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mercredi 29 août 2012

Le degré zéro

Je ne parlerai plus de cela avant longtemps, mais, une fois de plus, je ne puis m'en empêcher !

Les dernières actualités, telles qu'elles sont traitées par certains media ne véhiculent que les sentiments les plus veules ou les plus voyeuristes. Quant aux politiques, ils manquent pour la plupart de dignité.

Petit inventaire.

Non, il n'y a pas que Michèle Martin.

Un film va sortir, en France, sur l'affaire DSK avec comme protagonistes : Gérard Depardieu et Isabelle Adjani. Comment encore accorder un quelconque crédit artistique à ces deux acteurs, qui, s'ils avaient eu un peu de dignité, auraient refusé un tel projet ? Quant au producteur ...

http://www.lapresse.ca/cinema/nouvelles/201208/29/01-4569272-depardieu-et-adjani-incarneront-dsk-et-sa-femme.php

Et puis, il y a encore et toujours Jean-Denis Lejeune. Il aurait donc écrit une lettre manuscrite à Michèle Martin. On aurait pu espérer que cette lettre soit restée confidentielle, dans l'attente d'une réponse, voilà qui eût été significatif. Or, le jour même, cette lettre a été publiée dans Paris-Match et ensuite relayée dans tous les media. Mais que cherche donc monsieur Lejeune ? A ce que l'on parle de lui ? Sa démarche est d'autant plus étonnante que, d'après l'avocat de Michèle Martin, celle-ci a, depuis bien longtemps déjà, proposé de rencontrer les familles, mais que celles-ci ont toutes refusé. Ce que je puis comprendre. Je suggère à monsieur Lejeune de s'inspirer de l'attitude d'autres parents de victimes plus raisonnables que lui.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/757563/la-lettre-de-jean-denis-lejeune-a-michelle-martin.html

http://www.levif.be/info/levif-blog/vu-de-flandre/michelle-martin-quand-la-mere-d-eefje-a-plus-de-courage-que-les-politiques/opinie-4000168823132.htm

Quant à Charles Michel, président du MR, il n'y va pas par quatre chemins : rien de tout ce qui se passe aujourd'hui n'aurait eu lieu si le parti socialiste n'avait fait obstruction, depuis des années, à toutes les propositions du MR concernant des peines incompressibles. Lui aussi aurait-t-il donc besoin d'exister médiatiquement ? Permettez-moi une appréciation : il est aussi médiocre, excusez-moi du peu, que Depardieu et Adjani. J'aimerais beaucoup, pour ma part, plutôt que d'attaquer le PS, sur ce terrain, qu'il fasse scrupuleusement le bilan des politiques que le MR a menées, depuis les années qu'il participe au gouvernement fédéral, sur le plan économique, fiscal, bancaire et financier. Mais les politiques sont ainsi faits qu'ils ne présentent jamais de bilan, qu'ils préfèrent les promesses aux projets et qu'à défaut de ceux-ci ils n'ont d'autre moyen que de dénigrer l'adversaire.

http://www.levif.be/info/actualite/belgique/liberation-de-michelle-martin-mr-et-ps-se-renvoient-la-balle/article-4000168806667.htm

Des élections vont bientôt avoir lieu. La démocratie étant ce qu'elle est, il y aura des gens intelligents, raisonnables et engagés dans les hémicycles, des presse-boutons aussi, et des barjots. Comme ce député du Parlement flamand, qui appelle à ce que l'on engage un tueur à gage albanais pour abattre Michel Martin. J'attends, à vrai dire, autre chose que cela des élus d'un parlement. S'il est urgent, aux yeux de certains, de modifier la loi sur la libération conditionnelle, n'est-il pas alors tout aussi urgent de modifier la loi électorale ?

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_michelle-martin-un-depute-flamand-propose-d-engager-un-tueur-a-gages?id=7828908

Ainsi donc, Michèle Martin a rejoint le couvent des Clarisses, à Malonne, hier vers 22h30. Des journalistes en nombre étaient présents au départ et à l'arrivée, cherchant une vue fugace du monstre à montrer à la foule. Des particuliers s'étaient groupés là aussi. N'avaient-ils rien de mieux à faire ? On aurait dit qu'ils attendaient le tour de France. Certains d'entre eux cherchaient à en découdre, à casser ... à dénoncer tous ces pourris que sont les juges, la police, les religieuses, les curés pédophiles. Puissent-ils être tenus à distance, à défaut d'être tenus au silence.

Et puis, cette vidéo, captée sur les lieux du drame offerte sur le journal de caniveau qu'est le journal La Meuse, mais qu'il a apparemment retirée. Une video manifestement arrangée. Avec des protagonistes suffisamment bêtes pour jouer le jeu. Une famille qui fait crier des cris de haine à ses enfants.

http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20120828_004

Je me suis peut-être trompé sur le sens de la vidéo. Etait-ce du second degré ? Je n'en suis pas sûr. Ou un dérapage. Si cette video est authentique, il y a encore plus dangereux que Michèle Martin, je veux dire des familles qui éduquent leurs enfants à la haine, en toute impunité.

Le pire : même Kroll n'arrive pas à se montrer drôle.








Il faut avoir l'oreille musicale pour entendre le rire de Dieu

" Il faut avoir l'oreille musicale pour entendre le rire de Dieu " (Erri De Luca)

Rien ne me réjouit plus qu'une phrase comme celle-là, d'autant qu'elle a été écrite par un poète de talent à la pensée dense.

La commenter, la développer, est un exercice périlleux. Sa force ne réside-t-elle pas dans sa concision ?
Je relève néanmoins le défi, parce que j'ai toujours en moi ce besoin de ne pas garder pour moi ce que je découvre ou ressens, mais de le partager.

Quatre mots se dégagent particulièrement : oreille, musicale, rire et Dieu. Enfin, une locution verbale mérite aussi peut-être un peu d'attention : il faut.

Je ne vais pas chercher à prouver l'existence ou la non existence de Dieu. Laissons-le à son mystère. N'est-ce pas mieux ? Pour faire l'expérience du mystère de Dieu, il faut toutefois lui prêter l'oreille. Si on dit a priori qu'il n'existe pas, comment espérer entendre quoi que ce soit de lui. C'est un peu le drame des athées par choix ou parce qu'on ne leur a malheureusement jamais offert d'aller voir au-delà d'eux-mêmes. Ils n'entendent qu'eux-mêmes, leurs semblables, leurs émotions, et plus rarement leur raison. Malheureusement, ils se coupent ainsi d'une grande partie de l'humanité, celle qui ne nie pas Dieu, quel que soit le degré d'adhésion de ceux-là à Dieu et l'expérience qu'il en font.

Une citation de Woody Allen est bien connue : " Si Dieu existe, j'espère qu'il a une excuse ". Je préfèrerai toujours un Dieu qui existe, quitte à s'excuser, à une absence de Dieu qui, par définition, n'a rien à dire.

Parmi les moyens qu'a Dieu pour s'excuser d'exister, il y a la musique.

Certes, tout le monde sait, depuis Cioran, que Dieu doit tout à Bach, ce qui est une jolie formule. Cependant, la musique existait avant Bach et existera toujours. Ne nous demandons même pas si Bach doit quelque chose à Dieu. Lui, le croyait en tout cas. Sans cette foi, nous ne pourrions entendre aujourd'hui les pages les plus sublimes de la musique.

La musique, la poésie, l'art en général n'ont d'autre objet, à propos d'un sujet précis, que de nous faire éprouver des émotions et parfois, plus  rarement, une émotion qui surpasse toutes les autres au point que nous sommes obligés de la qualifier d'indicible. On n'a plus de mots pour l'exprimer, la circonscrire. Or, l'indicible est précisément le nom de Dieu. Un hadith, pour exprimer cela, énonce 99 noms de Dieu, pour signifier précisément que l'on reste sans mot et qu'il faut sans cesse en chercher d'autres.

Oui, les musiciens (et les artistes) permettent à Dieu d'exister. Les mécréants et les croyants sont bien d'accord là-dessus.

Mais l'oreille musicale dont parle le poète est bien plus que cela. J'en fais l'expérience depuis un certain temps. Elle vagabonde entre des paroles de l'Ecriture sainte, des rencontres, des lectures, des faits divers ... Il s'agit toujours d'une petite musique, qui demande un peu d'attention et d'ouverture, mais finit toujours par me rejoindre et m'ouvrir à de nouveaux horizons. Je ne sais pas exactement d'où elle vient, de Dieu, sans doute ; il me plaît de l'écouter en tout cas.

