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samedi 28 avril 2012

Du bon usage des présomptions

Petit cours de droit élémentaire. La notion de présomption relève du droit de la preuve (au même titre que l'aveu, l'écrit, le témoignage, par exemple ... à ces vieux modes de preuve du droit civil, le droit pénal s'est ouvert, non sans réticences parfois, à d'autres modes de preuve plus modernes, plus scientifiques ; une place est ainsi faite aujourd'hui aux empreintes ADN, aux clichés pris par une caméra de surveillance, aux écoutes téléphoniques ...).

Mais revenons aux fondamentaux. Il existe deux types de présomptions : les présomptions légales et les présomptions (dites) de l'homme.

Lorsque la loi présume, c'est toujours pour dispenser de la nécessité de prouver une partie intéressée à une cause, le plus souvent l'Etat, en ses multiples incarnations. On distingue alors les présomptions juris et de jure et les présomptions juris tantum. Les premières n'admettent aucune preuve contraire, il faut s'y soumettre. C'est la vérité institutionnalisée, je n'irais pas jusqu'à parler de dogme, mais des similitudes existent. Les dogmes de l'Eglise catholique sont aussi des affirmations qui n'admettent pas la preuve contraire. Si la présomption légale est juris tantum, il est permis de s'y opposer en apportant la preuve du contraire, avec tous les moyens de preuve admis par le droit.

Bien plus subtiles sont les présomptions de l'homme. Elles consistent à confier à un homme, le juge, le soin de démêler un écheveau de faits et/ou de déclarations parfois contradictoires et de se forger une idée de la situation. On n'est pas ici dans le registre de la preuve exacte, mais de la preuve a priori inexacte, qui fera foi. On comprend la prudence des rédacteurs du Code civil, les présomptions de l'homme doivent être "graves, précises et concordantes". La Cour de cassation est chargée de vérifier cette exigence, c'est-à-dire de garantir la rigueur du raisonnement (la récolte et l'appréciation des faits étant laissées aux juges du fond). Ainsi, par exemple, les faits et déclarations servant de base au raisonnement doivent être établis et légalement établis (une perquisition illégale, par exemple, ne pourrait fonder le raisonnement). C'est dans ce contexte que s'est aussi imposé l'adage " Présomption sur présomption ne vaut ". Soulignons ici la frontière subtile avec l'intime conviction. Jusqu'il y a peu, les jurys d'assise, qui font fonction de juge, n'avaient pas à motiver leur décision, en Belgique. Il leur suffisait de fonder celle-ci sur leur intime conviction. Depuis qu'ils doivent, avec l'aide des juges professionnels, motiver celle-ci, une grande incertitude règne et les pourvois en cassation se multiplient. Et dire que Nicolas Sarkozy a, un jour, mis sur la table un projet visant à soumettre à un jury populaire un grand nombre de faits relevant des tribunaux correctionnels. Sans doute souhaitait-il soumettre à l'intime conviction du peuple les affaires qui suscitent l'émotion. Du goudron et des plumes avec l'aval du forgeron ! Alors que ces affaires au contraire appellent la plus grande sérénité et la plus grande indépendance.

Ajoutons encore une règle fondamentale du droit de la preuve : on peut prouver, plus ou moins exactement, quelque chose qui existe ; mais personne, à ce jour, n'a jamais pu prouver quelque chose qui n'existe pas.

Certaines présomptions, jadis sacrées, sont aujourd'hui de plus en plus  menacées : je pense particulièrement à la présomption d'innocence. On a vu à quel point les media, et la justice américaine, ont réussi à transformer, lors de l'affaire DSK, la présomption d'innocence en présomption de culpabilité. Le plus étonnant est d'avoir entendu toujours le même Nicolas Sarkozy, prétendument avocat, parler de "présumé coupable" !

En matière fiscale, où il convient de traquer le fraudeur, une évolution comparable se met en place. Le Parlement belge étudie actuellement un projet de loi, dont un article traite des "abus fiscaux". Cela fait trente ans au moins que l'on parle de cela, jonglant avec des notions comme la sincérité, la simulation, la motivation économique "légitime" des opérations. Bref, il s'agit toujours de traquer celui qui pourrait tirer profit de la législation fiscale contre sa finalité.

Que l'on exige de celui qui attend un avantage (une "niche", comme on dit aujourd'hui), de prouver qu'il remplit toutes les conditions pour en bénéficier, me paraît tout à fait normal. C'est le moins qu'on puisse attendre de lui. Cependant, à force de ne plus formuler de conditions, des avantages sont devenus pour certains comme des " droits automatiquement acquis ". Je pense particulièrement ici au régime des intérêts notionnels. Il faut répondre à plus de conditions pour mériter et conserver une allocation de chômeur ou de demandeur d'emploi que pour avoir droit aux intérêts notionnels !

Mais il reste tous les autres cas.

Une nouvelle mesure est donc aujourd'hui à l'étude au Parlement belge. L'administration fiscale (sous le contrôle du juge, heureusement ... lequel risque encore d'avoir un peu plus de travail) pourra dorénavant dire à tout contribuable : vous avez réalisé telle opération, elle ne me paraît pas correspondre " à la finalité de la loi fiscale ", veuillez établir par toutes voies de droit que vous n'avez pas cherché à contourner celle-ci !

Autrement dit, comme j'ai un doute sur vous, je vous présume fraudeur, à vous de prouver que vous ne l'êtes pas ! Preuve d'un fait négatif ! La situation est grave, car il ne s'agira pas de prouver qu'on a agi en toute légalité, ni même de bonne foi, il faudra prouver ne pas avoir agi dans un but fiscal. Quant à la finalité de la loi fiscale, qui la définira ? Les travaux parlementaires sur les projets fiscaux du gouvernement, le plus souvent votés dans l'urgence, sont généralement d'une grande indigence. Ce pouvoir va-t-il être confié à l'administration fiscale, au mépris de toute les règles de séparation des pouvoirs ?

Je ne cautionne certainement pas la fraude fiscale, ni même l'évasion fiscale, censée plus légale, car il y a des devoirs auxquels il est inconvenant de se soustraire, quels que soient les moyens pour y parvenir. Ce qui m'inquiète c'est le renversement des rôles : ce n'est plus au fisc à prouver que le contribuable doit des impôts, mais au contribuable à prouver qu'il n'en doit pas. Ce renversement des rôles sera-t-il appliqué à tous, avec la même rigueur ?

La même tendance se vérifie au niveau de l'application des lois sociales. Charles Michel, singeant Nicolas Sarkozy, a affirmé dans une interview toute récente qu'il fallait mettre fin à l'assistanat et revaloriser le travail. N'est-il pas anormal que celui qui cherche un emploi gagne plus que celui qui travaille au SMIC, affirme-t-on (à vérifier). Cela est d'une évidence incontestable. Le remède : augmenter l'écart entre l'allocation d'attente ou de chômage et le salaire minimum. Mais comment ? En réduisant l'allocation sociale ou en augmentant le SMIC ? Ces joyeux politiques ont bien entendu fait leur choix: il ne faudrait quand même pas augmenter les charges, déjà tellement lourdes, qui pèsent sur les entreprises !

Puis-je me permettre une question : en quoi cette géniale idée crée-t-elle de l'emploi ? Si on veut de l'emploi, il faut une activité économique. Les demandeurs d'emploi ne demandent qu'à avoir de l'emploi, mais on ne leur en offre pas. Et quand les gouvernements de droite saupoudrent d'aides diverses les entreprises, ce qui est contradictoire avec une politique libérale, ils ne subordonnent même pas celles-ci à la création d'emplois (cfr. les funestes intérêts notionnels, en Belgique).

Revenons aux présomptions. Certains politiques n'hésitent pas à frapper les demandeurs d'emploi d'une présomption de fraude sociale, d'assistanat ... à eux de faire la preuve du contraire !  Etonnant quand même cette propension à faire peser la charge de la preuve sur ceux qui n'en peuvent rien ! On aimerait la même rigueur à l'égard d'autres sujets ...





Ma main dans les siennes

Aujourd'hui, nos mains se sont touchées. La sienne calleuse, ridée, noire comme sa peau. La mienne d'avantage préservée, blanche, une main d'intello. Lequel de nous deux a-t-il le plus vécu ? Je veux dire expérimenté la vie dans ses joies, mais plus encore ses tourments ? Nous devons avoir plus ou moins le même âge.

Nous nous connaissons, sans nous connaître. Cela fait plus de dix ans que je le croise dans le quartier ou ailleurs en ville. En été, il dort sur un banc ou sous un porche. En hiver, il fait comme il peut, il loge dans des abris de nuit ou ailleurs. Jamais, je ne l'ai vu se plaindre. Jamais, je ne l'ai vu mendier. Il dit à ceux qui passent : "Bonjour, mon frère". Je lui réponds (mes fils aussi ) : "Bonjour, mon frère", parfois je prends un peu de ses nouvelles et lui donne de quoi boire un café ou s'acheter un sandwich. Je ne sais rien de sa vie. Je ne connais même pas son nom.

Il a changé. Par le passé, je le voyais souvent saoûl couché dans les endroits les plus improbables.  Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Il semble s'être libéré de ce fléau. Comment ?

