Ma tante Anne, dont la vie a été moins conventionnelle et plus palpitante que la mienne, au moins pendant un temps, a vécu à Tamanrasset, en Algérie, c'est-à-dire au plus profond de l'Algérie, dans un territoire qui ne connaît pas les frontières et qui est la terre des "hommes bleus".
Son mari, dans les années 60, en ramenait des photos et des reportages, qui me fascinaient, sur le Hoggar. Ils étaient projetés à "Exploration du monde". J'étais encore un enfant, j'avais 8 ans. Ma tante, elle, vivait avec les femmes, leur parlait de ce qui intéresse les femmes, leur faisait découvrir des petites choses, mais, à cette époque et en ce lieu, les petites choses pour nous étaient parfois des choses très importantes pour elles. Et surtout, ces femmes apportaient aussi à ma tante des tas de choses qu'elle avait fini par ne plus trouver chez nous.
Elle parlait d'un peuple qui était pauvre, mais avec noblesse. Je ne comprenais pas tout vu mon âge, mais je n'étais pas insensible aux photos que je voyais. Ces photos sublimes ont disparu des archives familiales: ma mère aime faire le tri et trie toujours selon sa conception à elle, sans consultation préalable. Il s'appelait Jean Sudriez (si mes souvenirs sont bons). J'ai cherché sur internet, mais n'ai rien trouvé de probant. Si, bien sûr, on peut trouver des photos de touaregs et du Hoggar, mais elles ne sont pas du mari de ma tante (je devrais dire mon oncle).
Si vous allez sur Google et que vous tapez: "Touareg photo", vous obtiendrez des photos de bagnoles. Triste monde. Il faut taper : "Homme bleu" pour saisir un peu de ce dont je vous parlais.
Un jour, j'ai dîné avec un touareg. Il ne portait pas de turban et il avait une rolex. Il était, au Niger, ministre des collectivités locales. Il était tombé amoureux d'une touriste belge qui était tombée en amour elle aussi; sans quoi, je ne l'aurais sans doute jamais rencontré.
Il m'a expliqué des choses fort intéressantes:
- il a d'abord insisté pour me dire qu'il n'était pas un arabe, mais un berbère (kirghiz). Les berbères ont une langue et étaient les premiers habitants de toute l'Afrique du nord, avant que les arabes ne les envahissent. Cela reste aujourd'hui un sujet délicat;
- il m'a parlé de la langue berbère et nous nous sommes amusés à traduire quelques mots et à les exprimer dans l'écriture;
- il m'a raconté qu'il était ministre trois mois par an et que, le reste du temps, il retrouvait sa tribu, son clan, les troupeaux, la route du sel;
- il m'a dit qu'il a été un chef de guerre parce qu'il croit en une nation des touaregs ... une nation avec un territoire, mais sans frontières;
- nous parlions de l'impôt et il me parlait d'une économie encore largement basée sur le troc;
- nous parlions de l'impôt et je lui expliquais la dualité que les belges ne connaissent que trop: le droit du sol ou le droit des gens.
Il avait promis de m'inviter. Je n'ai plus jamais entendu parler de lui.
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Il y a 11 mois
Ce bel article m'évoque un souvenir personnel. En 1997 j'avais décidé - bien accompagné - de passer quinze jours au Maroc. En novembre.
RépondreSupprimerCasablanca, Marrakeck, traversée de l'Atlas, Ouarzazate, puis Essaouira, l'ancienne Mogador. Quelques jours de plage et de rencontres fabuleuses avec de jeunes et moins jeunes Marocains. Un soir, assis sur le pas d'une porte de commerçant, une "apparition", un authentique touareg tout de bleu et d'indigo vêtu, des yeux de la même couleur. Et une conversation...en français. J'étais fasciné par son allure, son regard, son habillement. Je lui fis remarquer que sa tenue était somptueuse: il me donna rendez-vous le surlendemain au même endroit. Pour trois fois rien, je pus acquérir chéchia, turban, djellaba en vrai indigo. Tenue que je ne portai jamais depuis, mais que je conserve en souvenir de cette rencontre... et de ce geste !