Comme beaucoup d'autres de ma génération, j'ai découvert l' Histoire Sainte, à l'école et/ou au catéchisme.
Nos enseignants nous racontaient, sur le mode de l'anecdote, tous les grands épisodes de l'histoire du salut: Adam et Eve, Caïn et Abel, Noé et son arche, Moïse, David et Goliath (mais pas David et Jonathan, ni David et la reine de Saba), le buisson ardent, Jonas dans le ventre de la baleine, Tobit dont les yeux avaient été recouverts d'écailles à cause de fientes d'oiseaux et qui sera guéri par le fiel d'un poisson, Samson qui perdait toute sa force si on lui coupait les cheveux, etc. (mais pas le Cantique des cantiques, un des plus beaux livres de la Bible, parce qu'il chante l'amour humain).
Avec Jésus, on ne dépassait pas davantage le niveau de l'anecdote: il marchait sur l'eau, il guérissait, il multipliait les pains, il changeait l'eau en vin, il vivait les pires souffrances, il était torturé, il était crucifié et puis, disait-on, il ressuscitait et il apparaissait à ses disciples avant de disparaître au ciel dans une nuée et d'envoyer des petites flammes sur la tête de ses disciples, pendant qu'une colombe planait sur l'assemblée.
A mon époque, d'avant internet et d'avant même les photocopies, nous disposions de manuels avec des dessins plus ou moins réalistes destinés à frapper les esprits.
On nous racontait des histoires plus ou moins merveilleuses et j'aimais ça. Mais on ne nous en expliquait jamais le sens profond. On pourrait croire qu'il en était ainsi parce que nous étions des enfants, cela n'est pas le cas. Il en était de même pour les adultes. Je ne parle pas d'un temps si lointain ... j'avais 10 ans dans les années soixante!
L'histoire du salut était mieux racontée au Moyen-Age que dans mon enfance. Au moins, elle pouvait compter sur de vrais artistes (bâtisseurs, sculpteurs, verriers ...) et ne cherchait en rien à sublimer quoi que ce soit. Allez contempler les chapiteaux de la basilique de Vézelay ou les vitraux de la cathédrale de Chartres, vous y lirez, mais il faut le temps, tout ce qu'il faut connaître de la vie.
Il a fallu que j'arrive au collège/lycée, chez les pères jésuites, pour en apprendre un peu plus, mais juste un peu plus. J'ai appris l'existence de "synoptiques" et d'"apocryphes" (ça tombait bien, j'étais en section latin-grec). Quant au sens profond de tout cela? Les équipes de vie chrétienne n'avaient pas pour objet de nous initier à une lecture intelligente et ouverte de la Bible. Il en fut de même quand, mariés, nous adhérâmes au mouvement des Equipes Notre-Dame (un mouvement pour couples chrétiens). On s'y perdait dans des partages de vie qui, loin de nous faire avancer, nous faisaient patauger, mais avec le sentiment qu'on était chrétiens.
Pendant, toutes ces années, je piaffais d'impatience pour en savoir plus et tout me ramenait dans le rang.
Une ouverture s'est proposée quand, à l'initiative d'une soeur bénédictine de l'abbaye de La Paix-Notre Dame, à Liège, avec A., nous avons animés, à Wavreumont, des week-ends pour enfants et adolescents sur des thèmes bibliques, généralement de l'ancien testament, pendant que leurs parents étudiaient au monastère le même thème. Pour donner du sens aux textes, il fallait bien passer par les symboles que nous tentions d'adapter à chaque âge.
Cela fut pour moi déterminant, malgré toutes mes lectures et le peu de temps que j'avais alors à consacrer à l'étude des textes bibliques.
Je découvre aujourd'hui d'autres perspectives encore.
Depuis que je lis les textes bibliques, il a toujours été question de traductions, plus ou moins fidèles, plus ou moins consensuelles. Bref, je n'ai jamais lu la Bible "dans le texte" et je le regrette. Je comprends mieux aujourd'hui la remarque qui m'a été faite si souvent par des amis musulmans à propos du Coran. Jamais, me disaient-ils, je ne pourrai atteindre le coeur du Coran en en lisant des traductions.
L'hébreu, la langue de l'ancien testament, est une langue sans correspondance avec nos langues modernes, comme l'est aussi l'arabe classique du Coran. Il faut accepter cette chose étrange que le mot écrit peut dire plusieurs choses. Pas, comme chez les juristes, où l'on aime jouer sur les mots ou avec les mots. Simplement, parce que le mot écrit, en l'absence de voyelles, peut être trituré à l'infini. Les rabbins excellent en ce domaine. Souvent, on commence par lui donner un sens en fonction du contexte. Mais très vite, on découvre, en le lisant autrement, qu'il peut vouloir bien d'autres choses encore et ouvre alors des perspectives insoupçonnées.
C'est une toute autre culture que la nôtre. Chez nous, nous avons le souci du terme juste. Avant de parler, il faut tourner sept fois la langue dans la bouche afin de choisir les mots, exempts d'ambiguïté, qui nous assureront d'être bien compris.
