il y a 11 mois
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