Dans l'Eglise catholique, on ne parle jamais du rire de Dieu. Dieu est bon. Dieu est amour. Dieu pleure à cause de nos bêtises. Dieu pardonne. On ne dit jamais que Dieu rit. Je me demande aussi sérieusement si le dieu des musulmans rit quelquefois. On ne lui en donne guère l'occasion, à vrai dire.

Le seul auteur chrétien qui se soit risqué à parler de l'humour de Dieu est Gilbert le Mouël, dans un délicieux ouvrage " Dieu dans le métro". Je recommande chaleureusement ce petit livre où Dieu a  quelques points communs avec le Christ de Don Camillo.




Cependant, pour entendre parler du rire de Dieu, il faut aller dans le Talmud. Rien de tel en effet que la tradition juive pour se défaire de ses complexes devant Dieu.



J'ai bien entendu parlé de l'humour DE Dieu, pas de l'humour A PROPOS de Dieu, où l'on trouve le meilleur et surtout le pire.

Je pourrais en rester là, mais, je l'avais annoncé, je dois encore me confronter au prologue de la citation (il faut).

Comment espérer toucher au meilleur de Dieu, son rire, sans un certain effort ? Certains sont dotés de naissance d'une oreille musicale. Ils perçoivent spontanément les intervalles et les harmonies. D'autres, mieux dotés encore, n'ont pas besoin d'un diapason pour donner le la. Ce n'est pas parce qu'il sont mieux dotés qu'il entendent mieux. Ils entendent bien certaines choses et d'autres mal parfois.

Pour entendre le rire et la musique de Dieu, il faut patiemment éduquer son oreille et sa capacité d'écoute.












lundi 27 août 2012

Ces anciens étudiants qui me disent "tu"

Quand j'étais professeur d'université, je n'attachais guère d'importance au statut social qui y était attaché, à la reconnaissance par mes pairs et encore moins aux insignes de la fonction (toges et décorations). J'ai toujours envisagé ma mission comme une relation entre moi et mes étudiants, vision réductrice, diront certains et sans doute solitaire, voire fondée sur une trop grande estime de soi. J'avais l'envie de leur transmettre quelque chose : selon la formule consacrée, un savoir, un savoir-faire et un savoir être. Je ne leur ai pas appris le savoir paraître, ni la meilleure manière pour faire carrière. Peut-être aurais-je dû ? De toute façon, je n'aurais pas pu.

La plus grande joie que puisse éprouver un professeur, c'est lorsque il obtient, quelques années après, un retour de ses anciens étudiants. Comme je n'ai jamais investi dans le paraître, ni la carrière, ce retour est d'autant plus riche ; il concerne toujours le savoir transmis (et la manière de l'avoir transmis) et, plus souvent encore, le savoir être.

Les étudiants qui me tutoient aujourd'hui ne sont pas particulièrement devenus des collègues ou des collaborateurs ou des associés. Ceux qui me remercient surtout pour le savoir me disent encore régulièrement "monsieur parent", voire "monsieur le professeur", pas tous cependant.

Je pense surtout aux autres pour qui le savoir être, ou une certaine manière d'être, a créé une connivence sans égard à la différence d'âge. Souvent le goût pour la musique, le théâtre, la littérature, voire un certain détachement vis-à-vis des conventions, et partant un certain humour, nous a rapprochés. Faire de la musique ensemble ou jouer une même pièce de théâtre supprime en effet beaucoup de distance.

J'aime beaucoup les revoir, prendre un café avec eux ou partager un déjeuner. J'aime parler de leur vision de la vie et de leurs idéaux dans la pratique de leur profession, de leurs engagements politiques aussi parfois. Ils me parlent même parfois de leur vie sentimentale. Quand ils m'en parlent, je suis le plus heureux des hommes. Pour la confiance qu'ils me témoignent, pour l'affection partagée, pour le vent de jeunesse qu'ils font souffler dans ma vie.

Finalement, j'ai passé une grande partie de ma vie à beaucoup parler devant des auditoires (et aussi à écrire). Et je réalise que ce que je préfère, c'est d'écouter et dialoguer. Mon attachement indéfectible à l'examen oral n'en témoigne-t-il pas ?






dimanche 26 août 2012

Est ce moi qui l'ai choisi ou lui qui m'a choisi ?

Les lectures de ce dimanche me confrontent à une contradiction.

La première lecture comporte une phrase à mon avis essentielle : " S'il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir " (Jos, 24, 15).

L'évangile (Jn, 6, 60-69), se situe, lui, à la fin du long discours sur le pain de vie dans l'évangile de Jean, et fait écho au récit de Josué : " Et vous, ne voulez-vous pas partir ?" (Jn, 6, 67). Vient ensuite la réponse de Pierre : " Seigneur à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn , 6, 68). Et puis cette réponse de Jésus : " N'est-ce pas moi qui vous ai choisis ? " (Jn, 6, 69).

Dans la relation à Dieu, tout relève donc d'un choix. Mais qui choisit et qui est choisi ?

Selon Josué, le choix nous appartient. Il y a pour l'homme une liberté de mettre Dieu au centre de sa vie ou de poursuivre d'autres idoles, car tel était bien le contexte de l'époque : construire sa vie sur des idoles ou donner la préférence au Dieu unique d'Israël. Les hébreux n'ont sans doute pas inventé le monothéisme, les égyptiens les ont précédés avec le culte du dieu solaire Aton. On peut même penser que le peuple hébreu a trouvé là son inspiration. Il a fait toutefois de ce Dieu unique le ciment de son identité. Pourquoi pas la nôtre ?

Le contexte actuel est-il si différent de celui de l'époque de Josué ?

Il y aura toujours des idoles et une alternative aux idoles. Et des hommes qui choisissent les idoles tandis que d'autres choisissent l'alternative à celles-ci.

Soyons plus concret. Il est assez commode de définir les idoles, ce sont toujours les mêmes depuis que le monde existe : le désir d'avoir toujours plus, le désir de dominer (la terre et les autres) et le désir d'être rassuré. Cela correspond aux trois tentations de Jésus au désert, selon l'évangile de Mathieu (Mt, 4, 1, 11). Je t'offre tous les royaumes du monde (Mt, 4, 8) (la possession). Si tu te jettes dans le vide, je te permettrai de dominer les lois de la nature (Mt, 4, 5-7) (le pouvoir). Ne te tracasse pas, si tu as faim, je te donne le pouvoir de changer les pierres en pain (Mt, 4, 3-4) (la sécurité). Pour obtenir cela, on sacrifie aisément aux idoles. Tout se résume à cela. Les moyens pour y parvenir par contre sont multiples. Et ces moyens ne sont pas toujours dépourvus d'ambiguité.

Il est moins commode de définir l'alternative aux idoles. Qui est donc ce Dieu unique proposé comme alternative ?

L'évangile de Jean nous apporte-t-il une réponse ?

Remarquons d'abord que Jésus ne renie pas Josué : et vous que voulez-vous ? A vous de choisir : partir ou rester. Jésus ne retient pas ses disciples, troublés par son discours, même les plus proches, quitte à se retrouver seul. Rien sans notre choix, sans notre libre arbitre. La religion, la relation à Dieu, n'a donc rien à voir avec une habitude sociologique ou personnelle dont on a finalement oublié les raisons, et encore moins avec une quelconque soumission. Elle nécessite un choix. Relevons que le Coran ne dit pas autre chose : "nulle contrainte en religion " (Sourate, 2, 256), même si les agissements de certains fous de Dieu contredisent jour après jour cette parole divine.

Rappelons qu'il s'agit de choisir l'alternative aux idoles. La réponse de Pierre à Jésus mérite d'être creusée.

" Seigneur, à qui irions-nous ? " (Jn, 6, 68).

Je ne sais où aller, donc je reste. Je reste, mais par défaut, jusqu'à ce qu'un autre que toi me paraisse plus crédible.

Mais Pierre ajoute : " Tu as les paroles de la vie éternelle " (Jn, 6, 68).

Pierre donne une réponse : auprès de Jésus, il a entendu une parole et il est touché par cette parole au point de se sentir plus vivant,  à un point tel qu'il parle de vie éternelle.

