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mardi 31 août 2010

Faire-part

Il m'arrive de recevoir de temps à autre, mais de moins en moins, un "faire-part" m'annonçant une naissance ou un mariage. Quand il s'agit d'un décès, on publie plutôt une annonce dans la rubrique nécrologique d'un journal.

Certaines grandes familles annoncent aussi dans le journal les fiançailles de leurs enfants, puis leur mariage, ou le baptême de leur 23ème arrière-petit-enfant.

Le baptême, les fiançailles, le mariage, la mort. La vie?

Je m'arrête tous les matins, quelques instants, sur les annonces nécrologiques, moins pour les défunts dont il est fait part, que pour ce qui entoure le faire-part. Parmi les mentions les plus classiques, il y a "les funérailles ont eu lieu dans la plus stricte intimité" ou "ni fleurs, ni couronnes". Certains meurent "après avoir reçu les derniers sacrements", d'autres meurent "dans le respect de leur conviction". C'est étrange, car les premiers sont aussi, de toute évidence, morts dans le respect de leur conviction. Quant aux seconds, ils entendent généralement dire par là qu'ils sont morts avec la conviction qu'il ne faut pas avoir de conviction sauf la leur qui est de ne pas avoir de conviction. Ceux qui ne mettent rien doivent être ceux qui, face à la mort, n'ont pas de conviction du tout. Durant toute leur vie, ils ont toujours agi sans grande conviction, un peu contraints, et font de même au moment de mourir. Ils subissent leur mort avec la même absence de conviction qu'ils ont subi leur vie.

Quant aux annonces de naissance, parfois jumelées avec un baptême, le plus amusant est le nom choisi pour les jeunes nouveaux-nés. Soyons franc, mes parents m'ont appelé Xavier parce que c'était un prénom rare à l'époque et plutôt bien porté. Le choix d'un prénom est important dans la vie. Il vaut mieux s'appeler Thibaut, Yves-Henri ou Brieuc que Kevin ou Mohamed.

Certaines annonces nécrologiques se distinguent des autres.

Parfois, elles sont surmontées d'un pictogramme: l'étoile de David, la croix orthodoxe, la flamme laïque,  la croix scoute, la croix des templiers ...

Certains défunts portaient de leur vivant d'étranges surnoms, sobriquets ou totems que l'on découvre à cette occasion: par exemple, Maminette, Yearlin "coeur vaillant", Didi, Tata, Chaton carressant (?), Papilou, Germaine (dans ce  cas précis, on a nommé "Germaine" quelqu'un qui ne s'appelait pas Germaine, sans doute pour lui faire plaisir).

Certains défunts avaient tellement de mandats, d'occupations, d'engagements qu'ils ont droit à plusieurs avis nécrologiques (4,5, 6 ... 12). Cela leur fait une belle jambe maintenant qu'ils sont défunts.

Certains préfèrent rester sobres. D'autres doivent apprécier, dans leur tombe, qu'on ait énoncé les décorations qu'ils ont reçues, les titres dont ils peuvent se prévaloir. Dernier sursaut de vanité.

Dans certaines familles, on est impressionné par la liste des enfants, petits-enfants, arrière-petits enfants, des frères, soeurs, beaux-frères et belles-soeurs, sans compter les oncles et tantes, les neveux et nièces ... Il ne s'agit plus d'une famille, mais d'une tribu. Ils doivent penser que plus il y en a, mieux c'est, vu qu'ils mentionnent aussi les morts! Les déjà morts font part ainsi aux vivants du nouveau mort qui les rejoint. A moins qu'ils ne s'agisse d'aider les généalogistes.

Je consacrerai un jour une rubrique aux citations que l'on trouve en exergue des annonces nécrologiques. On peut en faire un recueil.

Les faire-parts de baptême donnent lieu à un grand sursaut d'imagination et d'originalité avec des résultats parfois fort peu convaincants. Il y a des poussins,  des poussettes, des petits canards qui se suivent, j'en passe et des meilleures, comme si l'arrivée d'un tout petit était forcément un événement "nunuche".

Mais ce n'est pas mon propos d'aujourd'hui.

N'y a-t-il rien d'autre que les naissances, les fiançailles, les mariages et les décès pour justifier un faire-part?

Envoie-t-on des faire-parts de divorce? de suicide? de mise à la retraite? d'hospitalisation? de "coming-out"? Cela ne fait-il pas aussi partie de la vie pourtant?

Ma question peut paraître étrange; mais pas tant que ça. Les réseaux sociaux (comme Facebook, par exemple) permettent aujourd'hui de faire part de tout et de n'importe quoi. Certains font part de leur mauvais réveil, de l'endroit où il sont, de l'endroit où ils mangent, de leur fatigue, de leur nuit voluptueuse, de leurs douleurs musculaires après la gym. D'autres, parfois les mêmes, font part de leurs indignations, de leurs lectures ou de leurs coups de coeur.

Ma mère a été très choquée par ceci: elle a reçu un faire-part annonçant le décès d'une de ses condisciples de classe à l'école normale. Ses enfants y avaient fait figurer la mention suivante: "Vos messages de sympathie peuvent être envoyés à l'adresse email suivante". "J'avais préparé une belle lettre, m'a dit ma mère, mais je ne l'ai pas envoyée".

lundi 30 août 2010

Victor

Victor n'est pas son vrai nom, mais c'est le nom sous lequel je l'ai connu pendant moins de trois mois.

Il errait dans les rues de Liège. Il avait alors 34 ans. Il avait fui le Kosovo avec sa femme et ses deux petits enfants. Son épouse, qui se sentait ici en milieu hostile, refusait de sortir de leur minuscule appartement. Il assurait seul un contact avec le monde extérieur. Il n'errait pas en rue, parce qu'il ne savait que faire, mais parce qu'il cherchait un homme à aimer, un homme qui le prendrait dans ses bras. J'ai été celui-là pendant quelques très belles semaines.

Il m'a expliqué qu'il avait fait des études de médecine là-bas (j'ai encore dans ma cave tous ses syllabi) et puis il a fui. La vie n'était pas facile pour lui là-bas. Etait-elle meilleure ici?

Nous avons vécu une relation très forte, très belle.

Il écrit des poèmes en langue albanaise, qui sont publiés.

Nous avons été ensemble au concert. Nous avons visité des expos. Cela le rendait extrêmement heureux. Nous finissions la soirée chez moi.

Un soir, alors que nous nous promenions sur les quais, dans un endroit un peu plus sombre que les autres, nous nous sommes embrassés. Il vient de me dire aujourd'hui que, ce jour-là, il voulait que nous vivions ensemble. Mais, il a rejoint sa famille peu après.

Le gouvernement belge a offert une prime de retour pour les Kosovars. Avait-il le choix?

Je ne sais toujours pas quels prétextes il a pu invoquer, mais sa dernière nuit à Liège, il l'a passée à mes côtés dans mon lit, blotti dans mes bras.

Le lendemain, nous avons chargé dans ma voiture une partie des bagages de sa petite famille et, avec d'autres amis, nous les avons tous reconduits à l'aéroport.

La séparation fut étrange. L'envie d'un geste tendre qui était empêché par les circonstances.

Il a maintenant une belle profession à Pristina. Il adore ses enfants. Sa femme sait qu'il préfère les hommes. Elle demande le divorce. Il ne sait plus trop que faire entre les convenances sociales, la loi du silence et son désir.

Il m'a invité là-bas pour visiter la région. Il m'a dit: c'est une région à visiter, pas une région pour vivre.

Il aimerait s'établir au Canada.

La musique, l'autre et la curiosité

Très souvent, quand je rencontre quelqu'un, une des premières choses dont je parle volontiers est la musique. On apprend beaucoup de quelqu'un en découvrant ses goûts musicaux.

Dans un premier temps, le plus souvent, un terrain commun se dégage. Rien d'étonnant à cela, si nous nous trouvons attirés l'un par l'autre, il doit bien y avoir quelque part une sensibilité commune.

Je fais néanmoins souvent le constat suivant: pour un certain nombre de jeunes gens (je veux dire jusqu'à au moins 35 ans), leur bagage musical est souvent fort mince. Quand on leur parle d'une musique autre que celle qu'ils écoutent habituellement, on entend souvent la réponse suivante: "ça, ce n'est pas mon truc, je ne le sens pas".

Ceci me pose question. Pourquoi ne sentent-il pas ma musique à moi? Pourquoi ne font-ils pas un effort pour la sentir? Pourquoi ne me demandent-il pas pourquoi je "sens" la mienne, alors que eux ne la "sentent" pas? J'essaye bien de découvrir la leur, je ne suis pas toujours fan, mais parfois j'aime bien, et, quand je n'aime pas, j'essaye de leur dire pourquoi.

La sensibilité serait-elle conditionnée? Par l'âge, la mode, le milieu social, le conformisme? Si oui, quel gâchis!

Mon université et la culture

Depuis quelque temps, je me réjouis de l'image que l'Université de Liège donne d'elle-même à l'occasion des rentrées académiques et par le choix qu'elle fait de mettre à l'honneur des hommes et des femmes de culture. Ceci me paraît important.

