Rechercher dans ce blog

jeudi 30 juin 2011

Ma grand-mère "teke teke" et mon destin

Mes grands-mères paternelles et maternelles étaient aussi dissemblables que possible. J'ai peu connu la première, que j'appelais "mémère", mais garde des souvenirs très précis dont je parlerai un jour comme d'un patrimoine à sauvegarder.

Longtemps, j'ai appelé ma grand-mère maternelle "teke teke", avant de finir par l'appeler "bonne maman". Elle a joué un rôle considérable dans mon éducation et sans doute façonné une grande part de ce que je suis aujourd'hui.

Parmi mes tout premiers souvenirs, j'aimais que ma grand-mère dessine des lunes .. soit des ronds agrémentés de quelques traits qui exprimaient des émotions diverses. Initiation aux emoticons d'aujourd'hui.

Plus tard, devenu écolier, j'allais faire mes devoirs et dormir chez elle une fois par semaine. Comme elle a été institutrice, puis directrice d'école, elle ajoutait toujours des exercices à ceux que mon instituteur avait donnés. Elle utilisait, à cette fin, un manuel qui s'intitulait "Vite et bien". Je n'avais guère le droit à l'erreur. Son unique petit-fils ne pouvait pas la décevoir. En échange, elle m'autorisait à lui donner des exercices aussi, dans lesquelles elle glissait des erreurs volontaires, à charge pour moi de les repérer!

Son emprise était forte, puisque, quand nous étions en vacances à Saint Lunaire, en Bretagne, elle était parvenue à me convaincre de servir la messe de 7 heures, à laquelle elle assistait quotidiennement. J'ai ainsi appris à servir la messe en latin. Après la messe, nous allions acheter le pain encore chaud chez le boulanger proche de l'église. Ma grand-tante bretonne raillait le petit "cureton" que j'étais déjà.

Pendant plusieurs années, j'ai aussi accompagné ma grand-mère dans ses randonnées pédestres avec le Vieux-Liège. Nous étions trois enfants. J'ai ainsi visité des châteaux, des églises, découvert de vieilles chapelles, des calvaires, parcouru les Fagnes, les champs et les forêts en présence d'adultes éclairés, cultivés et bienveillants. J'ai appris, à cette occasion, qu'on ne devait pas dire: "Bonjour, monsieur" mais "Bonjour, monsieur le professeur" à un professeur d'université et moins encore un "Bonjour" désinvolte.

Ma grand-mère était entretemps devenue oblate de Saint Benoît. Elle portait ainsi un scapulaire, signe de son oblation.

Je n'ai jamais cessé d'aller une fois par semaine chez ma grand-mère, même quand j'étais étudiant à l'université. Elle s'intéressait à mes cours, aux syllabus que je recevais. Et nous parlions souvent de religion.
Elle suivait alors des cours au séminaire qui la perturbaient parfois. Moi, j'étais déjà un chrétien rebelle et en question, mais un chrétien quand même.

Un jour, je lui ai demandé: "Pourquoi n'es-tu pas devenue moniale bénédictine? Je sais que c'est, dans le fond, ton désir". La réponse a été simple: "j'ai trois filles et un petit-fils qui retiennent beaucoup de mon attention".

Il est vrai, ma grand-mère a tout donné à ses filles, même quand elles étaient au loin, et à son petit-fils. Elle devait être là, par exemple, quand ma tante Anne a été hospitalisée à Paris avec une maladie rare. Elle l'a accueillie ensuite chez elle, lui laissant sa chambre et dormant sur le lit pliant prévu pour les invités de passage.

Ne suis-je pas en train de reproduire ce qu'elle a vécu aujourd'hui avec Sam et Ben?

"Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple" (Lc, 14, 26). Cette parole m'interpelle de plus en plus.

lundi 27 juin 2011

Grand entretien avec Alain Badiou

Je ne lis pas toutes les semaines Télérama, je devrais. Ma tante Anne, à Poissy, me le recommandait pourtant déjà, il y a maintenant près de quinze ans. Un de mes amis Facebook le fait pour moi ... je l'en remercie.



Je vous invite à lire très attentivement l'entretien qu'un journaliste de Télérama  a eu avec le monsieur que vous voyez ici en photo: Alain Badiou, mathématicien, romancier, dramaturge, philosophe ... bref, un sage à l'ancienne.

http://www.telerama.fr/monde/alain-badiou-les-gens-se-cramponnent-aux-identites-un-monde-a-l-oppose-de-la-rencontre,58743.php

Il y a parle de la rencontre en des termes qui pourraient être miens (en toute modestie).

Une phrase se détache de toutes les autres: "Il faut une disponibilité à l'accueil, la vertu d'accepter que quelque chose arrive qu'on n'avait pas prévu".

Mais il en est d'autres: "la rencontre ... n'est réductible, ni à la rationalité, ni à l'expérience, elle représente un élément de contingence, et la philosophie n'aime pas beaucoup la contingence. Il nous faut donc accepter que se produisent dans l'existence des choses qui ne sont ni calculables, ni expérimentées. Que quelque chose arrive ...".

Et ceci qui sonne tellement crûment:

"La régression actuelle est spectaculaire. Elle tend à constituer des micro-milieux, à l'image de la société américaine, qui est une collection de ghettos".

"Le paradigme du monde contemporain, c'est le consommateur... Et les objets ne vous sortent pas de la solitude".

"Une rencontre véritable assume toujours l'idée d'être le début d'une possible aventure. On ne peut réclamer un contrat d'assurance avec celui qui a été rencontré. Puisque la rencontre est un élément incalculable, si on tente de réduire cette insécurité, on supprime la rencontre elle-même, c'est-à-dire l'acceptation que quelqu'un entre dans votre vie, et quelqu'un au complet. C'est justement ce qui distingue la rencontre du libertinage".

dimanche 26 juin 2011

Connaître ses limites pour penser juste


Connaître ses limites pour penser juste

Faut-il à tout prix rejeter ses propres failles ? La « réussite » d’une vie dépend-elle de la capacité de chacun d’entre nous à dépasser ses fragilités, voire, mieux encore, à se montrer invulnérable ? Dans la vie, comme le disait Georges Canguilhem, les réussites sont souvent des « échecs retardés ».
Car l’être humain n’est pas simplement un agent rationnel, un individu capable à chaque instant de « dire » et de « faire » exactement tout ce qu’il veut « dire » ou « faire ». La plupart du temps, nous disons et faisons autre chose que ce que nous aurions voulu dire ou faire. Et souvent, la vérité d’un être gît là, dans le balbutiement d’une parole qui peine à s’exprimer, dans la profondeur d’une faille qui nous déstabilise.
Plus nous cherchons à nous éloigner de cette vérité-là, plus, tôt ou tard, la vie nous rattrape.
En réalité, c’est au sein même de nos failles que surgit notre désir et que commence à se structurer notre façon d’envisager le monde. Il faut accepter notre vulnérabilité pour pouvoir « penser juste », pour réfléchir réellement au sens de notre vie et de notre rapport à l’autre.
Il n’existe pas d’existence « réussie », si nous ne parvenons pas à être au plus près de nous-mêmes ; à savoir ce qui nous réjouit et ce qui nous attriste ; à accepter de nous ouvrir au mystère du manque et de la finitude.
Ce n’est qu’après que nous pouvons chercher à aller vers les autres et leur faire confiance. Car la confiance aussi, comme toute relation humaine, est fragile et soumise aux aléas du désir. Non seulement cette confiance que nous pouvons avoir en autrui n’exclut pas la possibilité que celui-ci nous trahisse, mais c’est parce que nous avons confiance en lui qu’il a la possibilité et le pouvoir de nous trahir. On ne peut saisir cette incontournable complexité des relations sociales qu’en partant de la vulnérabilité et de la finitude de la condition humaine. Même si pour cela il faut se risquer à faire le deuil de la cohérence.
Que serait d’ailleurs une pensée fermée sur elle-même et incapable de prendre en compte l’ambiguïté de l’existence ? Certes, nous ne pouvons être que fascinés par la cohérence et la pureté de la Logique, un système de signes qui rejette les contradictions et qui nous aide souvent à faire de l’ordre autour de nous. Mais la cohérence ne fait que chasser par la porte les ambivalences de l’humain. Et celles-ci, un jour ou l’autre, finissent toujours par réapparaître, la plupart du temps là où on ne les attend pas.
Il en va de même pour tout discours qui prône des idéaux abstraits et qui, ne voulant pas admettre que les êtres humains sont tous inscrits dans la finitude, finit souvent par devenir « totalitaire ». Rappelons l’exemple de Robespierre et de son éloge de la Vertu qui conduisit dans les excès de la Terreur. On oublie que nous faisons tous des erreurs et que nous nous trompons tous… et qu’au fond, cela n’est pas très grave si nous savons l’accepter et en tirer les leçons. Parce que c’est justement à partir de nos erreurs que nous pouvons rebondir par la suite. Sans attendre d’autrui ce que nous-mêmes nous serions incapables de dire ou de faire.
Comme le dit bien Anne Dufourmantelle, « il faut avoir aimé, et trahi, et souffert, et avoir désespéré d’un amour, et avoir été défait et repris et sauvé, pour envisager, peut-être, qu’il n’est d’infidélité que du plus grand amour, mais qu’en même temps l’amour ne peut se risquer qu’au prix de la vérité ».
Personne n’est parfait. Nous avons tous, en tant qu’êtres humains, des fragilités et des failles. C’est d’ailleurs parce que nous sommes vulnérables que nous sommes humains. Et que nous sommes conduits à passer notre vie à essayer de composer avec nos limites. Certes, tout dépend de l’ampleur de nos blessures et de ce que nous arrivons à en faire.
Car la douleur et la souffrance, en elles-mêmes, n’ont aucun sens. La plupart du temps, elles ne servent à rien. À rien d’autre qu’à faire crier son désespoir, à prier que cela s’arrête, à attendre qu’un geste de compassion ou d’empathie arrive enfin pour nous soulager…
Mais c’est une chose de dire que la souffrance est absurde ou injuste, c’est en une autre de penser que le bonheur ne peut surgir qu’à partir du moment où l’on s’est débarrassé de ses failles. Car non seulement nous n’y parviendrons jamais totalement. Mais, pire encore, en niant notre vulnérabilité, nous nous empêchons d’habiter le monde avec ses contradictions.
(1) Dernier ouvrage : Le Contrat de défiance, Grasset, 2010.
Ce texte de Michela Marzano, paru dans le journal La Croix me semble tellement juste et pertinent que je me permets de le reproduire tel quel (http://www.la-croix.com/Debats/Opinions/Debats/Connaitre-ses-limites-pour-penser-juste-_NP_-2011-06-23-666902).

