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mardi 10 août 2010

Le procès-verbal et la polémique

Tout a commencé comme ceci: un pro justitia à mon nom comme propriétaire de la voiture:
"Le 2 août 2010, à 10 h 30, alors que nous circulons sur notre bande de circulation, le conducteur du véhicule dont question ... fait usage de l'avertisseur sonore durant 3 secondes en continu sans raison valable. La circulation au moment des faits ne présentait aucun danger ne justifiant donc pas l'usage de son avertisseur sonore".

Ce jour-là, je n'étais pas le conducteur; le conducteur était mon fils Ben. Dès réception, je l'ai interrogé. Il m'a répondu: "j'étais avec ma copine; on a aperçu sa grand-mère sur le trottoir, j'ai klaxonné pour lui faire signe bonjour".


Depuis, mon fils est un délinquant. Ceci constitue une infraction au premier degré au Code de la route.

Jugeant tout ceci fort dérisoire, je me suis laissé aller à faire certaines réflexions sur facebook:

- je me demandais comment le policier avait pu mesurer à 3 secondes le coup de klaxon de mon fils. Avait-il un chronomètre? Celui-ci était-il homologué (on demande bien une homologation pour les radars contre les dépassements de vitesse)? Les choses auraient-elles tourné autrement si le coup de klaxon avait duré deux secondes? Ou trois secondes mais avec de courtes pauses ("tût-tût-tût, plutôt que "tûûût");
- je m'interrogeais sur l'opportunité de l'intervention des forces de l'ordre en l'espèce, compte tenu que des choses bien plus graves ne sont pas sanctionnées par elles. A vrai dire, pour ce genre d'infraction, c'est essentiellement une question de chance ou de malchance. D'autres klaxonneurs, au même moment, n'auront pas été sanctionnés et, s'il était passé 5 minutes plus tard, il n'aurait pas croisé les pandores (ni peut-être la grand-mère). Le grand Peter Ustinov aurait dit "Tout le monde fait des bêtises, le fin du fin est de le faire sans être vu";
- je relevais que les policiers liégeois ne sont pas toujours très regardants quant à l'utilisation de leurs sirènes hurlantes; elles ne hurlent pas toujours seulement quand c'est nécessaire: être au volant d'un véhicule rapide, avec des gyrophares et des sirènes acoustiquement agressives, doit donner un certain sentiment de puissance: cela ressemble tellement aux séries américaines;
- je soulignais à quel point l'usage du klaxon pouvait varier d'un pays à l'autre, pour tenter de relativiser les choses avec légèreté.

J'ai reçu des réactions assez agressives qui m'ont étonné et encore plus fait réfléchir.

En gros, je me suis entendu dire ceci:
- la loi est la loi, toute infraction mérite d'être sanctionnée; ce n'est pas parce que la  faute est vénielle qu'elle ne doit pas donner lieu à sanction;
- en défendant en quelque sorte mon fils, par mes propos, je lui apprendrais "qu'il n'a que des droits et pas de devoirs";
- si ton fils aime klaxonner, il n'a qu'à s'installer au Maroc. Le klaxon ne sert pas à dire bonjour.

Je dois avouer avoir été choqué et blessé par ces réactions, surtout la deuxième et la troisième.

Je ne parlerai que de la première.

Bien entendu, la loi est la loi et on peut même l'appliquer de manière aveugle et sourde parce que c'est la loi. Cela ne doit pas empêcher d'être critique.

Quel va être l'impact sur mon fils de la stricte application de la loi? Quelles ont été ses réactions?

Première réaction: il ne voit pas ce qu'il a fait de mal. Je plaide coupable (et je demande à payer l'amende à sa place): j'aurais dû lui apprendre qu'on ne klaxonne pas pour dire bonjour! C'est fondamental dans l'éducation d'un jeune. Il reste difficile pour moi de lui expliquer qu'on devient un délinquant en disant bonjour à la grand-mère de sa copine, en donnant un coup de klaxon.

Deuxième réaction: il y a plein d'autres qui le font et on ne leur met pas un P.V. Comment lui expliquer que l'application des dispositions pénales toujours plus nombreuses de notre système juridique est très aléatoire et n'est pas souvent loin de l'arbitraire, mais que c'est la loi! Allez faire admettre l'arbitraire à un jeune! Ou plus simplement que "c'est comme ça, parce que c'est comme ça". Il vous répondra que "ce n'est pas juste", et il a raison. Comment lui expliquer de manière convaincante le principe constitutionnel selon lequel chaque citoyen est égal devant la loi? Il n'est pas juriste et il ne comprend pas. Peut-être n'est-il pas assez subtil pour être juriste?

Troisième réaction: ces flics sont des salauds, s'ils n'ont rien d'autre à faire que de me foutre un P.V. pour ça, je les hais et je les méprise.

Je m'interroge dès lors sur l'efficacité de la mesure pénale en question et de son application. Ne fait-elle pas plus de mal que de bien? Un avertissement expliquant un peu les choses n'aurait-il pas été plus adapté?

Bien au-delà de cela, je me pose des questions plus fondamentales pour lesquelles je demande les lumières de mon collègue et ami, Nicolas.

J'écrivais récemment que le respect n'est pas un dû, mais qu'il se mérite. Comment celui qui trouve la loi injuste à son égard peut-il la considérer avec respect? Sans doute est-il impossible de faire une loi juste aux yeux de tous. Le pouvoir judiciaire (la "Justice") peut, dans un certaine mesure, arrondir les angles. Pourtant, est-il  raisonnable d'espérer un respect de la loi (et de ceux qui la représentent) si la loi apparaît comme une ennemie?

Je me suis autorisé une illustration à propos des lois d'impôts, celles que je connais le mieux. Répondez-moi sincèrement: s'agit-il pour vous de lois amies ou ennemies? On peut rêver d'un système fiscal où chacun paierait juste ce qu'il doit avec le sentiment de contribuer ainsi librement aux charges de la collectivité, mais c'est un rêve. Dès qu'il en a un peu les moyens, le contribuable s'informe sur les possibilités d'échapper à l'impôt. On explique, dans tout enseignement de droit fiscal, la différence entre la fraude fiscale (illégale et donnant lieu à des sanctions administratives et pénales) et l'évasion fiscale (légale et sans sanction). Je me suis toujours senti mal à l'aise face à cette distinction. Il existe donc un moyen d'échapper à la loi en toute légalité! Essayer de se soustraire à l'obligation de contribuer aux charges communes me paraît immoral et antidémocratique, vu que les lois d'impôt sont votées par le Parlement élu et censé être représentatif de tous. Je ne vois pas en quoi il est plus acceptable de le faire "légalement".  Maintenant que la formation universitaire relève de plus en plus de l'école professionnelle, on intitule dorénavant les cours comme suit "Planification internationale" ou "Planification patrimoniale". On y apprend comment échapper légalement à la loi! Qu'est encore la loi quand elle se mort ainsi elle-même la queue? Certains diront encore que "je crache dans la soupe", celle des juristes  bien entendu.

Allez faire comprendre, après cela, à mon fils que son coup de klaxon est passible d'une amende!

1 commentaire:

  1. J'ai vu cet échange sur facebook, il faut préciser que la plupart des commentaires étaient d'une grande pauvreté intellectuelle et contenaient de nombreuses contre-vérités sur le système judiciaire français.

    On vit une bien triste époque, le conservatisme et la judiciarisation à outrance ont durablement pollués les esprits.

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