Il existe en effet, dans nos universités, une tendance à l'hyper-spécialisation. Ayant été contraint à consulter de nombreux médecins, ces derniers temps, j'ai été frappé par le fait qu'aucun n'avait une vision globale de ma situation: mon généraliste m'a renvoyé chez un spécialiste de la médecine physique qui m'a renvoyé chez un rhumatologue, je suis aussi passé entre les mains d'un dermatologue, d'un chirurgien et demain d'un andrologue. Heureusement, ma psychiatre rassemble un peu tout cela. Il en va pourtant de même dans le domaine du droit.

Une jeune collègue a choisi comme titre de sa leçon inaugurale: "La porosité du droit: à propos des relations du droit avec d'autres disciplines" (Anne-Lise Sibony, Rev. Dr. ULg, 2010/2, 271 et sv.). J'aime beaucoup ce titre. Simplement parce que je crois que toute connaissance, pour avancer, doit être fécondée par des apports extérieurs. Je ne pense pas ici au recrutement des enseignants que le précédent recteur jugeait trop endogène, et pas assez exogène. La seule chose qui devrait être prise en compte, outre la compétence, devrait être l'aptitude à se nourrir d'autres choses. Ce n'est pas nécessairement ailleurs que l'on apprend cela.

Alors, je me réjouis du choix fait par Bernard Rentier, recteur de mon université, de mettre à l'honneur, l'année dernière et cette année encore, des personnes qui nous aident à transcender notre savoir.

L'année dernière, l'accent avait été mis sur le son et la musique. L'Université de Liège compte depuis parmi ses docteurs honoris causa: Arvö Part, Archie Shepp, Dirk Annegarn, Robert Wyatt entre autres.  Ces personnalités n'illustrent pas une discipline, ils transcendent les disciplines.

Cette année, le recteur a choisi l'image. Nos prochains docteurs honoris causa seront: Pierre Alechinsky, Victor Burgin, Santiago Calatrava, William Klein, Jacques Perrin, Agnès Varda, Bill Viola.

Ce choix me réjouit.





Mais, je me le demande: ce choix correspond-il à l'univers de la plupart de mes collègues? Si non, puissent-ils alors saisir l'occasion qui leur est offerte.

dimanche 29 août 2010

Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir à moi aussi

Hier, je recevais à dîner mes parents et mes deux garçons. J'avais décidé finalement de faire simple: une raclette et une soupe "aux trois melons".

Ce fut une merveilleuse soirée, détendue, rigolote, animée. Ah ... Mami et mon View-Master, tout un poème! Mon père était bien. On se faisait du bien l'un l'autre dans notre mini-famille.

Ben nous a fait des révélations: il a des visions. Il nous a raconté que souvent il voit des ombres qui lui veulent du bien, qui le protègent, qui prennent soin de lui. Il dit que c'est Tata (sa grand-mère maternelle d'adoption décédée) et/ou sa maman du Brésil. Il veut savoir. Il aimerait retrouver des traces de son passé, là-bas. J'ai promis de l'aider. On ne connaît pas grand chose de son histoire avant qu'il nous ait été confié, chétif et sous-alimenté, il y a maintenant 22 ans,  à l'aéroport de Zaventem.

Je veux le dire: mes deux fils sont mes deux amours; à défaut d'être de mon sang, ils sont de mon coeur.

Sur le marché de la Batte, ce matin, je m'arrête chez mon ami Youssef. Il était rentré pendant la nuit de Meknes. Il boîtait un peu. Je prends un peu de ses nouvelles. Puis, j'achète quelques épices, des pistaches. Je lui dis, j'aimerais beaucoup avoir ces cuillers en bois, en forme de petite louche que tu utilises dans les épices. Ni une, ni deux, je te donne celle-là - je te donne, pas je te vends - celle-là qui est dans le paprika. Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir à moi aussi.

Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir à moi aussi!

Quel doux week-end!

samedi 28 août 2010

Le nain et le gros

Le nain et le gros sévissent tous les deux depuis quelque temps. Leur terrain d'action n'a pas exactement la même dimension et ils ne se revendiquent pas de la même nation.

Leur action présente cependant de profondes et troublantes similitudes.

J'en évoquerai ici quelques-unes:
- l'un et l'autre ont de toute évidence un problème avec ceux qui ne sont pas exactement comme eux ou, disons, de leur clan;
- l'un et l'autre utilisent presque quotidiennement la provocation;
- l'un et l'autre sont intransigeants quant à leurs programmes politiques, même dans leurs aspects les moins crédibles. Quand ils font preuve d'ouverture, c'est le plus souvent un leurre ou une manoeuvre. Quand ils se trompent, ils ne sont pas prêts à le reconnaître;
- l'un et l'autre ont beaucoup de peine à faire des compromis;
- l'un et l'autre, chacun à leur manière, mènent une action destructrice: l'un bafoue les valeurs de l'Etat qu'il est censé incarner, l'autre détruit les fondements de l'Etat au sein duquel il s'est fait élire;
- l'un et l'autre disposent d'un grand pouvoir de nuisance;
- l'un et l'autre semblent éprouver un certain plaisir à monter presque tout le monde contre eux.

L'un est un nain, l'autre est un gros.

J'espère que l'un et l'autre seront jugés sur leur bilan, un jour. Et j'espère que le jury sera sévère.

Vous aurez identifié sans peine le nain et le gros. Pourquoi les illustrer?

View master

A l'occasion d'un rangement de mon appartement - un rangement qui voulait aller au fond des choses -, j'ai redécouvert un objet de mon enfance. Je ne savais même plus que je l'avais encore:  mon View-Master, c'est-à-dire une étrange lunette binoculaire dans laquelle on introduit de petits disques permettant de voir des images en 3D. Le procédé utilisé, presqu'aussi ancien que le cinéma, paraît-il, s'appelle la stéréographie. A la condition de se forcer un peu à un strabisme convergent, on a l'impression de voir en relief!



Lors d'une fête de Saint Nicolas, j'ai reçu le surprenant appareil et puis, année après année, des petits disques pour mettre dedans. Il y avait aussi des petits livrets qui permettaient à mon père, ma mère ou ma grand-mère de raconter une histoire. J'étais fasciné parce que cela me faisait rêver.

Lors de la Saint Nicolas, chez ma grand-mère, je recevais des disques sur l'Histoire Sainte ou sur les grandes villes du monde. Ma grand-mère aimait les deux. Elle ne s'est pas contentée de m'offrir des disques "View Master", elle m'a aussi fait visiter la Terre Sainte et de grandes villes. J'étais son seul petit-fils.

Mes parents étaient plus proches de  mes désirs d'enfant. Il y avait Pluto, Mickey, Heidi ....




Un peu de nostalgie, dans ce monde fous, ouf .... cela fait du  bien.

jeudi 26 août 2010

G. et les trains (ou les trains et G.)

Mes amis sortent généralement du commun, sinon ils ne seraient pas mes amis.

G. et moi avons été assistants, à la même époque, au service de droit fiscal de l'Université de Liège.

Lui et moi, avons en commun d'avoir été, pendant un temps:
- lui, le plus jeune procureur du Roi de Belgique,
- moi, le plus jeune chargé de cours de l'Université de Liège.
Nous avions choisi un bon patron.
Comment? C'est lui qui nous a choisis? Ne chicanons pas.

G. a fait une brillante carrière jusqu'aux plus hautes sphères du monde judiciaire belge.

Moi, ai-je fait carrière? Non, bien sûr, alors que ma mère le voulait; peut-être pour cela d'ailleurs.

A l'époque de notre assistanat commun, G. avait déjà une passion: les trains! Pas les trains miniatures, les vrais trains! Il passait toutes ses vacances en train. Il connaissait tous les horaires, toutes les correspondances. Il s'arrêtait parfois, mais passait le plus clair de son temps dans les trains.

Il y rencontrait des gens extraordinaires.

Il fréquentait des lignes oubliées ou spectaculaires.

Maintenant que son statut matrimonial lui laisse un peu de temps pour lui, il a renoué avec sa passion. Ainsi, il m'a raconté, avec enthousiasme, ces dernières vacances où il a emprunté un "train hélicoïdal". Je ne savais même pas que cela existait. On en apprend tous les jours. C'est un train de montagne, sans crémaillère (ça je connaissais), qui grimpe sur et à travers une montagne, en tournant sur lui-même, traversant un nombre invraisemblable de tunnels, de viaducs ... et offrant heureusement, au passage, des vues époustouflantes sur la vallée et les montagnes.

Mon ami fait quelques haltes, le temps de faire d'autres découvertes.

Après l'avoir rencontré, je me sens prêt à des vacances hélicoïdales!

Pour ceux que le sujet intéresse, voici un site:
http://home.scarlet.be/roya/train/03/05.htm

Paul et Mahomet

Depuis que le droit me passionne de moins en moins, mais que l'histoire des religions me passionne de plus en plus, je lis beaucoup. Mon parcours n'est pas scientifique. Il est celui d'un honnête homme qui cherche à savoir toujours plus et qui se pose des questions. Dans le fond, n'était-ce pas aussi (n'est-ce pas toujours d'ailleurs) ma démarche à propos du droit? Je n'ai jamais été juriste "dans l'âme", mais toujours un interrogateur inassouvi.