Ce samedi, des spectacles de rue étaient organisés un peu partout dans la ville. Boulevard Saucy, près de chez moi, chantait Coka. Un guinéen, assez génial, qui chante souvent le dimanche sur le marché de La Batte. Il a un instrument surprenant mi-percussion, mi-intrument à corde. Quand je suis arrivé, il chantait une chanson qui expliquait, avec humour, pourquoi les femmes d'ici portent parfois des pantalons alors que celles de son pays portent des boubous.

J'ai alors retrouvé "mon frère", qui écoutait aussi. Il m'a dit venir de Guinée aussi , mais pas la même. Il y a en effet la Guinée Bissau et la Guinée Conakry.

Je lui ai tendu la main, il a pris ma main dans les siennes et m'a regardé avec ses yeux tristes.

Et cela a suscité en moi une émotion immense, indescriptible ... comme un choc.



vendredi 27 avril 2012

L'Esprit n'aurait-il pas le droit de souffler où il veut ?


La question que je pose aujourd'hui fait suite à une chronique d'Eric de Beukelaer et plus précisément à certains commentaires qu'elle a suscités sur Facebook. Cette chronique s'intitule : Loyauté et devoir d'impertinence, un très beau titre (La Libre Belgique, 24 avril 2012). 


Ce texte bien troussé n'appelle pas d'objection de ma part, je le trouve pertinent.

Eric de Beukelaer est, aujourd'hui doyen à Liège, et, chuchote-t-on, successeur pressenti d'Aloÿs Jousten, l'actuel évêque de Liège, après avoir exercé bien d'autres fonctions, notamment celle de porte-parole des évêques de Belgique. Vous ne pouvez pas ne pas l'avoir entendu, un jour, à la télé, l'allure juvénile et le col romain assumé.

Pour un certain nombre de chrétiens, que je respecte, Eric de Beukelaer semble être l'homme idéal pour maintenir l'Eglise au milieu du village. Monsieur l'abbé est ouvert au dialogue avec les laïcs, les juifs, les homos, par exemple, mais toujours pour rappeler sobrement la voix du magistère. Plus consensuel, et moins provocateur, qu'André-Mutien Léonard, son message passe mieux. Ce rôle consistant à maintenir l'Eglise au milieu du village me pose toutefois question.

Traditionnellement et géographiquement, c'est vrai, l'église se trouve presque toujours au milieu du village. Mais l'Eglise doit-elle faire de même ? Pas à mes yeux. Ce qui rend encore l'Eglise un peu crédible aujourd'hui c'est tout ce qui se passe dans les périphéries les plus lointaines de Rome, et de moins en moins ce qui se passe et se dit à Rome. Ce qui rend encore le message de Jésus vivant aujourd'hui, ce sont des communautés de croyants qui pratiquent les vertus de l'évangile, avec audace, avec indépendance d'esprit, avec conviction, selon les données et les circonstances qui leur sont propres. Je n'entends pas la voix de Jésus, qui parlait simplement et par paraboles, dans les discours théologiques de Benoît XVI, même s'ils sont d'un très haut niveau. Jésus ne parlait pas en théologien. Je n'entends pas la voix de Jésus chez ces chrétiens qui ont besoin de dogmes, de certitudes, de choses à croire, de règles à respecter et de rappels à l'ordre. C'est exactement ce que Jésus dénonçait chez les pharisiens. Je n'entends pas la voix de Jésus quand l'Eglise se mêle de dicter la morale à respecter, particulièrement dans les domaines qui relèvent de la vie privée. Jamais, Jésus ne s'est octroyé le droit que les vieillards du Vatican, et leurs relais, se sont arrogé de dire ce qui est moralement acceptable ou pas. Chaque fois que Jésus a été confronté à la vie privée des personnes qu'il a rencontrées (la Samaritaine, la femme adultère, Marie la femme de mauvaise vie qui a répandu du parfum sur ses pieds ...), jamais il n'a condamné, et surtout jamais il ne s'est arrêté sur ce détail. Il a accueilli, relevé, ouvert une porte vers la vie. Je suis enfin intimement convaincu que Jésus serait aujourd'hui plus à l'aise avec la théologie de la libération qu'avec les discours du Vatican.

J'entends déjà l'objection : et que faites-vous de ces centaines de milliers de jeunes qui acclament le Pape, lors des Journées mondiales de la Jeunesse ? Je répondrai humblement que ces manifestations de masse représentent pour moi le pire de l'Eglise. Je ne l'affirme pas d'autorité, mais pour avoir observé Jésus dans les évangiles. Jésus, lui-même, n'aimait pas quand les foules se rassemblaient autour de lui dans l'attente de quelque chose. Il fuyait le plus souvent ou il subissait le fait. Il a parlé à des foules, c'est vrai. Mais il n'a jamais guéri des foules. L'essentiel du message de Jésus, sur le plan relationnel, s'est toujours concentré sur le "one-to-one", toi et moi. Et, si je voulais être un peu provocant, je dirais que d'autres que le Pape ont réussi à rassembler de grandes masses autour d'eux plus souvent pour le pire que pour le meilleur d'ailleurs. Non décidément, je ne puis me définir comme chrétien par le sentiment d'appartenir à une masse, quel que soit le sentiment que l'on puisse éprouver lors de tels rassemblements.

Un admirateur d'Eric de Beukelaer a commenté sa chronique dans les termes suivants : "Heureusement qu'il y avait votre excellent billet à côté d'un article désespérant comme tous ceux que la Libre (?) se croit obligée de publier en confortant sans cesse les frustrations d'un petit nombre de malades qui ne supportent pas la radicalité évangélique, toute d'intelligence et de douceur, avec laquelle l'esprit exceptionnel de notre Pape actuel mène l'Eglise ".


Par respect pour cet intervenant, je préfère ne pas citer son nom, que tout utilisateur de Facebook pourra cependant retrouver.

A l'entendre, il y aurait deux catégories de chrétiens : ceux qui trouvent le Pape génial, exceptionnel, utile et nécessaire ... et tous les autres (un tout petit nombre, selon lui) qui seraient des frustrés et des malades ne supportant pas la radicalité évangélique, mais inondant les média de leurs propos subversifs (Christian Laporte, journaliste à la Libre Belgique étant le premier visé). Rien moins que cela ... mais heureusement, pour ce cher commentateur, Eric de Beukelaer est là pour maintenir l'Eglise au milieu du village !

Ce monsieur, tout empreint de la radicalité évangélique, intelligente et douce, dont il se réclame, n'hésite pas à traiter certains de ses frères dans la foi de malades et de frustrés. Un autre du même bord que lui parle, dans le même fil de discussion, de gauchistes et de communistes. D'autres évoquent le magistère, ceux à qui les clés ont été confiées !

De quel droit, ces tristes sires décident-ils que ceux qui pensent autrement qu'eux sont des malades et des frustrés. La réponse qui m'a été adressée par ce commentateur est remarquable : " je ne vise pas les personnes, mais les idées véhiculées ". On croirait entendre Mgr Léonard.

Je regrette qu'Eric de Beukelaer ne remette pas à leur place de tels soutiens. La crédibilité de son blog y gagnerait.

A ces frères chrétiens que je sens tellement lointains, je voudrais rappeler que l'Esprit soufflera toujours là où il veut et pas nécessairement là où ils le veulent, quoi qu'ils fassent et quoiqu'ils disent.





















jeudi 26 avril 2012

Romeo et Juliette

Moi qui ne suis vraiment pas assidu à la télévision, j'ai vu récemment un reportage rafraîchissant, et qui m'a fait beaucoup de bien.

Un groupe de lycéens de 16 à 18 ans a été suivi, pendant trois mois, à propos d'une expérience exceptionnelle : jouer, un seul soir, au prestigieux Théâtre de l'Odéon à Paris, Romeo et Juliette de W. Shakespeare. Comme souvent, dans le théâtre de Shakespeare, il fallait des comédiens, des musiciens/chanteurs et des danseurs.

http://www.programme-tv.net/news/tv/30630-romeo-et-juliette-version-moderne-france-2-video/

Aucun des participants à cette aventure n'avait jamais vécu cette expérience humaine exceptionnelle qui consiste à former, pour un temps, une troupe en vue de donner ensemble un spectacle.

Chacun est venu avec ce qu'il avait et ce qu'il était, certains avec un certain bagage, d'autres aucun. Comme souvent, ce sont les musiciens qui ont le plus d'expérience, ils travaillent leur instrument depuis plusieurs années déjà, mais restent souvent un peu appliqués. Les autres, les comédiens, les danseurs, n'ont parfois aucune expérience du tout.

Un trio d'adultes, que j'ai trouvé exceptionnels, encadrait ce projet né dans un lycée : le metteur en scène, le responsable de la musique, la chorégraphe. Exceptionnels pour amener ces jeunes à aller au-delà d'eux-mêmes. Bien entendu, ce n'était pas parfait. Bien entendu, on a déjà entendu meilleur Romeo et meilleure Juliette. Il faut toujours des esprits chagrins pour le déplorer, dans les commentaires à propos de cette émission, passant à côté de tout.

J'ai regardé ce reportage avec beaucoup d'émotion, ayant, pendant une bonne dizaine d'années, suscité, encouragé, soutenu un projet similaire avec des étudiants de ma Faculté, participé aussi comme comédien, puisque, chez nous, la troupe était faite d'étudiants, d'assistants et de professeurs volontaires.

