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vendredi 3 août 2012

La faim et la multitude

Rappelez-vous, il y a, un peu plus d'une semaine, Jésus et ses disciples fuyaient, en barque, la foule qui les suivait pour se reposer et manger un peu à l'écart. La foule s'était dit le mot et les avaient précédés. Malgré la fatigue, Jésus leur parlait et les guérissait encore et encore. Les disciples commençaient à s'inquiéter ... et à avoir faim. Le soir venait. Qu'allaient-ils faire de tout ce monde ? Marc (Mc, 6, 30-34) annonçait ainsi le récit fameux de la multiplication des pains. C'est le seul miracle de Jésus raconté dans les quatre évangiles canoniques.

Or, au lieu de poursuivre le récit de Marc, l'Eglise propose de quitter Marc pour Jean (Jn, 6, 1-15)

Plusieurs petits détails frappent, si on juxtapose le récit de Marc et le récit de Jean.

Marc et Jean ne se situent pas dans la même perspective.

Marc raconte l'événement au plus près. Jésus n'a qu'un souci, il a de la compassion pour cette foule qui demande à être abreuvée de ses paroles et guérie. Il la comble, malgré la lassitude. Ce sont les disciples qui vont s'inquiéter du matériel :  ils savent pertinemment bien qu'ils n'ont pas apporté de quoi manger pour une telle foule, déjà qu'ils n'avaient pas pris grand chose pour eux-mêmes. Quand Jésus leur dit de les nourrir eux-mêmes, les disciples sont totalement interloqués (pourquoi eux devraient-ils faire cela ? pourquoi ces gens si nombreux ne prendraient-ils pas soin d'eux-mêmes ; s'ils en sont là maintenant, c'est un peu de leur faute aussi, ils auraient pu être plus prévoyants) et ils se disent que, s'ils doivent aller acheter de quoi nourrir toute cette foule, cela leur coûtera au moins deux cents pièces d'argent, ce qui est impossible (Mc, 6, 37). Jésus n'a vraiment pas les pieds sur terre, il les met tout le temps dans des situations pas possibles (et ils n'ont pas encore tout vu) !  Bref, la situation crée, chez eux, du murmure.

Chez Jean, c'est Jésus qui se préoccupe de la foule, du soir qui vient et invite les disciples à aller acheter du pain pour nourrir tout ce monde, avec la même incompréhension et le même constat d'impossibilité de la part des disciples.

Vient la suite : chez Marc, Jésus invite les disciples à partager le peu qu'ils ont ; chez Jean, ce sont les provisions apportées par un enfant, qui ne doit pas bien mesurer l'ampleur de la situation, qui joueront ce rôle. D'abord, Jésus ne va pas créer du pain à partir de rien, mais à partir de ce qui lui est apporté. Déjà, au désert, il avait refusé au diable de transformer les pierres en pain (Mt, 4, 3-4). Ensuite, il balaie d'un revers de la main l'argument rationnel entendu si souvent depuis toujours et encore aujourd'hui : à quoi ça sert de partager le peu qu'on a, cela serait de toute façon une goutte d'eau dans la mer de la pauvreté ; gardons plutôt cela pour nous ! Jésus préfère de loin la spontanéité et la générosité naïves de l'enfant qui ne mesure pas l'ampleur de la situation.

Marc verra ceci comme un miracle de plus de Jésus : il a réussi à nourrir toute une foule avec trois fois rien (cinq pains et deux poissons), à satiété, et il y avait peut-être même des gourmands et des profiteurs parmi eux. Un vrai miracle ! Mazeltov ! Les disciples n'en reviennent pas : plusieurs paniers avec des restes ! C'est ce que pensera sans doute aussi la foule. Elle veut même le faire roi, dit Jean (Jn, 6, 35), ce qui va contraindre une nouvelle fois Jésus à fuir plus loin et à se retirer à l'écart. Ainsi sont les foules souvent un peu "à côté" du message, dans la satisfaction de leurs besoins immédiats ou toutes à leur émotion.

Jean préfère parler de "signes" plutôt que de "miracles". Jésus sait très bien ce qu'il fait, il veut les mettre à l'épreuve, dit-il (Jn, 6, 6). Toujours, chez Jean, la recherche du sens. Pourquoi me suivez-vous ? Jusqu'où va votre foi ? Me suivez-vous seulement pour le bien-être que je peux vous procurer ? Pour être rassurés ou protégés ? Qu'y a-t-il au fond de votre coeur ?

Ces deux versions du même récit nous interpellent directement nous-mêmes et interpelle, me semble-t-il, au-delà de nous notre société même :

- quelle est notre réaction quand ce que Jésus nous demande nous paraît impossible ou irrationnel ? Le murmure ou la spontanéité et la générosité naïves de l'enfant mentionné par Jean ?
- qu'acceptons-nous d'apporter, de mettre en commun, pour la multitude ?
- qu'est-ce qui nous attire, ou peut nous attirer, dans le fond, à nous mettre à la suite de Jésus ?

Comme toujours, l'Evangile n'offre pas de réponse, il est toujours question et la réponse appartient à nous seuls.

Cela me fait subitement souvenir d'une pensée exprimée par un laïc, un vrai de vrai, sur Facebook : "la laïcité n'est pas une opinion ; c'est la liberté d'en avoir une". S'il connaissait seulement un peu mieux la religion !


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