Saint Pholien et sa paroisse

J'habite, à Liège, sur le territoire de la paroisse Saint Pholien, et il se trouve qu'il y a beaucoup à en dire.

D'abord, celui que nous appelons dans le quartier "Pholien" est aussi connu sous le nom de Feuillien de Fosses, Foillan, Foilan ou Folien. Il s'agissait d'un moine irlandais vivant au VIIème siècle, qui aurait été missionnaire en nos contrées et aurait notamment fondé l'abbaye de Fosses-la-Ville. Ceci explique en tout cas la croix celtique qui se trouve sur un des murs de l'église actuelle dédiée à Saint Pholien. On a de la peine à imaginer que l'évangélisation de nos contrées ne soit pas venue directement du sud, mais ait dû passer par l'Irlande, mais soit. Il en est de même en Bretagne, où les saints locaux (Lunaire, Guénolé, Briac, Jacut ...) sont tous réputés venir d'Irlande. Il faudra un jour que je fasse des recherches à ce propos.

La croix celtique se présente comme suit:



L'église aujourd'hui dédiée à Saint Pholien a beau avoir pris la place d'un sanctuaire datant du XIIème siècle, elle n'est point un édifice remarquable. Construite en 1914 par l'architecte Edmond Jamar, elle a été décorée dans les années 1930. Elle présente les caractéristiques des édifices religieux de cette époque: trop grande, sinistre, dépourvue de toute intériorité.



C'est finalement à Simenon que cette église devra un peu de renom, grâce au roman Le pendu de Saint Pholien.


La paroisse Saint Pholien, grâce à Jean-Denys Boussart, est aujourd'hui un lieu exceptionnel de maintien des traditions populaires. Aujourd'hui, jour de fête paroissiale, tout le quartier est mobilisé: brocante, braderie, tirs de campes, aubades ... et procession à l'ancienne. "Sint Foyin, li porotche dès bravès djins", Saint Pholien, la paroisse des braves gens. Oui, je peux en témoigner, je vis dans un quartier de braves gens et je n'en voudrais aucun autre.






Quelques mots à propos de la procession et du curé-doyen.

Cette procession n'a évidemment plus grand chose de religieux. Elle est néanmoins attachante d'un point de vue folklorique. Est-il besoin toutefois de promener l'ostensoir et le Saint-Sacrement sous un dais, entouré de quelques associations locales en costume, dans l'indifférence générale (personne ne s'agenouille, personne ne fait le signe de croix), dans un quartier où en outre 30 % de la population est d'origine maghrébine et donc musulmane? Je n'ai point vu d'hostilité de la part de mes voisins musulmans, plutôt de l'indifférence, de la perplexité ou de la bienveillance.

Parmi les statues de saints promenées dans le quartier, la Vierge des tanneurs, une statue en argent datée de 1688 et d'autres saints, plus modestes, en apparence, saint Nicolas, saint Pholien, sainte Barbe, sous la forme de représentations naïves, proches des marionnettes liégeoises.

Le curé-doyen, un intarissable bavard, a le chic pour en faire trop! Ainsi, il a béni, selon ses dires, la statue de Saint Nicolas, avec une eau bénite pas comme les autres, une eau rare qui suinte une fois par an du sarcophage de Saint Nicolas ... HELP ! Stop. L'année dernière, un reposoir était prévu, m'a-t-on dit, à l'ancienne chapelle de Bavière, là où officie selon le rite tridentin l'abbé Schoonbroodt. Tout était prévu pour les nostalgiques d'antan, soutanes, ornements et bannières. La procession s'y arrêtera-t-elle cette année encore?

J'attends maintenant les aubades et ce grand marché bon enfant, ensoleillé, multiracial et hésitant entre Babel-Oued, Conakry, Asie, Brésil et traditions d'Outremeuse.

J'ai repéré un petit vase sans valeur aucune qui mis en valeur pouvait faire tout son effet, mais il s'agissait d'une paire de vases à poser de part et d'autre d'une cheminée, m'a dit la marchande, soit exactement le contraire de ce que je voulais en faire. J'ai les paires et la symétrie en horreur. J'ai renoncé.

Ce soir, et malgré que je vive tout cela en solitaire, je m'endormirai avec le sentiment d'être un peu meilleur.

Né dans le secret loin d'ici

Anne m'a parlé d'une émission qu'elle a vue à la télévision à propos des enfants nés "sous x", qu'on préfère appeler aujourd'hui enfants nés "dans le secret". Elle m'a raconté les témoignages d'enfants nés "dans le secret", adoptés ou élevés dans une famille d'accueil, devenus adultes. Ils parlaient de néant. Ils venaient du néant et avaient beaucoup de peine à construire leur vie pour aller quelque part. Comment définir un but, quand on n'a pas de point de départ? Ils utilisaient, m'a dit Anne, une expression terrible: ils se sentaient "aspirés par le néant".

Un de nos enfants adoptés et né au Brésil est né, là-bas, dans le secret. Anne m'a dit n'avoir pas dormi la nuit qui a suivi l'émission. Cela m'a beaucoup interpelé aussi compte tenu de ce que nous vivons aujourd'hui.

Il y a pourtant un début dans la vie de notre fils, clair, avec des photos et beaucoup d'amour: ce jour, où, alors qu'il avait quelques semaines à peine, il a été accueilli non seulement par nous, mais par toute notre famille et même nos voisins et amis. On nous avait conseillé de lui raconter le plus tôt possible son histoire, nous l'avons fait; de toute façon, j'ai assez souffert personnellement du secret et de la dissimulation dans ma vie pour désormais choisir toujours la vérité. Son histoire comporte cependant quelques pages blanches, le premier chapitre de sa vie en fait qui n'est pas écrit.

En souffre-t-il vraiment? C'est difficile à dire. De temps en temps, il dit son désir d'en savoir plus. Il veut aller là-bas. Il dit aussi qu'il a l'impression qu'il est plus fait pour vivre là-bas qu'ici, c'est peut-être vrai. Il dit qu'il aimerait savoir et connaître, puis, comme toujours, il s'en sort par une pirouette ...

Avec lui, j'ai fait des  recherches sur internet à propos de son lieu de naissance, de la région du Brésil d'où il vient, du mode de vie là-bas, de l'équipe de foot, des photos aussi, mais rien de précis.

Anne et Michel ont fait de même de leur côté et sont tombés sur des rubriques faisant état de pédophilie dans un orphelinat catholique à Arapiraca, là où est né notre fils ...

Quand nous avons adopté Ben, nous n'avions pas vraiment eu affaire à un organisme d'adoption structuré. Tout fonctionnait sur un mode amateur, grâce à un contact là-bas, un prêtre belge, missionnaire, peut-être mort aujourd'hui.

Il faut retrouver ici des familles qui ont peut-être adopté dans les mêmes conditions que nous. Il faut essayer
de retrouver des traces là-bas. Grâce à internet, j'ai découvert les coordonnées d'un belge qui a voyagé au Brésil et réalisé un film notamment à Arapiraca, où il parle d'une belge rencontrée là-bas et d'adoption et surtout d'un certain "padre Jose" d'origine belge.

Ceci occupe une bonne part de mon week-end ... et j'ai envie de le partager tout simplement.

jeudi 23 juin 2011

Les examens oraux II

La France, avec un grand "F", je veux dire la France républicaine, centralisée et sûre d'elle-même, a toujours nourri à l'égard de l'épreuve du "bac" une vénération quasi religieuse. A ce point que, lors de la réforme dite de Bologne des études universitaires, la France a été le seul pays à ne pas appeler "baccalauréat" (traduction de "bachelor") les trois premières années de l'enseignement supérieur. En France, on parle en effet de licences, ce qui ne simplifie en rien les échanges internationaux sur le plan de la terminologie.

L'épreuve du bac est une épreuve nationale. Elle mobilise des dizaines de milliers de correcteurs pour des centaines de milliers d'étudiants. On y pose des questions nationales, égalité républicaine oblige. L'épreuve du bac est, si j'ai bien compris, essentiellement une épreuve écrite, les dizaines de milliers de correcteurs recevant une grille de correction. Les questions et les grilles de correction sont aujourd'hui publiées sur internet. L'objectivité et la transparence sont ainsi garanties. Non seulement, le correcteur ne sait pas qui est l'auteur de la copie qu'il corrige, mais il n'a pas à faire preuve d'états d'âme, il doit suivre la grille de correction qui lui a été remise.

Les sujets du bac sont parfois d'un très haut niveau, tellement élevé même qu'ils me paraissent plus relever de l'enseignement universitaire que de l'enseignement secondaire. Comment ne pas s'en réjouir, s'ils témoignent réellement du niveau des études secondaires en France?

http://lewebpedagogique.com/bac/

Une des vertus du bac, dit-on, est que les questions sont censées être secrètes jusqu'au jour de l'examen. Elles sont même conservées dans un coffre-fort jusqu'au dernier moment! Enfin, le croit-on, car, cette année, des fuites ont eu lieu. Une question de mathématiques (non son corrigé) a été publiée sur le net la veille de l'examen. Où va-t-on en cette France républicaine que tout le monde envie? D'autres irrégularités entacheraient même d'autres examens nationaux un peu dans toutes les disciplines. D'où des recours, des annulations, totales ou partielles, d'examens.

http://www.liberation.fr/societe/01012345035-chatel-lance-une-enquete-administrative-sur-de-nouvelles-rumeurs-de-fraudes-au-bac

Je ne me suis jamais posé ces questions. Quand j'étais enseignant, je savais que circulait parmi mes étudiants un lot de questions que je posais régulièrement; je ne voyais pas la nécessité d'en faire mystère. De toute façon, à l'examen oral, je me réservais le moyen de créer la surprise et je n'étais pas moins juste. L'anonymat n'était pas de mise, mais cela avait un avantage: mon appréciation reflétait, au-delà de son savoir, un peu de la personnalité de l'étudiant. Je pondérais ainsi, dans ma note, ce qui relève du savoir, du savoir faire et du savoir être. Je devais alors me tromper de métier ... car, je n'étais évidemment pas un responsable des ressources humaines dans une quelconque entreprise. J'aurais dû être un correcteur républicain.