J'ai vu, au cours de ce reportage, des jeunes éclore, des voix s'ouvrir, des tempéraments se révéler. Je me suis rappelé ces moments où le feu sacré n'était plus là, où les petits ego prenaient le pas sur le projet collectif, où la concentration était absente, où les amourettes des coulisses entraient en conflit avec l'amour à jouer sur scène.

Les propos et la pédagogie du metteur en scène du reportage ressemblaient, comme deux gouttes d'eau, à ceux de mes amis Michel D. et Marco P., nos deux metteurs en scène successifs. Moi, je jouais un rôle plus discret, dans les coulisses, pour encourager, pour appeler à la concentration, pour faire taire les bavardages.

Il fallait alors faire comprendre à ces jeunes, et moins jeunes, des choses comme celles-ci :

- si ton personnage dans la pièce est ridicule, ce n'est pas toi qui es ridicule ! Fonce ! Si le public rit, ce ne sera pas de toi, mais de ton personnage. N'ai-je pas joué, plus qu'à mon tour, les maris cocus et les puissants de pacotille ?
- la pièce ne commence pas quand tu entres sur scène et elle ne finit pas quand tu sors de scène : elle commence avant et elle se continue après : le temps d'entrer dans ton personnage et de le quitter, cela demande du temps ;
- quand, au cours du spectacle, tu sors de scène, définitivement ou pour y revenir, le spectacle continue, tu restes ton personnage, ce n'est pas le moment de papoter avec l'un ou avec l'autre de tout et de rien, ton personnage vit encore, a encore une vie pendant qu'on ne te voit pas, imagine-là pour habiter ton personnage encore mieux ;
- il n'y a rien de ridicule à formaliser, avant l'entrée en scène, dans une espèce de rituel, la cohésion de la troupe ; ce sont ceux qui le refusent qui finalement se montrent ridicules.

De cette aventure partagée avec des étudiants et des collègues, je garde peut-être les plus beaux souvenirs de ma carrière universitaire.

Bien entendu, j'ai aussi joué un rôle de comédien comme professeur. J'ai toujours tenté d'y concilier savoir et humour. Bref, je n'ai jamais été docte.

Dans le reportage que j'ai vu, il y avait aussi la jeunesse des intervenants. Ils avaient l'âge de Romeo et de Juliette. Il ne pouvait s'agir, les concernant, de rôles de composition. Cela était d'autant plus exigeant.
J'imagine fort bien le trouble des deux jeunes acteurs au moment de s'embrasser.

Je l'imagine d'autant mieux que mon mariage a trouvé peut-être son premier fondement dans un spectacle de fête scoute, où, avec Anne, nous étions Marie et Joseph ... sur la chanson de Georges Moustaki (Mon vieux Joseph). Nostalgie !

De quoi dépend une vie parfois  ...




Le journal de Julien Green

Je relis quelques extraits du journal de Julien Green (1993-1996) (Fayard, 1996), ceux qui m'avaient frappé, là où j'avais indiqué au fil de ma lecture une trace de mon intérêt : un trait, le coin supérieur de la page plié, des points dans la marge ( d'interrogation, d'exclamation ou de suspension ).

Ce que l'on appelait " tenir un journal ", intime ou, dans le cas de Julien Green, public, s'appelle aujourd'hui " tenir un blog ". Nihil novi sub sole. Sauf qu'il est beaucoup plus commode aujourd'hui de rendre son journal public.

Voici quelques passages pour aujourd'hui : 

" Voici la vérité sur moi-même ; j'étais fait pour l'amour. Point. La sexualité chez moi n'a jamais pu envahir l'amour. Il s'agit de deux réalités sans rapport. La frénésie sexuelle que j'ai connue, dont j'ai eu ma part, n'a jamais pu se faire passer pour l'amour. Faire l'amour est une expression qui à mes yeux ne signifie rien. L'amour naît en nous, mais il ne se fabrique pas. On peut  tomber amoureux d'un visage, parce que dans le visage se lit et se raconte l'amour, la grande histoire de l'amour que beaucoup ne connaissent pas. L'appareil sexuel n'a à nous offrir que la sensation. Faire raconter à la sensation ce qui dépasse tout est une façon de se jouer la comédie à soi-même. Et cependant, Roméo mêle son amour et sa jouissance quand Juliette est entre ses bras. Mais c'est l'un qui fait naître l'autre. Et la mystique a peut-être son mot à dire. Dieu a créé une sensation qui demeure à décrire vraiment ".

" Les verbes au mode réfléchi livrent tout le secret, par exemple, " je m'ennuie " peut tourner à l'enfer. Il faut que je tue moi. La meilleure soutien est de noyer le moi dans les eaux de l'Evangile. La tragédie de ce monde, c'est que la plupart des hommes ne prennent pas Dieu au sérieux ".

" Plus on lit les Evangiles, plus dans le visage humain du Christ transparaît la personne divine, comme plus on contemple le ciel la nuit, plus on y découvre d'étoiles ".

" De Gaulle prenait deux heures pour faire sa toilette. Il exigeait la tranquillité absolue. Il a dit un jour : " Devant mon miroir, je suis avec les deux hommes en qui j'ai confiance ".

" Une anecdote sur Léon XIII et sa sévérité toute papale. Un évêque italien souffre de son diocèse et veut en changer. Le pape voyage en voiture dans son domaine romain. L'évêque malheureux le sait et se met sur son passage avec des gestes de supplication. La voiture s'arrête. L'évêque fait sa demande et l'agrémente de la parole du Seigneur au jardin des Oliviers  : Ecartez de moi cette coupe ...
- Très bien fait, le pape. Achevez la citation.
- Pourtant que votre volonté soit faite, non la mienne.
- Cocher, vite au trot ! "

" L'image tue l'imagination ".

mardi 24 avril 2012

Cannabis

A partir du 1er mai 2012, les célèbres coffee-shops néerlandais ne pourront plus vendre leur marchandise qu'aux résidents néerlandais et ce sur tout le territoire des Pays-Bas.

Cette décision du Gouvernement néerlandais suscite de nombreuses questions.

Sur le plan juridique, on peut évidemment s'interroger sur l'existence d'une possible discrimination. Un peu comme si on ne pouvait vendre le fromage de Herve qu'aux résidents de Herve et pas aux autres, même pas à ceux de Warsage ! La mesure est subtile : elle évacue toute discrimination basée sur la nationalité (ce qui serait, dans le libre marché européen, inacceptable : un citoyen d'un autre Etat membre ne peut pas être traité moins favorablement qu'un national), elle se fonde sur la résidence. Cela veut dire qu'un citoyen français, résidant à Maastricht, pourra acheter sa "beu", mais qu'un citoyen français, résidant à Liège, ne pourra plus s'approvisionner à Maastricht. Il y a en effet une différence entre la nationalité et la résidence. Que dire des nombreux citoyens belges, résidant en Belgique, qui franchissent régulièrement la frontière pour s'approvisionner ?

Les raisons profondes de cette décision n'ont pas été exposées. Je vais donc imaginer.

Faut-il voir là une mesure de santé publique ? C'est invraisemblable. On imagine mal les autorités néerlandaises vouloir protéger des méfaits de la drogue les non-résidents de leur Etat et pas les leurs.

Faut-il voir là une mesure de sécurité publique ? Une inquiétude face à une invasion de plus en plus massive d'une catégorie particulière de touristes étrangers d'un jour, ou de quelques instants, d'un genre un peu particulier. On sait que certains n'aiment pas trop être envahis par les étrangers. Et puis, cela provoque tellement de tapage, sans compter les embarras de circulation, les places de parking occupées par des non résidents.

Faut-il voir là le souci de préserver une certaine image ? J'imagine que les édiles de Maastricht préfèrent voir la prospérité de leur ville reposer sur le commerce (qui à Maastricht est aussi de luxe) et sur des événements internationaux, voire mondiaux, prestigieux, plutôt que de voir leur ville présentée comme la ville où on vient acheter sa dose hebdomadaire de cannabis.

Ceci dit, la vente de cannabis aux Pays-Bas, représente une activité économique prospère, bien dans l'esprit de l'Europe sans frontières ; elle va se voir lourdement pénalisée dans les zones frontalières.

Faut-il voir là un pied-de-nez ? La vente et la culture du cannabis est illégale en Belgique, mais la consommation personnelle y est dépénalisée. Les néerlandais ne disent-ils pas aux belges qu'il faut en finir avec l'hypocrisie ? Ils le disent en précisant qu'il faudra dorénavant faire la preuve, chez eux, de son état de résident pour acquérir un bien en vente libre, lequel va être réservé à ceux qui ont la bonne carte de résidence !

La décision des autorités néerlandaises aura nécessairement pour effet, en Belgique, le développement de trafics parallèles et illégaux, car le nombre de consommateurs en nos frontières ne va évidemment pas diminuer, on peut aussi imaginer le développement d'une culture du cannabis à domicile ou à  plus grande échelle. Merci pour le cadeau empoisonné, chers amis néerlandais ! D'autant qu'on ne voit pas qui en tirera profit, sauf des réseaux que l'on peut aisément imaginer plus ou moins mafieux.

Mobiliser des forces de police et des douaniers constitue-t-il la réponse la plus adéquate ?

Bref, loin de prôner la consommation du cannabis, je ne parviens pas à comprendre la décision des autorités néerlandaises, ni, pour le moment, celle des autorités belges.