Les questions auxquelles je me confronte aujourd'hui ont changé de nature. Elles ne sont pas moins complexes, mais plus denses. Oserais-je dire essentielles, l'essentiel se distinguant de l'accessoire? Peut-être, dans la vie, y a-t-il un temps que l'on consacre à l'accessoire et un temps que l'on doit consacrer à l'essentiel?

Je vais livrer ici une réflexion toute personnelle. Je me doute que des plus savants que moi ont étudié le sujet, mieux que moi, et plus que moi. Ce que je vais dire pourra être perçu comme hérétique par certains. Permettez cependant au brave homme que je suis de livrer son analyse.

Bien que hardi, un parallèle me paraît exister entre l'apôtre Paul et le prophète Mahomet. Je vais essayer d'expliquer en quoi, à mon avis.

Il y a le terreau commun: le Dieu unique des Hébreux, le Dieu dont on ne peut pas dire le nom, ni représenter le visage, parce qu'il est indicible et "au-delà de tout nom". Un Dieu abstrait, qui se distingue par là-même des idoles. Un Dieu qui ne parle pas ou jamais directement (sauf à Moïse). Il préfère envoyer des anges ou des prophètes. Une expérience de Dieu primordiale aussi: le Dieu des Hébreux, contrairement aux idoles de l'époque, ne veut pas de sacrifice humain (cfr. le sacrifice d'Isaac/Ismaël). Ce Dieu devient aussi ce qui fédère le peuple hébreux, le peuple qu'il a élu. Il chemine avec eux et ne les abandonnera jamais.

Qu'a fait Jésus (Yeshouah)? Il a dénoncé les dérives de la religion des Hébreux de son temps: le légalisme absurde du Deutéronome appliqué à la lettre, l'hypocrisie, les nouvelles idoles (l'argent, le pouvoir); il a renversé les priorités: il a dit que le bonheur n'est pas là où on le cherche le plus souvent; il a préféré les faibles aux puissants; il a préféré les marginaux aux gens installés; il a surtout parlé d'amour, de miséricorde, du chemin vers soi qui passe parfois "par le chas d'une aiguille". Il n'est pas mort comme un Dieu, mais comme un homme et même le plus vil des hommes. Peut-être est-ce pour cette fidélité extrême à ce qu'il croyait qu'il est mort ainsi? Et peut-être est-ce pour cela, pour cette fidélité extrême, que certains ont dit qu'il vivait encore même après sa mort. Comme un exemple, comme une promesse.

Les hommes et les femmes qui l'ont entouré ont dû fatalement être bouleversés par cet être hors du commun. Etait-il le fils de Dieu? Lui-même ne l'a jamais dit, mais il parlait de Dieu comme d'un père. Etait-il Dieu? Il ne l'a jamais dit non plus. Mais il était certainement un intime de Dieu. Par sa vie, il nous a indiqué que tous nous avons en nous une part intime qui peut s'appeler Dieu.

Après la mort de Jésus, les choses ont été confuses.

Il y avait ceux qui l'avaient suivi, accompagné, qui l'avaient entendu, qu'il avait libéré de leurs démons, et qui devaient garder en leur coeur, chacun selon sa sensibilité, des souvenirs intenses. Ils ont beaucoup raconté leur histoire, mais il a fallu bien des années avant que leur témoignage ne soit écrit. Je suis toujours surpris par ceci: les évangiles ont été écrits par des disciples; j'aurais aimé entendre le jeune homme riche s'exprimer, la veuve de Naïm, le centurion romain, Lazare, Nicodème... Les évangiles parlent d'eux, mais eux ne parlent pas. Cela me dérange. Ceux-là devaient se rassembler autour des vrais apôtres, de Marie, la mère de Jésus, de Marie-Madeleine, de Jacques, le frère de Jésus. De ces témoignages, seuls certains ont été étrangement retenus. Toutes les sensibilités n'avaient-elles pas le droit d'exister? Pourquoi? Il y a eu ainsi des témoignages reconnus et d'autres dits apocryphes.

Paul (Saül, à l'origine) a fait son apparition. Il n'a jamais entendu Jésus de vive voix. Il n'est donc pas un témoin. Pendant que tout se passait, à Jérusalem et aux alentours, il était ailleurs et, une fois revenu, il s'est empressé de massacrer les premiers fidèles de Jésus au nom de la loi. Seulement voilà, Paul prétend avoir reçu une révélation sur le chemin de Damas (Ac, 9, 1-19). Les vrais disciples ne lui feront guère confiance; ils ont même peur du personnage (Ac, 9, 26). En fait, Paul les impressionne. Il prétend - ne l'appellera-t-on pas finalement apôtre? - qu'il en sait au moins autant qu'eux et même plus qu'eux. Il n'a pas été témoin, mais il a eu, lui, une révélation. Cela change tout!

Voici deux représentations parmi les plus anciennes de Paul de Tarse, sans doute les plus proches de la réalité.



Ainsi donc, avant même que les principaux témoins aient rédigé leurs évangiles, c'est-à-dire le recueil des faits et gestes, et surtout des paroles, de Jésus (avec une plus ou moins grande fidélité, comme il en est de tout témoignage), Paul va se répandre pour annoncer la bonne nouvelle aux païens. Il va ainsi, avant tous les autres, lui, le non-témoin, élaborer un discours qui ne cite aucune parole de Jésus et qui évoque à peine les récits des témoins (les évangiles n'existant pas encore). Paul a ainsi créé une doctrine religieuse - ce que Jésus n'a jamais eu la prétention de faire - sur un fond qui ne lui appartenait pas, mais qu'il s'est approprié, soit-disant à l'occasion d'une vision, où tout lui aurait été révélé. Pierre a un caractère qui le porte, avec des lâchetés parfois, à devenir le partenaire de toute personnalité plus forte que lui. Il y a eu Jésus, il y aura Paul. Paul deviendra l'apôtre des gentils (les non-circoncis): il a inventé, non sans mal,  une nouvelle religion pour le monde grec et romain. Elle s'y répandra et deviendra religion d'Etat de l'empire romain sous Constantin. Alors que Jésus distinguait clairement l'Etat de la religion ("Rendez à César, ce qui est à César; et à Dieu, ce qui est à Dieu"), la religion paulinienne - aujourd'hui la religion catholique romaine -, ne mettra pas longtemps à entretenir des relations troubles avec le pouvoir et reste organisée, dans ses institutions et ses fastes, malgré quelques aggiornamenti, comme du temps des empereurs romains.

Pendant ce temps, à Jérusalem, autour de Jacques, le frère de Jésus, se trouvaient les fidèles: ceux qui suivaient au plus près le message de Jésus: "Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir". Les "judéo-chrétiens", les chrétiens "circoncis". Ils ont eu de la peine à s'affirmer face aux pauliniens. Mais ils étaient sans doute plus proches de Jésus que Paul ne l'était.

Quelques siècles après, les idées et les hommes circulant beaucoup à cette époque (au moins autant qu'aujourd'hui), et alors que les "pagano-chrétiens" issus de Paul ne cessent de se disputer sur la nature humaine et/ou divine du Christ, inventant peu à peu le concept de "Sainte-Trinité", un seul Dieu en trois personnes, Mahomet, qui est bien au fait de tout cela, veut réaffirmer l'unicité de Dieu. Dieu est un. Dieu est unique. Il réaffirmera aussi que Dieu est indicible (même les 99 noms de Dieu cités dans le Coran n'y suffisent pas). Nous sommes tous enfants de Dieu, mais, si Dieu est Dieu, il ne peut pas avoir un visage d'homme. Comme pour Paul, il sera dit qu'il a reçu une révélation. Comme Paul, le prophète Mahomet va utiliser le terreau du judaïsme, fécondé par Jésus, pour créer une religion. Il va "inculturer" la tradition judéo-chrétienne dans le monde arabe, comme Paul l'avait fait avant lui dans le monde hellénistique. Très rapidement, la religion de Mahomet, comme celle de Paul auparavant, sera associée au pouvoir politique, trahissant ainsi la source.

Qui exprime encore la source aujourd'hui? Où faut-il la chercher? Où sont les témoins des vrais témoins?

Peut-être dans quelque monastère isolé ...









mercredi 25 août 2010

Les deux hommes

Je ne résiste pas au désir de vous partager in extenso le texte suivant. Prenez-le temps de le lire.

Le pape Paul VI et le patriarche de  Constantinople Athénagoras se sont rencontrés, et trouvés, en 1965, à Jérusalem. J'avais dix ans et je me rappelle des photos de cette rencontre  dans Paris Match.









Olivier Clément, un théologien orthodoxe, aujourd'hui disparu ("qui a rejoint son éternité", comme dirait Jean-Yves Leloup) a décrit cette rencontre en des termes tellement beaux et tellement justes que je veux les partager:

"Regardons ... chacun de ces deux hommes. Le visage du pape est finement ciselé, rasé, délimité avec rigueur. Il est tissé de volonté, d'intelligence, d'une lucide conscience. Visage diurne, qui a rejeté la nuit, lutte contre elle - elle s'attarde pourtant dans la densité de la bouche -, et porte témoignage de la profondeur par l'extrême clarté des yeux. Cet homme se sait et se veut au service de Dieu. Mais il doit le savoir et le vouloir, et cela ne va pas sans combat.