Je me suis beaucoup amusé aujourd'hui en lisant que les consignes pour la notation du bac étaient à la baisse ...

http://www.lemonde.fr/education/article/2011/06/23/9-sur-20-de-moyenne-et-declare-bachelier_1539713_1473685.html

Dans ma faculté, et plus largement dans mon université, il en est ainsi depuis plus de dix ans: le niveau d'exigence ne cesse de baisser. On réussit avec de moins en moins de points et on a des grades d'excellence avec des moyennes de plus en plus basses. Il s'agit d'une question d'image, nous dit-on en haut lieu. L'université de Liège doit être une université où on réussit. Les pédagogues de l'institution, toujours les mêmes, nous ressortent alors perpétuellement la courbe de Gauss. Cette courbe modèle de répartition des résultats qui, si l'on s'en écarte, rend suspecte toute évaluation contraire. Bien entendu, je ne comprends rien à ce modèle mathématique, vu qu'il est purement mathématique.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_normale

Donner aux meilleurs leur chance et aux autres, un peu moins bons, leur chance aussi devrait être notre seul souci.

Les chokotoffs (II)

La décision de la multinationale américaine KRAFT de situer dorénavant dans des pays de l'est la production de quelques fleurons chocolatiers belges (Chokotoffs, "bouchées" et autre produits Côte d'or) fait plus de vagues qu'on ne veut bien le croire.

L'usine flamande, je souligne, qui assurait la fabrication de ces produits est en grève, les salariés s'opposant à cette décision unilatérale. Comme quoi, il n'y a pas qu'en Wallonie qu'on fait grève. Mon fils, qui travaillait jusqu'à hier, pour une entreprise wallonne spécialisée dans le stockage et le conditionnement de produits destinés à la grande distribution, vient de perdre son emploi. La décision des américains de KRAFT, et la grève à l'usine de Hal, ont pour conséquence qu'il n'y a plus de produits de cette marque à stocker et à conditionner dans l'entreprise où mon fils travaillait.

Est-il besoin de dire qu'il nourrit une grande amertume et une profonde rancoeur? Seul motif d'espoir, la chaîne de distribution Delhaize vient de décider de construire à Liège son troisième centre de distribution.

On vante beaucoup les atouts de Liège, comme noeud géographique et comme plate-forme logistique, c'est un fait; mais c'est aussi se rendre extrêmement dépendant, comme sous-traitant, de décisions qui seront toujours prises ailleurs et qu'on ne pourra jamais maîtriser.

J'en reviens toujours à la même question: que pouvons-nous faire comme citoyen pour être solidaire avec nos semblables. Que faire pour lutter contre ce que je ressens, moi, comme des dérives? Le boycott de certains produits et le choix pour d'autres? Ce n'est pas idiot, mais ne peut avoir d'effet qu'à une très large échelle.

On devrait pouvoir agir comme citoyen, lors des élections, et privilégier ou sanctionner les candidats en fonction de leurs choix quant à la politique économique. Avons-nous encore ce pouvoir? Nos élus ont-ils encore d'ailleurs un quelconque pouvoir? On parle parfois d'Europe sociale, ne nous voilons pas la face. L'Europe, avec des pouvoirs contraignants considérables, impose un modèle libéral à tous les Etats qui y adhèrent. Il est bien loin l'idéal du départ: la paix et la prospérité pour chacun. On n'y discute même plus des moyens: il va de soi que la liberté de circulation des biens, des capitaux, des personnes, des services est LA solution. Quand j'entends parler de plans d'austérité particulièrement sévères, en Grèce, au Portugal, etc., pour répondre aux critères financiers européens, quand j'entends parler de concurrence fiscale et de dumping social, je ne puis m'empêcher de me poser quelques questions:
-  la paix? Oui peut-être, mais je ne suis pas sûr que cela durera  (je veux dire, plus précisément, que tout est en place pour que cela ne dure pas: les inégalités sont profondes, et même de plus en plus profondes, entre les individus et entre les Etats, et les nationalismes sont partout de plus en plus florissants);
- la prospérité? Il est vrai que le niveau de vie a augmenté partout dans l'Union européenne, quoique ... On sait aussi que le choix libéral, voire ultra-libéral, a conduit au démantèlement progressif des services publics, à la libre concurrence entre prestataires, généralement sans baisse de prix pour les consommateurs (au contraire). Quel beau modèle! Un jour, cela ne sera plus acceptable.

L'Union européenne serait-elle une fausse bonne idée?

mardi 21 juin 2011

Chokotoffs

Quand j'étais enfant, je me réfugiais souvent chez ma troisième grand-mère, celle d'adoption, qui habitait la même maison que nous. Je l'appelais "Néné". Elle avait toujours, dans une armoire, une boîte de chokotoffs, friandise créée en 1938. J'y puisais allègrement; elle ne me fixait guère de limites.

Dans mon enfance assez solitaire, elle était un peu ma compagne de jeu. Elle acceptait tout. Je lui faisais l'école et elle faisait les devoirs que je lui donnais. Elle était mon public quand je jouais à dire la messe avec les ornements sacerdotaux que ma mère m'avait faits. Néné poussait le sens du détail jusqu'à aller acheter des osties et du vin de messe. Moi, je m'y croyais et, comme je faisais ça aussi bien que le curé de la paroisse, elle se sentait dispensée d'aller à l'église.

Qu'est-ce qu'un (une?) "chokotoff"? Il s'agit d'une "chique" (un bonbon, une boule,  comme on dit à Bruxelles) au chocolat avec deux textures de chocolat superposées, dont une colle sur les dents comme le caramel. Comme j'ai toujours adoré le chocolat, je pouvais m'en régaler sans jamais avoir le sentiment qu'il fallait, à un moment donné, en finir.






La marque "Côte d'or" et son éléphant étaient un emblème de la Belgique et du chocolat belge.

Aujourd'hui, plus rien n'est belge. Des financiers rapaces ont mis la main sur tous les fleurons de nos productions locales gageant qu'il y avait là l'occasion de s'enrichir un peu plus.

Tant qu'il se contentent de racheter nos entreprises et y maintiennent l'emploi, il n'y a rien à redire. Il m'importe peu de savoir, quand je bois une Jupiler brassée à Jupille, si le patron est brésilien plutôt que belge. Où je ne suis plus d'accord, c'est quand la multinationale, qui n'a d'autre objectif que d'être toujours plus grosse, et plus rentable, rachète nos entreprises pour délocaliser ensuite la production.

Dorénavant, les chokotoffs ne seront plus fabriquées en Belgique (à Hal, chez les flamands), mais en Lituanie. Une centaine d'emplois en Belgique sont concernés par cette décision de la multinationale américaine KRAFT.

Comme amateur, je puis dire qu'une chokotoff produite en Lituanie n'aura jamais le même goût qu'une chokotoff fabriquée en Belgique, là où elle a été inventée. Elle aura même un goût amer, même si on nous garantit que la recette sera la même avec le même chocolat qu'ici.

Et si les consommateurs belges voulaient être un tant soit peu avertis, ils n'hésiteraient pas à boycotter à l'avenir les chokotoffs fabriqué(e)s en ces contrées. Cela serait un vrai geste citoyen.

Puisque les Etats de l'Union européenne ne peuvent plus adopter de mesures protectionnistes, contraints qu'ils sont au modèle de libre circulation, n'appartient-il pas aux citoyens de résister?

Par leur comportement de consommateurs, au quotidien, les citoyens peuvent donner un sacré coup de pied dans l'organisation des marchés, telle que certains veulent l'imposer.

Le marché de la chokotoff pourrait ainsi devenir un symbole de la résistance.

Je rêve encore ...

vendredi 17 juin 2011

L'amour, toujours l'amour

L'amour, toujours l'amour.

Aimer me paraît une chose tellement grande que je ne puis l'imaginer limitée. Je ne dis pas que c'est facile d'aimer sans limite; je dis que, pour la plupart d'entre nous, c'est une des rares occasions à nous donnée d'être confronté à quelque chose qui nous dépasse, qui nous fasse prendre des risques, au point de nous découvrir comme jamais nous n'avions pensé être. C'est peut-être vis-à-vis de nos enfants que nous sommes le plus appelés à vivre cette expérience. Il est une autre expérience de la vie, plus rare, qui produit les mêmes effets, c'est l'expérience de la maladie, surtout quand elle est incurable. L'exploit sportif relève d'un tout autre ordre, me semble-t-il. Et l'amour dans le couple illustre moins qu'on ne pourrait le penser cet idéal que je relève.

Combien de fois, dans ma vie, n'ai-je pas été confronté à des amours frileuses, que j'aurais voulu secouer.
Je ne prétends pas du tout bien aimer ou aimer mieux que les autres.
Je dis que je  crois dans l'amour sans limite.
Et ceci a suffi pour me mettre en situation d'incompréhension totale avec nombre de personnes qui ont croisé ma route.

On peut se sentir dépassé par les exigences de l'amour et l'avouer est un acte d'humilité d'autant plus respectable qu'il est alors lucide.

Plus d'une fois, dans ma vie, et dans des contextes fort différents, j'ai été confronté à l'attitude qui consiste à dire: "j'aime, ou je t'aime, mais sous conditions, et voici mes conditions", conditions généralement à prendre ou à laisser:
- je veux bien aimer, mais je veux rester libre;
- je veux bien aimer, mais c'est surtout pour ce que j'en retire;
- je veux bien aimer, mais, comprends-moi, je dois me protéger;
- je veux bien aimer, mais des certitudes morales, culturelles ou religieuses ne me permettent pas d'aimer, de t'aimer, comme tu le dis.

A chaque fois, une grande tristesse m'envahit. Pas parce que je ne trouve pas l'amour sans limite que j'attendais ou espérais, mais parce que je me sens démuni. Je voudrais tant les amener au-delà de leur conception limitée de l'amour.

J'ai appris pourtant, avec l'expérience, que je ne n'ai ni le droit, ni le pouvoir, ni les moyens de changer qui que ce soit, pour le rendre un peu plus conforme à ma vision de l'amour.

Ce sentiment d'impuissance parfois me démolit. Cela doit être un peu cela le péché d'orgueil: croire qu'avec beaucoup d'amour on pourra faire changer les choses et les êtres.

La conclusion? Pourquoi faudrait-il aimer grandement? Ceux qui aiment petitement n'aiment-ils pas eux aussi? Mais, ... cela ne dit pas tout.

jeudi 16 juin 2011

Quel tollé dans ce collège liégeois!