Pierre n'est pas le seul à témoigner de la force vivifiante de cette parole. De nombreux témoins après lui,  et jusqu'à aujourd'hui,  n'ont cessé de dire à quel point cette parole a transformé leur vie. Cette parole qui est pain de vie et source d'eau vive.

Au bout du choix individuel, non sans embûche, non sans doute, on entend finalement Jésus dire : tu ne le savais pas, je ne voulais même pas que tu le saches, mais je t'avais "choisi". Ton choix rejoint mon choix.












vendredi 24 août 2012

La convoitise

De plus en plus souvent, mes rencontres, ma propre vie même, donnent corps, de manière très concrète, à des états, des émotions, des sentiments qui parfois étaient restés, pour moi, à l'état de concepts un peu lointains.

Ainsi, en est-il de la convoitise.

La convoitise peut s'exercer à l'égard d'un objet. Elle désigne alors le désir de posséder et de jouir d'une chose qui, le plus souvent, appartient à autrui ou est plus ou moins interdite.

Elle peut aussi s'exercer à l'égard d'une personne. Souvent, elle exprime un fort désir sexuel (la concupiscence). Mais pas seulement, me semble-t-il. On peut aussi désirer posséder et jouir d'une personne bien au-delà du désir sexuel.

C'est à cette deuxième catégorie de convoitise que je viens d'être récemment confronté, étant non le sujet convoitant, mais l'objet convoité !

Dans la convoitise exercée à l'égard d'un autre, peuvent se mêler aussi bien le désir ou la frustration sexuelles qu'une quête d'un amour idéalisé, jamais obtenu. Je convoite l'autre parce que je pense, ou j'ai décidé, qu'il est le seul à pouvoir m'offrir cet amour total auquel j'aspire.

Tous les moyens peuvent être bons pour arriver alors à ses fins. En ce compris l'admiration inconditionnelle, la générosité et la prévenance.

Je me suis ainsi entendu dire : " Si tu m'offres ton amour tu n'auras plus aucun souci matériel, ni toi, ni tes enfants ; tu ne connaîtras plus la solitude, quelqu'un sera toujours là pour veiller sur toi ... mais tu dois m'offrir tout ton amour, pas seulement ton amitié ". Comme ce n'est pas du tout comme cela que je conçois ma vie future, cela n'a pas été trop difficile de tenir bon. Ces paroles me glacent cependant. Elles ressemblent tellement aux tentations de Jésus au désert (Mt, 4, 1-11) : prosterne-toi à mes pieds, tu auras tout ce que tu veux et moi j'aurai ce que je veux.

André Wenin écrit ceci : " Qu'est-ce que la convoitise et en quoi mène-t-elle ainsi à la mort ? ... Pour qui se laisse guider par la seule envie, la volonté d'accaparer, d'avoir toujours plus,  l'autre ne peut occuper que trois positions : il est une chose à prendre, un moyen à utiliser pour arriver à ses fins ou un rival à écarter ou à éliminer. Si quelqu'un assigne à l'autre l'une de ses places, il lui dénie par le fait même une place de sujet et de partenaire. Comment alors peut-il construire avec lui une relation positive, humanisante et épanouissante ? " (A. Wenin, L'homme biblique, Cerf, 2004, p. 140).

Oui, une telle attitude ne peut déboucher sur rien. Pire, elle risque d'être source de souffrances et de frustration pour celui qui convoite, s'il n'obtient pas la satisfaction de son désir. N'a-t-il pas tout fait pour obtenir ce qu'il veut ? Jusqu'à promettre à l'autre le bonheur. Il risque bien alors de nourrir une image très négative de lui. Pourquoi l'autre ne veut-il pas de son amour ? Et, pour l'autre, il y a un regret de voir le premier souffrir. Sachons simplement que la souffrance de celui qui convoite vient de lui seul.

Voilà encore une belle occasion de revenir à la Bible, aux péchés originels de la Genèse, ceux-là que Dieu a voulu éviter à son peuple en concluant une alliance fondamentale avec Abraham.

Je m'en tiendrai au récit de Caïn et Abel (Gen, 4, 1-16), le premier homicide de l'humanité. L'histoire est  bien connue : les deux frères offrent tous les deux à Dieu un sacrifice, Caïn qui cultive la terre offre les prémisses de sa récolte, Abel, qui est berger, offre un agneau premier-né. L'offrande d'Abel sera accueillie par Dieu, celle de Caïn pas. D'où la jalousie de Caïn qui le conduira au meurtre de son frère. Vous-êtes vous déjà demandé pourquoi ? Dieu préférait-il Abel ? Absolument pas. Simplement, les deux frères n'étaient pas dans le même état d'esprit. Abel faisait son sacrifice sans rien attendre en retour. Caïn était dans l'attente d'une réponse à son offrande, il attendait les faveurs de Dieu et il était sûr de les obtenir. Il n'offrait pas par amour, mais pour être reconnu et aimé. Il pensait pouvoir posséder Dieu en l'amadouant, tandis qu'Abel était dans la pure gratuité, la seule qui convienne à l'amour. Toujours la convoitise, le désir de posséder.

Souvent, nous sommes comme Caïn et avec Dieu et avec les hommes.






Erri De Luca

J'éprouve beaucoup de plaisir et de bonheur, pendant ces vacances, en compagnie d'Erri De Luca (né en 1950 à Naples).

Un homme dont la vie est peu banale : des parents issus de la bourgeoisie ruinés et confrontés à l'obligation de vivre une vie de pauvres dans un quartier populaire, ambiance familiale pesante et stricte ; un engagement politique révolutionnaire dès la fin de ses études secondaires, c'est là qu'il trouvera une deuxième famille ; une vie d'ouvrier maçon, solitaire, sans grande qualification et errant ; de solides engagements humanitaires ; amoureux de la montagne, il est aussi un alpiniste chevronné. De tout cela, il parle dans une oeuvre romanesque et poétique largement autobiographique.


A la fin de ses années d'engagement politique, Erry (qui s'appelait alors Harry) tombe par hasard sur une Bible qui ne le quitttera plus jamais. Il apprendra à la lire dans le texte, en hébreu, pour en être le plus proche, comme il appris seul d'autres langues, comme le yiddish. Il se plongeait dans la Bible, une heure, chaque jour, avant de se rendre au travail. "C'était un luxe que j'arrachais au sommeil, mais qui m'était plusieurs fois remboursé par le bonheur d'avoir quelque chose qui me tenait compagnie pendant ma journée ouvrière", dit-il. Il écrira  plusieurs ouvrages de commentaires ou de réflexions à propos de la Bible, toujours très inspirés. Il refuse de se dire athée, il préfère se dire non croyant : " Je ne peux pas dire que je sois athée. Le mot d'origine grecque est formé du mot "theos", Dieu, et de la lettre "a", alpha dite privative. L'athée se prive de Dieu, de l'énorme possibilité de l'admettre non pas tant pour soi que pour les autres. Il s'exclut de l'expérience de vie de bien des hommes. Dieu n'est pas une expérience, il n'est pas démontrable, mais la vie de ceux qui croient, la communauté des croyants, celle-là oui est une expérience. L'athée la croit affectée d'illusion et il se prive ainsi de la relation avec une vaste partie de l'humanité. Je ne suis pas athée. Je suis un homme qui ne croit pas ". Ce quotidien avec la Bible lui permet, dit-il, de pas se "défaire de la surprise d'être vivant". Cette parole est comme un noyau d'olive qu'il retournerait sans bouche tout au long de la journée.







mercredi 22 août 2012

L'homme riche

Un passage des évangiles m'a toujours interpelé : la rencontre entre Jésus et un homme riche (Mc, 10, 17-30). Pourquoi la tradition a-t-elle dit qu'il s'agissait d'un jeune homme riche ? Les textes ne le disent pas (Mt, 19, 16-30; Lc, 18, 18-30). Faut-il parfois se méfier de la tradition ?

Cet homme riche est dans l'urgence. Manifestement, quelque chose le tracasse, car il vient à Jésus en courant et se jetant à ses genoux, avec une question peu banale : "que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ?". Il y a une attente chez cet homme, pas n'importe laquelle puisqu'il s'agit de la vie éternelle, une attente urgente aussi ; mais, dans sa question, cet homme semble anticiper la réponse "que dois-je faire ?", comme s'il n'y avait pas d'autre réponse possible. Pour lui, il s'agit bien de savoir quoi faire.

Il appelle "bon maître" celui qu'il vient solliciter, croyant ainsi obtenir ses faveurs. Cela commence mal pour lui : "Pourquoi m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon que Dieu seul" .

