Depuis que j'apprivoise ma vie de "non-professeur", la chose qui me manque le plus est la période des examens oraux. Une fois encore, je vais me distinguer de mes collègues, surtout les plus jeunes.
Beaucoup (pas tous heureusement) considèrent, en effet, comme une corvée de consacrer une part importante de leur temps à rencontrer individuellement chacun de leurs étudiants pour un échange intellectuel qui ne sera pas qu'une vérification de connaissances, mais un petit défi. Je consacrais, chaque année, 6 semaines par an à interroger oralement mes étudiants. Je prenais le temps: 30 à 40 minutes chacun, mais j'étais à un stade du cursus où ils étaient moins nombreux, la sélection ayant joué. Je considérais, d'une part, que j'étais payé pour cela, et, d'autre part, j'estimais que c'était de ma part une forme de respect pour l'étudiant que de lui consacrer ainsi de mon temps. Ne m'avait-il pas consacré beaucoup du sien? Je prenais le temps aussi, à la fin de l'épreuve, de faire le bilan avec l'étudiant, de l'amener à s'auto-évaluer, à souligner ce qui était bien et ce qui aurait pu être mieux, à chercher avec lui ce qui avait été cause de difficulté. A l'issue de l'examen, je révélais toujours ma note à l'étudiant. Et jamais mes notes n'ont été contestées, car elles étaient expliquées.
Depuis que l'activité des professeurs d'université comporte de plus en plus un pôle extérieur (comme experts, intervenants, conseil, avocat, magistrat, participants à des débats, auteur etc.), l'examen oral n'a plus la cote. Ces nouveaux professeurs, qui ont tellement de choses à faire, n'ont plus assez de temps pour consacrer, comme je le faisais, 6 semaines par an à recevoir, écouter et entendre des étudiants. Ils préfèrent les examens écrits qu'ils pourront corriger à leur guise ou faire corriger par leurs collaborateurs (bien entendu, selon des grilles de correction soigneusement établies).
Les pédagogues en chambre, que l'on rencontre dans les universités, ont par ailleurs dénoncé l'aspect subjectif de l'examen oral où le professeur peut être influencé par des éléments, appelons-les personnels. L'examen se doit d'être objectif (ce qui ne correspond évidemment pas à la vie réelle qui est tout sauf objective). Le QCM a ainsi été instauré, à tout le moins dans les premières années d'apprentissage, comme la solution miracle. Une évaluation objective, anonyme, gérée par ordinateur. Que rêver de mieux? Sauf qu'élaborer les questions d'un QCM est une épreuve redoutable. J'ai été appelé, comme expert, à propos d'un QCM organisé par l'Etat fédéral pour la promotion interne de fonctionnaires: sur 50 questions, 38 étaient ambigües ou mal formulées. Ce test avait pourtant reçu l'aval d'un service en pédagogie très actif en ce domaine de ma propre université. L'examen a fini par être annulé.
L'examen écrit est devenu depuis de plus en plus la règle. On peut admettre que, dans l'exercice des carrières juridiques, l'écrit est plus présent que l'oral. C'est un faux débat. Et je ne crois pas qu'il suffise d'amener les étudiants à s'exprimer devant leurs pairs ou lors de concours de plaidoiries pour ré-équilibrer la question.
L'examen oral "en tête à tête" a de nombreuses vertus, si le professeur accepte de prendre le temps, de jouer pleinement le jeu du dialogue, d'être parfois l'avocat du diable, mais aussi le pédagogue mettant en confiance. Un entretien socratique en quelque sorte.
Une des vertus de l'examen oral "en tête à tête" est aussi, pour le professeur, d'avoir un retour privilégié sur son enseignement, bien plus fin que celui découlant des évaluations pédagogiques par les étudiants, sous forme de questionnaires à choix multiples ... toujours suggérées par le même service de pédagogie de mon université.
L'examen oral est-il subjectif? J'entends déjà les questions insidieuses ... Oui, des étudiantes ont essayé de m'attendrir par leurs larmes, leur fatigue, leurs problèmes familiaux, leur large décolleté, j'ai toujours été ouvert, attentif, mais je n'ai jamais cédé. Des étudiants, il y en a eu aussi, ont joué la séduction; ils devaient croire que je serais plus réceptif, cela ne fut jamais le cas.
Je ne m'énervais jamais, sauf dans un cas: lorsque l'étudiant(e), après 3 questions suivies de réponses lamentables, me disait: "mon avenir dépend de vous, vous ne voulez pas me poser une quatrième question?". Je n'ai jamais accepté ce genre de chantage.
Ces "tête-à-tête" me manquent beaucoup.
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Il y a 11 mois
Dear Xavier, I think that what you say in this article is very important for all of us, because teachers are always needing to improve ourselves and to study about how can we understand students more. Thanks for this article, I think that I always learn something from you
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