A Liège-ville, trois établissements d'enseignement secondaire, relevant de qu'on appellerait en France l'enseignement privé, en l'occurrence catholique, accueillent de très nombreux élèves, plus ou moins de toutes origines, sur la promesse faite aux parents que leurs enfants y recevront la meilleure formation pour affronter demain des études supérieures ou universitaires. Ces établissements catholiques liégeois ont, pour eux, le mérite d'une certaine tradition. Ils ont été pour deux d'entre eux des collèges jésuites; pour l'un d'eux aujourd'hui, la tradition jésuite s'y est associée à la tradition bénédictine, qui n'est pas moins intéressante.

Des établissements d'enseignement publics ne font pas moins bien que ces collèges et des établissements d'enseignement du réseau catholique, comme du réseau public, assurent aussi la formation des jeunes qui ne feront jamais d'études supérieures.

Un de ces collèges catholiques "pour l'élite" défraye la chronique, depuis quelques jours, en terre liégeoise.

En ce collège, un bal de fin d'année, en tenue de soirée, est organisé, dans le but, explique-t-on en haut lieu, de permettre aux élèves de terminale de rencontrer leur professeurs sur un mode convivial, avant leur grand envol.

L'initiative prend, à ce jour, une tournure inattendue.

Dans un premier temps, les élèves concernés ont joué le jeu d'une rencontre interne à l'établissement. Puis, assez naturellement et légitimement, ils ont émis le voeu de pouvoir venir accompagnés de leur petite amie ou de leur petit ami. Pourquoi devraient-ils fêter leur envol avec leurs professeurs et pas avec celui qui leur est proche affectivement? Le directeur a concédé la chose, à la condition que tout invité extérieur soit accompagné d'un élève du cru.

Cette année, un pas de plus serait franchi. Les élèves qui prétendraient venir accompagnés de leur copain gay ou de leur copine lesbienne ne seraient pas les bienvenus! Le directeur aurait dit que si l'on devait admettre les couples gay, certains professeurs ne viendraient plus à ce bal, et que, dès lors, sa raison d'être, qui est la convivialité entre professeurs et élèves, ne serait plus possible; autant alors supprimer le bal. Voilà qui est puissamment raisonné.


http://www.enseignons.be/actualites/2011/06/15/homosexuels-indesirables-bal-rhetos/
http://arcenciel-wallonie.be/web/acw/infos/235-actu-la-presence-de-couples-homos-menacerait-le-bal-des-rhetos-dun-college-liegeois.html
http://www.rtbf.be/info/societe/detail_le-college-saint-louis-a-liege-est-il-homophobe?id=6274113#.TfmeyOayYgM;facebook

Si tout cela devait être vrai, il y aurait en effet un réel problème de convivialité et lieu de s'interroger peut-être sur l'événement en tant que tel.

Je tiens à préciser que je ne suis pas un ancien de l'établissement scolaire en question.

mardi 14 juin 2011

Les doubles noms et les noms à rallonge

Ceci n'est pas une spécialité française, quoique. En Espagne, au Portugal, le patronyme est bien souvent une espèce d'arbre généalogique. On ne trouve guère de Jacques Dupond ou de Gisèle Durand en ces contrées. On y rencontre des Jose Manuel Oliveira da Silva de Barroso, etc., ce qui est quand même plus chic.

Il ne s'agit pourtant point d'aristocrates ayant additionné particules sur particules. Simplement, le nom doit donner une indication sur la lignée à laquelle on appartient. Il en est de même dans le monde moyen-oriental (sera-t-il un jour permis d'écrire: judéo-musulman?). On y est toujours le "ben" (ou le "bin") de quelqu'un, c'est-à-dire "le fils de".  Comme dans "Ben Laden", qui veut dire à peu près la même chose que  "da Silva de Afaroubeira" ...

Il existe cependant une spécialité française faite de patronymes doubles. Une de mes collègues (pendant fort peu de temps) qui fut surtout mon professeur (pendant un peu plus de temps) signait ses articles:" Irma Moreau-Margrève". Née Margrève, elle était devenue Moreau, par mariage et n'entendait pas que le mariage pût effacer quoi que ce soit de ses origines, tout en se soumettant à celui-ci, d'autant que ses premières publications avaient été rédigées sous le nom d'Irma Margrève. Elle avait été précédée par une grande figure de la faculté, professeur(e) de droit civil, plus audacieuse, qui elle signait "Simone David-Constant" (elle s'appelait David, le baron Constant fut ainsi relégué au second rang, bien qu'il fût nanti, professeur, et son mari).  Deux manières de s'affirmer. On voit bien que, dans le parcours de ces doctes enseignantes, leur mari ne tient pas exactement la même place (je veux dire, la première ou la deuxième). Comment faut-il décortiquer le nom de madame Delmas-Marty, membre de l'Institut et de tas d'autres institutions en France, toute voisine? Elle s'appelle ainsi, mais on ne sait pas pourquoi elle s'appelle Delmas ET Marty.

Quoique féministe, Elisabeth Bleustein-Blanchet, ça commence bien, a choisi d'écrire sous le nom de son mari: Elisabeth Badinter, un atout dans le milieu des media et de la pensée. Badinter est plus simple en effet que Bleustein-Blanchet.

Quand ma mère signe un document, elle ne signe pas M.J. Hermans, elle signe M.J. Parent, du nom de mon père. N'est-ce pas un peu désuet?

Bref, il y a lieu de distinguer les femmes qui ont un nom et cherchent à s'en faire un autre avec celui de leur mari et celles qui se contentent du leur.

Cela n'explique pas tout. Nombre de personnalités françaises masculines se présentent sous un double patronyme. Les exemples sont foison: je pense à messieurs Chaban-Delmas, Poirot-Delpech, Robbe-Grillet, on pourrait en trouver d'autres encore ... Je doute cependant que monsieur Chaban, fût époux Delmas, et ait jugé bon d'adjoindre à son patronyme celui de son épouse.

D'où proviennent dès lors ces doubles patronymes? Une hypothèse: il s'agit peut-être de naissances illégitimes ... ou de surnoms dans la Résistance, comme me l'a rappelé un ami, à propos du sieur Delmas, dit Chaban chez les résistants. Chaban n'est alors toutefois pas son nom, mais un surnom, un nom d'emprunt ou un nom de scène. Annie Cordy n'a jamais demandé à ce qu'on l'appelle madame Cooremans-Cordy ou Cordy-Cooremans, elle sait faire la part des choses.

Finalement, je préfère les noms brefs: Py (comme Olivier Py), mais pas Tron (comme Georges Tron, que ma mère trouve très bel homme cependant ... ma mère et moi n'avons décidément pas les mêmes goûts).

lundi 13 juin 2011

Dans un état critique

Un ouvrage intitulé "Dans un état critique" réunit surtout des critiques, mais aussi des billets d'humeur, écrits par Angelo Rinaldi pour le Nouvel Observateur entre 1998 et 2003 (éditions La découverte, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 2010).




La plume acerbe de ce journaliste-critique-chroniqueur, devenu académicien, en a fait trembler plus d'un dans le microcosme parisien.

Il est vrai qu'il peut avoir la plume assassine, notamment à l'égard de Christine Ockrent et de sa biographie de Françoise Giroud (p. 401): "Le livre est rédigé sans soin, et avec un copieux usage des guillemets, puisque composé, pour l'essentiel,  de propos prêtés à des témoins, dans le désordre d'une rafle. Aucune rigueur, sinon dans le parti pris de dénigrement, qui se lit en filigrane. Rien de la distance que le genre impose. Il en résulte un portrait qui est comme craché, où se dénaturent les traits de la Françoise que nous avons connue et aimée. Que Mme Ockrent, pour corser le goût du potage, en arrive à utiliser des articles de Jean-Hedern Hallier donne une idée du sérieux de son entreprise". J'imaginais, dans la foulée, un étudiant, un doctorant, un professeur même, recevoir une telle appréciation. Il n'est pas sûr que tous puissent s'en relever. On ne manquera pas de noter l'absence totale, mais assumée, d'objectivité du critique. L'auteur voue une grande admiration à Françoise Giroud, il l'exprime très bien, et même de manière fort émouvante, dans d'autres pages (voy. par exemple, p. 373, L'hiver, Boulevard La-Tour-Maubourg).

Comme je n'éprouve aucun plaisir à voir assassiner quelqu'un, fût-ce avec raison et brio, je me suis attardé à d'autres aspects.

J'ai ri de temps en temps, mais pas souvent. Je me suis réjoui devant quelques aphorismes, mais souvent il s'agissait de citations insérées dans le texte. J'ai eu le sentiment d'être un désert de savoir face à tant de culture, de lectures, de références. Je me suis rassuré en me disant que je connaissais quand même à peu près 60 % des noms que l'auteur citait et même que j'avais lu quelques ouvrages qu'il mentionnait. Je me suis surtout réjoui d'avoir aussi lu des livres qui ont échappé à sa critique.

Je glane ici quelques exemples.

"A la télévision, M. Giscard d'Estaing astique son intelligence, laquelle exige autant de soin que l'argenterie" ... Faut-il rire à cette saillie (p. 261)? A ce bon mot? A ce prix-là, il faudrait rire à toutes les vannes de Laurent Ruquier, qui n'est pas académicien.

Parodie de Swift: "Pour réduire le problème du logement chez les chômeurs, il n'y a qu'à les rendre culs-de-jatte" (p. 29). Certains doivent aimer cet humour ... à la Desproges.

A propos de Bouvard et Pécuchet: "L'un trop Laurel, et l'autre pas assez hardi" ( p. 47). Pas mal trouvé, mais d'autres en auraient pu être l'auteur.

Bref, dans ce registre, le critique académicien ne fait guère mieux que d'autres sans doute moins cultivés que lui.

Je le préfère quand il dit des choses comme celles-ci:

" ... le sarcasme est chez lui un déguisement de la pitié, une parade contre le découragement et la bêtise" (p. 277), ce qui, à la réflexion, ne veut pas dire grand chose, mais est bien troussé.

A propos des écrits de monsieur Millaut (du guide Gault et Millaut): "un plat de souvenirs à sa façon cuit au doux feu de la nostalgie" (p. 52). Voilà qui est joli.

A propos du plaisir, "En matière de plaisir, on sait toujours ce qu'il y a à faire, surtout quand on ne l'a jamais fait" (p. 349).