Deux maladresses de sa part, en deux versets :
- d'abord,  il fixe le cadre et les limites de la réponse qu'il attend, sans être ouvert à une autre réponse ;
- ensuite, il ne trouve pas les mots exacts pour s'adresser à son interlocuteur, peut-être se trompe-t-il, sans le savoir, d'interlocuteur ?

Arrêtons-nous un instant. N'agissons pas comme lui plus souvent qu'à notre tour ?

Jésus le soumet alors à une espèce d'examen de conscience, comme le faisaient les confesseurs d'antan dans l'obscurité de leurs confessionnaux. Il a de la chance cet homme riche : il a toujours respecté tous les commandements. Comme bien d'autres qui croient qu'être religieux, cela consiste à se soumettre à des obligations. Mais, alors, pourquoi est-il venu en courant vers Jésus ? Ressentait-il un manque, malgré son respect scrupuleux des règles ?

Le plus beau moment du récit vient alors. Jésus se sent comme désarmé face à cet homme. Il se prend à l'aimer.

Il lui dit alors quelque chose d'inouï : "une seule chose te manque". Une seule !

"Va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. Puis, viens, suis-moi".

A ces mots, il s'assombrit et s'en alla tout triste.

Pourquoi ?

Le texte le dit : "il avait de grands biens".

Arrêtons de penser que le texte ne parle que d'argent, de possessions matérielles et de partage des biens.

Ce que ne parvient pas à surmonter l'homme riche, c'est une incapacité à être dépossédé de lui-même, à s'oublier pour devenir un espace libre, ouvert à d'autres horizons, d'autres possibles que ses attentes. Non point faire, mais être.













Y aurait-il victimes et victimes ?

Dans les suites de cette affaire "Dutroux-Martin", qui empoisonne la Belgique depuis bientôt 20 ans, il y a des victimes dont on n'a jamais parlé et qui, pour la première fois, prennent la parole : les enfants de Marc Dutroux et de Michèle Martin.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/756370/frederic-dutroux-ma-mere-n-est-pas-un-monstre.html

Voilà des enfants issus de parents monstrueux. Sont-ils du coup monstrueux et doivent-ils subir à vie  cet antécédent monstrueux ? Ne sont-ils pas aussi des victimes dans le fond ? Ils ont cherché à se protéger de cela en changeant de nom.

Pourquoi se pose-t-on la question aujourd'hui ?

Voici la raison : la mère de Michèle Martin, la grand-mère des enfants donc, qui a dû plus que vraisemblablement jouer un rôle auprès de ceux-ci, sans père, ni mère, sauf en prison, depuis plus de 15 ans, est décédée en laissant un héritage modeste. Michèle Martin, en prison, a décidé de renoncer à cet héritage au profit de ses enfants. N'est-ce pas ce que toute mère, dans une telle situation, aurait fait ?

Seulement voilà, certaines parties civiles au procès, soutenues par leurs avocats, n'entendent pas les choses de cette oreille : en renonçant à son héritage, Michèle Martin aurait frauduleusement organisé son insolvabilité, empêchant l'indemnisation accordée aux parties civiles. Mieux, les meubles sans grande valeur marchande, mais derniers symboles d'une famille, auraient été entreposés chez les Clarisses de Malonne, tant décriées, qui seraient ainsi complices.

De toute évidence, Michèle Martin ne sera jamais capable, même en travaillant jusqu'à la fin de ses jours, de payer ce à quoi elle a été condamnée. Et ce n'est pas l'héritage de sa mère qui va changer grand chose.

Je m'interroge dès lors sur les intentions de monsieur Lambrecks, le père de Anne et Eefje, qui a décidé d'introduire une action en justice contre Michèle Martin. La vengeance inassouvie ? L'argent ? Je m'interroge aussi sur les motivations profondes de son avocat qui le soutient, toujours prêt à entamer une procédure, alors qu'il pourrait l'aider à plus de raison, mais c'est peut-être plus le métier d'un psy que d'un avocat.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/756141/jean-lambrecks-porte-plainte-contre-michelle-martin.html

Je me demande si les défenseurs, tellement virulents et acharnés, des victimes de Marc Dutroux et de Michèle Martin, qui aiment si souvent allier la vindicte et la haine à leurs propos, ont réalisé qu'il y a eu d'autres victimes que les leurs dans cette affaire : les enfants de Marc Dutroux et de Michèle Martin. Des victimes qui n'ont même pas été parties civiles, qui n'ont jamais été entendues, qui n'ont pu formuler aucune prétention financière. Elles ont juste eu le droit de voir condamner leurs deux parents à la prison et de se débrouiller.

Cette affaire ne cesse d'illustrer, même dans ses développements les plus récents, les côtés les plus vils et les moins élevés de l'âme humaine.

Je n'ose ma conclusion : il y a finalement peut-être plus de monstres qu'on ne croit, des grands et des moins grands... cela ne grandit pas l'humanité.




vendredi 17 août 2012

Les gens

Vous le savez, j'habite un quartier formidable de Liège, où on se parle familièrement même quand on ne se connaît pas, où on se tutoie facilement, où on se fait la bise ou s'offre un verre après cinq minutes, où la couleur de peau, la religion ou les origines ne sont jamais quelque chose de très important. Peut-être est-ce pour cela qu'on s'y sent un peu plus heureux ?

Quelques instantanés des dernière fêtes du 15 août (qui s'étendent en fait du 13 au 16).

Première cette année. Comme Paris, Liège comporte une rive gauche et une rive droite, en moins grand évidemment, mais quand même. Le doyen de la rive gauche a décidé, cette année, qu'aucune messe ne serait organisée, le jour de l'assomption sur la rive gauche, invitant tous les liégeois sur la rive droite. Je ne suis pas sûr que cette invitation "à passer sur l'autre rive" ait donné lieu à un mouvement migratoire fort important. Les chrétiens par habitude ne sont pas toujours prêts à quitter leur église pour aller dans une autre. Ils finissent souvent par s'abstenir.

Deuxième cette année. Le moment fort de la messe en plein air, et en wallon, ne fut pas du tout le sermon du curé, inutilement déguisé en Tchantchès, la marionnette-mascotte du quartier. Par quelle opération du Saint Esprit, Tchantchès, la mascotte, se voit-il ainsi habilité à faire le sermon de la messe ? Moi, ce que j'aimais bien, c'était quand un vrai curé, pas un curé déguisé, faisait le sermon en wallon, expliquant aux petites gens, les tchantchès, avec leur langue à eux, et avec gouaille, les mystères les plus impénétrables. Depuis deux ans, un autre prédicateur vole la vedette au curé "Tchanthchès" : il s'appelle Jamal. Il y a beaucoup de musulmans dans mon quartier. Ils étaient en plein ramadan, cette année et, dans leur religion, ils vénèrent aussi Myriam (Marie). Il est venu s'exprimer à la fin de la messe dans un très beau texte en vers qu'il avait composé, un texte vraiment inspiré. Il a été très applaudi. J'aimerais en disposer. J'ai eu comme l'impression que le niveau s'élevait d'un cran. Je remercie mon curé de lui avoir ouvert ce temps de parole et je remercie Jamal, jeune musulman convaincu, d'avoir eu l'audace d'accepter. Un peu d'audace permet souvent de grandes choses. Et je rêve qu'un imam, lors d'une fête musulmane, invite un jeune catho du quartier, aussi convaincu et convaincant que Jamal, à s'exprimer dans sa mosquée.

Tout le monde s'est finalement réuni lors du cortège folklorique. Les enfants belges et les enfants marocains ont la même peur des sorcières et la même inquiétude des géants. Ils s'amusent de la même manière, et leurs parents aussi, quand ils se trouvent pris par de faux pompiers dans une tempête de confettis ou aspergés de talc par les vilaines sorcières.