Je constate par ailleurs, mais ceci n'a rien à voir avec cela, que je n'ai jamais croisé dans les rues de Maastricht aucun toxicomane, ni aucun mendiant, tandis qu'à Liège ... Si la vente libre de cannabis  à ses résidents autorise un tel résultat, prenons alors au plus vite une décision communale dans ce sens !

Entre autres sources :

http://www.new-rules.eu/nouvellesr

http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-coffee-shops-neerlandais-ferment-leurs-portent-aux-etrangers_1106827.html

















lundi 23 avril 2012

Premier tour des élections françaises

Je n'ai aucune compétence pour commenter les résultats du premier tour des élections présidentielles en France.

Voici néanmoins quelques réflexions.

Il est impossible de se faire une quelconque idée du paysage politique de la France, d'une part, à cause des abstentionnistes, d'autre part, à cause de la mécanique du scrutin majoritaire, qui conduit à prôner un vote "utile", plutôt qu'un vote d'adhésion. Commenter le résultat d'une élection française revient toujours à parler d'un état virtuel de la société française.

Compte tenu de ces réserves, que révèlent les résultats du premier tour de l'élection présidentielle ?

Le candidat/président sortant, hyper-président et omni-compétent, a gouverné la France, pendant cinq ans, en représentant à peine 31,38 % de l'électorat votant, au premier tour de 2007 (le seul chiffre qui compte, parce qu'il mesure son poids réel). Il ne représente plus aujourd'hui que 28,2 %, c'est dire s'il est désavoué. Que représente-t-il encore aux yeux de tous les français ?

On a dit, dans les rangs de son parti, que la campagne du premier tour, avait été 1 (lui) contre 9 (tous les autres) et que tout allait changer, au second tour, lors du combat des chefs. Il est vrai que N.S. a de la peine à se situer face à un problème, lorsque celui-ci n'est pas binaire et qu'il se montre
très bon, voire le meilleur, sur un ring, avec toute la subtilité que l'on peut attendre d'un boxeur. Si tel est le Président que les français souhaitent ...

François Hollande confirme l'espoir que de nombreux français mettent en lui. Ce n'était pas gagné. N'était-il pas un candidat par défaut ? Un candidat sans expérience ? Une "fraise des bois" et un "flamby"?  Il a fait preuve de sérieux, de dignité et a fait des propositions significatives. Les français le jugent crédible, moi aussi. Un paradoxe m'étonnera toujours : la France est majoritairement à gauche à tous les échelons, locaux et régionaux, mais se demande, quand il s'agit des élections présidentielles, si elle ne pourrait pas être de droite. La gauche pour la gestion quotidienne, la droite pour les affaires d'Etat. Etrange, non ?

Marine le Pen arrive troisième. C'est à la fois une surprise et une désolation. Son programme est désespérément vide (le plus vide de tous les candidats) et, quand elle propose, quelque chose, c'est irréaliste, indémontrable et inchiffrable. Elle partage avec le Président sortant une étonnante aptitude au mensonge (l'égérie du Président sortant, Nadine Morano, les dépassant bien entendu tous les deux à l'arrivée). Elle fonde son programme sur l'immigration source de tous les maux, la sécurité non garantie (dans les rues, sur le marché de l'emploi ...) et l'identité nationale (face à l'Europe et au monde). Après ça, on tombe dans les limbes. Le plus ahurissant est de voir près d'un français sur 5 adhérer à un tel discours aussi vide de contenu. Voilà qui est inquiétant, mais pas inattendu. Ce mouvement est présent dans d'autres pays européens. Je m'étonne qu'à situation égale, ce discours n'ait aucune prise en Belgique francophone. L'aigreur, le ressentiment, l'étroitesse d'esprit qui doivent habiter les électeurs du Front national doivent bien venir de quelque part. Marine le Pen ne fait qu'utiliser ces sentiments, sans état d'âme aucun. Nicolas Sarkozy, comme le laissent entendre nombre de commentateurs, n'a-t-il pas nourri, pendant son quinquennat, ce terreau peu engageant ? A la fois, par ses politiques racoleuses et par son incapacité à prendre en compte la réalité des français "qui se lèvent tôt " ? Le Front national peut se réjouir : son succès est dû à Nicolas Sarkozy lui-même. Aujourd'hui, d'un point de vue stratégique, le Front national a tout intérêt à ce que François Hollande soit élu pour incarner face à lui la "vraie" droite, laissant la droite traditionnelle se diluer, comme elle ne cesse de le faire depuis que Sarko est au pouvoir. Et la question se pose plus que jamais de la définition d'une droite républicaine à côté de l'autre qui risque bien d'occuper tout le terrain.

Jean-Luc Mélenchon a plus brillé lors de sa campagne qu'au moment des résultats. Je le regrette. Parce qu'il a donné à la campagne du souffle. Tout ce qu'il propose n'est pas réalisable, il le sait. Mais, à l'inverse de Marine le Pen, les valeurs qu'il prône n'opposent pas les uns aux autres : les français et les non français, les heteros et les homos, les blancs et les bronzés... Il préfère parler d'égalité et de solidarité. Il oppose quand même quand il affirme que le peuple n'a pas à être assujetti au monde de la finance et du grand capital (ce que disent aussi François Hollande et Marine le Pen). Il faut attendre maintenant les législatives : le front de gauche pèsera plus que certainement sur l'avenir de la France dans les années qui viennent.

J'ai toujours bien aimé François Bayrou. Il n'est pas un tribun. Il ne coupe pas la parole. Mais il réfléchit (contrairement à Nicolas Sarkozy). Ses diagnostics sur l'état de la France, du monde, de la société, sont toujours justes et pertinents. Les réponses qu'il apporte ne sont pas toujours très claires. Il ne faut pas se passer de François Bayrou, quel que soit son résultat, pour la lucidité de son jugement et son souci de parler vrai.

Quant aux autres, je voudrais juste ici évoquer Eva Joly. Elle a fait de son mieux. Nicolas Hulot, plus médiatique, aurait peut-être pu faire mieux. Je regrette qu'il n'ait pas été donné plus de place à l'écologie dans les débats. L'écologie politique pose des questions justes, à long terme. L'écologie politique interroge notre manière de vivre, la société dans laquelle nous voulons vivre et, après nous, nos enfants. De tous les partis, c'est peut-être le seul qui voit loin. Je m'étonne que les français soient aussi peu sensibles au discours écologique, alors que le parti écolo est le troisième en Belgique francophone.

Peu d'électeurs pour Ecolo, mais un grand nombre pour le Front national. La France m'inquiète.




vendredi 20 avril 2012

Athée, croyant et agnostique

Ce que j'aime sur Facebook, ce n'est pas de savoir où se trouvent mes amis, ce qu'ils font, avec qui ils se trouvent, où ils mangent : cela m'ennuie profondément ; c'est lorsqu'ils partagent une réflexion, une pensée, une citation, une musique qu'ils aiment qu'ils m'intéressent. Parfois, cela me fait rire ; parfois, cela me fait sourire ; parfois, cela suscite en moi de la compassion ou une communion ; enfin, parfois, cela me fait réfléchir et me pousse à réagir.

J'ai ainsi pu lire, ce matin, la citation suivante : "Si Dieu n'apparaît pas aux athées, c'est parce qu'il a peur qu'ils ne le convertissent à l'athéisme" (François Cavanna). La vanne est drôle, mais ...  suppose l'existence de Dieu ! De la part d'un vieil "anar", qui n'a pas été nourri avec les grenouilles de bénitier, c'est plutôt surprenant.

Dans le style inimitable, qui est le sien, mon collègue, Lucien François, aujourd'hui émérite, a réagi en ces termes : " Les athées et les croyants sont de la même espèce en ce qu'ils affirment sans preuve, les uns que non, les autres que oui, les uns une existence, les autres une inexistence, au lieu de douter tout simplement. Sous la réserve de ce qui précède, les agnostiques sont proches des athées quand ils pensent que la charge de la preuve pèse plus sur la thèse de l'existence que sur celle de l'inexistence, parce que les apparences sont contre la première ".


Je suis d'accord avec mon collègue quand il préfère le doute à la certitude absolue, voire bornée.  Un lecteur attentif lui faisait toutefois remarquer qu'il est impossible de prouver ce qui n'est pas ... Le vrai débat est-il de savoir, et donc de pouvoir affirmer, avec des arguments scientifiques et rationnels, que Dieu existe ou pas ?

J'aimerais ouvrir une voie de réflexion un peu différente.

Mon ami Nicolas, qui est tout sauf un croyant, m'avouait ressentir quelque chose dans les églises, lors de notre escapade à Maastricht. Appelons cela une sensibilité laïque à une certaine spiritualité.

Ceci est capital.

Pour moi, la question n'est pas d'être sûr que Dieu existe, ou pas, et de le prouver, mais de vivre une dimension autre, qui nous échappe souvent, mais qui nous touche quand même et peut nous faire avancer. Je veux dire par là qu'il est important, dans une vie, d'ouvrir celle-ci, de lui donner une dimension qui se situe au-delà de nos simples résultats et échecs, de nos convictions raisonnées, de nos émotions. Etre vu par un autre regard que le sien propre. N'est-ce pas la base de l'apprentissage de l'altérité ? N'est-ce pas le centre de la prière contemplative ? L'autre, l'Autre, ne me voit peut-être pas comme moi je me vois. Accueillir cela est une ouverture.