Ou encore, "l'important, dans un livre, n'est pas toujours ce que l'auteur croit y avoir développé. L'important est dans l'impression qui perdure, la lecture terminée" (p. 89). On voit ici que l'auteur se préoccupe sincèrement du devenir des auteurs et de leurs oeuvres. Il se peut cependant qu'aucune impression ne perdure, une fois la lecture d'un ouvrage terminée. Finalement, qu'ai-je retenu du recueil des propos de monsieur Rinaldi? Pas grand chose à vrai dire. Quelques étincelles brillantes m'ont brièvement illusionné, mais je dois bien l'avouer: que reste-t-il de ces feux brillants après?

Et enfin, à propos d'Alain Robbe-Grillet, "il fournissait à l'université ce dont elle sera à jamais friande, la théorie. Celle-ci permettait à n'importe qui de se persuader qu'en application d'un mode d'emploi, on devient un artiste" (p. 96) et, plus loin, "reste que, depuis le début, il était évident que sa littérature ne s'annonçait pas très résistante" (p. 97). Pour faire un parallèle, je n'ai jamais douté qu'à partir du moment où l'université se fixe pour objectif l'apprentissage de modes d'emploi, moins elle est résistante.

J'aime l'indignation de l'auteur, datée du 24 janvier 2002, déplorant que les plus hautes autorités de l'Etat français aient été absentes des funérailles de Léopold Sedar Sanghor (p. 307)  et son émouvant hommage à Françoise Giroud (p. 373).


Parmi les auteurs recensés par monsieur Rinaldi, il en est deux que j'ai appris à connaître et que j'ai tout de suite aimés, même s'ils figurent parmi les méconnus: William Cliff (p. 367) et Christian Giudicelli (p. 323).

J'ai découvert William Cliff, dans une chambre de bonnes à Paris, la chambre de bonnes qu'occupait l'ex-ami de mon ex-ami et que nous occupions tous les deux pour quelques jours, avant que nous ne devenions "ex" (vous suivez?) ... Il s'agissait de poèmes et le poète était belge et sa poésie me touchait. Je me suis beaucoup reconnu en lui ensuite dans un roman qu'il a écrit: L'adolescent, dont j'ai, je crois, déjà parlé dans ce blog.

De Christian Giudicelli, j'ai beaucoup aimé Karamel, une pièce à deux voix réunissant un écrivain entre deux âges et un jeune maghrébin. Un texte où la violence et la tendresse se disputent. Un texte que j'aurais aimé jouer sur une scène.

D'autres que moi seraient sans doute ravis d'être présentés à monsieur Rinaldi, car il est possible qu'il représente pour eux un modèle de pensée et d'écriture. Je dois bien avouer que tel n'est pas mon cas.






Je me sens tellement plus proche de William Cliff.



Mais "allez savoir pourquoi", comme chantaient les Compagnons de la chanson: "une chanson, c'est peu de chose ...".

Lire la Bible en hébreu

Comme beaucoup d'autres de ma génération, j'ai découvert l' Histoire Sainte, à l'école et/ou au catéchisme.

Nos enseignants nous racontaient, sur le mode de l'anecdote, tous les grands épisodes de l'histoire du salut: Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé et son arche, Moïse, David et Goliath (mais pas David et Jonathan, ni David et la reine de Saba), le buisson ardent, Jonas dans le ventre de la baleine, Tobit dont les yeux avaient été recouverts d'écailles à cause de fientes d'oiseaux et qui sera guéri par le fiel d'un poisson, Samson qui perdait toute sa force si on lui coupait les cheveux, etc. (mais pas le Cantique des cantiques, un des plus beaux livres de la Bible, parce qu'il chante l'amour humain).

Avec Jésus, on ne dépassait pas davantage le niveau de l'anecdote: il marchait sur l'eau, il guérissait, il multipliait les pains, il changeait l'eau en vin, il vivait les pires souffrances, il était torturé, il était crucifié et puis, disait-on, il ressuscitait et il apparaissait à ses disciples avant de disparaître au ciel dans une nuée et d'envoyer des petites flammes sur la tête de ses disciples, pendant qu'une colombe planait sur l'assemblée.

A mon époque, d'avant internet et d'avant même les photocopies, nous disposions de manuels avec des dessins plus ou moins réalistes destinés à frapper les esprits.

On nous racontait des histoires plus ou moins merveilleuses et j'aimais ça. Mais on ne nous en expliquait jamais le sens profond. On pourrait croire qu'il en était ainsi parce que nous étions des enfants, cela n'est pas le cas. Il en était de même pour les adultes. Je ne parle pas d'un temps si lointain ... j'avais 10 ans dans les années soixante!








L'histoire du salut était mieux racontée au Moyen-Age que dans mon enfance. Au moins, elle pouvait compter sur de vrais artistes (bâtisseurs, sculpteurs, verriers ...) et ne cherchait en rien à sublimer quoi que ce soit. Allez contempler les chapiteaux de la basilique de Vézelay ou les vitraux de la cathédrale de Chartres, vous y lirez,  mais il faut le temps, tout ce qu'il faut connaître de la vie.

Il a fallu que j'arrive au collège/lycée, chez les pères jésuites, pour en apprendre un peu plus, mais juste un peu plus. J'ai appris l'existence de "synoptiques" et d'"apocryphes" (ça tombait bien, j'étais en section latin-grec). Quant au sens profond de tout cela? Les équipes de vie chrétienne n'avaient pas pour objet de nous initier à une lecture intelligente et ouverte de la Bible. Il en fut de même quand, mariés, nous adhérâmes au mouvement des Equipes Notre-Dame (un mouvement pour couples chrétiens). On s'y perdait dans des partages de vie qui, loin de nous faire avancer, nous faisaient patauger, mais avec le sentiment qu'on était chrétiens.

Pendant, toutes ces années, je piaffais d'impatience pour en savoir plus et tout me ramenait dans le rang.

Une ouverture s'est proposée quand, à l'initiative d'une soeur bénédictine de l'abbaye de La Paix-Notre Dame, à Liège, avec A., nous avons animés, à Wavreumont, des week-ends pour enfants et adolescents sur des thèmes bibliques, généralement de l'ancien testament, pendant que leurs parents étudiaient au monastère le même thème. Pour donner du sens aux textes, il fallait bien passer par les symboles que nous tentions d'adapter à chaque âge.

Cela fut pour moi déterminant, malgré toutes mes lectures et le peu de temps que j'avais alors à consacrer à l'étude des textes bibliques.

Je découvre aujourd'hui d'autres perspectives encore.

Depuis que je lis les textes bibliques, il a toujours été question de traductions, plus ou moins fidèles, plus ou moins consensuelles. Bref, je n'ai jamais lu la Bible "dans le texte" et je le regrette. Je comprends mieux aujourd'hui la remarque qui m'a été faite si souvent par des amis musulmans à propos du Coran. Jamais, me disaient-ils, je ne pourrai atteindre le coeur du Coran en en lisant des traductions.

L'hébreu, la langue de l'ancien testament, est une langue sans correspondance avec nos langues modernes, comme l'est aussi l'arabe classique du Coran.  Il faut accepter cette chose étrange que le mot écrit peut dire plusieurs choses. Pas, comme chez les juristes, où l'on aime jouer sur les mots ou avec les mots. Simplement, parce que le mot écrit, en l'absence de voyelles, peut être trituré à l'infini. Les rabbins excellent en ce domaine. Souvent, on commence par lui donner un sens en fonction du contexte. Mais très vite, on découvre, en le lisant autrement, qu'il peut vouloir bien d'autres choses encore et ouvre alors des perspectives insoupçonnées.

C'est une toute autre culture que la nôtre. Chez nous, nous avons le  souci du terme juste. Avant de parler,  il faut tourner sept fois la langue dans la bouche afin de choisir les mots, exempts d'ambiguïté, qui nous assureront d'être bien compris.

Je vais illustrer mon propos par un exemple qu'expliquait Frère Etienne aux fidèles, dimanche dernier, à Wavreumont. Son homélie, qui ne sera pas publiée dans l'immédiat, passait en revue quelques passages de la Bible où l'on parle de l'esprit (l'Esprit), Pentecôte oblige.

J'en retiens un. "Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide et la ténèbre à la surface de l'abîme; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux" (Gn, 1, 1-2). Le "souffle" dit la traduction oecuménique de la Bible (TOB); l'"esprit" de Dieu préfèrent d'autres traductions.

Ces traductions sont toujours maladroites et imparfaites, nous expliquait Etienne. Elles ne rendent pas compte de tout ce que le mot hébreu peut signifier. D'abord, le mot hébreu, qui a été traduit par souffle ou esprit, est une racine qui évoque le féminin. Et plutôt que d'imaginer une immense colombe qui plane au dessus des flots, il serait plus exact de parler d'une oiselle qui couve ses oeufs et les protège de ses ailes.  En d'autres termes, les deux premiers versets de la Bible nous parlent du masculin et du féminin ... de Dieu. Il n'y aurait pas eu de création si Dieu n'avait été à part égale masculin et féminin.

On peut aller plus loin, mais là c'est moi qui le dis: en tout être, en toute chose, en tout débat, il y a du masculin et du féminin, toujours. L'équilibre n'est pas toujours atteint et l'on trouve parfois plus de présence féminine chez certains hommes que chez certaines femmes (et vice-versa bien entendu).

vendredi 10 juin 2011

L'injuste bêtise

On n'imagine pas à quel point la bêtise nous gouverne quotidiennement et injustement.

En voici trois exemples, tirés de mon expérience.

Ce matin, je me suis présenté à l'auto-sécurité. J'étais aussi stressé qu'un étudiant devant passer un examen. Mon garagiste avait fait un check-up général. J'étais paré. Tout était en ordre.Tout, sauf une chose. Une des deux ceintures de sécurité sur le siège arrière ne faisait pas clic, mais plop. Je n'aurais pas pu m'en apercevoir puisque je ne véhicule jamais de passager à l'arrière. Je suis recalé, a décrété l'examinateur. Je dois représenter le véhicule avant le 25 juin. Une faute aussi vénielle ne me paraît pas mériter une sanction aussi lourde. Voilà ce qu'il arrive quand on confie à des privés le soin de sanctionner les citoyens. Ils font du chiffre, puisque leur but est de se faire du pognon et accessoirement d'assurer la sécurité. Bref, je râle. Et qu'on ne vienne pas me dire que je râle sans raison.