Pendant la messe, je me suis déplacé beaucoup pour faire des photos. Mon ami et vicomte MdB, n'aimant pas le soleil, ni trop bouger, s'est réfugié dans un bistro. Quand je l'ai retrouvé, il parlait avec une botteresse ! Une "botteresse" était, par le passé, une femme du peuple qui amenait au marché de la ville, dans un panier, sur son dos, les légumes des vergers maraîchers des alentours. Celle-ci connaissait pesonnellement "Papa" Daerden, José Happart et Jean-Claude Marcourt, bref, elle fréquentait, comme moi, le beau monde. Elle a même bu, nous a-t-elle dit un verre avec Elio di Rupo (le premier ministre), qui lui serre dorénavant la main chaque fois qu'il la voit. Quand un vicomte rencontre une botteresse, quelles histoires se racontent-ils ... ?

http://www.youtube.com/watch?v=PgQQW_9LkaI&feature=related

Le texte du sermon en wallon est disponible sur le site : http://www.gensdoutremeuse.org

Un peu plus tard, alors que nous attendions les géants et les fanfares, mon toujours ami et vicomte est entré, dans un magasin camerounais, pour acheter deux canettes de bière fraîche. Un africain hilare, plus ou moins de mon âge, qui n'en était pas à sa première bière, présent sur le trottoir, me tape dans la main, me disant  "comment vas-tu mon frère ? Il y a moins de bruit cette année, c'est à cause de la disparition de "Papa". Lui aussi connaissait donc personnellement "Papa" Daerden, José Happart et Jean-Claude Marcourt ! J'ai été pris d'un léger vertige. Et dire que moi je n'en connaissais personnellement aucun et qu'ils ne m'ont jamais offert aucun verre, ni serré la main.  Mon ami sort du magasin. On fait alors les présentations. Mon ami : moi je m'appelle M. de B. et l'africain, hilare, lui répond, et moi je m'appelle Mfukala de Labrousse ! Puis, il nous dit : vous avez tous les deux une canette de bière et moi je n'ai rien à boire ! Ce qui était vrai. Bon prince, je lui ai offert une canette de bière. On agit comme cela entre aristocrates.

Après avoir constaté que Jean-Pierre Grafé était encore - et toujours - présent dans la tribune des VIP, voilà que nous croisons, en vrai, Jean-Claude Marcourt, avec son éternel sourire plein de dents. Ai-je ébauché un signe de tête ? Il me dit : "bonjour, docteur" (même pas "monsieur le professeur", non "docteur"). Un instant, je me suis dit : je vis un cauchemard ! Non, c'était la réalité !

Après une pause pékèt, terre inconnue pour mon ami, qui ne boit que de la Duvel, du Martini blanc et des grands crus, nous rejoignons mes parents au restaurant La Capitainerie. Une totale réussite. La vue, la cuisine, le service, la compagnie. Cela a été un peu les vacances de mes parents, comme au Bord du Lac Léman. Il n'était pas dit pourtant que cet étrange quatuor allait fonctionner. Mon ami d'une totale prévenance avec mes vieux parents, je dois le dire.

Comme mon ami ne refuse aucune des propositions que je lui fais et qu'il a tant de choses encore à découvrir, je lui ai fait découvrir le péket citron, mais il préfère fruit des bois. Un peu plus loin, je lui dis, par solidarité avec mes deux fils, nous devons nous arrêter au Café Brasil, où les serveuses et serveurs ont tout le charme du Brésil. Mais, mon ami, n'aime pas la menthe. Il a bu contraint, un mojito ou un caipirinha, je ne sais plus. Moi, j'aimais beaucoup les serveurs et les serveuses très sympatiques.

http://www.facebook.com/cafebrasil.be

Au moment, de rentrer un jeune couple a attiré mon, puis notre, attention. Il est vrai, on ne doit pas en rencontrer de semblable à Fraipont.



Mais, je n'avais pas envie de rentrer, sans m'arrêter chez Loly, mon ancienne caissière du supermarché, et Nabil, son mari tunisien. Pour mon ami, retour à la bière. Moi, j'ai continué au pékèt.  Comme mon ami ne savait pas en quoi consiste la danse orientale, je demande à Loly si elle ne peut  pas mettre un peu de musique orientale, de toute façon, Rabi, le voisin libanais, ne sera pas le dernier à aller danser. En effet, ils se sont mis à danser derrière le comptoir. Je n'avais qu'une envie: aller danser avec eux. Mais je ne pouvais pas laisser seul mon ami, qui de toute évidence n'avait aucune envie d'aller bouger derrière un comptoir.

Pour l'anecdote, ayant tapé "comptoir", le correcteur orthographique a écrit "compotier".

Dès aujourd'hui, je redeviens sobre, sage et mesuré. Que cela soit dit !







mardi 14 août 2012

L'assomption comporterait-elle un message politique ?


Les chrétiens vont fêter ce 15 août la fête de l'assomption. Dans mon quartier d'Outremeuse, c'est aussi une fête folklorique et plusieurs jours de libation fort arrosés.

La fête de l'assomption de Marie serait-elle devenue un simple prétexte ? Le public présent à la messe en wallon, les dévotions ferventes à la Vierge dans l'Eglise Saint Nicolas et l'exceptionnelle bénédiction des amoureux témoignent du contraire.



Le mot "assomption" se réfère à un dogme de l'Eglise catholique romaine, selon lequel Marie, la mère de Jésus, aurait été, après sa vie terrestre, "élevée au ciel". Je n'aime pas les dogmes en tant que vérités incontestables. Je ne les refuse pas, s'ils sont porteurs de sens, fût-ce un certain sens.

A part Jésus, lors de l'ascension - mais, lui, on peut comprendre, il était le fils de Dieu - personne d'autre que Marie, sa mère, n'a ainsi été élevé au ciel, même pas les saints. Pourquoi ce privilège ? Je me dois de souligner que l'Ancien Testament comporte un précédent étrange : Elie a été emporté vivant au ciel sur un char de feu (2 Rois, 2, 1-11).

J'y vois au moins deux raisons, pour ma part (il s'agit donc de ma propre lecture du dogme).

La première : Marie, femme, simple mère, modèle d'humanité, a eu accès au ciel, au royaume de Dieu, avant tout jugement dernier. C'est dire si ce Royaume n'est pas réservé, qu'il est ouvert à tout homme, à toute femme, à condition peut-être ... de suivre l'exemple unique de Marie.

La seconde : qu'a fait Marie, comment Marie a-t-elle vécu pour mériter ce privilège ? Marie a-t-elle fait de grandes choses ? On sait peu d'elles, à vrai dire. Elle a accepté l'impossible, l'incroyable, annoncé par l'ange Gabriel (Lc, 1, 26 et sv.). Elle est allée rencontrer et aider sa cousine Elisabeth ( Lc, 1, 39 et sv.). Elle s'est inquiétée de la disparition de Jésus à Jérusalem, quand il avait douze ans (Lc, 2, 11 et sv.). Elle a laissé Jésus vivre son destin et a sans doute souffert quand il a posé la question : "qui sont ma mère et mes frères ?" (Mt, 1, 48). Elle était au pied de la croix pleurant devant son fils humilié et mourant (Jn, 19, 25). Elle était aussi auprès des disciples après la mort de Jésus (Ac, 1, 14). Rien d'héroïque. Juste une vie normale de mère pleinement investie par sa condition de mère et son humanité. Ce n'est pas par l'héroïsme, ou les actes extraordinaires, qu'on accède au Royaume de Dieu, mais par une confiance totale, un abandon même, à vivre ce que l'on doit vivre comme humain, chacun dans sa singularité.

Mon quartier, qui est fait de beaucoup de petites gens, incarne beaucoup ce Royaume de Dieu.

Oui, ce message est politique, au sens de vivre sa vie dans la cité d'une certaine manière.

Je me dois de souligner particulièrement la bénédiction des amoureux, le 15 août, à 18 heures à l'église Saint Nicolas, devant Marie, car cette bénédiction doit être unique au monde. Cette bénédiction est ouverte à tous les amoureux, jeunes et vieux, fiancés et vieux couples, couples recomposés, couples homos, quelle que soit la conviction religieuse, le curé l'a bien précisé. Il s'agit de rendre grâce pour l'amour vécu et de le confier à celui que nous voulons bien appeler Dieu, avec l'aide de Marie qui nous a précédés.

Au même moment, en France, à l'initiative de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, une prière a été proposée à toutes les paroisses de France, pour la fête de l'assomption.

