Quand j'étais au collège, section latin-grec, j'adorais les exercices de version : traduire le plus fidèlement possible en bon français des textes latins ou grecs. Bien entendu, il s'agissait d'un exercice fort naïf ; je ne connaissais pas grand chose en effet de la linguistique, ni de la pensée, des grecs et des romains. Mais je trouvais l'enjeu stimulant.
En ce dimanche de la fête des rameaux, premier jour de la semaine sainte, les chrétiens ont entendu le récit de la passion de Jésus, selon Marc ; vendredi, ils l'entendront dans la version de Jean. Des mots célèbres s'en détachent : "Eloï, Eloï, lama sabaqtani". "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné?", traduit-on le plus souvent.
Ce cri, empli de douleur, est-il l'expression d'un doute ultime de Jésus ? Ou autre chose ? Scruter les mots est, à cet égard, révélateur. Frère François en a fait une courte, mais convaincante démonstration, ce matin.
Marc a écrit son évangile en grec. Mais lorsqu'il relate ces ultimes paroles de Jésus, il utilise l'araméen, comme s'il redoutait que la traduction n'en pervertisse le sens.
Premier indice : c'est la seule fois, dans tout l'évangile, où Jésus dit "mon Dieu"; dans sa prière, il préfère toujours parler à son Père. Jésus exprime ici son désarroi en utilisant ici les paroles du psaume 21. Il trouve dans les mots du psalmiste, la plus juste expression de ce qui le submerge alors. Jésus ne récite pas ici une prière. Il utilise les mots d'un autre pour exprimer ce qu'il éprouve : le sentiment d'abandon. Tous les sentiments, toutes les facettes de l'âme humaine se trouvent en effet dans les psaumes, des plus désespérés aux plus confiants, des plus violents aux plus paisibles.
Frère François a expliqué ce que signifiait en hébreu (et en araméen) le mot "lama", traduit le plus souvent par "pourquoi" et pourquoi Marc abandonne ici le grec. En grec, comme en français, le mot pourquoi renvoie généralement à la "cause". Qu'est-ce qui peut bien expliquer ton abandon ? Ou pire, comme le relevait François, "qu'ai-je bien pu faire pour mériter cet abandon ?" Ce n'est pas du tout le sens du mot "lama", qui se rapproche plutôt de "pour quoi ?" Non pas la cause, mais la finalité. En m'abandonnant, que veux-tu ? Quelle est la finalité de ton abandon ? Explique-moi, mon Dieu. Donne un sens à ce que je vis maintenant.
"Sabaqtani" que l'on traduit par "abandonner", véhicule plutôt, d'un point de vue étymologique, l'idée de "laisser tomber". A quelle fin me laisses-tu tomber ? Une fois encore, c'est Jean qui donne la réponse : "Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit" (Jn, 12, 24).
La portée symbolique et spirituelle de ce message est capitale.
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