Il y a quelque jours, c'était un dimanche ensoleillé, je devais franchir la rue de la Régence de la rive gauche à la rive droite, dirons-nous. J'empruntai un passage pour piétons. Le feu était rouge, mais il n'y avait aucun véhicule à l'horizon. Je n'avais pas vu qu'il y avait deux pandores en patrouille, dont une femme, une grosse blonde, qui doit compenser son manque de charme en jouant au gendarme. "Eh, vous là, vous ne savez pas attendre!". "Euh oui, moi, chère madame l'agente, excusez-moi, j'ai commis une faute, je n'aurais pas dû, pardonnez-moi". J'avais pourtant tellement envie de lui dire autre chose que je n'oserais exprimer ici et surtout d'exiger qu'elle me parle sur un autre ton. Si j'en avais eu le temps, et si j'avais été persuadé que son cerveau fût capable de l'entendre, je lui aurais développé la théorie suivante. Les feux qui gouvernent la circulation des piétons sur la voie publique n'ont pas pour fonction de les faire attendre, mais d'assurer une priorité entre les usagers. Quand deux usagers sont en présence, celui qui a le feu rouge doit céder la place à celui qui a le feu vert. Quand il n'y a qu'un seul usager, le feu ne sert plus à rien, puisqu'il n'y a pas de priorité à assurer. Comment faire comprendre cela à cette grosse blonde déguisée en policier? Pour elle, le feu rouge c'est fait pour faire attendre les piétons. Il va sans dire qu'avec une telle représentante ma méfiance vis-à-vis des forces de l'ordre s'est trouvée décuplée et ... que je ne me sens pas du tout en sécurité. Il devait sans doute y avoir des quotas imposés pour les recrutements à la police, autant de femmes et autant de blondes, comme dans les conseils d'administration désormais. Ca promet!

Mais la bêtise injuste peut tout aussi bien être masculine, rassurez-vous. J'ai connu l'épreuve du service militaire, à un âge (25 ans), où les ordres d'un caporal ou d'un sergent de 20 ans me paraissaient pouvoir être soumis à la critique. Les gamins de 17-18 ans, qui partageaient ma chambrée étant plus soumis que moi, ils se contentaient de protester par des batailles de pelochons. Bref, j'étais pour la seule fois dans ma vie, la forte tête dans un milieu où cela n'est pas bien vu. Avant d'obéir, j'aimais savoir pourquoi et posais donc des questions. Prenons un exemple de bêtise injuste. Une fois réveillés par le clairon, nous avions 15 minutes pour faire notre toilette, faire notre lit au carré et nettoyer la chambrée, horresco referens. Ceci était, par définition impossible, puisque tout était organisé pour que cela soit impossible. Il y avait moins d'éviers que de candidats à la toilette, moins de brosses pour balayer que de chambrées, etc. Après venait l'inspection par le premier sergent, dont le rôle était d'humilier, d'abaisser, de défaire les lits et de vider les armoires mal rangées. Il se murmurait qu'il était homo, ce qui ne m'étonnait pas du tout, mais jamais l'idée ne m'est venue de tenter ma chance auprès de lui. Ce n'est vraiment pas mon trip de me faire humilier.  Avec le sergent, responsable du peloton, nous étions arrivés à un gentlemen's agreement. Il me faisait faire l'appel le matin parce que je savais lire les noms flamands, et puis il me foutait la paix; il me taquinait juste un peu sur mon ceinturon en disant qu'un ceinturon n'est pas une "ventrière". Comment ça, ventrière? Pfffttt

Dans ces circonstances où la bêtise prend le pas, jusqu'à se montrer injuste, j'ai toujours été un petit révolté qui ose à peine clamer sa révolte. Heureusement, il y a maintenant le blog!

Les examens oraux

Depuis que j'apprivoise ma vie de "non-professeur", la chose qui me manque le plus est la période des examens oraux. Une fois encore, je vais me distinguer de mes collègues, surtout les plus jeunes.

Beaucoup (pas tous heureusement) considèrent, en effet, comme une corvée de consacrer une part importante de leur temps à rencontrer individuellement chacun de leurs étudiants pour un échange intellectuel qui ne sera pas qu'une vérification de connaissances, mais un petit défi. Je consacrais, chaque année, 6 semaines par an à interroger oralement mes étudiants. Je prenais le temps: 30 à 40 minutes chacun, mais j'étais à un stade du cursus où ils étaient moins nombreux, la sélection ayant joué. Je considérais, d'une part, que j'étais payé pour cela, et, d'autre part, j'estimais que c'était de ma part une forme de respect pour l'étudiant que de lui consacrer ainsi de mon temps. Ne m'avait-il pas consacré beaucoup du sien? Je prenais le temps aussi, à la fin de l'épreuve, de faire le bilan avec l'étudiant, de l'amener à s'auto-évaluer, à souligner ce qui était bien et ce qui aurait pu être mieux, à chercher avec lui ce qui avait été cause de difficulté. A l'issue de l'examen, je révélais toujours ma note à l'étudiant. Et jamais mes notes n'ont été contestées, car elles étaient expliquées.

Depuis que l'activité des professeurs d'université comporte de plus en plus un pôle extérieur (comme experts, intervenants, conseil, avocat, magistrat, participants à des débats, auteur etc.), l'examen oral n'a plus la cote. Ces nouveaux professeurs, qui ont tellement de choses à faire, n'ont plus assez de temps pour consacrer, comme je le faisais, 6 semaines par an à recevoir, écouter et entendre des étudiants. Ils préfèrent les examens écrits qu'ils pourront corriger à leur guise ou faire corriger par leurs collaborateurs (bien entendu, selon des grilles de correction soigneusement établies).

Les pédagogues en chambre, que l'on rencontre dans les universités, ont par ailleurs dénoncé l'aspect subjectif de l'examen oral où le professeur peut être influencé par des éléments, appelons-les personnels. L'examen se doit d'être objectif (ce qui ne correspond évidemment pas à la vie réelle qui est tout sauf objective). Le QCM a ainsi été instauré, à tout le moins dans les premières années d'apprentissage, comme la solution miracle. Une évaluation objective, anonyme, gérée par ordinateur. Que rêver de mieux? Sauf qu'élaborer les questions d'un QCM est une épreuve redoutable. J'ai été appelé, comme expert, à propos d'un QCM organisé par l'Etat fédéral pour la promotion interne de fonctionnaires: sur 50 questions, 38 étaient ambigües ou mal formulées. Ce test avait pourtant reçu l'aval d'un service en pédagogie très actif en ce domaine de ma propre université. L'examen a fini par être annulé.

L'examen écrit est devenu depuis de plus en plus la règle. On peut admettre que, dans l'exercice des carrières juridiques, l'écrit est plus présent que l'oral. C'est un faux débat. Et je ne crois pas qu'il suffise d'amener les étudiants à s'exprimer devant leurs pairs ou lors de concours de plaidoiries pour ré-équilibrer la question.

L'examen oral "en tête à tête" a de nombreuses vertus, si le professeur accepte de prendre le temps, de jouer pleinement le jeu du dialogue, d'être parfois l'avocat du diable, mais aussi le pédagogue mettant en confiance. Un entretien socratique en quelque sorte.

Une des vertus de l'examen oral "en tête à tête" est aussi, pour le professeur, d'avoir un retour privilégié sur son enseignement, bien plus fin que celui découlant des évaluations pédagogiques par les étudiants, sous forme de questionnaires à choix multiples ... toujours suggérées par le même service de pédagogie de mon université.

L'examen oral est-il subjectif? J'entends déjà les questions insidieuses ... Oui, des étudiantes ont essayé de m'attendrir par leurs larmes, leur fatigue, leurs problèmes familiaux, leur large décolleté, j'ai toujours été ouvert, attentif, mais je n'ai jamais cédé. Des étudiants, il y en a eu aussi, ont joué la séduction; ils devaient croire que je serais plus réceptif, cela ne fut jamais le cas.

Je ne m'énervais jamais, sauf dans un cas: lorsque l'étudiant(e), après 3 questions suivies de réponses lamentables, me disait: "mon avenir dépend de vous, vous ne voulez pas me poser une quatrième question?". Je n'ai jamais accepté ce genre de chantage.

Ces "tête-à-tête" me manquent beaucoup.

mercredi 8 juin 2011

Maman, c'est qui le papa de Dieu?

Je ne sais pas quel âge a Nicolas, il est encore un enfant, mais voilà la question qu'il a récemment posée: "Maman, c'est qui le papa de Dieu". Sa mère s'est trouvée fort dépourvue pour lui répondre, un peu comme le fut au coeur de l'hiver la cigale de la fable narrée par Jean de Lafontaine.

Sa mère étant une amie, ancienne étudiante et collègue de chant, j'ai cru devoir lui répondre le plus simplement possible.

Que son gamin se pose ce genre de question est tout d'abord fort réjouissant. Tout jeune, il met le doigt sur l'essentiel. Ne pose-t-il pas la question que tous les philosophes se sont posée? De l'oeuf et de la poule, qui a été le premier? Ce qui me surprend un peu c'est que le petit Nicolas se demande qui peut être le papa de Dieu, mais qu'il n'évoque pas la maman de Dieu.

Que répondre à un enfant lorsqu'il pose une telle question?

Je ne connais pas Nicolas et mes propositions seront vraisemblablement maladroites.

Moi, je lui expliquerais d'abord que c'est Dieu qui a inventé les papas et les mamans. Et qu'un inventeur peut faire beaucoup de choses. Il peut même créer quelque chose de nouveau qui n'existait pas avant. Je lui en donnerais des exemples: l'invention de l'écriture, l'invention de l'aéroplane, par exemple.

Je lui expliquerais aussi que Dieu, l'inventeur, on ne le connaît pas encore très bien et je soumettrais Nicolas à une double expérience: celle du microscope et celle de la lunette astronomique. Un jeune enfant peut aisément comprendre, me semble-t-il, que le monde ne se limite pas à ce qu'il voit. Il est possible de voir plus loin pour découvrir des choses nouvelles auxquelles on ne pensait pas. Et si on dispose d'un microscope ou d'une lunette astronomique, plus performants, on découvrira d'autres choses encore que l'on n'imaginait même pas. Et, à chaque fois, on peut recommencer. Avec Dieu, c'est un peu comme ça.

mardi 7 juin 2011

Je suis parti de rien pour arriver nulle part (Groucho Marx) - Pastiche

"Je suis parti de rien pour arriver nulle part", aurait dit Groucho Marx (celui qui, comme Staline, avait des moustaches). C'est mon ami Marco qui m'a fait découvrir cette jolie citation.