En voici les termes :

" En ces temps de crise économique,  beaucoup de nos concitoyens sont victimes de restrictions diverses et voient l'avenir avec inquiétude ; prions pour celles et ceux qui ont des pouvoirs de décision dans ce domaine et demandons à Dieu qu'il nous rende encore plus généreux encore dans la solidarité avec nos semblables ;

Pour celles et ceux qui ont été élus pour légiférer et gouverner; que leur sens du bien commun l'emportent sur les requêtes particulières et qu'ils aient la force de suivre les indications de leur conscience ;

Pour les familles, que leur attente légitime d'un soutien de la société ne soit pas déçue; que leurs membres se soutiennent avec fidélité et tendresse tout au long de leur existence, particulièrement dans les moments douloureux. Que l'engagement des époux et envers leurs enfants soit un signe de la fidélité de l'amour ;

Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin vers le bonheur; qu'ils cessent d'être l'objet des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l'amour d'un père et d'une mère".


Cette prière, qui n'est qu'une prière, me semble fort consensuelle et même d'inspiration plus laïque que véritablement chrétienne (à part la référence à Dieu et, dans la finale, non reproduite, celle à Marie, patronne de la France). Je savais que saint Benoît était le patron de l'Europe et viens d'apprendre que saint Joseph était le saint patron de la Belgique !

Elle suscite pourtant la polémique. La raison est double :
- d'abord, l'Eglise de France y réaffirme, sans surprise pourtant, sa vision de la famille (un père et une mère) et manifesterait ainsi sa totale incompréhension à l'égard des couples homosexuels (voire des familles monoparentales);
- ensuite, elle semble vouloir faire pression sur la conscience des élus, ce qui ne peut se tolérer dans un Etat laïc.


N'est-ce pas une tempête dans un verre d'eau de la part de ceux qui critiquent, en l'espèce, l'Eglise ? Une prière a-t-elle jamais influencé le vote d'un parlementaire élu ?

Ce qui m'inquiète, c'est la réaction médiatique de l'Eglise de France, par la bouche du cardinal Barbarin, face à cette polémique :

" La prière a une dimension politique ... C'est une rupture de civilisation  de vouloir dénaturer le mariage qui est depuis toujours une réalité merveilleuse et fragile", juge Philippe Barbarin, qui se défend de toute atteinte à la laïcité (à propos du projet du gouvernement de légaliser le mariage homosexuel). "La laïcité interdirait-elle la prière ?" s'est-il interrogé.



Si on peut espérer qu'aucune prière à Dieu n'ait jamais influencé un élu, on peut douter du contraire s'agissant de certains électeurs. Le cardinal Barbarin a bien situé l'enjeu au-delà du côté apparement consensuel et ouvert du propos. Oui, une simple prière peut avoir une dimension politique ... Cette initiative de l'église de France, par son côté médiatisé, appelle au moins une réserve et, de ma part, une certaine incompréhension. 

Quant à Nadine Morano, pour l'anecdote, une fois de plus, elle aurait mieux fait de se taire :


Je suis tellement content de résider dans la République libre et multi-cultu(r)elle d'Outremeuse, là où on ne polémique pas et où le curé bénit les amoureux sans distinction. Là où un musulman prend la parole lors de la messe du 15 août et où on se souhaite bonne fête de Pâques" et "bonne fête de l'Aïd".

vendredi 10 août 2012

Grottes d'enfance

Quand il avait 8-9 ans, Samuel allait souvent, le mercredi après-midi, à Tancrémont, avec mes parents, où il y avait une petite plaine de jeux et de la tarte.

Dans son enfance, nous avions aussi décidé de visiter, un jour, les Grottes de Remouchamps, sans doute pas les plus belles, mais les plus naturelles, les plus sauvages.

Nous avons remis cela mercredi dernier, avers mon ami M., qui n'avait jamais visité de grotte de sa vie et avait un vague souvenir des tartes de Tancrémont,  à 6 km de chez lui.

Amusante excursion : j'ai l'impression de faire découvrir à mon ami des choses qu'il aurait pu découvrir dans l'enfance. Il nous a amusés, Sam et moi, avec son blazer bleu marine dans les grottes, son sac en bandoulière et sa bouteille d'eau ! Heureusement, il avait renoncé à son panama. Oui, mon ami a des côtés décalés. Je le trouve drôle, comme tous les personnages décalés.  Je le lui fais comprendre gentiment.

Avec mon ami, j'apprend beaucoup aussi de l'éducation telle qu'elle était pratiquée dans les bonnes et grandes familles. Stricte, austère même, peu ouverte au monde, pas de télévision, pas de sorties, peu de culture, une vie en vase clos. Et puis business avant tout. C'est aux antipodes de ma jeunesse à moi, qui, toute aussi stricte, n'avait qu'un but s'ouvrir pour s'enrichir l'esprit et l'âme.

J'espère que mon ami M. ne m'en voudra pas de cette comparaison entre mon milieu et le sien, ma jeunesse et la sienne.

J'apprécie beaucoup les liens d'amitié qui se sont tissés entre M., Sam et moi.









lundi 6 août 2012

Liège, un jour d'été, en touriste (II)

Avec mon ami M.,  je me vois invité à vivre des choses que je n'avais plus vécues depuis longtemps : redécouvrir les bons restos et l'emmener découvrir les richesses culturelles de ma ville qu'il connaît à peine, bien qu'il soit de la région.

Mercredi dernier, où je n'étais pas au sommet de ma forme, c'est le moins qu'on puisse dire (Sam m'a vu rentrer livide et épuisé, je le suis resté le lendemain), nous avions programmé une rencontre en terrasse, un déjeuner aux Jardins des Bégards (dans le jardin) et une visite du Trésor de la Cathédrale Saint-Paul.

Je ne garderai ici que le positif de cet après-midi.

C'est un réel plaisir que de fréquenter les terrasses de Liège. Un lointain souvenir me revient : 1984, à Porto Alegre, au Brésil, une ville très méditerranéenne. Certes, je n'étais pas là pour flâner en terrasse, j'y étais pour accueillir mon premier fils, mais l'absence de terrasses où s'arrêter pour boire un verre m'avait frappé. Nous compensions avec les échoppes où l'on servait des jus de fruits frais délicieux qui n'étaient pas que des jus d'orange (mangues, goyaves, ananas, papayes, grenades étaient aussi au rendez-vous).

Nos pas nous ont ensuite guidé aux Jardins des Bégards. Le lieu est insolite, magique et exceptionnel. Un lieu dans la ville, mais "hors" la ville, au pied des anciens remparts et des grandes demeures du Publémont. L'accueil fut attentionné : touchant de la part de la serveuse d'origine africaine, compétent et très sympathique de la part de son acolyte verviétois. On est ici dans le registre du raffinement, de la cuisine élaborée, de la surprise. Les prix en témoignent. Et pourtant, je suis sorti avec une pointe de déception. Oui, j'ai connu des surprises, mais aucune ne m'a ébloui au point de me donner l'envie d'y retourner. Trop surprenant ? Surfait ? A moins que le courant entre le chef et moi ne soit pas passé ... Mon ami leur a mis la note de 13/20. Sévère.

http://www.lejardindesbegards.be/site/

Nous avons alors été visiter le Trésor de la Cathédrale de Liège. J'ai d'abord fait découvrir à mon ami deux ou trois choses dans l'église : les vitraux du choeur, le sublime Christ gisant de Jean Del Cour et Lucifer.


La cathédrale Saint Paul vue de la Place Saint Paul


La nef et le choeur


Le Christ gisant (1696) de Jean Del Cour (1627-1707)



Les vitraux du choeur


Le cloître


Le jardin intérieur



Lucifer, l'ange déchu, à l'arrière de la chaire de vérité néogothique.
Il se dit que cette représentation de Lucifer, très réaliste et très suggestive, 
a troublé certains chanoines ...

Je lui ai appris ce qu'était une "miséricorde" : un accessoire pour chanoines fatigués. La miséricorde, appelée aussi patience, est une petite console fixée à la partie inférieure du siège pliant d'une stalle de choeur. Elle permet au chanoine ou au moine fatigué, pendant l'office divin, de prendre appui lors des longues stations debout.


Exemple d'une miséricorde


Le Trésor de la cathédrale est vraiment très riche et la rénovation des lieux met ses merveilleuses collections en valeur. Le chef d'oeuvre, le point d'aboutissement, est le buste reliquaire de Saint Lambert (mais ne négligez pas le reste) ... que j'ai découvert comme jamais !



