Un ouvrage intitulé "Dans un état critique" réunit surtout des critiques, mais aussi des billets d'humeur, écrits par Angelo Rinaldi pour le Nouvel Observateur entre 1998 et 2003 (éditions La découverte, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 2010).
La plume acerbe de ce journaliste-critique-chroniqueur, devenu académicien, en a fait trembler plus d'un dans le microcosme parisien.
Il est vrai qu'il peut avoir la plume assassine, notamment à l'égard de Christine Ockrent et de sa biographie de Françoise Giroud (p. 401): "Le livre est rédigé sans soin, et avec un copieux usage des guillemets, puisque composé, pour l'essentiel, de propos prêtés à des témoins, dans le désordre d'une rafle. Aucune rigueur, sinon dans le parti pris de dénigrement, qui se lit en filigrane. Rien de la distance que le genre impose. Il en résulte un portrait qui est comme craché, où se dénaturent les traits de la Françoise que nous avons connue et aimée. Que Mme Ockrent, pour corser le goût du potage, en arrive à utiliser des articles de Jean-Hedern Hallier donne une idée du sérieux de son entreprise". J'imaginais, dans la foulée, un étudiant, un doctorant, un professeur même, recevoir une telle appréciation. Il n'est pas sûr que tous puissent s'en relever. On ne manquera pas de noter l'absence totale, mais assumée, d'objectivité du critique. L'auteur voue une grande admiration à Françoise Giroud, il l'exprime très bien, et même de manière fort émouvante, dans d'autres pages (voy. par exemple, p. 373, L'hiver, Boulevard La-Tour-Maubourg).
Comme je n'éprouve aucun plaisir à voir assassiner quelqu'un, fût-ce avec raison et brio, je me suis attardé à d'autres aspects.
J'ai ri de temps en temps, mais pas souvent. Je me suis réjoui devant quelques aphorismes, mais souvent il s'agissait de citations insérées dans le texte. J'ai eu le sentiment d'être un désert de savoir face à tant de culture, de lectures, de références. Je me suis rassuré en me disant que je connaissais quand même à peu près 60 % des noms que l'auteur citait et même que j'avais lu quelques ouvrages qu'il mentionnait. Je me suis surtout réjoui d'avoir aussi lu des livres qui ont échappé à sa critique.
Je glane ici quelques exemples.
"A la télévision, M. Giscard d'Estaing astique son intelligence, laquelle exige autant de soin que l'argenterie" ... Faut-il rire à cette saillie (p. 261)? A ce bon mot? A ce prix-là, il faudrait rire à toutes les vannes de Laurent Ruquier, qui n'est pas académicien.
Parodie de Swift: "Pour réduire le problème du logement chez les chômeurs, il n'y a qu'à les rendre culs-de-jatte" (p. 29). Certains doivent aimer cet humour ... à la Desproges.
A propos de Bouvard et Pécuchet: "L'un trop Laurel, et l'autre pas assez hardi" ( p. 47). Pas mal trouvé, mais d'autres en auraient pu être l'auteur.
Bref, dans ce registre, le critique académicien ne fait guère mieux que d'autres sans doute moins cultivés que lui.
Je le préfère quand il dit des choses comme celles-ci:
" ... le sarcasme est chez lui un déguisement de la pitié, une parade contre le découragement et la bêtise" (p. 277), ce qui, à la réflexion, ne veut pas dire grand chose, mais est bien troussé.
A propos des écrits de monsieur Millaut (du guide Gault et Millaut): "un plat de souvenirs à sa façon cuit au doux feu de la nostalgie" (p. 52). Voilà qui est joli.
A propos du plaisir, "En matière de plaisir, on sait toujours ce qu'il y a à faire, surtout quand on ne l'a jamais fait" (p. 349).
Ou encore, "l'important, dans un livre, n'est pas toujours ce que l'auteur croit y avoir développé. L'important est dans l'impression qui perdure, la lecture terminée" (p. 89). On voit ici que l'auteur se préoccupe sincèrement du devenir des auteurs et de leurs oeuvres. Il se peut cependant qu'aucune impression ne perdure, une fois la lecture d'un ouvrage terminée. Finalement, qu'ai-je retenu du recueil des propos de monsieur Rinaldi? Pas grand chose à vrai dire. Quelques étincelles brillantes m'ont brièvement illusionné, mais je dois bien l'avouer: que reste-t-il de ces feux brillants après?
Et enfin, à propos d'Alain Robbe-Grillet, "il fournissait à l'université ce dont elle sera à jamais friande, la théorie. Celle-ci permettait à n'importe qui de se persuader qu'en application d'un mode d'emploi, on devient un artiste" (p. 96) et, plus loin, "reste que, depuis le début, il était évident que sa littérature ne s'annonçait pas très résistante" (p. 97). Pour faire un parallèle, je n'ai jamais douté qu'à partir du moment où l'université se fixe pour objectif l'apprentissage de modes d'emploi, moins elle est résistante.
J'aime l'indignation de l'auteur, datée du 24 janvier 2002, déplorant que les plus hautes autorités de l'Etat français aient été absentes des funérailles de Léopold Sedar Sanghor (p. 307) et son émouvant hommage à Françoise Giroud (p. 373).
Parmi les auteurs recensés par monsieur Rinaldi, il en est deux que j'ai appris à connaître et que j'ai tout de suite aimés, même s'ils figurent parmi les méconnus: William Cliff (p. 367) et Christian Giudicelli (p. 323).
J'ai découvert William Cliff, dans une chambre de bonnes à Paris, la chambre de bonnes qu'occupait l'ex-ami de mon ex-ami et que nous occupions tous les deux pour quelques jours, avant que nous ne devenions "ex" (vous suivez?) ... Il s'agissait de poèmes et le poète était belge et sa poésie me touchait. Je me suis beaucoup reconnu en lui ensuite dans un roman qu'il a écrit: L'adolescent, dont j'ai, je crois, déjà parlé dans ce blog.
De Christian Giudicelli, j'ai beaucoup aimé Karamel, une pièce à deux voix réunissant un écrivain entre deux âges et un jeune maghrébin. Un texte où la violence et la tendresse se disputent. Un texte que j'aurais aimé jouer sur une scène.
D'autres que moi seraient sans doute ravis d'être présentés à monsieur Rinaldi, car il est possible qu'il représente pour eux un modèle de pensée et d'écriture. Je dois bien avouer que tel n'est pas mon cas.
Je me sens tellement plus proche de William Cliff.
Mais "allez savoir pourquoi", comme chantaient les Compagnons de la chanson: "une chanson, c'est peu de chose ...".
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