Le visage du patriarche a quelque chose non pas d'indécis mais d'illimité, dont témoigne la barbe purifiée par la blancheur, les longs cheveux discrètement noués. Ce visage ne s'oppose, ni ne s'exalte, il rayonne. Le jour et la nuit s'y harmonisent. A la barbe lumineuse (qui fut très noire) correspondent les grands yeux nocturnes, pourtant secrètement illuminés. On devine que cet homme n'a pas à vouloir (ou plutôt à vouloir la volonté, comme le fait sans cesse l'Occident) - il lui suffit d'être. En lui le conscient et l'inconscient communiquent, l' "image" unifiante émerge, l'homme est visité de songes, spontanément proche des enfants, des bêtes, des plantes, de la vie immense et lente qu'il exprime dans l'adoration et qui le porte ...


Le pape symbolise l'intelligence et la volonté de l'Occident.


Le patriarche symbolise la sagesse ontologique de l'Orient.


Le second sent et, par là même, pense toujours par intégrations.


Le premier est le moi, vigilant, structuré, formé par une culture humaniste aux fortes disciplines; il se tend vers Dieu dans une tension pathétique qui fouette sa conscience et sa volonté.


Le second est le Soi, longtemps fluctuant et menacé d'ambivalence, mais qui, une fois "centré", permet à la lumière de Dieu de pénétrer les profondeurs de la vie, du cosmos. Non pas tendu vers Dieu, mais paisiblement saturé de sa présence ...


L'un ne peut aller sans l'autre".


J'ai plutôt été éduqué selon le modèle qu'incarne Paul VI, alors que mon être profond se retrouve dans ce qui est dit du patriarche Athénagoras. C'est clair: je suis plus oriental qu'occidental. Je le vérifie tous les jours.

Mais ce texte, qui me bouleverse, met aussi en perspective tant de choses qui n'ont rien à voir avec la religion, la foi ... Une manière d'être.

mardi 24 août 2010

Orthodoxies

Jean-Yves Leloup n'a pas seulement une belle gueule de "bon apôtre", comme aurait chanté Brassens, il est un homme au parcours atypique sur le plan humain et religieux.

Sa culture est immense et rien ne l'intéresse plus que d'aller voir dans le pré du voisin, pour voir si l'herbe y est aussi verte. Il en revient généralement avec des constats fort instructifs. Sa bibliographie est impressionnante et rien de ce qu'il écrit n'est anodin. Il est, pour moi, une des rares voix d'aujourd'hui qui donne du sens et une perspective au passé, au présent et à l'avenir.



J'aime l'homme pour son parcours. Il l'a raconté dans un fort beau livre L'absurde et la grâce (Albin Michel, 1991).


De lui, je lis, pour le moment, un ouvrage dont j'ai déjà parlé dans ce blog: Dictionnaire amoureux de Jérusalem (Plon, 2010).

Tout mérite d'être lu. Je retiendrai seulement deux passages, parce qu'ils m'ont rejoint ou ouvert les yeux.

Après Jésus, il n'y a pas eu un christianisme, mais plusieurs. Saint Paul, qui n'a jamais entendu Jésus de vive voix, qui a écrit des lettres à tout-va avant même que les évangiles soient écrits (ce qui explique pourquoi il ne les cite jamais) a créé une religion dont l'expression est aujourd'hui l'Eglise catholique romaine, qui n'existerait peut-être plus aujourd'hui si l'empereur romain Constantin n'en avait fait pour des raisons autres que religieuses une religion d'Etat. Les évangiles quant à eux, bien que plus tardifs, ne citent jamais l'apôtre Paul. Cela m'a toujours paru étrange.

Mais, il y a eu bien d'autres églises chrétiennes! Dans tout le Moyen-Orient et aussi en Egypte et on les appelle aujourd'hui: syriaques, chaldéennes, coptes ou éthiopiennes. Il en était une, à Jérusalem, autour de Jacques (le frère de Jésus). Jean-Yves Leloup les appelle les "judéo-chrétiens", c'était l'Eglise "des circoncis".  Leur liturgie chrétienne respectait le schéma juif (le shabat et la circoncision), mais voyait en Jésus le messie. Cette tradition judéo-chrétienne s'est maintenue jusqu'au IVème siècle, puis a été supplantée, à Jérusalem, par l'Eglise "pagano-chrétienne" de Paul. On en trouve aujourd'hui encore quelques traces chez les chrétiens éthiopiens.

Où se trouvent les disciples les plus authentiques de Jésus?

Des historiens très sérieux ont démontré l'influence significative des "judéo-chrétiens" sur le texte du Coran (celui-ci en effet est imprégné de nombreuses références et emprunts culturels et religieux). Il n'y a d'ailleurs pas un seul Coran. Le Coran des sunnites n'est pas exactement le même que celui des  chiites et ce moins pour des raisons religieuses que pour des raisons politiques ou! de conflits.

La thèse selon laquelle le Coran se rattacherait au judéo-christianisme est fort stimulante, mais ne reconnaît peut-être pas suffisamment l'apport original du Coran. Pour établir vraiment tous ces liens, il faudrait que les musulmans acceptent de considérer le Coran, non comme un texte révélé (ce qu'il n'est sans doute pas), mais comme un texte inspiré (et, à de nombreux égards, bien inspiré).

La mosquée dite du "Dôme du rocher" est un bâtiment étrange.






Il a été établi, par des historiens sérieux, qu'il était sans doute antérieur à la naissance de l'Islam, il reproduit d'ailleurs un schéma de construction octogonal, typiquement chrétien. On en trouve un exemple identique à Aix-La-Chapelle, à la Collégiale  Saint Jean ... de Liège ou encore à Bologne à San Stefano. Les sanctuaires musulmans n'utilisent généralement pas ce plan.









Mais, dans le sanctuaire du Dôme du rocher, les décorations, les citations, relèvent de l'Islam. Elles auraient donc été apposées sur un bâtiment existant. Bien entendu, les musulmans réfutent catégoriquement cette présentation. Ce ne serait pourtant pas la première fois qu'ils annexent un bâtiment chrétien: cela n'a-t-il pas été le cas de la basilique Sainte Sophie, à Istambul, devenue mosquée au XVème siècle ...

Selon certains chercheurs, qui fournissent des preuves solides, le sanctuaire du Dôme du Rocher aurait été construit par les judéo-chrétiens, fidèles à Jacques, comme pendant en quelque sorte au Saint Sépulchre, érigé par les pagano-chrétiens de Paul. Si cela est vrai, l'interdiction faite aux non musulmans d'accéder au Dôme du rocher est injustifiée et discriminatoire.

Avec Jean-Yves Leloup, je découvre aussi, un peu plus à chaque fois, la profondeur et la sagesse des chrétiens orthodoxes. Le christianisme oriental me paraît en effet, à maints égards, plus juste, plus vrai, que le catholicisme romain.

Un des plus beaux passages de son Dictionnaire amoureux de Jérusalem est celui qu'il consacre au monachisme et aux voeux monastiques: pauvreté, chasteté et obéissance. Il explique comment ces idéaux libérateurs, à l'origine, ont pu devenir réducteurs ou destructeurs.

Ce qu'il dit de la chasteté me paraît juste et beau et je vais le citer in extenso (p. 556 et 557):

"La chasteté comme condition d'un véritable amour qui ne traite pas l'autre corps et le sien propre comme une "viande" ou un "objet" dont on peut user comme bon nous semble, dans l'oubli du "visage", c'est-à-dire sans considération de la personne qui habite ce corps. Sans cette chasteté, c'est-à-dire sans ce respect, il y a peut-être décharge d'intensités pulsionnelles, il n'y a pas vraiment de plaisir humain. Là où elle a été accueillie, la chasteté a beaucoup fait pour l'humanisation de la relation ente l'homme et la  femme. Là où elle a été oubliée ou rejetée, on retombe dans les relations d'objets, de dépendance ou de soumission. La chasteté est  bien plus que la continence et n'a rien à voir avec le refoulement qui est une pathologie. Ce n'est pas non plus une sublimation de la libido, au sens freudien du terme, c'est le corps tout entier "envisagé", quand la convoitise au contraire, le dé-visage et l'objective ...".

Je sais que d'autres que moi ne seront pas du tout sensibles à ceci, mais j'aurais pu l'écrire.

A propos d'une famille "béni-oui-oui"

J'aime beaucoup J.P. Il a mon âge. Au lycée, nous étions fort proches. Nous étions un peu les deux poètes de la classe. Nous aimions Barbara, Leo Ferré, Jorge Donn et Béjart et surtout Jean Giono. Les autres avaient d'autres goûts que les nôtres.

Nos deux vies ont connu pas mal de lignes courbes, voire de zig-zag. Maintenant que nous sommes pères tous les deux, nous nous retrouvons avec plaisir de temps en temps.