Antérieur à 1512
Un chef d'oeuvre de l'orfèvrerie
Argent doré repoussé et ciselé

Lambert n'avait plus sa mitre (elle était déposée à côté de lui), ni même son crâne (tout aussi à côté de lui) ! Tout ceci pour son 500ème anniversaire et une exposition temporaire consacrée .. aux crânes dans l'iconographie (des danses macabres, au rappel de notre condition humaine, en passant par les étiquettes pour produits dangereux). Je suis un peu passé à côté de cette exposition temporaire (car ce n'était pas vraiment ce que j'attendais), mais ai vu Saint Lambert sans mitre et sans crâne !






dimanche 5 août 2012

Mannh'ou

Le mot "Mannh'ou"apparaît une seule fois dans la Bible, dans le livre de l'Exode (Ex, 16, 15). Le peuple hébreu est dans le désert et récrimine contre Moïse qui l'a conduit là, où il crève de faim. Leur sort n'était-il pas meilleur comme esclaves en Egypte (Ex, 16, 1-18) ?

Récriminer encore et toujours. Préférer le petit confort, même misérable, à l'aventure, l'avenir, ses probables épreuves et ses promesses.

Moïse leur dit : ce soir, vous mangerez de la viande et du pain à satiété, Dieu y pourvoira. Et voilà, qu'un vol de cailles s'abat, le soir, sur le campement et, le lendemain matin, après la disparition de la rosée, la surface du désert est recouverte d'une fine couche blanche inconnue. "Mann'hou ?", dit le peuple. "Qu'est ce que c'est ? " C'est le pain que Dieu vous donne, leur répond Moïse. On l'appellera donc la "manne".

Ceci n'est pas une parenthèse.

Nous avions quitté Jésus, la semaine dernière, après la multiplication des pains et quelques questions que l'évangéliste Jean suggéraient.

http://xavierciconia.blogspot.be/2012/08/la-faim-et-la-multitude.html

Une fois le miracle accompli, et pris un temps de désert, Jésus et ses disciples passent en barque sur l'autre rive, non sans péripéties, où la foule les guette et même les traque (Jn, 6, 22 et sv.)

Les questions suggérées sont ici formulées explicitement : je vous ai donné un signe,  l'avez-vous seulement compris ? Vous êtes ici parce que je vous ai donné à manger, que j'ai comblé vos désirs matériels, n'avez-vous pas compris que je vous parlais d'autre chose ? D'autres besoins, d'autres désirs. Incompréhension parmi le peuple.

Jésus leur parle alors, dans un long discours, du Pain de vie (Jn, 6, 22-71).

"Seigneur, dit la foule, donne-nous toujours de ce pain-là " (Jn, 6, 34). Etonnante réminiscence de la parole prononcée par la Samaritaine, au bord du puits : " Seigneur, donne-moi de cette eau pour que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à venir à puiser ici " (Jn, 4, 15). Le pain de vie et l'eau de vie.

Oui, nous les croyants, nous les chrétiens, avons l'assurance, non pas d'un au-delà, d'un paradis pour demain, mais d'une parole et d'un chemin de vie, qui peut nous faire renverser les montagnes, nous confronter aux préjugés et nous faire subir les sarcasmes. Mais au moins, il s'agit d'un chemin de vie, même si l'Eglise institutionnelle n'en donne pas toujours l'image.

Revenons à Mann'hou. Frère François, qui lit la Bible, comme un détective passionnant, ma foi, oserais-je dire, relevait, ce matin que Jean situait le discours de Jésus à Capharnaum (et plus précisément dans la synagogue de cette ville), tandis que Marc, que nous avons abandonné, il y a deux semaines, le situe, après avoir relaté deux multiplications des pains (Mc, 6, 30-44 et Mc, 8 , 1-10) dans la région de Dalmanoutha (Mc, 8, 10).

Ne cherchez pas sur la carte : cette région n'existe pas. Elle aurait été inventée de toutes pièces par Marc. Dans quel but ?

Certains exégètes pensent qu'il s'agirait d'une forme ancienne araméenne signifiant "la région de". Ceci ne pouvait satisfaire frère François : "dans la région de la région de", cela ne veut rien dire.

Il a proposé, ce matin, un possible sens :
- "tha", comme Golgotha ou Gabattha, la finale sonne plus vraie que nature, pour un nom de lieu ;
-  Dal, en hébreu, peut signifier la porte, l'ouverture, même si cette forme brève est peu usitée ;
- et que trouve-ton au milieu ? "manou", la manne.

Cqfd ! Marc situe le lieu où Jésus va parler du "pain de vie", là où est ouverte la porte où Dieu offre sa nourriture. Il peut s'agir d'une synagogue, d'une église, d'un monastère, d'une rencontre, d'une lecture.

Cela peut paraître un peu tiré par les cheveux ... mais quand les moines et les rabbins s'en mêlent, ils rivalisent aisément avec les théoriciens du droit. Du moment que tout cela cherche à donner du sens, rien à redire, pour ma part.

Chacun en fait ce qu'il veut.










Le droit, la justice, les sentiments et l'humanité

La haine et la vengeance, comme - je le pense aussi - la colère et la jalousie, sont des sentiments négatifs qui enferment. Ils n'apportent que la mort, jamais la vie. Ils ferment toute porte.

Entendons-nous bien : je parle ici de ceux qui éprouvent ces sentiments. C'est eux qui, en les éprouvant, se condamnent en premier lieu à la mort et ne sont donc plus capables de véhiculer la vie. Sans s'en rendre compte, en ressentant de la sorte, ils condamnent toujours un autre, dont ils peuvent en effet empoisonner la vie, sans compter celle des autres, sans se mettre jamais vraiment eux-mêmes en question.

"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre" (Jn 8, 8).

L'actualité nous offre, tous les jours, des exemples de ces marchands de mort.

Ces derniers jours, la Belgique croule sous les réactions indignées d'une frange de citoyens concernant la libération conditionnelle de Michèle Martin, à la moitié de sa peine. N'a-t-elle pas été la complice de Marc Dutroux ? Certes point pédophile, elle-même, mais suffisamment insensible, ou manipulée, pour n'avoir point empêché la séquestration voulue par son sinistre époux et même collaboré à celle-ci. Ayant été condamnée à 30 ans de prison, comment peut-on la libérer après 16 ans ? C'est une honte, disent ces gens, qui ne la connaissent pas personnellement, mais en font, avec toutes leurs tripes, leur icône de l'horreur et se disent, avec conviction, proches des victimes ou de leurs parents, sans toujours avoir demandé leur accord, cela soit dit.

De surcroît, le plan de réinsertion de Michèle Martin l'assigne à résidence dans une maison religieuse, chez les Clarisses de Malonne, qui ont beaucoup réfléchi avant d'accepter et qui se font aujourd'hui vilipender par les mêmes, avec des arguments aussi fins que "on reconnaît bien là l'Eglise catholique, toujours du côté des pédophiles". Ces religieuses subiraient non seulement l'opprobre de ceux-là, mais aussi des menaces.

On se rassure, comme on peut, en se disant que ces gens ont l'esprit peu éduqué, qu'ils manquent de finesse, que l'émotion prend chez eux le pas sur la raison. Ils n'en sont pas moins là et posent des questions essentielles sur l'Etat de droit, la justice, les sentiments et finalement l'humanité.

Il convient de rappeler tout d'abord que le droit a, jusqu'à preuve du contraire, été respecté en ce qui concerne Michèle Martin. Depuis sa condamnation à trente ans de prison, par un jury populaire, en Cour d'assises, dûment averti par les magistrats professionnels des possibilités d'une libération conditionnelle et qui n'a pas jugé bon d'assortir son verdict d'une peine de sûreté. Ensuite, lors de ses cinq demandes de liberté conditionnelles, la dernière, à la moitié de sa peine, lui étant finalement favorable. C'est dire que la justice n'a pas fait preuve de largesse à son égard.

Le procès fait aux juges est, à cet égard, hors de propos. La justice belge n'est pas laxiste et ne privilégie pas l'auteur aux victimes (ou à leurs parents). Les juges belges disent et appliquent le droit, ce n'est malheureusement pas le cas partout ailleurs. Il faudrait donc plutôt se réjouir de voir notre justice respecter le droit et faire preuve d'assez d'indépendance pour ne pas suivre les sirènes de l'opinion (ou les diktats du pouvoir).

Il est, de ce point de vue, étonnant d'entendre certains, même parmi les politiques, plaider en faveur d'un droit de regard (et même d'un droit d'appel) des victimes sur le suivi de l'application d'une peine. N'oublions pas que la peine est prononcée au nom de l'Etat, gardien de l'ordre social, non pas à la demande des victimes, lesquelles sont entendues comme parties civiles. Notre justice pénale n'est pas un exercice du droit à la vengeance. Le suivi de l'application d'une peine appartient à l'Etat et à ses représentants, les parties civiles ne peuvent y exercer une influence que marginale.