Qu'en aurait fait Raymond Devos? Oserai-je ici un pastiche?Au risque de me planter ...

Je suis parti de rien pour arriver nulle part.
Et, après bien des galères, mesdames et messieurs, qu'ai-je découvert, au milieu de nulle part?
J'ai découvert qu'il n'y avait rien.
Cela valait bien la peine de faire tout ce trajet.
J'aurais pu m'inquiéter, reprendre mes bagages et faire demi-tour.
Partir de rien pour arriver à rien, au milieu de nulle part!
Mais non, mesdames et messieurs, je me suis dit: s'il n'y a rien au milieu de nulle part, qu'y a-t-il autour?
J'ai alors découvert qu'autour du milieu de nulle part il y avait trois fois rien.
Vous allez me dire, mesdames et messieurs, que ce n'est pas grand chose.
D'autant que si je multiplie rien par trois, cela donne rien, et non pas trois fois rien.
Comment se fait-il dès lors qu'aux alentours du milieu de nulle part,
on trouve des choses qui se négocient pour trois fois rien?
J'ai aussi découvert, mesdames et messieurs, que plus on s'éloigne du milieu de nulle part, plus on donne de valeur à ce qui ne vaut rien et plus on finit avec moins que rien.
Prudemment, étant parti de rien, je me suis dit, mesdames et messieurs, qu'il valait peut-être mieux, pour ne pas tout perdre, que je reparte vers une destination indéfinie quelque part au milieu de nulle part.











Plateau de fromages

Rien ne m'énerve plus qu'un couple de français devant l'étal d'un négociant en fromages belge. Cela est de plus en plus souvent le cas. Quand je fais mon marché dominical, je me trouve en effet fréquemment confronté à de jeunes étudiants français étudiant à Liège, parfois accompagnés de leurs parents, qui font leurs achats chez mon maître fromager.

D'abord, ils ne connaissent d'autres fromages que les français, alors que moi, belge, je connais les fromages belges, français, italiens, suisses et choisis allègrement parmi ceux-ci. Je ne manque jamais d'acheter, outre mes fromages belges, mon gruyère d'alpage, mon gouda de mai et mon Agour, pur brebis, des Pyrénées.

Quand mon maître fromager leur suggère un fromage local, et Dieu sait s'il en existe, au moins autant qu'en France, ces acheteurs français ne font preuve d'aucune curiosité. Ils demandent d'abord à quel fromage français le fromage belge ressemble. Quelle prétention! Le plus souvent, ils finissent par se rabattre sur ce qu'ils connaissent, car on vend, en Belgique des fromages français, alors que je ne suis pas sûr qu'on vende en France les fromages belges. Pour beaucoup de français, tous les fromages qui viennent du nord s'appellent "fromage de Hollande". Et s'ils finissent par acheter un fromage belge, c'est parce que mon maître fromager a réussi à leur expliquer, pour les convaincre, qu'il se rapproche du Maroilles, du Saint-Paulin, du Reblochon ou du Pont-l'Evêque.

Quand mon maître fromager leur vante les produits locaux, le Remoudou, le Chimay à la bière, le Patachouffe,  le bleu de Franchimont, le Bailli, le Bernister, l'Orval, le Bouquet des moines de Val Dieu, le Trou d'sotay, le Boû d'Fagne, les chèvres frais d'Ozo, le Wavreumont,  et qu'il les fait goûter, c'est pour s'entendre dire: ah oui, on dirait du ...

Et puis, cerise sur le gâteau, la question qui finit par tuer le français qui s'aventure chez mon maître fromager belge: "Et votre fromage de Herve, là, il est bien fait?". Ah, s'il savait!

lundi 6 juin 2011

André Malraux, entre être et faire, secrets et égalité: questions pour le bac littéraire

"- Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache (...). Un misérable petit tas de secrets ...
- L'homme est ce qu'il fait! (...). Dans l'ombre du secret, les hommes sont un peu trop facilement égaux".

Ce dialogue est d'André Malraux qu'aurait inspiré Nietzche.

Une double belle question pour le bac littéraire:
- que retiendra-t-on de nous: ce que nous avons fait ou ce que nous avons été?
- quelle est la vérité d'un individu, ce qu'il montre ou ce qu'il cache?

Je trouve d'abord, pour ma part, André Malraux fort négatif. Mes petits secrets (en ai-je vraiment un tas, comme il prétend que tout homme en a?) ne sont pas tous misérables.

Si l'on devait percer le secret des hommes, il seraient bien trop égaux. N'allons pas trop vite quand même, mes secrets à moi ne sont pas du tout ceux de mon voisin! De quelle égalité parle-t-on? Il n'y a égalité, en ce domaine, que dans la confidence. Et mon expérience de vie, qui est extérieure à toute forme de pouvoir, me révèle que beaucoup d'hommes ou femmes livrent facilement leurs petits secrets, dès lors qu'ils rencontrent une oreille pour les écouter. Mais, j'ai bien compris le propos: pour être un homme de pouvoir il faut agir et dissimuler ce que l'on est vraiment. Trop de secrets dévoilés ruinent le pouvoir. Je trouve cela tragique, pour ma part. En politique, il n'y a pas d'égaux, rien que des rivaux.

L'homme serait, pour l'essentiel, ce qu'il cache et pas ce qu'il montre, dit, exprime. Comment comprendre cette affirmation? Tous ceux qui cherchent, notamment dans les disciplines artistiques à exprimer ou à rendre visible, ce qu'ils sont ou qui il sont, passeraient-ils à côté de l'essentiel? S'il n'y avait pas une part de narcissisme chez les artistes, existeraient-ils seulement? Il en a toujours été ainsi, même quand ils se mettaient au service d'un au-delà (Dieu, les dieux, l'homme idéal).

Si l'homme est jugé sur ce qu'il fait ou a fait ... je risque de me retrouver tout en bas du classement. Je ne me suis jamais senti appelé à réaliser de grandes oeuvres. Les grandes oeuvres m'angoissent. De plus, j'ai toujours trouvé sans intérêt, voire futile, de laisser des traces de moi par mes oeuvres. Je sais que je suis une exception. J'ai compris, dès mon plus jeune âge, que je n'étais, et ne serai, jamais comme les autres. J'aime être par ce que je suis (pas par ce que je fais). Certainement, c'est plus difficile d'être que de faire. Cela explique pourquoi tant de mes contemporains sont sans cesse dans l'agir et pas (ou peu) dans l'être. Il en faut, parce que si tout le monde était comme moi, on ne ferait pas un monde. Mais il en faut aussi comme moi. Et il n'y a lieu de juger ni les uns, ni les autres.

Le même sujet de bac a inspiré un autre auteur, Philippe Guibert qui, lui publie, dans l'hebdomadaire Marianne,  à propos de l'encombrante affaire DSK. Lisez-le aussi. Je ne vous demande pas de nous noter. J'ai passé l'âge du bac.

http://www.marianne2.fr/Affaire-DSK-eloge-du-secret_a206890.html

Retour aux hymnes (au masculin): l'étudiant et monsieur Grétry

Un ancien étudiant,  à l'esprit délicieux, qui use maintenant ses fonds de culottes sur les bancs des universités parisiennes, ce qui lui offre un environnement culturel qu'il ne pouvait trouver à Liège, me communique des propositions d'hymnes.

J'en conviens, j'avais oublié monsieur Grétry, dont les parents avaient cru bon de l'affubler entre autres du prénom Modeste. Parents, réfléchissez bien avant de prénommer vos enfants. Leur avenir peut en dépendre. Mon beau-père évoquait ainsi toujours, avec un petit sourire, une élève de l'école primaire que ses parents avaient appelée PrudenceJe ne sais si elle finit vieille fille ou si elle réussit à surmonter ce handicap "pré-nominal".

Monsieur Grétry (André-Modeste) ne fut modeste qu'un temps. A la cour de France, il sut trouver bonne oreille. Il divertit le roi de ses opéras-comiques et de ses mélodies légères, mais bien troussées. De mauvaises langues ont dit de ses opéras qu'ils étaient du même niveau que les comédies musicales de monsieur Le Berger, voire pire, de monsieur de Barbe-Livien, toutes proportions gardées heureusement.

Parmi les airs de monsieur Grétry, qui fut l'ami de Rousseau (Jean-Jacques et non Jean-Pierre), il en est un que les oreilles belges connaissent particulièrement: Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?


Je dois l'avouer, cette connaissance fort répandue est liée à des épisodes peu glorieux. Elle exprimait, à une époque qui n'est heureusement plus la nôtre, la grogne des communicants qui préféraient, par protestation, se tenir cois. Ils nous donnaient alors à entendre quelques mesures de l'oeuvre de monsieur Grétry, sans cesse et à l'infini.

Monsieur Grétry n'a pas eu l'occasion de s'en offusquer; il était déjà au paradis quand ces coquins le récupérèrent ainsi.

Monsieur Grétry n'imaginait pas que son air si gentil, si convivial et si familial pût devenir un hymne. L'expérience m'a appris qu'il suffit souvent d'un rien.

L'excellent étudiant, dont je faisais précédemment allusion, m'a ainsi proposé une version martiale de la mélodie en question. Le support sonore est d'époque. Il crachote un peu de temps en temps, c'est  bien normal. Mais quel bel hymne!

http://www.youtube.com/watch?v=l67fAAaB6dg&feature=related

Mon oeil toujours aux aguêts ne se fit point faute de remarquer que, sur cet antique microsillon, un deuxième titre était proposé à nos oreilles attentives: Le chant des flamands. Je m'enquis donc de ce qu'il en était auprès de mon jeune correspondant bien informé.

Le résultat ne fut point à la mesure de mes espérances.

http://www.youtube.com/watch?v=eWy9BhumEVI&feature=youtu.be

Je ne trouvai point là l'arrogance, la superbe, la suffisance du Lion des flandres ... La mélodie est terne, le propos vaseux et confus. Cela sonne petit, sans grandeur d'âme. Quel est le traître, qu'on l'arrête, qui ose donner une telle image de la Flandre? La Flandre? Les flandres?

dimanche 5 juin 2011

Sermon peut-être un peu hérétique, mais allez savoir s'il ne dit pas vrai

Il a eu une étrange fin de vie, Jésus que l'on dit de Nazareth.