Ce matin, à la terrasse du café Randaxhe évidemment, il me racontait que son frère était en phase terminale d'un cancer. Cela fait des années qu'il ne fréquente plus son frère, ni sa belle-soeur. Son frère était quelqu'un de très secret. Le couple qu'il forme avec son épouse est, me disait-il, un couple centré sur l'apparence: ils forment une famille normale, avec deux enfants vietnamiens adoptés aujourd'hui en pleine crise d'adolescence et de révolte; une famille exemplaire en apparence, où les noirceurs sont soigneusement camouflées derrière un discours et des comportements très "béni-oui-oui" et charitables; bref, des gens qui font le bien (du moins le pensent-ils), trouvant là une excuse ou un paravent.

Son frère est dans le déni de la mort qui l'attend, alors que son état empire. Son épouse a affiché, au dessus du lit d'hôpital de son mari, un grand coeur en crêpon rouge, avec la mention: "On t'aime". Et, la dernière fois, qu'il a rendu visite à son frère, des voisins entouraient le lit et lui caressaient les cheveux, jouant de la bossa-nova à la guitare. Bref, un comportement assez enfantin face à la mort. Se retrouvant seul, un instant avec sa soeur aînée et son beau-frère, ce dernier a dit à son épouse: "Tu ne mettras pas ça au dessus de mon lit, j'espère!".

Ce type de comportement n'est pas rare. J'en connais d'autres.

samedi 21 août 2010

La misère sexuelle , la tour de Babel et le café Randaxhe

Ceux qui ne les fréquentent qu'occasionnellement ne peuvent pas mesurer tout ce que l'on apprend en terrasse. La mienne, on le sait, est celle du café Randaxhe dans mon quartier d'Outremeuse.

M. m'y rejoint l'autre jour. Le sujet de la conversation n'est pas très drôle: nous parlions de la misère sexuelle. De toutes les misères, c'est peut-être la moindre. Comme tout ce qui fait la vie m'intéresse,  j'étais plutôt heureux de notre échange.

Notre conversation dévie sur la tour de Babel. Il est en train de concevoir un spectacle autour du texte "La tour de Babel" de Fernando Arrabal (1978). Je n'ai pas lu le texte d'Arrabal, mais j'évoque quelques aspects du mythe: l'homme qui cherche à être l'égal de Dieu (ou à tout le moins à se situer à son niveau); les cohortes de bâtisseurs, plus ou moins consentants, enrôlés dans l'aventure par quelques-uns; l'écroulement de la tour, symbole de la fragilité des entreprises humaines; les hommes qui ne se comprennent plus après l'écroulement de la tour (ils ne parlent plus la même langue, dit la Bible). Je souligne aussi que la tour de Babel s'est effondrée sur elle-même, pas sous une intervention externe, ceci pour écarter tout rapprochement avec les tours du World Trade Center, un certain jour. M. me dit que le texte d'Arrabal ne parle pas exactement de cela, mais que je viens de lui faire penser à certaines choses ...

Nous rejoint un autre théâtreux, un ami de M., que je ne connaissais pas. Il n'est pas que théâtreux, il est aussi le père de huit enfants (!), tous de lui et de la même mère, me précise-t-il. Je me dis que lui, au moins, il ne connaît pas la misère sexuelle.

Notre conversation porte alors sur des sujets fort intéressants pour le juriste. Tout le monde, le sait, les metteurs en scène n'hésitent pas à triturer le texte qu'ils ont choisi: oubli des didascalies, répliques que l'on "sucre", actualisation, réécriture pour donner plus de rythme. La mise en scène aboutit même parfois à donner à l'oeuvre un tout autre sens que celui que l'auteur donnait à l'origine. S'agissant d'oeuvre anciennes (c'est souvent le cas à l'opéra), les problèmes juridiques sont moindres, quand on pratique de la sorte: il n'y a plus guère d'enjeu patrimonial (je veux dire financier), mais peut-être un devoir moral? Quant au metteur en scène "relecteur", il ne fait pas de doute que son apport mérite d'être protégé, comme l'est le travail du traducteur, par exemple.

Je n'ai pas réponse à toutes ces questions, mais elles ne me paraissent pas anodines. Et bien souvent, je suis le seul juriste que ces interlocuteurs rencontrent.

vendredi 20 août 2010

A quoi servent les juristes?

"A quoi servent les juristes?"

Ce n'est pas moi qui pose la question. Mais elle m'est fréquemment posée par des non juristes. Et j'essaye d'y répondre.

J'essaye d'expliquer le plus simplement possible l'Etat de droit et l'idée que le droit est l'expression, dans une démocratie, du pacte social défini par le Parlement élu. J'explique que la Justice garantit que la loi sera appliquée à tous de la même façon avec mesure et proportionnalité. J'explique aussi que l'avocat est là pour défendre les droits de chacun, et d'accompagner le justiciable là où il n'a pas toujours conscience de tous ses droits. Ces droits sont essentiels: les droits de la défense, le droit à un procès équitable, la présomption d'innocence, le droit à un juge indépendant et à un jugement dans un délai raisonnable, le droit de se taire, le principe selon lequel chaque partie doit être entendue, par exemple. 

Le plus souvent, mon interlocuteur non juriste, après ces doctes propos, m'oppose quelque chose qu'il vient de lire dans la presse. Certes, la presse n'est que la presse, mais généralement, cela se corse!

Ce matin, alors que je prenais mon café du matin, mon voisin de table me prend à témoin: "Avez-vous lu ceci?". Il s'agissait d'un article de la Libre Belgique relatant que les avocats de BP, suite au désastre écologique et économique survenu dans le Golfe du Mexique, avaient établi une grille pour l'indemnisation des victimes (en fonction de la distance, de l'activité économique exercée, etc ...). Les victimes, si elles veulent prétendre à l'indemnité, doivent renoncer à tout recours contre BP. Il me demande ce que j'en pense.

J'ai pensé d'abord conseiller aux victimes de prendre un bon avocat avant d'accepter, mais en ont-elles les moyens? Sentant le sol un peu s'effondrer sous mes pieds, j'ai tenté de présenter les juristes sous leur meilleur jour: même chez nous, les juristes peuvent jouer un rôle de conciliation, par exemple entre deux époux qui ne s'entendent plus ou entre un employeur et un travailleur. Un bon accord ne vaut-il pas mieux qu'un mauvais procès? Je sentais néanmoins que je n'étais pas totalement sincère ou en tout cas pas pleinement en mesure de convaincre mon voisin de table.

C'est alors que j'ai lu moi-même un article et imaginé un dialogue tout à fait fictif et bien entendu caricatural. Appelons mes deux personnages: le juriste et l'interlocuteur.

L'interlocuteur venait de lire un article sur un sujet qui le concerne. Il a en effet signé, avec un promoteur immobilier, un contrat pour la construction d'une maison neuve dans un lotissement. Or, cet article lui révèle que cela pourrait bien lui coûter plus cher que prévu. Comment ne pas comprendre son inquiétude?

Petit cours de droit, sous forme de dialogue, pour lui expliquer.

Le juriste: "Vous avez acheté un "pack" chez votre promoteur: un terrain avec une maison à construire dessus, dont vous avez choisi le modèle "sur catalogue". Normalement, quand on devient propriétaire d'un terrain, on devient aussi propriétaire de tout ce qui est construit dessus. Les juristes appellent cela le droit d'accession. 

L'interlocuteur: "Ah bon, je ne savais pas, mais c'est bien cela que je voulais".

Le juriste: "Seulement voilà, le droit fiscal belge est plus compliqué que cela. Voyez-vous, le législateur, celui qui définit le pacte social, a décidé qu'une distinction devait être faite entre le terrain et votre maison."

L'interlocuteur: "Pourquoi donc?"


Le juriste: "D'après les règles européennes, les constructions neuves doivent être soumises à la T.V.A. au taux de 21 % (en Belgique). Comprenez-moi, on ne pouvait pas faire autrement. Je sais, cela ne vous arrange pas vraiment, mais cela arrange le promoteur qui peut déduire les T.V.A. en amont sur votre construction".


L'interlocuteur: "Je commence déjà à être un peu dépassé".

Le juriste: "Je vous comprends, mais vous n'avez pas encore tout vu. Dans le fond, la Belgique est bien brave. Elle a décidé (d'autres Etats aussi) que le terrain n'est pas une construction neuve! Et donc que, sur le terrain, vous ne deviez payer que les droits d'enregistrement. Evidemment, la Belgique étant ce qu'elle est, vous ne payez pas la même chose selon que le terrain se situe en Flandre ou ailleurs ("ailleurs" désignant ici tout ce qui n'est pas la Flandre, soit un conglomérat disparate). En effet, vous auriez dû payer, en Flandre, sur le terrain 10 %; 12,5 % ailleurs. Vous suivez? C'est quand même mieux que 21 %!"


Mon interlocuteur: "Oui. J'essaye de suivre. Heureusement que vous êtes juriste!".


Le juriste: "Seulement voilà, la Cour européenne de Justice à Luxembourg a taclé l'Allemagne! Des avocats ont plaidé devant la Cour - c'est tellement excitant de plaider, vous ne pouvez pas savoir - et, après des mois, la Cour a rendu son arrêt "Breitshol". Ne me dites pas que vous n'avez jamais entendu parler de l'arrêt "Breitshol"?