La foi n'est rien d'autre qu'une acceptation lente et progressive de l'altérité dans nos vies. Il y a toujours un ailleurs, un plus loin, une autre voie. Etre croyant, c'est adhérer finalement à l'Altérité. C'est considérer que tout ne dépend pas de nous et qu'il faut parfois s'abandonner et se laisser porter.

Les religions ne sont qu'un véhicule, plus ou moins pertinent, pour vivre au quotidien cette réalité. Je puis témoigner que la fréquentation régulière de la Bible, dans mon cas personnel, contribue grandement à cet exercice.

Je voudrais encore ajouter ceci : si la foi en Dieu, même si on ne pourra jamais prouver son existence ou son inexistence, porte des fruits, et aide certains à avancer, elle mérite le respect et même une attention bienveillante. Sans la foi en Dieu, le meilleur de nos civilisations n'aurait sans doute pas vu le jour. Je ne suis pas sûr que la raison soulève autant les montagnes que la foi. La raison peut toutefois jouer un rôle utile pour dénoncer les dérives de la foi. Il en existe aussi. Mais les croyants, autant que les athées et les agnostiques, ne sont-ils pas tout autant capables de raison ?









jeudi 19 avril 2012

Maastricht

Hier, j'étais donc à Maastricht, avec mon ami Nicolas. Non, je n'étais pas à Maïstritch, comme s'évertuent à le dire les plus hautes autorités de l'Hexagone et ses journalistes. Je vais être indulgent : demandez à un américain, de prononcer "Zoutleeuw" ! Au moins, dans l'ancienne Principauté de Liège, tout le monde sait que l'on peut dire aussi "Léau"! Et qu'il est plus commode de dire "Anvers" (à la condition de prononcer le "s") que "Entverpenne".

Zoutleeuw (Léau) est une petite localité à 20 km de Saint-Trond (Sint-Truiden), on reste dans l'ancienne Principauté de Liège qui regorge de richessses. J'en parlerai un autre jour, quand j'y serai allé avec mon ami Nicolas. Je devais avoir 8 ans, quand, avec ma grand-mère, et tous les professeurs randonneurs qui l'entouraient, j'ai vu la première, restée unique, théothèque de ma vie ! Un des doctes professeurs présents m'a alors expliqué que cela voulait dire l'endroit où l'on garde Dieu, un tabernacle un peu plus décoré que les autres, que Theos veut dire Dieu et que "thèque" veut dire maison où l'on conserve, comme dans bibliothèque, pinacothèque, et ai-je découvert plus tard médiathèque. J'étais fasciné par tous ces mots : la maison des livres, la maison des peintures ou des images, la maison des media. Et la maison de Dieu. Des magasins vendant du thé s'appelleraient aujourd'hui "théothèques", c'est complètement absurde. Il faut dire que "théthèque" sonne beaucoup moins bien.

Comme tout bon liégeois, je me suis toujours rendu à Maastricht pour "magasiner" (faire du "shopping"). J'ai toujours été sensible au charme de cette ville différente de la mienne et en même temps si proche à tous égards. Mon fils m'a fait découvrir les coffee-shops, où je n'ai cependant jamais mis les pieds. Avec P., nous avons visité une exposition au Bonnefantenmuseum, qui s'intitulait "Smaak" (le goût). On était confronté au bon et au mauvais goût (sans aucun parti-pris) dans tous les domaines : chips, produits de nettoyage, vêtements, chaussures, décoration d'intérieur, coiffure, cigares, luminaires, photos, bar à eau et à oxygène. J'ai dit "sans aucun parti-pris", puisque c'était au visiteur de décider. C'était drôle et ludique. J'en avais profité pour visiter aussi la section "Art ancien".

Je suis aussi venu à Maastricht à l'invitation d'un collègue néerlandais pour y donner quelques heures de cours. J'ai ainsi découvert la Faculté de droit, l'ancien couvent où se situent les services névralgiques de la Faculté et un excellent restaurant. J'aimais l'insertion de l'université dans la ville, les étudiants omniprésents dans les rues. Je regrettais d'autant plus le campus du Sart-Tilman.

Qu'il est agréable de flâner dans les rues, de place en place, ou sur les remparts ! Il y a un secret au plaisir éprouvé. On se trouve plongé dans un environnement homogène et cohérent. La rive gauche du centre ville abrite le centre historique. Même quand un bâtiment moderne a été construit, il respecte les volumes, les matériaux, les couleurs. Point d'immeubles à l'abandon. Point de commerces fermés depuis des années. Tout est merveilleusement entretenu. La rive droite a connu un important développement. On y croise d'imposants quartiers d'affaires tracés au cordeau.

Cette fois, avec Nicolas, il fut question bien sûr de flâner dans les rues de la rive gauche, en s'arrêtant de temps en temps.

L'ancienne église des dominicains reconvertie en librairie fut notre première étape.




Je n'avais jamais pris la peine de visiter la basilique Saint Servais, peut-être les amis que j'ai conduits à Maastricht par le passé n'étaient-ils pas non plus intéressés.

La bâtiment, le cloître et les annexes sont impressionnants. Il s'en dégage une réelle grandeur. L'architecture comporte des points communs avec celle de la collégiale Saint Barthélémy à Liège, d'inspiration rhénane, en plus grand. Un sanctuaire existe, en ce lieu, depuis le IVème siècle. La cathédrale de Liège, bien que plus tardive, devait donner la même impression de grandeur. Pourquoi les révolutionnaires du 18ème siècle ont-ils saccagé la cathédrale de Liège et préservé la basilique Saint Servais de Maastricht ? L'histoire ancienne et le destin de ces deux villes, jumelles depuis toujours, me pose beaucoup de questions que j'aimerais approfondir.





L'église à gauche, avec une tour rouge, est l'église Saint jean, vouée au culte protestant.
Nous n'avons pas pu la visiter.




Le Trésor comporte nombre d'oeuvres remarquables. Il me semble toutefois que les oeuvres d'art religieux exposées à Liège sont plus remarquables encore et surtout plus nombreuses (Grand Curtius et Trésor de la Cathédrale).




Notre deuxième halte a été la basilique Notre-Dame (Onze-lieve-vrouw Kerk). Une madonne, Marie Etoile de la mer (Stella maris), y est vénérée depuis des temps immémoriaux et encore aujourd'hui apparemment, dans toutes les langues, par des vieux comme par des jeunes, ai-je pu constater. L'intérieur de l'église est très sombre. On a moins de peine ainsi à concentrer son attention sur les quelques chefs d'oeuvre discrètement éclairés, dont un fabuleux buffet d'orgue aux portes peintes. Dans une telle église, on ne peut qu'être invité à la prière, peu importe le destinataire de celle-ci.







Je n'ai jamais eu une piété mariale. Problème avec la mère ? Ou suffisance et orgueil, préférant me passer d'intermédiaire, pour dialoguer en direct avec Dieu ?

mercredi 18 avril 2012

Les chevaliers de l'ordre teutonique

Que vous soyez liégeois ou touriste, si vous empruntez, à Liège, la rue du Palais - celle qui frôle la façade arrière du palais des Princes-Evêques - vous ne pourrez manquer les bâtiments de l'ancienne commanderie des chevaliers de l'ordre teutonique (au pied de la rampe qui mène vers la rue Pierreuse) et surtout la tour restaurée des Vieux-Joncs, qui fait partie de la promenade des Côteaux de la Citadelle.






L'ordre des chevaliers teutoniques a été présent à Liège dès le début du 13ème siècle jusqu'à la révolution française.  La commanderie de Liège dépendait, comme bien d'autres, de l'archi-commanderie d'Alden-Biezen. Celle-ci se situe aujourd'hui en terre flamande (dans le Limbourg). Elle a relevé, jusqu'à la révolution, de la Principauté épiscopale de Liège, où l'on ne se souciait guère de la langue des individus.



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L'ordre des chevaliers teutoniques est né lors de la troisième croisade (1189-1192). Comme les Templiers ou les Hospitaliers, il s'agit à l'origine d'une communauté religieuse charitable venant en aide aux pèlerins sur le chemin des croisades. L'ordre deviendra militaire par la suite. Il s'implante à Liège en 1259 et rayonne dans tout ce qui était alors le Saint Empire germanique, là où il recrute ses membres.

Les croisades passées, l'ordre, dont tous les membres étaient issus de l'aristocratie et dont la richesse était grande, exercera surtout un rôle politique et économique, tout en assurant à ses membres le train de vie aristocratique propre à leur rang. L'ordre teutonique aurait ainsi joué un rôle dans la création de l'Etat de Prusse.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_Teutonique

Comme il existe toujours aujourd'hui des Chevaliers de Malte, il existe encore aujourd'hui des Chevaliers teutoniques, qui réunissent des membres de l'aristocratie pour le service du culte ou des oeuvres caritatives. Leur croix se présente comme ceci.




Croix des Chevaliers de Malte.





A ne pas confondre, avec la croix des Chevaliers du Saint Sépulchre de Jérusalem, dont les chevaliers assurent encore aujourd'hui, à Notre Dame de Paris, la vénération de la couronne d'épines du Christ (?).




