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dimanche 5 août 2012

Le droit, la justice, les sentiments et l'humanité

La haine et la vengeance, comme - je le pense aussi - la colère et la jalousie, sont des sentiments négatifs qui enferment. Ils n'apportent que la mort, jamais la vie. Ils ferment toute porte.

Entendons-nous bien : je parle ici de ceux qui éprouvent ces sentiments. C'est eux qui, en les éprouvant, se condamnent en premier lieu à la mort et ne sont donc plus capables de véhiculer la vie. Sans s'en rendre compte, en ressentant de la sorte, ils condamnent toujours un autre, dont ils peuvent en effet empoisonner la vie, sans compter celle des autres, sans se mettre jamais vraiment eux-mêmes en question.

"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre" (Jn 8, 8).

L'actualité nous offre, tous les jours, des exemples de ces marchands de mort.

Ces derniers jours, la Belgique croule sous les réactions indignées d'une frange de citoyens concernant la libération conditionnelle de Michèle Martin, à la moitié de sa peine. N'a-t-elle pas été la complice de Marc Dutroux ? Certes point pédophile, elle-même, mais suffisamment insensible, ou manipulée, pour n'avoir point empêché la séquestration voulue par son sinistre époux et même collaboré à celle-ci. Ayant été condamnée à 30 ans de prison, comment peut-on la libérer après 16 ans ? C'est une honte, disent ces gens, qui ne la connaissent pas personnellement, mais en font, avec toutes leurs tripes, leur icône de l'horreur et se disent, avec conviction, proches des victimes ou de leurs parents, sans toujours avoir demandé leur accord, cela soit dit.

De surcroît, le plan de réinsertion de Michèle Martin l'assigne à résidence dans une maison religieuse, chez les Clarisses de Malonne, qui ont beaucoup réfléchi avant d'accepter et qui se font aujourd'hui vilipender par les mêmes, avec des arguments aussi fins que "on reconnaît bien là l'Eglise catholique, toujours du côté des pédophiles". Ces religieuses subiraient non seulement l'opprobre de ceux-là, mais aussi des menaces.

On se rassure, comme on peut, en se disant que ces gens ont l'esprit peu éduqué, qu'ils manquent de finesse, que l'émotion prend chez eux le pas sur la raison. Ils n'en sont pas moins là et posent des questions essentielles sur l'Etat de droit, la justice, les sentiments et finalement l'humanité.

Il convient de rappeler tout d'abord que le droit a, jusqu'à preuve du contraire, été respecté en ce qui concerne Michèle Martin. Depuis sa condamnation à trente ans de prison, par un jury populaire, en Cour d'assises, dûment averti par les magistrats professionnels des possibilités d'une libération conditionnelle et qui n'a pas jugé bon d'assortir son verdict d'une peine de sûreté. Ensuite, lors de ses cinq demandes de liberté conditionnelles, la dernière, à la moitié de sa peine, lui étant finalement favorable. C'est dire que la justice n'a pas fait preuve de largesse à son égard.

Le procès fait aux juges est, à cet égard, hors de propos. La justice belge n'est pas laxiste et ne privilégie pas l'auteur aux victimes (ou à leurs parents). Les juges belges disent et appliquent le droit, ce n'est malheureusement pas le cas partout ailleurs. Il faudrait donc plutôt se réjouir de voir notre justice respecter le droit et faire preuve d'assez d'indépendance pour ne pas suivre les sirènes de l'opinion (ou les diktats du pouvoir).

Il est, de ce point de vue, étonnant d'entendre certains, même parmi les politiques, plaider en faveur d'un droit de regard (et même d'un droit d'appel) des victimes sur le suivi de l'application d'une peine. N'oublions pas que la peine est prononcée au nom de l'Etat, gardien de l'ordre social, non pas à la demande des victimes, lesquelles sont entendues comme parties civiles. Notre justice pénale n'est pas un exercice du droit à la vengeance. Le suivi de l'application d'une peine appartient à l'Etat et à ses représentants, les parties civiles ne peuvent y exercer une influence que marginale.

On peut passer au deuxième volet : le droit est-il toujours juste ? C'est une fausse question. Le droit, en nos sociétés développées, ne peut évidemment répondre à la conception individuelle que chaque citoyen se fait de la justice. Il est toujours le résultat d'un consensus social, exprimé en démocratie, au Parlement, majorité contre opposition. Le droit peut toujours évoluer, être modifié, amélioré, mais dans le respect du jeu démocratique. Il est tout sauf une réalité figée. On peut manifester, exprimer son opinion, mais ce n'est pas dans la rue que le droit se fait, encore moins quand les manifestations font preuve de haine et de violence physique ou verbale à l'égard d'autrui. Le droit est une réalité pas une chimère. Les théoriciens du droit ont beaucoup réfléchi à cette question : existe-t-il un droit naturel, des valeurs universelles qui seraient supérieures au droit positif existant ? Sur le plan moral ou de certaines consciences, oui, mais cela n'a plus rien à voir avec le droit. J'éprouve, cela va sans dire, la même réserve pour toute notion de "justice immanente", qui passerait au-dessus du droit, dépendant directement de Dieu ou des dieux.

Viennent alors les sentiments. Les sentiments nous constituent, comme ils peuvent nous aveugler. Je pense avant tout bien entendu aux sentiments des victimes encore en vie et aux parents de celles qui ne sont plus. Les sentiments qu'ils éprouvent encore aujourd'hui - car,  on ne guérit jamais de semblables blessures - leur appartiennent. Laissons les leurs. Par respect pour eux, il serait simplement décent que certains ne se les approprient pas ou ne les médiatisent pas. Ceci n'exclut pas la compassion qui n'a rien à voir. Je suis sûr, par exemple, de la parfaite compassion des soeurs clarisses de Malonne pour les victimes et pour leurs parents. Leur supérieure l'a d'ailleurs dit explicitement.

Enfin, l'humanité. L'homme sera sans doute à tout jamais à la fois l'ivraie et le bon grain, mais j'aime à croire qu'il y a un chemin lent et progressif de progression vers plus d'humanité, chemin individuel et collectif. Je pense même que plus l'homme grandit en son humanité, plus il se "divinise".

C'est rien moins que le combat entre la vie et la mort. Seule la vie porte du fruit. La mort éteint, restreint, limite. Elle ne porte jamais de fruit.

Les Clarisses de Malonne ont fait, pour moi, le choix de la vie, en parfait accord avec leur foi en l'évangile. Elles savaient que les forces de mort leur cracheraient au visage. Je les trouve admirables. Elles osent avoir foi. Elles vont accepter l'ivraie parmi elles pour grandir avec elle. Elles porteront, comme l'a dit la mère supérieure, deux détresses plutôt qu'une seule. Loin de mériter la vindicte, je trouve leur attitude admirable.

Gandhi disait aussi : " la vieille philosophie de l'oeil pour oeil n'a jamais fait que des aveugles ".




















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