Je vais illustrer mon propos par un exemple qu'expliquait Frère Etienne aux fidèles, dimanche dernier, à Wavreumont. Son homélie, qui ne sera pas publiée dans l'immédiat, passait en revue quelques passages de la Bible où l'on parle de l'esprit (l'Esprit), Pentecôte oblige.
J'en retiens un. "Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide et la ténèbre à la surface de l'abîme; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux" (Gn, 1, 1-2). Le "souffle" dit la traduction oecuménique de la Bible (TOB); l'"esprit" de Dieu préfèrent d'autres traductions.
Ces traductions sont toujours maladroites et imparfaites, nous expliquait Etienne. Elles ne rendent pas compte de tout ce que le mot hébreu peut signifier. D'abord, le mot hébreu, qui a été traduit par souffle ou esprit, est une racine qui évoque le féminin. Et plutôt que d'imaginer une immense colombe qui plane au dessus des flots, il serait plus exact de parler d'une oiselle qui couve ses oeufs et les protège de ses ailes. En d'autres termes, les deux premiers versets de la Bible nous parlent du masculin et du féminin ... de Dieu. Il n'y aurait pas eu de création si Dieu n'avait été à part égale masculin et féminin.
On peut aller plus loin, mais là c'est moi qui le dis: en tout être, en toute chose, en tout débat, il y a du masculin et du féminin, toujours. L'équilibre n'est pas toujours atteint et l'on trouve parfois plus de présence féminine chez certains hommes que chez certaines femmes (et vice-versa bien entendu).
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Il y a 11 mois
Je ne parviens pas à me décider : ce post m'agace-t-il ou m'amuse-t-il ?
RépondreSupprimerVous avez publié il y a quelque temps une intéressante note (oui, il m'arrive de retrouver le mot français...) où vous montriez des photos de cellules qui ressemblaient de façon bien intrigante à des œuvres d'art primitifs (il semble qu'on doive dire 'premiers', au fait).
Je vous avais dit mon avis : question insoluble, donc à négliger.
Et voilà qu'il vous faut de l'hébreu pour discerner qu' "il n'y aurait pas eu de création si Dieu n'avait été à part égale masculin et féminin" ?
Qu'en savons-nous, d'abord ? Dieu est-il le premier reproducteur ? Les règles de la biologie s'appliquent-elles au Dieu créateur ?
Lire la Bible en hébreu ? Foutaise. Sans une formation longue et très complexe, aucun amateur ne peut faire plus que d'approcher, de loin et très vaguement, le sens d'un texte en hébreu. Les textes dont la fréquentation m'est essentielle dans la Bible n'ont pas été écrits en hébreu (exception faite pour les Psaumes) : sauf erreur, ils ont été écrits en grec, sauf Matthieu en araméen. Et mon grec attique du Ve-IVe avant ne m'est d'aucune utilité pour lire le Nouveau Testament en grec. Je ne le fais que pour le plaisir de lire en grec. Pour la prière, ou la réflexion, un des textes officiels français me suffit.
Ce qui m'agace, c'est cette manie de gratteurs de textes, jamais contents d'une traduction, s'arrêtant aux mots, à leur possible pluralité de sens, perpétuellement incertains : mais si ça voulait dire autre chose... Tout le temps passé à ce genre d'hésitation est du temps perdu pour la prière, pour cette plongée dans le profond dialogue où Dieu me parle si je l'écoute, si je peux faire taire ma langue et mon coeur pour n'être plus qu'oreille.
Tentez de trouver à Wavreumont, si vous ne le connaissez déjà, un exemplaire du livre de Bernard de Géradon, Le coeur, la langue, les mains. C'est un de ceux qui m'ont été les plus utiles sur mon chemin.
Quelques remarques à mon estimé correspondant:
RépondreSupprimer- j'ai connu le père Bernard de Géradon et lu, il y a longtemps, le livre que vous citez;
- quand je parle de l'hébreu de la Bible, je ne pensais évidemment pas au nouveau testament;
- mon intérêt pour ce que peuvent m'apprendre ceux qui lisent l'ancien testatement "dans le texte" n'est pas du tout d'ordre intellectuel et je n'ai pas eu besoin de la confirmation par l'hébreu pour être persuadé de la masculinité/féminité de Dieu;
- vous posez néanmoins la question capitale de la place de la raison, de l'intelligence, de l'étude dans la vie des croyants;
- il est aussi remarquable de noter que, dans sa règle, Saint Benoît insiste pour que la prière personnelle soit courte et Saint Benoît ne néglige pas l'étude loin de là;
- la parole de Dieu est au coeur de la vie du moine, à chaque instant et particulièrement pendant l'office divin et les temps de lectio divina. Chacun doit apprivoiser cette parole vivante en tous ses aspects, en fonction de ses possibilités et selon sa personnalité. Qu'il existe des appréhensions ou compréhensions différentes est plutôt une richesse, tous étant finalement réunis par celle-ci.