La cultissime émission Des chiffres et des lettres m'a toujours paru véhiculer un message fallacieux. Peut-on réellement mettre sur un même pied les chiffres et les lettres ? Ce jeu, consistant à jongler avec les chiffres ET les lettres permet, il est vrai, à certains esprits de briller. Souvent, ils me font penser à des ordinateurs. Ne les oppose-t-on pas d'ailleurs à un ordinateur à qui il arrive de faire parfois mieux qu'eux. J'avoue que l'ambition de ma vie n'a jamais été d'arriver à faire au moins aussi bien qu'un ordinateur.
Cela est préférable néanmoins à la télé-réalité, diront certains, c'est vrai. Il y a plusieurs degrés dans la télé-réalité. Le degré zéro : des gens que l'on met ensemble dans un lieu fermé et que l'on filme (Loft story ou Secret Story, par exemple). Puis des formes plus évoluées, comme Star Academy ou Kho Lanta, qui requièrent un certain investissement personnel. Chez les anglo-saxons, il y a pire. Il s'agit, dans tous les cas, de fonder une émission de télévision sur l'exhibition de participants consentants, ayant le désir de gagner, de l'emporter sur les autres, avec des atouts différents selon les émissions, avec aussi son lot de jalousie, de rivalités, de mensonges, de manipulations, pour obtenir une récompense à la clé, qui est toujours financière. Tel est le monde. Faire ou dire n'importe quoi pour obtenir une récompense. A certains égards, la récente campagne électorale française me fait penser à une émission de télé-réalité. On n'a guère entendu de vrais débats d'idées sur les sujets essentiels, les questions qui se posent et les remèdes à apporter (le chômage, le pouvoir d'achat, l'éducation, la qualité de la vie, la santé, l'avenir de la planète).
Comme dans toutes les émissions de télé-réalité, on est mis en présence d'un farfelu, d'une grande gueule, d'un menteur, d'un sage modéré, autour desquels gravitent un timide rigolo cool, une sinistre, une égarée. Cela ne contribue pas à la grandeur de la France de voir l'enjeu électoral réduit à une émission de télé-réalité.
Je m'inquiète. Les français, qui on conduit Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, ont-ils fait preuve de maturité politique ou ont-ils obéi à des règles semblables à celles des votes du public dans les émissions de télé-réalité, en 2007 ? Mon plus ardent souhait est qu'il n'en soit pas en 2012 comme en 2007. Sinon, pauvre France.
Amoureux des lettres parce qu'elles me permettent de m'exprimer avec précision, j'ai toujours eu un problème avec les chiffres. Certes, mon enseignement juridique devait composer, plus qu'aucun autre, avec les chiffres. Pensez donc : droit comptable et droit fiscal !
Autant je puis m'extasier sur une sentence, un bel aphorisme, une heureuse citation, autant je n'éprouve aucun éblouissement face à une équation, une règle de trois, une dérivée ... et encore moins une statistique.
Or, campagne électorale pour la Présidence de la République française oblige, nous nous voyons inondés de chiffres et de mots par tous les candidats et par les media commentant ceux-ci.
Le Président Sarkozy a le chic de malmener, non seulement les mots, mais aussi les chiffres. Il est le champion toutes catégories (son challenger étant l'effrayante et détestable Nadine Morano .. qui se ressemble s'assemble).
Nicolas Sarkozy ne sait pas conjuguer les verbes, il invente des mots ("la méprisance"), il ne connaît pas la syntaxe, mais il a de l'aplomb (comme Nadine Morano son double). Je n'imagine pas qu'il puisse séduire qui que ce soit d'un peu cultivé. Eva Joly, malgré son accent, maîtrise mieux la langue française que lui. En plus, il ne parle aucune autre langue que le français. François Hollande et Jean-Luc Mélenchon maîtrisent la langue française et sont cultivés. Le sieur Poutou est le plus drôle, il n'a aucune envie d'être président ; il est là parce qu'on lui a demandé d'y être, il fait parler les autres à sa place ou propose un clip parodie, après, on voit sa photo et son doux sourire un peu ironique. Je l'aime bien Poutou.
Si Nicolas Sarkozy est le plus critiquable sur les mots, il est aussi en même temps un champion dans l'art de la désinformation, du mensonge éhonté. C'est une bonne chose de changer d'avis, après réflexion. François Hollande est, dans certains cas, revenu sur certaines positions qu'il avait suggérées, en s'expliquant. Nicolas Sarkozy, lui, fait cela tous les trois jours, sans jamais réfléchir, mais en niant avoir dit, il y a trois jours, le contraire de ce qu'il dit ensuite. A ce président sortant, il manque trois choses essentielles : l'aptitude à réfléchir, l'aptitude à réfléchir en toute indépendance et le silence. Il est réjouissant de voir le Nouvel Observateur décerner à TOUS les candidats des Pinocchios en fonction de leurs déclarations plus ou moins mensongères. Trois catégories avaient été imaginées au départ. Avec Sarko, une quatrième a dû être créée ... tant le délit était flagrant.
Quant aux chiffres, ils manipulent tous ceux-ci, au moins un peu, plus ou moins grossièrement, plus ou moins habilement, avec bonne mais plus souvent mauvaise foi. Recourir aux chiffres donne une allure de sérieux. Cela prouve qu'on connaît le dossier. J'émets quelques réserves.
N'est-ce pas évident : 1 + 1 = 2 ! Quelle rigueur ! Au moins, avec les chiffres, on est dans le domaine des sciences exactes. On ne peut pas contester que 1 + 1 = 2.
Deux réflexions :
- la manipulation et le mensonge conduisent tous les candidats à affirmer des chiffres, censés être fiables, alors qu'ils ne le sont absolument pas. Le Petit Journal de Canal Plus a le chic de juxtaposer les déclarations des uns et des autres où, sur l'espace de quelques interviews, 50 devient 100, puis 300. Nadine Morano, la voix de Sarko, bien plus que Coppé, le pauvre, peut ainsi, dans une interview, affirmer que le taux de la T.V.A., en Allemagne, est de trois points supérieur à celui de la France et, quand le journaliste lui fait observer que le taux de la T.V.A. est de 19,6 % en France et de 19 % en Allemagne, parvient encore à noyer son incompétence sous un flot de paroles ;
- certaines disciplines scientifiques, comme l'économie, la sociologie, la science politique, trois sciences parfaitement inexactes, aiment à se parer de chiffres et de statistiques pour se donner un air sérieux. Elles offrent aux candidats à une élection de quoi dire tout et son contraire.
Ne parlons même pas des déclarations matamoresques de la Sarkozie quand elle annonce plus de 100.000 participants dans un espace qui peut tout au plus en contenir 30.000 ou 40.000. La mauvaise foi des syndicats, comme celle de la police, lors des grèves, est ici dépassée.
L'art de convaincre en politique est fait de mots et de chiffres. Il devrait surtout être fait de sincérité, de désintéressement, de gratuité ... avec en outre une vision, un projet d'avenir, un espoir. Sur ce plan-là, aucun des candidats ne se montre à la hauteur. Les politiques qui seront élus auront-ils réellement le pouvoir. Voilà ce qui m'inquiète.
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