Sa culture est immense et rien ne l'intéresse plus que d'aller voir dans le pré du voisin, pour voir si l'herbe y est aussi verte. Il en revient généralement avec des constats fort instructifs. Sa bibliographie est impressionnante et rien de ce qu'il écrit n'est anodin. Il est, pour moi, une des rares voix d'aujourd'hui qui donne du sens et une perspective au passé, au présent et à l'avenir.
J'aime l'homme pour son parcours. Il l'a raconté dans un fort beau livre L'absurde et la grâce (Albin Michel, 1991).
De lui, je lis, pour le moment, un ouvrage dont j'ai déjà parlé dans ce blog: Dictionnaire amoureux de Jérusalem (Plon, 2010).
Tout mérite d'être lu. Je retiendrai seulement deux passages, parce qu'ils m'ont rejoint ou ouvert les yeux.
Après Jésus, il n'y a pas eu un christianisme, mais plusieurs. Saint Paul, qui n'a jamais entendu Jésus de vive voix, qui a écrit des lettres à tout-va avant même que les évangiles soient écrits (ce qui explique pourquoi il ne les cite jamais) a créé une religion dont l'expression est aujourd'hui l'Eglise catholique romaine, qui n'existerait peut-être plus aujourd'hui si l'empereur romain Constantin n'en avait fait pour des raisons autres que religieuses une religion d'Etat. Les évangiles quant à eux, bien que plus tardifs, ne citent jamais l'apôtre Paul. Cela m'a toujours paru étrange.
Mais, il y a eu bien d'autres églises chrétiennes! Dans tout le Moyen-Orient et aussi en Egypte et on les appelle aujourd'hui: syriaques, chaldéennes, coptes ou éthiopiennes. Il en était une, à Jérusalem, autour de Jacques (le frère de Jésus). Jean-Yves Leloup les appelle les "judéo-chrétiens", c'était l'Eglise "des circoncis". Leur liturgie chrétienne respectait le schéma juif (le shabat et la circoncision), mais voyait en Jésus le messie. Cette tradition judéo-chrétienne s'est maintenue jusqu'au IVème siècle, puis a été supplantée, à Jérusalem, par l'Eglise "pagano-chrétienne" de Paul. On en trouve aujourd'hui encore quelques traces chez les chrétiens éthiopiens.
Où se trouvent les disciples les plus authentiques de Jésus?
Des historiens très sérieux ont démontré l'influence significative des "judéo-chrétiens" sur le texte du Coran (celui-ci en effet est imprégné de nombreuses références et emprunts culturels et religieux). Il n'y a d'ailleurs pas un seul Coran. Le Coran des sunnites n'est pas exactement le même que celui des chiites et ce moins pour des raisons religieuses que pour des raisons politiques ou! de conflits.
La thèse selon laquelle le Coran se rattacherait au judéo-christianisme est fort stimulante, mais ne reconnaît peut-être pas suffisamment l'apport original du Coran. Pour établir vraiment tous ces liens, il faudrait que les musulmans acceptent de considérer le Coran, non comme un texte révélé (ce qu'il n'est sans doute pas), mais comme un texte inspiré (et, à de nombreux égards, bien inspiré).
La mosquée dite du "Dôme du rocher" est un bâtiment étrange.
Il a été établi, par des historiens sérieux, qu'il était sans doute antérieur à la naissance de l'Islam, il reproduit d'ailleurs un schéma de construction octogonal, typiquement chrétien. On en trouve un exemple identique à Aix-La-Chapelle, à la Collégiale Saint Jean ... de Liège ou encore à Bologne à San Stefano. Les sanctuaires musulmans n'utilisent généralement pas ce plan.
Mais, dans le sanctuaire du Dôme du rocher, les décorations, les citations, relèvent de l'Islam. Elles auraient donc été apposées sur un bâtiment existant. Bien entendu, les musulmans réfutent catégoriquement cette présentation. Ce ne serait pourtant pas la première fois qu'ils annexent un bâtiment chrétien: cela n'a-t-il pas été le cas de la basilique Sainte Sophie, à Istambul, devenue mosquée au XVème siècle ...
Selon certains chercheurs, qui fournissent des preuves solides, le sanctuaire du Dôme du Rocher aurait été construit par les judéo-chrétiens, fidèles à Jacques, comme pendant en quelque sorte au Saint Sépulchre, érigé par les pagano-chrétiens de Paul. Si cela est vrai, l'interdiction faite aux non musulmans d'accéder au Dôme du rocher est injustifiée et discriminatoire.
Avec Jean-Yves Leloup, je découvre aussi, un peu plus à chaque fois, la profondeur et la sagesse des chrétiens orthodoxes. Le christianisme oriental me paraît en effet, à maints égards, plus juste, plus vrai, que le catholicisme romain.
Un des plus beaux passages de son Dictionnaire amoureux de Jérusalem est celui qu'il consacre au monachisme et aux voeux monastiques: pauvreté, chasteté et obéissance. Il explique comment ces idéaux libérateurs, à l'origine, ont pu devenir réducteurs ou destructeurs.
Ce qu'il dit de la chasteté me paraît juste et beau et je vais le citer in extenso (p. 556 et 557):
"La chasteté comme condition d'un véritable amour qui ne traite pas l'autre corps et le sien propre comme une "viande" ou un "objet" dont on peut user comme bon nous semble, dans l'oubli du "visage", c'est-à-dire sans considération de la personne qui habite ce corps. Sans cette chasteté, c'est-à-dire sans ce respect, il y a peut-être décharge d'intensités pulsionnelles, il n'y a pas vraiment de plaisir humain. Là où elle a été accueillie, la chasteté a beaucoup fait pour l'humanisation de la relation ente l'homme et la femme. Là où elle a été oubliée ou rejetée, on retombe dans les relations d'objets, de dépendance ou de soumission. La chasteté est bien plus que la continence et n'a rien à voir avec le refoulement qui est une pathologie. Ce n'est pas non plus une sublimation de la libido, au sens freudien du terme, c'est le corps tout entier "envisagé", quand la convoitise au contraire, le dé-visage et l'objective ...".
Je sais que d'autres que moi ne seront pas du tout sensibles à ceci, mais j'aurais pu l'écrire.
Jean-Yves Leloup est un grand "charmeur"...
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