D'abord il a été crucifié, ce qui n'est pas banal, et, qui s'ajoute, dans son cas, à d'importantes tortures préliminaires plus pour ce qu'il représentait en tant qu'élément subversif pour les pouvoirs établis que pour ce qu'il disait. Une fois mis au tombeau, il en a disparu, le lendemain, laissant ses proches un peu perdus, perplexes et même incrédules.


Etait-il vraiment mort quand on l'a mis au tombeau? Après ce qu'il avait subi, on doute pourtant qu'il s'en soit allé tout seul, prenant soin de plier les linges qui l'entouraient avant de partir (Jn, 20, 6-7). D'autres que ses proches sont-ils intervenus, ayant constaté qu'il n'était pas vraiment mort, pour le conduire vers un médecin et lui permettre de survivre, ces hommes-là bravant peut-être la règle du shabbat? Et puis, nous dit-on, le tombeau était gardé (Mt, 27, 62 et suiv.). Ont-ils soudoyé les gardes? Qui cela pouvait-il être? Des notables juifs qui s'étaient opposés à la condamnation de Jésus ou un commando romain payé par l'épouse de Ponce-Pilate, qui était favorable à Jésus?


Pierre et Jean, ses deux plus proches, en tout cas n'en croient pas leurs yeux, ils sont totalement perturbés. Jean dit pourtant qu'ayant vu, il a cru (Jn, 20, 8). Permettez-moi une hypothèse: Jean s'est réjoui, parce que ne pouvant admettre que Jésus fût mort, lui qui était au pied de la croix et l'avait vu à l'agonie (Jn, 19, 25-27), il a été soudain envahi d'une grande allégresse: il n'était pas sûr que Jésus fût bien mort, maintenant il est sûr qu'il ne l'était pas. Le seul fait de découvrir le tombeau vide lui suffit: Jésus n'était pas mort, juste aux portes de la mort. Une absence, un vide, là où il attendait un cadavre, suffit à le convaincre.


Marie-Madeleine est, par rapport à Jean, dans un rapport très différent, alors qu'ils étaient sans doute les deux plus proches de Jésus d'un point de vue affectif et amoureux. On raconte qu'elle l'a vu et qu'il l'a appelée par son nom (Jn, 20, 11). Elle ne l'a pas reconnu cependant, elle l'a pris pour le jardinier. Il est possible que le jardinier, qui la connaissait peut-être de réputation, fût un sacré farceur profitant de la crédulité d'une belle dont le coeur était brisé. On imagine mal Jésus, dans son état, se déguiser en jardinier pour se présenter à elle et se faire reconnaître.


On ne connaîtra jamais le témoignage des deux gardes. Ils nous en auraient appris beaucoup pourtant.

Ce qui est plus troublant, c'est qu'après cette mise au tombeau, Jésus serait aussi "apparu" à d'autres disciples, même des durs-à-cuire, ceux à qui on ne la fait pas, comme Thomas, le jumeau. Et ce qui est frappant dans le récit de ces apparitions, c'est leur aspect incarné. Jésus n'apparaît pas à ses disciples comme la Vierge Marie à Bernadette Soubirou, à Lourdes, ou à Mariette Beco, à Banneux. Il mange du poisson avec eux au bord du lac (Jn, 21). Il se fait toucher par Thomas (Jn, 20, 24 et suiv.). Il partage le pain, et mange, avec les disciples d'Emmaüs (Lc, 24, 13 et suiv.). Comme pour leur dire: oui, c'est bien moi (Lc, 24, 39). Faut-il s'étonner, après tout ce que l'on a raconté de sa mort atroce, qu'ils soient encore un peu incrédules? Et puis, il disparaît. Arrêtons de penser à une espèce d'ectoplasme éthéré qui tout à coup se dissout. Quand Jésus disparaît, cela veut dire qu'il doit aller ailleurs, qu'il ne peut pas, ou ne peut plus, rester (cela peut fort bien se comprendre dans sa situation d'ex-condamné/crucifié amené à se cacher). Ils le prient: reste encore avec nous (Lc, 24, 29). Il doit s'en aller parce que cela pourrait devenir dangereux, même masqué ou déguisé. Jésus est devenu un clandestin. Les deux disciples d'Emmaüs ont raconté qu'après son départ, il était devenu invisible (Lc, 24, 31);  il n'y a point de mystère la-dessous, ils devaient effectivement être le moins visible possible. Le plus important est qu'ils l'avaient reconnu (Lc, 24, 31-32). 


D'après les évangiles, ces rencontres de Jésus avec ses disciples, après les événements de Jérusalem, ont été relativement peu nombreuses. Jésus n'avait guère le choix. Il était sans doute recherché.


Un jour, quarante jours après sa mort et sa prétendue résurrection, dit-on, il va expliquer à ses disciples, qu'il a réussi à rencontrer une fois encore, que dorénavant il ne pourra plus être physiquement avec eux, mais ailleurs. Au ciel? C'est ce qu'évoque spontanément le mot "ascension". Et s'il s'agissait d'un autre ailleurs? D'un défi plus grand encore que le ciel: je dois continuer ma mission ailleurs, continuer, avec les forces qui me restent, après toutes ces épreuves, à partager à d'autres que vous mes intuitions et ce que Dieu dit à mon coeur. Je ne puis plus rester ici, en cette terre où je suis né, ma vie serait perpétuellement en danger. Prenez maintenant ma place ici et autour de vous (Ac, 1, 8).

Déjà, par le passé, Jésus avait envoyé ses disciples sur les routes (Mt, 10, 5), ceux-ci se sentaient soutenus, car Jésus était derrière eux. Maintenant qu'il ne sera plus là, pour les soutenir et les mobiliser, en seront-ils encore capables?

Jésus leur fait alors une promesse (Ac, 1, 8): vous vivrez dorénavant de mon esprit. Je vous donne dix jours pour réfléchir à cela. Si vous acceptez de communier à mon esprit, je serai toujours avec vous. Au bout de ces dix jours de retraite, qu'ils ont vécue en communauté, ils n'avaient plus d'angoisse, ni de peur. Ils étaient prêts. Ce fut la Pentecôte (Ac, 2).


Quant à Jésus, il partit loin. Il avait donné tout de sa vie et, malgré toutes les souffrances subies, il était toujours vivant. On a dit qu'il aurait vécu la deuxième partie de sa vie en Inde, du côté de Shrinankhar. Si c'est vrai, cela me rend particulièrement heureux. 


Voyez-vous, moi, je crois plus en Jésus vivant qu'en Jésus ressuscité. Ses paroles me touchent et me rejoignent même ainsi davantage. Je préfère un Jésus vivant, intime de Dieu, qu'un Jésus, fils de Dieu, mort pour nos péchés et victime sacrificielle pour racheter le péché des hommes, du monde, et puis ressuscité. Ce qu'il n'a jamais prétendu être.


Pour moi être chrétien, c'est cela. Etre dans l'esprit d'un homme hors du commun pour atteindre, sur ses pas, l'intimité avec Dieu. Jésus, comme référence pour ma vie, c'est tellement de choses. Deux particulièrement, avant toutes les autres: tout peut être pardonné; tout est passage, rien n'est jamais figé, arrêté, il y a toujours un possible, un avenir. C'est ce message-là que les chrétiens ont à porter partout où il y a lieu de pardonner et d'ouvrir des portes. Quand on y réfléchit, cela est une tâche immense. Et puis, il y a tout le reste résumé dans les priorités des béatitudes.


Tout ce qui est advenu après l'intervention invasive de Saül de Tarse me parle moins. On ne saura jamais si Saül/Paul a un jour entendu Jésus dire les mots qui jaillissaient de son coeur. Etait-il là au Golgotha parmi les juifs haineux? Dans ses écrits, il ne cite jamais les paroles ou les actes de Jésus. Il parle beaucoup de lui-même et de ses voyages et élabore une théorie/théologie, sans se rendre compte au demeurant que ses moyens intellectuels  sont parfois limités et un peu confus. Il dit pourtant de temps en temps des choses inspirées. Ce qui était simple et parlait au coeur, en peu de mots, dans la bouche de Jésus, se noie avec lui dans une logorrhée souvent incompréhensible. Après sa fulgurante conversion, sur le chemin de Damas, il essaye de s'agréger aux disciples, mais ils ont peur de lui, n'arrivant pas à le croire vraiment disciple (Ac, 9, 26). Les frères et les témoins de la première heure, feront tout pour l'éloigner (Ac, 9, 30). Et quand il reviendra, ce sera pour s'opposer à eux et les déstabiliser.


Pourquoi avaient-ils ainsi peur de lui? Je ne vois qu'une explication: sa conversion subite ne les a pas convaincus. On aurait pu imaginer que Saül, revenu après sa conversion à de meilleurs sentiments, les interroge, demande à entendre leurs témoignages, leurs expériences avec Jésus, pour témoigner à son tour de ce que lui n'avait pas vécu. Or, il n'en est pas question. Il a eu l'illumination de la foi ... le genre de sentiment qui me rendra toujours méfiant. Lui n'a rien entendu, mais il a eu une révélation (Gal, 1, 12), comme le prophète Muhamad, quelques siècles plus tard. Il fondera toute son action sur cette prétendue révélation, bien plus que sur la transmission de l'expérience existentielle vécue par les disciples de Jésus.


On ne trouve, dans les écrits de Paul, aucune allusion aux béatitudes, aux paroles et aux actes libérateurs de Jésus. Et quand les évangiles seront écrits, bien après les lettres de Paul, aucun, même celui de Luc, qui, dans les Actes des apôtres évoque pourtant Saül/Paul, ne fait allusion à lui et à ce qu'il a écrit et répandu comme doctrine pendant les années qui ont précédé la rédaction des évangiles.


Depuis toujours, j'ai le sentiment qu'à partir de l'intervention de Saül/Paul, il y a eu deux christianismes, l'un fondé sur le témoignage, la mémoire, les paroles et les actes de Jésus, qu'il convient de faire vivre encore aujourd'hui, et un autre bien différent, et sans rapport avec le premier, qui a fini par se concrétiser, du moins je le pense, dans beaucoup de choses que je n'aime guère: luttes d'influences, controverses, expansion, morale, théologie, dogmatique, etc ... Il n'y a qu'à faire un tour du côté du Vatican pour voir le résultat. 


Je ne cesse depuis de chercher où mon christianisme à moi est vécu.