L'interlocuteur: "A vrai dire, non. Mais je ne doute pas un seul instant que je vais en entendre parler".


Le juriste: "Et bien, la T.V.A. doit aussi s'appliquer au terrain sur lequel votre promoteur construit votre maison! N'est-ce pas formidable?".


L'interlocuteur: "Concrètement, ça veut dire quoi pour moi?"


Le juriste: "Ce n'est pas parce que la Cour prononce un arrêt à propos de l'Allemagne que tout va changer tout à coup pour vous. Il est vrai, la Région Wallonne a fait de l'excès de zèle en décidant de ne plus percevoir les droits d'enregistrement sur le terrain dans votre cas, suite à cet arrêt. Mais le ministre fédéral des Finances ne semble pas trop pressé ... Pourquoi d'ailleurs? J'ai entendu courir des bruits: les promoteurs immobiliers ne sont pas contents du tout! Peut-être a-t-il cherché à temporiser pour leur faire plaisir?


L'interlocuteur: "Pourquoi ne sont-ils pas contents?".


Le juriste: "Mais enfin, vous ne comprenez rien à rien!".

L'interlocuteur: "Non, je ne suis pas juriste, moi"

Le juriste: "C'est pourtant simple! Votre "pack: maison + terrain" va coûter plus cher! Alors, c'est de l'économie appliquée: ou bien ils vous feront payer plus, ou bien ils réduiront leur marge bénéficiaire, mais je doute beaucoup de la deuxième branche de l'alternative".


L'interlocuteur: "Mais, moi j'ai négocié un prêt à la banque ... et ce ne sera peut-être pas suffisant maintenant! Et, je ne peux pas payer plus! C'est une catastrophe!"


Le juriste: "Une catastrophe! Comme vous y allez! Vous oubliez que des juristes sont à votre service.
D'abord, le ministre fédéral - vous savez, celui qui voulait ménager les promoteurs immobiliers - a situé au 1er janvier 2011 l'entrée en vigueur de la mesure. D'ici là, on peut toujours imaginer quelque chose. Le plus grand pouvoir des juristes est leur imagination. On pourrait imaginer bien sûr des facturations anticipées avant le 31 décembre 2010. Mais j'ai mieux que cela: nous allons dissocier le terrain et la maison! Il suffit que votre promoteur crée deux sociétés différentes: une qui est propriétaire du terrain et renonce au droit d'accession et l'autre qui n'est propriétaire que du bâtiment! Comme ça, vous ne faites plus l'acquisition d'une maison sur un terrain, mais d'un terrain sans maison et d'une maison sans terrain! N'est-ce pas extraordinaire?


L'interlocuteur: "Tout cela est-il bien légal?"


Le juriste: "Je m'étonne de votre question. Bien sûr que c'est légal!".


L'interlocuteur: "Vous êtes en train de m'expliquer qu'on peut légalement échapper à la loi?"

Le juriste: "C'est à cela que servent aussi les juristes".


L'interlocuteur: "Mais le pacte social? Le rôle de la loi au regard de laquelle chacun est égal, d'après la Constitution?"

Le juriste: "... vous dites?".

L'interlocuteur: "Et pour échapper légalement à la loi, cela coûte beaucoup d'argent?".

Le juriste: "...".


L'interlocuteur: "Si je comprends bien votre silence, vous me laissez entendre que pour ne pas payer à l'Etat, je vais devoir vous payer vous ... Je me demande si je ne vais pas aller consulter un autre avocat pour me faire une opinion sur tout ceci". 





Les deux curés

Ils appartiennent l'un et l'autre à une famille connue, en Belgique, dans le milieu de la musique. Ils sont tous les deux curés.

Un des deux curés, je le croise de temps en temps, dans mon extraordinaire quartier: juché sur son vélo, la barrette sur la tête et la soutane au vent. Après avoir dit la messe en latin selon Saint Pie V à l'église du Saint Sacrement, au boulevard d'Avroy,  il rejoint l'ancienne chapelle de l'hôpital de Bavière, près de chez moi, pour une deuxième messe identique. Je ne connais pas personnellement l'abbé S., mais il m'est sympathique. Malgré un âge, qui doit commencer à devenir respectable, il roule à vélo comme un jeune homme. On raconte, mais je ne sais pas si c'est vrai, qu'il n'hésitait pas à rejoindre à pied, à travers bois, Eupen à Banneux, pour y dire une messe. Pour cela, il faut se lever tôt et être capable de marcher 30 km (aller, mais aussi retour)! Aujourd'hui, chapelain de Banneux, lieu d'apparitions mariales et de pélerinages, il est "bi-ritualiste", avec quand même une nette préférence pour le rite ancien, celui qu'on appelle "tridentain", par référence au concile de Trente.

L'abbé S. a un frère, qui s'appelle aussi l'abbé S. ... allez savoir pourquoi. Pour les différencier, appelons-les S1 et S2.

S2 est plus sédentaire que S1. Il s'est installé dans un petit village dans cette partie de la Belgique qui est germanophone. Un village, une centaine d'habitants, deux églises et deux curés! Le curé diocésain et le curé traditionnaliste. Car, S2 est plus radical que son frère; je veux dire que, lui, n'est pas bi-ritualiste du tout. Quand monsieur le curé diocésain croise monsieur le curé traditionnaliste, et vice-versa, chacun dit à l'autre: "Bonjour, monsieur le curé!". Monsieur le curé diocésain doit sans doute gérer aujourd'hui une dizaine de paroisses. Monsieur le curé traditionnaliste a la charge de 30 âmes, mais le week-end, son église se remplit de chrétiens venant d'un peu partout.



Contrairement aux apparences, que l'on sait trompeuses, la diocésaine est la première et la traditionnaliste la seconde.

Le village s'appelle Steffeshausen. Il se situe dans une région superbe. Je ne saurais trop vous inviter à y aller un jour. Au départ de Steffeshausen, vous avez accès à une route de crêtes où le panorama est exceptionnel. Avec une église et son clocher à bulbe, au fond de la vallée. Au bout de cette route, la forêt vous ouvre les bras.

Un jour, j'ai reçu un appel téléphonique de la télévision belge me sollicitant comme expert (moi? expert? en quoi?). Le fisc belge s'interrogeait sur l'origine des fonds ayant permis à S2 de construire une chapelle à Steffeshausen. Le brave abbé expliquait que tout cela était le produit des quêtes dominicales et de dons venant de sympathisants. Le fisc était moyennement convaincu. Il est vrai, l'abbé enseignait la foi à ses fidèles et il ne devait pas connaître beaucoup de sceptiques demandant à être convaincus. La presse s'était naturellement emparée de l'affaire, avec la délicatesse qui la caractérise parfois: taxer l'abbé sur les dons reçus, n'était-ce pas instaurer (ou restaurer) une forme de "denier du culte" ou un "impôt sur les biens de l'Eglise"? Mon Dieu, que la presse peut-être bête. Quand je suis convoqué comme expert, c'est toujours à propos d'affaires de ce genre!

Récemment encore, un journaliste m'a appelé, parce qu'il voulait faire un article sur les frais, un peu exceptionnels, déductibles fiscalement. L'objectif était le suivant: certains ont le droit de déduire des choses que, vous, vous ne pourrez jamais déduire (cotisation à un Rotary Club, cotisation à un club de sport, frais exposés à l'occasion d'un mariage, cotisation à un club de golf, achat d'une voiture de luxe). J'ai décliné l'invitation, mais l'article a paru. Un autre expert a dû accepter, lui.

jeudi 19 août 2010

Ma deuxième bible

J'aime les mots, le jeu avec les mots, les jeux de mots.
J'aime ceux qui piègent la vacuité des mots.
J'aime ceux qui donnent un poids aux mots.

C'est ainsi que j'ai une deuxième bible (juste à côté de l'autre, dite La Bible).

Mes deux bibles ont un point commun: elles parlent des hommes, de leur histoire, de leur nature, de leurs passions, de leurs haines, de leurs élévations.

Ma deuxième bible, comme l'autre, j'aime m'y plonger de temps en temps et y trouver une inspiration, un souffle ... et souvent une raison de sourire.

Je ne sais si Dieu a révélé son texte à l'auteur de ma deuxième bible, mais je ne suis pas loin de le croire.

Je vous invite à ranger, dans votre bibliothèque, à la meilleure place, juste à côté de la grande Bible, l'ouvrage suivant: Claude Gagnière, Pour tout l'or des mots - Au bonheur des mots et merveilles,  Laffont, coll. Bouquins, dernière édition 1996).


mercredi 18 août 2010

Rythme(s)

Tout a commencé comme ceci.

J'ai parlé, il y a quelques jours, de Frédéric de et à Marseille. Puisque nous nous inspirons mutuellement, je lui ai envoyé un texte, après avoir lu les siens et entendu la musique qu'il compose. Ma contribution est fort modeste, d'autant que mon texte est en anglais. Il doit s'agir d'un exercice maladroit de collégien (dans la forme en tout cas). Sur le fond, j'ai essayé de dire des choses profondes avec trois fois rien. Je n'ai jamais cessé de faire cela comme enseignant.

