Pour un grand nombre de mes contemporains, le pont de
l’ascension signifie un week-end prolongé. Un temps de chômage légalisé : les banques
sont fermées au même titre que les administrations et les syndicats, étrange
voisinage, soit dit en passant. Même les boulangers se mettent à faire le pont
! C’est le cas du mien. Plus de pain, plus de vie. Etre boulanger était jadis
un sacerdoce pour la communauté. Des boulangeries industrielles vendant du
pain, sans âme, se sont substituées à lui. Certains travaillent pendant les
ponts, un peu plus même que d’autres jours. Dans le domaine du tourisme et de
l’HORECA bien entendu. Plus prosaïquement et égoïstement, je pense aux
boulangeries, aux boucheries et aux épiceries arabes de mon quartier. Toujours
ouvertes, même quand les banques et les syndicats ne le sont pas. Un exemple ?
Le pont de l’ascension, c’est aussi l’occasion, pour beaucoup, d’un "city-trip", d’un
week-end à la mer, de randonnées à vélo (en Belgique, certains persistent à
dire « en » vélo …), de BBQ et de rencontres. Autant de perspectives
réjouissantes, que j’apprécie aussi.
Et si ce pont en cachait un autre ?
Une fois de plus, je puiserai mon inspiration dans la Bible,
sans intention de convertir qui que ce soit.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais depuis Pâques, nous
vivons encore toujours un peu dans l’incrédulité. Jésus est mort, ça c’est sûr.
On a beau nous dire et répéter qu’il est ressuscité après trois jours. Cela reste difficile à avaler.
Selon la tradition de l’évangéliste Luc, il a fallu quarante
jours aux disciples pour être un peu plus sûrs (Ac, 1, 3). Le temps de se faire
à l’idée, de pouvoir en faire un acte de foi, avant aussi d’être prêts à
accueillir l’Esprit. Il nous faut du temps souvent, un certain temps, avant de
franchir un pas important pour notre vie. Quarante jours, je remarque que c’est l’exacte durée de la
retraite de Jésus au désert, au début de son ministère (Mt, 4, 1-11, Mc, 1,
12-13, Lc, 4, 1-13). Ce moment où Jésus se découvre et se définit.
Il a fallu quarante jours à Jésus pour découvrir, au
désert, qu’il porterait une parole qui n'évoquerait que peu les besoins matériels des hommes, ou les utiliserait pour qu'ils se trouvent au plus profond
d’eux-mêmes ; une parole qui se distinguerait éternellement des slogans
« du pain et des jeux », ou « hors de la religion, point de salut », si présents pourtant, en
son temps et aujourd’hui encore ; quarante jours, pour découvrir qu’il n’aurait pas à compter sur les anges pour
réussir dans sa mission, et, enfin, pour découvrir que son œuvre n’aura jamais rien à voir avec la
puissance et la domination, car elle utiliserait d’autres chemins, plus discrets et
plus doux.
Quarante jours, comme les quarante ans de traversée du
désert par les Hébreux aussi. Le temps de passer de l’esclavage à la liberté.
Il nous faut bien, à nous aussi, au moins quarante jours
pour passer de la crédulité vacillante à la foi. Cela en valait la peine, car la fête de l’Ascension est bien
celle d’un pont, d’un autre pont.
Plus d’apparitions pour les disciples pour se rassurer, ou
se convaincre, comme Thomas (Jn, 20, 24- 29). Notre situation aujourd’hui.
Jésus disparaît à tout jamais de tout regard, de tout sens, de toute perception, mais pas n’importe comment.
D’après Luc, il se sépare d’eux et est emporté au ciel, une
nuée le soustrait à leurs regards (Lc, 24, 51 ; Ac. 1, 9). Lui qui est
descendu parmi nous s’élève ou, plus exactement, est élevé. Et ils le voient.
Le texte ne veut évidemment pas dire qu’ils le voient matériellement, à moins
de considérer tous les auteurs du passé comme des obscurantistes patentés, amateurs de miracles. Je préfère une
autre interprétation. "Voir" veut
dire ici "comprendre". Quelque chose de l’ordre de la lucidité. Enfin, je vois
clair et donc je comprends.
Toute vie, je le pense, est animée de ce double
mouvement : descente et élévation, plus ou moins en équilibre, avec
parfois des tensions entre les deux mouvements. Que Dieu ait choisi de
s’associer à ce mouvement, n’est-ce pas extraordinaire ? Plonger au plus
profond de ce qui fait notre humanité et être élevé ensuite, à cause de cette
plongée en nous-même.
Mais, ce Jésus, qui nous ressemble tellement, que nous
dit-il de plus que nous ?
Il nous indique qu’il existe un pont entre la terre et le
ciel, entre l’humain et le divin, entre le temps présent et l’éternité, entre le sublime et le prosaïque et, si
on admet ces prémisses, il en existe fatalement d’autres entre bien des êtres et des choses encore, sans cesse à découvrir et à explorer.
Un autre pont en effet.
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