On l'ignore, mais ces anciens ordres chevaleresques, où on n'entre pas sans montrer patte blanche, bénéficient de privilèges étonnants et d'un autre âge (quelle que soit l'efficacité de leur activité humanitaire). Ainsi, l'Ordre de Malte est reconnu par les nations comme un sujet de droit international public. Ce qui lui confère une souveraineté, certes limitée, mais lui permet d'être présent dans les relations diplomatiques avec des ambassadeurs et de bénéficier d'un siège d'observateur à l'O.N.U. et auprès de la Commission européenne !



mardi 17 avril 2012

Des chiffres et des lettres

La cultissime émission Des chiffres et des lettres m'a toujours paru véhiculer un message fallacieux. Peut-on réellement mettre sur un même pied les chiffres et les lettres ? Ce jeu, consistant à jongler avec les chiffres ET les lettres permet, il est vrai, à certains esprits de briller. Souvent, ils me font penser à des ordinateurs. Ne les oppose-t-on pas d'ailleurs à un ordinateur à qui il arrive de faire parfois mieux qu'eux. J'avoue que l'ambition de ma vie n'a jamais été d'arriver à faire au moins aussi bien qu'un ordinateur.

Cela est préférable néanmoins à la télé-réalité, diront certains, c'est vrai. Il y a plusieurs degrés dans la télé-réalité. Le degré zéro : des gens que l'on met ensemble dans un lieu fermé et que l'on filme (Loft story ou Secret Story, par exemple). Puis des formes plus évoluées, comme Star Academy ou Kho Lanta, qui requièrent un certain investissement personnel. Chez les anglo-saxons, il y a pire. Il s'agit, dans tous les cas, de fonder une émission de télévision sur l'exhibition de participants consentants, ayant le désir de gagner, de l'emporter sur les autres, avec des atouts différents selon les émissions, avec aussi son lot de jalousie, de rivalités, de mensonges, de manipulations, pour obtenir une récompense à la clé, qui est toujours financière. Tel est le monde. Faire ou dire n'importe quoi pour obtenir une récompense. A certains égards, la récente campagne électorale française me fait penser à une émission de télé-réalité. On n'a guère entendu de vrais débats d'idées sur les sujets essentiels, les questions qui se posent et les remèdes à apporter (le chômage, le pouvoir d'achat, l'éducation, la qualité de la vie, la santé, l'avenir de la planète).

Comme dans toutes les émissions de télé-réalité, on est mis en présence d'un farfelu, d'une grande gueule, d'un menteur, d'un sage modéré, autour desquels gravitent un timide rigolo cool, une sinistre, une égarée. Cela ne contribue pas à la grandeur de la France de voir l'enjeu électoral réduit à une émission de télé-réalité.

Je m'inquiète. Les français, qui on conduit Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, ont-ils fait preuve de maturité politique ou ont-ils obéi à des règles semblables à celles des votes du public dans les émissions de télé-réalité, en 2007 ? Mon plus ardent souhait est qu'il n'en soit pas en 2012 comme en 2007. Sinon, pauvre France.

Amoureux des lettres parce qu'elles me permettent de m'exprimer avec précision, j'ai toujours eu un problème avec les chiffres. Certes, mon enseignement juridique devait composer, plus qu'aucun autre, avec les chiffres. Pensez donc : droit comptable et droit fiscal !

Autant je puis m'extasier sur une sentence, un bel aphorisme, une heureuse citation, autant je n'éprouve aucun éblouissement face à une équation, une règle de trois, une dérivée ... et encore moins une statistique.

Or, campagne électorale pour la Présidence de la République française oblige, nous nous voyons inondés de chiffres et de mots par tous les candidats et par les media commentant ceux-ci.

Le Président Sarkozy a le chic de malmener, non seulement les mots, mais aussi les chiffres. Il est le champion toutes catégories (son challenger étant l'effrayante et détestable Nadine Morano .. qui se ressemble s'assemble).

Nicolas Sarkozy ne sait pas conjuguer les verbes, il invente des mots ("la méprisance"), il ne connaît pas la syntaxe, mais il a de l'aplomb (comme Nadine Morano son double). Je n'imagine pas qu'il puisse séduire qui que ce soit d'un peu cultivé. Eva Joly, malgré son accent, maîtrise mieux la langue française que lui. En plus, il ne parle aucune autre langue que le français. François Hollande et Jean-Luc Mélenchon maîtrisent la langue française et sont cultivés. Le sieur Poutou est le plus drôle, il n'a aucune envie d'être président ; il est là parce qu'on lui a demandé d'y être, il fait parler les autres à sa place ou propose un clip parodie, après, on voit sa photo et son doux sourire un peu ironique. Je l'aime bien Poutou.

Si Nicolas Sarkozy est le plus critiquable sur les mots, il est aussi en même temps un champion dans l'art de la désinformation, du mensonge éhonté. C'est une bonne chose de changer d'avis, après réflexion. François Hollande est, dans certains cas, revenu sur certaines positions qu'il avait suggérées, en s'expliquant. Nicolas Sarkozy, lui, fait cela tous les trois jours, sans jamais réfléchir, mais en niant avoir dit, il y a trois jours, le contraire de ce qu'il dit ensuite. A ce président sortant, il manque trois choses essentielles : l'aptitude à réfléchir, l'aptitude à réfléchir en toute indépendance et le silence. Il est réjouissant de voir le Nouvel Observateur décerner à TOUS les candidats des Pinocchios en fonction de leurs déclarations plus ou moins mensongères. Trois catégories avaient été imaginées au départ. Avec Sarko, une quatrième a dû être créée ... tant le délit était flagrant.

Quant aux chiffres, ils manipulent tous ceux-ci, au moins un peu, plus ou moins grossièrement, plus ou moins habilement, avec bonne mais plus souvent mauvaise foi. Recourir aux chiffres donne une allure de sérieux. Cela prouve qu'on connaît le dossier. J'émets quelques réserves.

N'est-ce pas évident : 1 + 1 = 2 ! Quelle rigueur ! Au moins, avec les chiffres, on est dans le domaine des sciences exactes. On ne peut pas contester que 1 + 1 = 2.

Deux réflexions :
- la manipulation et le mensonge conduisent tous les candidats à affirmer des chiffres, censés être fiables, alors qu'ils ne le sont absolument pas. Le Petit Journal de Canal Plus a le chic de juxtaposer les déclarations des uns et des autres où, sur l'espace de quelques interviews, 50 devient 100, puis 300. Nadine Morano, la voix de Sarko, bien plus que Coppé, le pauvre, peut ainsi, dans une interview, affirmer que le taux de la T.V.A., en Allemagne, est de trois points supérieur à celui de la France et, quand le journaliste lui fait observer que le taux de la T.V.A. est de 19,6 % en France et de 19 % en Allemagne, parvient encore à noyer son incompétence sous un flot de paroles ;
- certaines disciplines scientifiques,  comme l'économie, la sociologie, la science politique, trois sciences parfaitement inexactes, aiment à se parer de chiffres et de statistiques pour se donner un air sérieux. Elles offrent aux candidats à une élection de quoi dire tout et son contraire.

Ne parlons même pas des déclarations matamoresques de la Sarkozie quand elle annonce plus de 100.000 participants dans un espace qui peut tout au plus en contenir 30.000 ou 40.000. La mauvaise foi des syndicats, comme celle de la police, lors des grèves, est ici dépassée.

L'art de convaincre en politique est fait de mots et de chiffres. Il devrait surtout être fait de sincérité, de désintéressement, de gratuité ... avec en outre une vision, un projet d'avenir, un espoir. Sur ce plan-là, aucun des candidats ne se montre à la hauteur. Les politiques qui seront élus auront-ils réellement le pouvoir. Voilà ce qui m'inquiète.

lundi 16 avril 2012

Rencontres

Il y a quelque chose de mystérieux dans les rencontres que nous pouvons faire.

Est-ce l'effet de Pâques ? J'ai résolument pris le parti de ne plus dire non aux rencontres qui me sont proposées. Etonnant de la part d'un solitaire tellement en sécurité dans sa bulle. Ces rencontres sont parfois inattendues ou invraisemblables.

Mon agenda se remplit. J'espère simplement que mes vieux démons ne me conduiront pas à m'enfuir encore à la dernière minute.

J'ai une tellement mauvaise image de moi souvent que je m'étonne quand des personnes que je connais, et parfois même que je ne connais pas, demandent à me voir et à me rencontrer.

Comment gérer la demande d'un jeune homme de 23 ans qui demande à me rencontrer après avoir vu ma photo sur Facebook et avoir cherché mon adresse sur Google ? J'ai accepté de le rencontrer. Aurais-je accepté s'il m'avait dit qu'il s'appelle Ernest et a 67 ans ? Je l'avoue, c'est une question.

Jeudi dernier, j'ai passé un repas et un après-midi plaisants avec M., un homme charmant et attentionné. Je redoute qu'il tombe amoureux de moi. Je ne le souhaite pas pour lui. Mon chemin de vie me conduit plus à l'amitié qu'à l'amour. Je le reverrai.

D'anciens étudiants manifestent le désir de me revoir et de parler avec moi (il s'agit aussi parfois d'étudiantes, n'allez pas croire). Cela m'étonne souvent. Je pourrais être leur père. Peut-être est-ce pour cela ? Ou parce que la relation professeur-étudiant n'a pas permis que s'expriment ou se partagent certaines choses plus personnelles ou plus intimes au bon moment. Un des bons côtés de Facebook, qui en comptent aussi de moins bons, est de se découvrir des affinités, des connivences, avec des personnes que l'on ne connaît pas réellement ou que l'on a connu différemment en d'autres cénacles.