On peut passer au deuxième volet : le droit est-il toujours juste ? C'est une fausse question. Le droit, en nos sociétés développées, ne peut évidemment répondre à la conception individuelle que chaque citoyen se fait de la justice. Il est toujours le résultat d'un consensus social, exprimé en démocratie, au Parlement, majorité contre opposition. Le droit peut toujours évoluer, être modifié, amélioré, mais dans le respect du jeu démocratique. Il est tout sauf une réalité figée. On peut manifester, exprimer son opinion, mais ce n'est pas dans la rue que le droit se fait, encore moins quand les manifestations font preuve de haine et de violence physique ou verbale à l'égard d'autrui. Le droit est une réalité pas une chimère. Les théoriciens du droit ont beaucoup réfléchi à cette question : existe-t-il un droit naturel, des valeurs universelles qui seraient supérieures au droit positif existant ? Sur le plan moral ou de certaines consciences, oui, mais cela n'a plus rien à voir avec le droit. J'éprouve, cela va sans dire, la même réserve pour toute notion de "justice immanente", qui passerait au-dessus du droit, dépendant directement de Dieu ou des dieux.

Viennent alors les sentiments. Les sentiments nous constituent, comme ils peuvent nous aveugler. Je pense avant tout bien entendu aux sentiments des victimes encore en vie et aux parents de celles qui ne sont plus. Les sentiments qu'ils éprouvent encore aujourd'hui - car,  on ne guérit jamais de semblables blessures - leur appartiennent. Laissons les leurs. Par respect pour eux, il serait simplement décent que certains ne se les approprient pas ou ne les médiatisent pas. Ceci n'exclut pas la compassion qui n'a rien à voir. Je suis sûr, par exemple, de la parfaite compassion des soeurs clarisses de Malonne pour les victimes et pour leurs parents. Leur supérieure l'a d'ailleurs dit explicitement.

Enfin, l'humanité. L'homme sera sans doute à tout jamais à la fois l'ivraie et le bon grain, mais j'aime à croire qu'il y a un chemin lent et progressif de progression vers plus d'humanité, chemin individuel et collectif. Je pense même que plus l'homme grandit en son humanité, plus il se "divinise".

C'est rien moins que le combat entre la vie et la mort. Seule la vie porte du fruit. La mort éteint, restreint, limite. Elle ne porte jamais de fruit.

Les Clarisses de Malonne ont fait, pour moi, le choix de la vie, en parfait accord avec leur foi en l'évangile. Elles savaient que les forces de mort leur cracheraient au visage. Je les trouve admirables. Elles osent avoir foi. Elles vont accepter l'ivraie parmi elles pour grandir avec elle. Elles porteront, comme l'a dit la mère supérieure, deux détresses plutôt qu'une seule. Loin de mériter la vindicte, je trouve leur attitude admirable.

Gandhi disait aussi : " la vieille philosophie de l'oeil pour oeil n'a jamais fait que des aveugles ".




















vendredi 3 août 2012

La faim et la multitude

Rappelez-vous, il y a, un peu plus d'une semaine, Jésus et ses disciples fuyaient, en barque, la foule qui les suivait pour se reposer et manger un peu à l'écart. La foule s'était dit le mot et les avaient précédés. Malgré la fatigue, Jésus leur parlait et les guérissait encore et encore. Les disciples commençaient à s'inquiéter ... et à avoir faim. Le soir venait. Qu'allaient-ils faire de tout ce monde ? Marc (Mc, 6, 30-34) annonçait ainsi le récit fameux de la multiplication des pains. C'est le seul miracle de Jésus raconté dans les quatre évangiles canoniques.

Or, au lieu de poursuivre le récit de Marc, l'Eglise propose de quitter Marc pour Jean (Jn, 6, 1-15)

Plusieurs petits détails frappent, si on juxtapose le récit de Marc et le récit de Jean.

Marc et Jean ne se situent pas dans la même perspective.

Marc raconte l'événement au plus près. Jésus n'a qu'un souci, il a de la compassion pour cette foule qui demande à être abreuvée de ses paroles et guérie. Il la comble, malgré la lassitude. Ce sont les disciples qui vont s'inquiéter du matériel :  ils savent pertinemment bien qu'ils n'ont pas apporté de quoi manger pour une telle foule, déjà qu'ils n'avaient pas pris grand chose pour eux-mêmes. Quand Jésus leur dit de les nourrir eux-mêmes, les disciples sont totalement interloqués (pourquoi eux devraient-ils faire cela ? pourquoi ces gens si nombreux ne prendraient-ils pas soin d'eux-mêmes ; s'ils en sont là maintenant, c'est un peu de leur faute aussi, ils auraient pu être plus prévoyants) et ils se disent que, s'ils doivent aller acheter de quoi nourrir toute cette foule, cela leur coûtera au moins deux cents pièces d'argent, ce qui est impossible (Mc, 6, 37). Jésus n'a vraiment pas les pieds sur terre, il les met tout le temps dans des situations pas possibles (et ils n'ont pas encore tout vu) !  Bref, la situation crée, chez eux, du murmure.

Chez Jean, c'est Jésus qui se préoccupe de la foule, du soir qui vient et invite les disciples à aller acheter du pain pour nourrir tout ce monde, avec la même incompréhension et le même constat d'impossibilité de la part des disciples.

Vient la suite : chez Marc, Jésus invite les disciples à partager le peu qu'ils ont ; chez Jean, ce sont les provisions apportées par un enfant, qui ne doit pas bien mesurer l'ampleur de la situation, qui joueront ce rôle. D'abord, Jésus ne va pas créer du pain à partir de rien, mais à partir de ce qui lui est apporté. Déjà, au désert, il avait refusé au diable de transformer les pierres en pain (Mt, 4, 3-4). Ensuite, il balaie d'un revers de la main l'argument rationnel entendu si souvent depuis toujours et encore aujourd'hui : à quoi ça sert de partager le peu qu'on a, cela serait de toute façon une goutte d'eau dans la mer de la pauvreté ; gardons plutôt cela pour nous ! Jésus préfère de loin la spontanéité et la générosité naïves de l'enfant qui ne mesure pas l'ampleur de la situation.

Marc verra ceci comme un miracle de plus de Jésus : il a réussi à nourrir toute une foule avec trois fois rien (cinq pains et deux poissons), à satiété, et il y avait peut-être même des gourmands et des profiteurs parmi eux. Un vrai miracle ! Mazeltov ! Les disciples n'en reviennent pas : plusieurs paniers avec des restes ! C'est ce que pensera sans doute aussi la foule. Elle veut même le faire roi, dit Jean (Jn, 6, 35), ce qui va contraindre une nouvelle fois Jésus à fuir plus loin et à se retirer à l'écart. Ainsi sont les foules souvent un peu "à côté" du message, dans la satisfaction de leurs besoins immédiats ou toutes à leur émotion.

Jean préfère parler de "signes" plutôt que de "miracles". Jésus sait très bien ce qu'il fait, il veut les mettre à l'épreuve, dit-il (Jn, 6, 6). Toujours, chez Jean, la recherche du sens. Pourquoi me suivez-vous ? Jusqu'où va votre foi ? Me suivez-vous seulement pour le bien-être que je peux vous procurer ? Pour être rassurés ou protégés ? Qu'y a-t-il au fond de votre coeur ?

Ces deux versions du même récit nous interpellent directement nous-mêmes et interpelle, me semble-t-il, au-delà de nous notre société même :

- quelle est notre réaction quand ce que Jésus nous demande nous paraît impossible ou irrationnel ? Le murmure ou la spontanéité et la générosité naïves de l'enfant mentionné par Jean ?
- qu'acceptons-nous d'apporter, de mettre en commun, pour la multitude ?
- qu'est-ce qui nous attire, ou peut nous attirer, dans le fond, à nous mettre à la suite de Jésus ?

Comme toujours, l'Evangile n'offre pas de réponse, il est toujours question et la réponse appartient à nous seuls.

Cela me fait subitement souvenir d'une pensée exprimée par un laïc, un vrai de vrai, sur Facebook : "la laïcité n'est pas une opinion ; c'est la liberté d'en avoir une". S'il connaissait seulement un peu mieux la religion !