Frédéric m'a annoncé ce matin qu'il avait mis mon texte en musique. Il a choisi un rythme de valse (lente, je suppose, mon texte n'appelant pas une valse viennoise à grand spectacle).

Parlant de rythmes à trois temps, m'est revenue en mémoire la dernière diffusion que j'ai vue, il y a peu, de La boîte à musique, la passionnante et jubilatoire émission de Jean-François Zygel (sur  France 2, en fin de soirée). Notre ami est non seulement un excellent musicien, mais un pédagogue exceptionnel. Dans ces émissions, on apprend beaucoup de choses, on s'amuse, on éprouve du plaisir, on entend des musiciens de talent et on en sort plus léger.

http://programmes.france2.fr/la-boite-a-musique/index.php?page=article&numsite=4010&id_article=11807&id_rubrique=4013

Une séquence de l'émission concernait "les siciliennes", une danse traditionnelle au départ, un rythme qui a été exploité par de très nombreux compositeurs. La démonstration fut époustouflante. Je vais essayer de la reproduire uniquement avec des mots écrits, sans savoir si j'y arriverai.

Le tempo de valse est fait de trois temps d'égale valeur: un temps fort et deux temps faibles, ce qui donne à peu près ceci: "POUM tata tata", à répéter. Cela doit vous rappeler quelque chose, si vous avez plus de 40 ans. A 20 ans aujourd'hui, on préfère, en boîte ou lors d'une city parade: "POUM POUM POUM à l'infini" et jusqu'à explosion, les moins de 30 ans doivent s'y reconnaître. Entre 30 ans et 40 ans, ils cherchent à se situer ...

La sicilienne est plus subtile. Bien qu'en trois temps aussi, comme la valse, elle ne donne pas aux trois temps la même durée. Au lieu de 1 + 1 + 1, on a 1,5 + 0,5 + 1! Génial! Notre pédagogue nous démontre alors au piano le propos: il transforme la Marseillaise en sicilienne!

Un des bons moments de l'émission était celui où il faisait chanter le public sur le mot AMSTERDAM. On expérimente alors que Amsterdam se décline de deux manières: AM-STER-DAM ou AM...-STER-DAM. Roselyne Bachelot, qui était l'une des invités, en "roselynait" de plaisir.

Mon propos n'étant pas celui d'un musicologue, j'invite mes amis à fournir les meilleures illustrations sonores de mon propos.

mardi 17 août 2010

Autant pour les femmes que pour les hommes

Cet été, j'ai été subjugué; pas seulement une fois, mais plusieurs. J'eusse aimé que cela se produisît sur une plage ensoleillée; cela n'a pas été le cas, mais j'ai été subjugué quand même. Je vais parler, vous devez vous y attendre, de beaux jeunes hommes.

La pluie de ce mois d'août aidant, j'ai décidé de m'octroyer quelques séances de rattrapage cinématographique avec des films très bons et bons, mais qui n'atteindront pas le statut de chef d'oeuvre. Je préfère dans le fond.

Le premier est un film de Gaël Morel devenu réalisateur (mon premier souvenir de lui est, comme acteur, dans les "Roseaux sauvages" d'André Téchiné, un film lumineux de 1994), que j'ai vraiment beaucoup aimé.





Depuis toujours, Gaël Morel m'intéresse. J'ai déjà parlé de lui, dans ce blog, à propos d'un livre: New wave, co-écrit avec Ariel Kenig (Flammarion, 2007): une démarche singulière puisqu'il s'agit d'un scénario devenu roman, alors que l'inverse se produit le plus souvent.

Le film que j'ai regardé s'intitule Le clan, il est sorti en 2003.



Trois frères sont successivement évoqués, dans ce film, aussi dissemblables que possible, mais réunis dans le fond par la mort, un peu avant, de leur mère. C'est un film dur avant d'être tendre, mais la tendresse n'en est pas absente.

Je me dois d'être franc, j'ai choisi de regarder ce film, avant même d'en connaître le contenu, à cause de Gaël Morel, mais aussi en raison d'un des acteurs, qui depuis longtemps me subjugue (je vous avais prévenu). Il s'agit de Salim Kechiouche.

Salim Kechiouche, je l'avais aperçu dans un film de François Ozon ("Les amants criminels" - 1998 ), et  puis, dans un autre film de Robert Salis ("Grande école" - 2003).


Les réalisateurs ont beaucoup (un peu trop) utilisé Salim Kechiouche dans le rôle du gentil arabe gay. Il a prouvé, au théâtre notamment, qu'il pouvait être cela, mais n'était pas que cela. Mais il me subjugue, alors que voulez-vous ...



Ce film fut aussi l'occasion d'une découverte. Je ne connaissais pas du tout Nicolas Cazalé. Il est un des trois frères. Il est écorché vif et révolté et vit tout cela à l'excès, ce qui m'a touché bien entendu. Pour ce film, il est passé par une métamorphose physique qui le rend encore plus beau.  Pendant tout le film, je n'avais d'yeux que pour lui, car il me touchait plus que les autres ... et il me subjuguait.




J'ai hâte de le découvrir notamment dans Le grand voyage (Ismaël Ferroukhi - 2004) et dans Mensch (Steve Suissa - 2009),  juste pour être subjugué.

Bien entendu, mes goûts sont mes goûts et je ne sais pas ce qu'en pensent mes lectrices féminines.

Vous allez me dire qu'ils se ressemblent un peu ... et alors?

Comme vous, j'ai été aussi subjugué cet été par d'autres beaux gosses.

Choisissons-en deux.

Bart de Wever.


Camille Lacourt.






J'ai essayé de trouver une photo de BDW en maillot de bain, en vain. Il faudra bien vous contenter par conséquent de Camille Lacourt. Quant à moi, vous pouvez toujours courir.

lundi 16 août 2010

AccroZen

Il s'appelle Frédéric. Il habite à Marseille. Il a 30 ans. J'ai reçu de lui ce matin un CD. Pas n'importe quel CD: un CD de lui et, qui plus est, "home made".

Les réseaux sociaux et les sites de rencontres ont ceci de bon: ils nous permettent de rencontrer des gens très intéressants en dehors de notre cercle habituel de relations.

J'écoute son CD, en ce moment.

Ce qui me frappe d'abord: c'est que sa musique me fait du bien, elle m'apaise. Elle repose principalement sur la guitare, qu'il joue avec talent. Il s'agit d'une musique répétitive. Je le dis pour rattacher mon ami à d'autres qui ont exploré et exploité ce procédé. Nous sommes généralement intéressés, nous occidentaux, par la musique qui comporte un début et une fin: la musique qui raconte une histoire et/ou des émotions. Mais, la musique - et c'est là tout son génie - ne comporte parfois ni début, ni fin. Elle vous emporte alors dans une autre dimension. Un univers sans début, ni fin. Un parcours mystique, voire extatique. Cette musique-là existe dans tous les pays et dans toutes les traditions culturelles. Du chant grégorien aux musiques qui accompagnent les soufis, par exemple.

Il ne faudrait pas que mon ami attrape "le gros cou", mais il se situe bien dans cette mouvance. D'ailleurs, n'intitule-t-il pas son CD "The voice of the soul"?

Mon ami écrit aussi. Des textes en anglais, des paroles de chanson. Des poèmes. J'ai inspiré ses derniers textes. J'ai essayé de faire aussi bien que lui en lui envoyant un texte de mon cru. Ces textes, pour le moment, resteront entre nous.

dimanche 15 août 2010

Le touareg

Ma tante Anne, dont la vie a été moins conventionnelle et plus palpitante que la mienne, au moins pendant un temps, a vécu à Tamanrasset, en Algérie, c'est-à-dire au plus profond de l'Algérie, dans un territoire qui ne connaît pas les frontières et qui est la terre des "hommes bleus".

Son mari, dans les années 60, en ramenait des photos et des reportages, qui me fascinaient, sur le Hoggar. Ils étaient projetés à "Exploration du monde". J'étais encore un enfant, j'avais 8 ans. Ma tante, elle, vivait avec les femmes, leur parlait de ce qui intéresse les femmes, leur faisait découvrir des petites choses, mais, à cette époque et en ce lieu, les petites choses pour nous étaient parfois des choses très importantes pour elles. Et surtout, ces femmes apportaient aussi à ma tante des tas de choses qu'elle avait fini par ne plus trouver chez nous.

Elle parlait d'un peuple qui était pauvre, mais avec noblesse. Je ne comprenais pas tout vu mon âge, mais je n'étais pas insensible aux photos que je voyais. Ces photos sublimes ont disparu des archives familiales: ma mère aime faire le tri et trie toujours selon sa conception à elle, sans consultation préalable. Il s'appelait Jean Sudriez (si mes souvenirs sont bons). J'ai cherché sur internet, mais n'ai rien trouvé de probant. Si, bien sûr, on peut trouver des photos de touaregs et du Hoggar, mais elles ne sont pas du mari de ma tante (je devrais dire mon oncle).



Si vous allez sur Google et que vous tapez: "Touareg photo", vous obtiendrez des photos de bagnoles. Triste monde. Il faut taper : "Homme bleu" pour saisir un peu de ce dont je vous parlais.