Je me réjouis d'emmener, demain, mon ami Nicolas à l'archi-commanderie d'Alden Biezen et ensuite à Maastricht qu'il ne connaît pas.

Je me réjouis de discuter prochainement avec F. des religions et de leur histoire.

Je me réjouis de revoir A. et F., les deux heureux papas de deux petites filles, même si, ce soir-là, les invités seront un peu trop nombreux à mon goût (mais je les connais à peu près tous).

J'irai, un de ces jours, chez Anne-Françoise et Dominique ... ils sont venus, avec leurs enfants, fêter, à l'improviste, Saint Nicolas, chez moi, le 6 décembre dernier. Je leur dois bien cela.

N'est-ce pas un peu trop à la fois ?

Je viens de découvrir que j'ai une fâcheuse tendance à m'isoler, alors que je constate que plein de gens frappent à ma porte. J'ai décidé de prendre le risque de la rencontre ; bref, de penser un peu moins à moi et un peu plus aux autres.







mercredi 11 avril 2012

Les deux amours

Mon ami, JPR, a publié, ce jour, sur son blog un article qui me touche particulièrement.

http://rousseaumusique.blog.com/2012/04/11/vie-privee

Il évoque deux personnes qu'il a connues, qui me sont inconnues, et dont le journal Le Monde a annoncé le décès.

Il s'agit de deux hommes mariés, qui avaient aussi une relation privilégiée, amoureuse, avec un homme. Mon ami, qui en sait plus que moi, se réjouit de voir l'ami de coeur, l'amant sans doute aussi, présent dans l'annonce mortuaire publiée dans le journal. Il se demande si c'est un crime, ou un délit, d'avoir plusieurs amours, plusieurs amitiés. Il veut de toute évidence dire : simultanément.

Je me suis beaucoup posé cette question, il y a une quinzaine d'années.

Il m'a toujours semblé que l'on confondait, dans les milieux traditionnels, la fidélité et l'exclusivité. L'exclusivité exprime une vision totalitaire : je dois être tout pour toi et tu dois être tout pour moi. Cette conception, entre deux humains, est vouée à l'échec et il est effrayant de constater que, pour pérenniser ce modèle impossible, l'Eglise, et même la loi, ont créé toutes les conditions possibles pour nourrir la culpabilité en cas d'écart.

Lorsqu'étant en couple, un membre de celui-ci rencontre quelqu'un qui lui donne un surcroît de vie, occupe en lui avec amour des terrains éteints ou en friche, y a-t-il rupture de la fidélité ? Pas nécessairement. On peut rester pleinement fidèle à ses engagements et trouver un "surplus de vie" dans une relation extra-conjugale. Ce "surplus de vie" peut même rejaillir de manière bénéfique sur la vie du couple et de la famille principale.

La question qui se pose est toujours la même : pourquoi ne pas se contenter d'une chaste amitié ? Pourquoi céder à l'amour et au désir d'exprimer celui-ci avec le corps ?

Deux choses :
- pourquoi le sentiment amoureux devrait-il être exclusif ? N'est-il pas possible d'être amoureux - je dis bien amoureux - en même temps de plus d'une personne ? J'ai cru, un moment, que cela pouvait être possible. Cela ne l'a pas été, parce que mon premier amour ne pouvait imaginer de me partager avec qui que ce soit. Pourtant, je n'avais pas une maîtresse, qui aurait pu être une rivale, j'avais un ami de coeur qui a toujours respecté mon statut d'homme marié et de père, et s'est senti vraiment mal quand il a vu que sa présence fragilisait mon couple et ma famille. Qui aimait le plus à ce moment ?
- se pose finalement toujours la question du corps. Le mari qui trompe sa femme avec son équipe de foot ou avec la politique est au-delà de tout soupçon, celui qui touche un autre corps que celui de sa femme est adultère. Pourtant quoi de plus naturel quand on aime vraiment quelqu'un que de l'exprimer avec le langage du corps. J'ai bien dit : quand on aime quelqu'un. Je ne prône donc pas ici le libertinage. Je tente de donner au corps sa juste place. Il ne faut pas s'interdire le corps, il ne faut pas lui donner la priorité non plus.

On peut aussi choisir, cela doit être un choix librement consenti et mûrement réfléchi, de vivre des relations de pure amitié, avec des limites sur le plan physique. Ces relations ne sont pas moins riches. Elles sont même parfois plus riches.

Les protagonistes des avis nécrologiques, qui ont inspiré mon ami, suscitent en moi le respect. Les relations qu'ils ont vécues ne sont pas classiques, mais elles étaient animées par un amour vrai. Je trouve beau qu'il soit reconnu et affirmé aux yeux de tous dans l'annonce publiée.










mardi 10 avril 2012

Liturgies : quatre jours à Wavreumont autour de la fête de Pâques

Au moment de quitter Wavreumont, où j'ai vécu le triduum pascal des chrétiens de manière particulièrement intense, je remerciais fr. Renaud, le prieur, bien sûr pour l'accueil et la présence de la communauté, mais surtout pour la liturgie. Depuis toujours, je suis sensible à la liturgie, soit la célébration de ce qui constitue l'humanité avec des formes, des gestes, des symboles, des communions, des paroles et de la musique aussi. La liturgie n'est pas nécessairement religieuse. J'ai ainsi eu l'impression de vivre une liturgie en assistant à certains spectacles de théâtre ou de danse contemporaine. Au monastère saint Remacle de Wavreumont, la liturgie était évidemment religieuse.

Je garderai toujours en mémoire les funérailles de ma tante Anne de Paris, devenue athée, et son incinération. On avait compté qu'il y aurait sept personnes autour de son cercueil. Rien n'était prévu: il n'y aurait pas un hommage, pas un texte, pas un symbole, juste des gens réunis en sa mémoire, en silence.  Il y avait la famille, c'est-à-dire mes parents et moi, et quatre de ses amies. Quelques heures avant les funérailles, j'ai dit à une dame que je ne connaissais pas, mais qui, des quatre présentes, était apparemment la meilleure amie de ma tante, aidez-moi à lui rendre un dernier hommage moins vide. Venez avec moi dans son appartement, vous qui la connaissez mieux que moi, choisissez une image qu'elle aimait et trouvons dans ses livres quelque chose qui la rejoignait, nous sommes vite tombés d'accord sur un extrait d'un livre de Jean Giono. Nous avons ainsi bricolé, elle et moi, une liturgie. Elle a posé l'image sur le cercueil, j'ai lu le texte. Imaginez ses funérailles sans cela.

Mercredi, le jour de mon arrivée, après l'office et le repas du soir, nous étions conviés à entendre un comédien proclamer 16 psaumes dans la traduction de Paul Claudel. Les psaumes véhiculent tous les sentiments humains : la louange et l'apaisement, la confiance et la déroute, la révolte et le désespoir. De cette performance, je ne suis pas certain d'avoir aimé écouter les psaumes dits sous cette forme, mais j'ai beaucoup aimé la perspective que cette audition ouvrait : les psaumes qu'on lit, qu'on médite, qu'on psalmodie, qu'on récite parfois à mi-voix, qu'on mémorise, peuvent aussi être dits à pleine voix, avec le corps et toutes ses tripes. On peut crier les psaumes, on peut pleurer les psaumes. Le comédien, avec un frère dominicain, anime des stages "Psaumes et théâtre", où l'on apprend à extérioriser les mots des psaumes. Je trouve cette démarche fort intéressante, comme toutes celles qui font dialoguer foi et art. Une telle session aura vraisemblablement lieu à Wavreumont en 2013.

Jeudi, deux temps forts : le sacrement de la réconciliation et la commémoration du dernier repas.

Prendre le temps, une fois par an, de considérer sa vie et d'y discerner ce qui est plutôt vivant et ce qui est plutôt mort, ce qui ouvre vers la vie et ce qui enferme dans une logique de mort, n'est jamais un exercice superflu. Je ne parle pas ici de faute, ni de péché. Je parle de vie et de mort. Choisir d'inscrire ce qui ne vit pas (ou pas assez) en nous, ce qui est obscur ou éteint, ce qui nous asservit, dans la dynamique de Pâques qui est celle de la vie, de la liberté et de la lumière, est, pour moi, une démarche pleine de sens. Il est d'ailleurs significatif qu'on ne parle plus guère aujourd'hui de confession, ou de sacrement du pardon, mais de réconciliation. Réconciliation avec soi-même et réconciliation avec le plan divin.

Le moment le plus fort de la commémoration de la dernière Cène n'est pas l'institution de l'eucharistie, mais le lavement des pieds.

Certes, les paroles "Ceci est mon corps", "Ceci est mon sang" sont lourdes de sens. Avec la mort de Jésus, il n'y aura plus jamais besoin d'aucun autre sacrifice pour obtenir les faveurs de Dieu. C'est la fin du Temple et de la religion des juifs telle qu'elle était vécue à l'époque. Il sera dorénavant question de communion, communion au Père à la suite de Jésus à travers les symboles du pain et du vin, communion du Père avec chacun d'entre nous individuellement et plus seulement avec un peuple élu.

Le rite du lavement des pieds (le mandatum) indique le chemin à suivre, une certaine manière de vivre la relation à l'autre, où l'on ne s'impose pas, mais où l'on donne à l'autre (chaque autre) sa place, pour lui dire tout le respect qu'il mérite. Si l'humilité tient une place dans ce rite, je puis affirmer ceci : il faut plus d'humilité pour accepter de se faire laver les pieds que pour laver les pieds d'un frère. Ce rite est bouleversant.

Le vendredi est plongée dans la passion de Jésus, jusqu'à son dernier souffle. On se reconnaît dans les apôtres incapables de veiller avec Jésus, au moment de son incommensurable détresse, de sa peur ; on se reconnaît en Pierre, qui avait promis de suivre Jésus jusqu'au bout, mais finit par le renier, par peur ; on assiste à une mise en scène politico-religieuse qui résume tous les défauts de la politique et des religions institutionnalisées ; on est dans l'incompréhension, dans la douleur aussi. La liturgie de ce jour est particulièrement sobre, dépouillée. La liturgie de la passion de Jésus est vécue à Wavreumont comme un oratorio. Comme dans une passion de Bach, il y a un évangéliste, Jésus, des intervenants, des choeurs, des arias, des parties instrumentales. Est-ce parce que j'ai été personnellement impliqué dans cet oratorio qu'il m'a touché plus que jamais ?

Vient alors le moment de l'absence et du silence de Dieu. Renaud a souligné l'importance de ce moment, indispensable pour l'étape suivante. Les chrétiens sont parfois tellement sûrs de l'issue qu'il leur arrive d' oublier ce jour de l'absence, sautant une étape. J'aime l'idée que la transcendance n'est pas toujours "vers le haut" (comme la fumée de l'encens qui monte au ciel ou le regard du mystique tendu vers l'infinie plénitude de Dieu) ; la transcendance existe aussi "vers le bas" (le face à face avec Dieu peut aussi avoir lieu, alors qu'on se trouve confronté au vide, à l'absence, au silence, au sentiment d'abandon).

Suit la vigile pascale. Ce rappel de l'histoire de l'humanité depuis son origine, au fond des âges, jusqu'à aujourd'hui; l'histoire de son rapport au divin (lequel s'est manifesté partout, en tout temps et sous toutes les latitudes); la découverte lente et progressive que la divinité n'attend ni holocauste, ni sacrifice (fin du sacrifice humain, avec le sacrifice avorté d'Isaac, inutilité des sacrifices au Temple avec Jésus);  le passage chaotique du Dieu maître (on dit parfois le Dieu vengeur) au Dieu d'alliance ; l'infinie proximité du divin avec l'homme: avec Jésus, Dieu va naître et mourir, comme tout homme. Dieu n'est plus au ciel, il est au coeur de nos existences, de nos joies comme de nos détresses. Il les partage. Il y communie. Il les ressent comme nous. Quel chemin parcouru !

Mais les lectures de la vigile pascale nous rappellent aussi que l'histoire humaine est faite de passages. Toute vie d'homme est faite de pas franchis, d'avancées accompagnées parfois de reculades. Pour faire avancer les hommes, il faut leur donner une espérance. N'est-ce pas ce que Moïse réussit à faire avec les Hébreux, dans ce récit mythique de la traversée de la Mer rouge ? L'espérance d'une libération et d'une terre promise ... Finalement, peu importe laquelle, l'essentiel est de ne pas stagner, de ne jamais s'installer, mais de toujours aller plus loin, ou plus précisément au plus profond. Celui qui a la foi avance, celui qui ne croit à rien finit par stagner en son humanité.

Enfin, les chrétiens célèbrent pendant le triduum pascal quelques convictions :
- la violence (l'autorité) exercée au nom d'un pouvoir politique ou religieux humilie toujours celui qui l'exerce (Hanne, Caïphe, Pilate), contrairement à ce que l'on pourrait croire ;
- le silence déstabilise plus que la controverse (Jésus face à ses juges) ;
- Dieu ne nous attend pas là où nous le croyons, le cherchons ou le situons. Jésus nous indique, en ces jours, qu'un des chemins pour rencontrer le Père est celui du doute, du désespoir, de l'abandon, de la frustration, de l'échec. Dieu n'est pas non plus nécessairement, ou toujours, présent dans ce que l'on pourrait appeler nos bonnes oeuvres, surtout si elles servent à masquer notre doute, notre désespoir, notre frustration ou nos échecs ;
- dans les situations de mort (individuelles ou collectives), le chrétien se met toujours du côté de la vie ; 
- face à l'oppression, le vrai chrétien prend toujours le parti de la liberté.

Tout cela était contenu dans la liturgie de ces trois jours. Parfois, les gestes posés sont tellement signifiants qu'on se dit que les paroles sont superflues.

Je crois profondément que ce que les chrétiens célèbrent à Pâques ne leur est pas propre. Il s'agit d'une célébration concernant toute l'humanité. Des agnostiques, des athées, des croyants d'autres religions pourraient s'y retrouver sans trop d'effort. Il est regrettable peut-être qu'ils ne fassent pas cet effort, ou jugent cet effort indigne de leurs convictions. Ils sont les bienvenus cependant.











lundi 2 avril 2012

La beauté de l'innocence

Une famille, qui fréquente le monastère de Wavreumont, a adopté deux enfants trisomiques. Ils sont des familiers de la communauté.

Le garçon, l'aîné, je pense, met une aube blanche et se joint aux moines qu'il imite à la perfection au choeur et dans la procession. Il tient à merveille, et avec beaucoup de sérieux, la fonction d'acolyte, toujours surveillé par frère Paul. Cela me touche beaucoup.

Sa petite soeur est plus fantasque, plus libérée, totalement nature et toujours dans un débordement d'affection.

Lors du baiser de paix, elle veut embrasser d'abord tous les moines, puis toute l'assemblée. Personne n'échappe à ses bisous.

Ce dimanche, après la procession des rameaux, où l'on dépose la croix au sol dans le choeur de l'église, entourée des rameaux de buis, cette géniale petite fille est arrivée tout à coup avec son écharpe pour couvrir Jésus, sans doute pour qu'il ne prenne pas froid et l'embrassait.

Sa maman l'a finalement convaincue de s'écarter. Mais quel bel exemple de naturel, de spontanéité, d'attention ! Elle au moins vivait les événements avec son coeur, et non son intelligence.

Quelle belle leçon offerte par cette petite Marie-Madeleine !

dimanche 1 avril 2012

Eloï, Eloï, lama sabaqthani

Quand j'étais au collège, section latin-grec, j'adorais les exercices de version : traduire le plus fidèlement possible en bon français des textes latins ou grecs. Bien entendu, il s'agissait d'un exercice fort naïf ; je ne connaissais pas grand chose en effet de la linguistique, ni de la pensée, des grecs et des romains. Mais je trouvais l'enjeu stimulant.

En ce dimanche de la fête des rameaux, premier jour de la semaine sainte, les chrétiens ont entendu le récit de la passion de Jésus, selon Marc ; vendredi, ils l'entendront dans la version de Jean. Des mots célèbres s'en détachent : "Eloï, Eloï, lama sabaqtani". "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné?", traduit-on le plus souvent.

Ce cri, empli de douleur, est-il l'expression d'un doute ultime de Jésus ? Ou autre chose ? Scruter les mots est, à cet égard, révélateur. Frère François en a fait une courte, mais convaincante démonstration, ce matin.

Marc a écrit son évangile en grec. Mais lorsqu'il relate ces ultimes paroles de Jésus, il utilise l'araméen, comme s'il redoutait que la traduction n'en pervertisse le sens.

Premier indice : c'est la seule fois, dans tout l'évangile, où Jésus dit "mon Dieu"; dans sa prière, il préfère toujours parler à son Père. Jésus exprime ici son désarroi en utilisant ici les paroles du psaume 21. Il trouve dans les mots du psalmiste, la plus juste expression de ce qui le submerge alors. Jésus ne récite pas ici une prière. Il utilise les mots d'un autre pour exprimer ce qu'il éprouve : le sentiment d'abandon. Tous les sentiments, toutes les facettes de l'âme humaine se trouvent en effet dans les psaumes, des plus désespérés aux plus confiants, des plus violents aux plus paisibles.

Frère François a expliqué ce que signifiait en hébreu (et en araméen) le mot "lama", traduit le plus souvent par "pourquoi" et pourquoi Marc abandonne ici le grec. En grec, comme en français, le mot pourquoi renvoie généralement à la "cause". Qu'est-ce qui peut bien expliquer ton abandon ? Ou pire, comme le relevait François, "qu'ai-je bien pu faire pour mériter cet abandon ?" Ce n'est pas du tout le sens du mot "lama", qui se rapproche plutôt de "pour quoi ?" Non pas la cause, mais la finalité. En m'abandonnant, que veux-tu ? Quelle est la finalité de ton abandon ? Explique-moi, mon Dieu. Donne un sens à ce que je vis maintenant.

"Sabaqtani" que l'on traduit par "abandonner", véhicule plutôt, d'un point de vue étymologique, l'idée de "laisser tomber". A quelle fin me laisses-tu tomber ? Une fois encore, c'est Jean qui donne la réponse : "Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit" (Jn, 12, 24).

La portée symbolique et spirituelle de ce message est capitale.