Un jour, j'ai dîné avec un touareg. Il ne portait pas de turban et il avait une rolex. Il était, au Niger, ministre des collectivités locales. Il était tombé amoureux d'une touriste belge qui était tombée en amour elle aussi; sans quoi, je ne l'aurais sans doute jamais rencontré.

Il m'a expliqué des choses fort intéressantes:
- il a d'abord insisté pour me dire qu'il n'était pas un arabe, mais un berbère (kirghiz). Les berbères ont une langue et étaient les premiers habitants de toute l'Afrique du nord, avant que les arabes ne les envahissent. Cela reste aujourd'hui un sujet délicat;
- il m'a parlé de la langue berbère et nous nous sommes amusés à traduire quelques mots et à les exprimer dans l'écriture;
- il m'a raconté qu'il était ministre trois mois par an et que, le reste du temps, il retrouvait sa tribu, son clan, les troupeaux, la route du sel;
- il m'a dit qu'il a été un chef de guerre parce qu'il croit en une nation des touaregs ... une nation avec un territoire, mais sans frontières;
- nous parlions de l'impôt et il me parlait d'une économie encore largement basée sur le troc;
- nous parlions de l'impôt et je lui expliquais la dualité que les belges ne connaissent que trop: le droit du sol ou le droit des gens.

Il avait promis de m'inviter. Je n'ai plus jamais entendu parler de lui.

La pluie, le pékèt et les brésiliens

Envers et contre tout, et malgré une pluie ne laissant aucun répit, la procession de la "Vierge noire" a eu lieu, dans mon quartier, et les groupes folkloriques ont défilé. Pour la procession et la messe en wallon, il y avait autant de monde, si pas plus, que d'habitude. Dans mon quartier au-delà de la Meuse (Outremeuse), les fêtes du 15 août sont un événement drainant, bon an mal an, 200.000 personnes du 13 (un vendredi, cette année!) au 16.

La tradition, le folklore, la religion, l'envie de la fête ne font qu'un. On y boit beaucoup, on y prie un tout petit peu quoique. Je suis passé par l'église paroissiale de mon quartier, l'église Saint-Nicolas, qui ne manque pas de grandeur et j'ai pu observer de nombreuses familles, avec des petits enfants, vraisemblablement d'origine italienne, venant fleurir abondamment la madonne. Le pauvre bon Dieu, en sa chapelle du Saint Sacrement, devait se sentir un peu seul, mais on sait qu'il se réjouit de peu et n'est pas envieux.

Cette année,  bien sûr, la pluie n'était pas du côté de ceux qui investissent beaucoup pour cet événement (bénévoles ou commerçants). Mais les courageux qui défilaient, leurs beaux costumes ou leur instrument de musique dégoulinants, méritaient bien l'assentiment d'un public aussi trempé qu'eux. "Tout cela est quand même fort populaire", m'a dit, un jour, un homme de Dieu, aujourd'hui marié.

A deux ou trois reprises, je me suis investi et j'ai servi bières et pékèts de 21h00 jusqu'à la fermeture ... principalement à une cohorte de jeunes gens que je trouvais fort sympathiques et qui avait l'air de me trouver sympathique aussi. Cette année, je n'aurai été que consommateur et observateur.

Lors des fêtes du 15 août, dans mon quartier, on boit, on boit beaucoup de pékèt. Le pékèt est un genièvre léger un peu aromatisé. Le genièvre est commun à un certain nombre de contrées: on boit du genièvre aux Pays-Bas, à Hasselt, à Sint Truiden (Saint Trond) et à Liège.  Les hutois et les namurois ont cherché à annexer cette boisson, qui est festive mais n'est pas vraiment la leur. On ne boit pas de genièvre à Bruxelles, ni à Tournai. Les nouvelles frontières de la Belgique devraient être définies, non en fonction de la langue, mais de l'usage de boire, ou non, du genièvre. Du pékèt, on en trouve aujourd'hui aromatisé de toutes les  façons: à la violette, à la noix de coco, au cuberdon! Les commerçants, comme toujours, ont exploité un filon et l'ont totalement dénaturé.

Je viens de parler de "cuberdon", le mot ne veut sans doute pas dire grand chose à un certain nombre de mes lecteurs. Le "cuberdon" est une friandise très sucrée (trop à mon goût) de forme cônique au coeur tendre et à la peau résistante juste ce qu'il faut. Elle a, à l'origine, un peu un goût de grenadine. Les commerçants, une fois de plus, étant passés par là, il y a aujourd'hui des cuberdons à tout et à n'importe quoi. Bien que le mot "cuberdon" ne signifie pas du tout cela, il peut parfaitement s'adapter à la description d'un amant, que l'on a rencontré ou que l'on aimerait rencontrer.

Trempé jusqu'aux os, le capuchon sur la tête, le jeans dégoûlinant, je me suis dit: cherchons un peu de soleil. J'ai ainsi trouvé une échoppe qui m'indiquait clairement que là je serai un peu au Brésil. J'y ai bu un cahipirinha et j'ai engagé la conversation. Ils étaient trois: une fille et deux garçons. Ils étaient vraiment brésiliens et, de plus, très sympathiques. Je leur ai parlé de mes deux fils. Ils ont un projet de bar/resto brésilien à cet endroit. Si leur projet prend corps, je serai parmi leurs premiers clients. J'ai proposé à mon fils B. de me rejoindre ce soir pour prendre un verre chez eux et manger quelque chose dans le coin: il m'a répondu qu'il n'avait pas envie de sortir parce qu'il pleuvait trop. Mon fils me désespère.

Les joies de la convivialité simple et les narcisses

Eux, je les rencontre, tous les matins. Ils ont grosso modo dix ans de plus que moi. Comme moi, ils prennent leur café matutinal à la terrasse du café Randaxhe. Elle était enseignante (français-religion), dans une école catholique, lui, ingénieur. C'est lui qui a permis à mon fils S. de faire un stage en entreprise, lors de sa formation. Ils lisent beaucoup, tout comme moi. Nous nous échangeons des livres, nous en parlons, nous nous faisons découvrir certaines choses. Nous évoquons souvent aussi des souvenirs de voyages ou d'études (les nôtres ou celles de nos enfants). C'est toujours chaleureux, bienveillant, intéressant, stimulant et drôle. Quand nous parlons de nous, c'est toujours parce que cela peut intéresser l'autre. Et chacun de nous, dans nos conversations, s'intéresse à l'autre.

Lui, je l'avais invité à dîner, vendredi dernier. Il est charmant, cultivé. Je l'avais rencontré, il y a quelques années, lors d'une soirée imprévue chez le cousin d'un ami. Il ne fait pas son âge. A l'issue de cette soirée, j'avais cru discerner en moi un petit "pincement de coeur". Ayant eu l'audace de le lui exprimer, dans une lettre, il m'a confié qu'il aimait plutôt l'exotisme. Je le comprends. Il est vrai en outre qu'entre anciens élèves des bons pères jésuites, l'exotisme fait un peu défaut. Cela ne nous a pas empêchés de nous revoir de temps en temps pour un repas ou une excursion.  Vendredi, ce fut une soirée fort agréable, suffisamment complice pour ne pas parler que de généralités. Ici encore, chacun s'intéressait à l'autre. Et l'humour n'était pas absent.

J'évoque ces deux petits aspects de ma vie (j'aurais pu en évoquer d'autres) parce qu'ils illustrent pour moi la convivialité, telle que j'aime la vivre. Et je ne compte pas ici avec les petits gestes tout simples de la vie quotidienne: quelques mots à un voisin croisé dans l'ascenseur, une conversation avec son coiffeur, son libraire, son boucher ou avec la caissière de son supermarché, un "bonjour, bon travail" au balayeur de rues croisé tous les jours.

Des moments, qui devraient être aussi de purs moments de convivialité, finissent par ne plus l'être, lorsque, par exemple, l'un ou l'autre convive occupe tout le terrain, en ne parlant que de lui. Vous avez tous connu cela, j'imagine. Et vu qu'on rit (parfois faussement) de ce qu'il raconte (surtout s'il raconte bien), on l'engage à poursuivre. Il en va de même, quand, dans une assemblée, vous avez deux compères qui pratiquent le "private joke" et estiment que ce qui les fait rire eux doit nécessairement faire rire les autres ou, pire, rient entre eux sans que les autres comprennent. Enfin, il y a, pour moi, une forme de convivialité qui finit souvent par me lasser, c'est la convivialité "langue de vipère", qui consiste dans une certaine communion à se moquer de quelqu'un qui n'est pas là ... Je l'avoue, j'aime ça un peu, mais juste un peu.

Un mot cependant, écrivant ce texte, me hante: le "narcissisme". Certains de mes amis parlent souvent de narcissisme à propos de l'une ou l'autre connaissance communes ou de collègues. Beaucoup de choses s'expliqueraient par leur narcissisme et ils ne disent pas nécessairement (et même généralement pas) cela pour en dire du bien. Il est vrai, on ne parle bien que de ce que l'on connaît. J'aime beaucoup les narcisses, beaucoup moins les narcissiques.