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jeudi 17 mai 2012

Le pont de l'Ascension


Pour un grand nombre de mes contemporains, le pont de l’ascension signifie un week-end prolongé. Un temps de  chômage légalisé : les banques sont fermées au même titre que les administrations et les syndicats, étrange voisinage, soit dit en passant. Même les boulangers se mettent à faire le pont ! C’est le cas du mien. Plus de pain, plus de vie. Etre boulanger était jadis un sacerdoce pour la communauté. Des boulangeries industrielles vendant du pain, sans âme, se sont substituées à lui. Certains travaillent pendant les ponts, un peu plus même que d’autres jours. Dans le domaine du tourisme et de l’HORECA bien entendu. Plus prosaïquement et égoïstement, je pense aux boulangeries, aux boucheries et aux épiceries arabes de mon quartier. Toujours ouvertes, même quand les banques et les syndicats ne le sont pas. Un exemple ?

Le pont de l’ascension, c’est aussi l’occasion,  pour beaucoup, d’un "city-trip", d’un week-end à la mer, de randonnées à vélo (en Belgique, certains persistent à dire « en » vélo …), de BBQ et de rencontres. Autant de perspectives réjouissantes, que j’apprécie aussi.

Et si ce pont en cachait un autre ?

Une fois de plus, je puiserai mon inspiration dans la Bible, sans intention de convertir qui que ce soit.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais depuis Pâques, nous vivons encore toujours un peu dans l’incrédulité. Jésus est mort, ça c’est sûr. On a beau nous dire et répéter qu’il est ressuscité après trois jours.  Cela reste difficile à avaler.

Selon la tradition de l’évangéliste Luc, il a fallu quarante jours aux disciples pour être un peu plus sûrs (Ac, 1, 3). Le temps de se faire à l’idée, de pouvoir en faire un acte de foi, avant aussi d’être prêts à accueillir l’Esprit. Il nous faut du temps souvent, un certain temps, avant de franchir un pas important pour notre vie. Quarante jours, je remarque que c’est l’exacte durée de la retraite de Jésus au désert, au début de son ministère (Mt, 4, 1-11, Mc, 1, 12-13, Lc, 4, 1-13). Ce moment où Jésus se découvre et se définit.

Il a fallu quarante jours à Jésus pour découvrir, au désert, qu’il porterait une parole qui n'évoquerait que peu les besoins matériels des hommes, ou les utiliserait pour qu'ils se trouvent au plus profond d’eux-mêmes ; une parole qui se distinguerait éternellement des slogans « du pain et des jeux »,  ou « hors de la religion, point de salut », si présents pourtant, en son  temps et aujourd’hui encore ; quarante jours, pour découvrir qu’il n’aurait pas à compter sur les anges pour réussir dans sa mission, et, enfin, pour découvrir que son œuvre n’aura jamais rien à voir avec la puissance et la domination, car elle utiliserait d’autres chemins, plus discrets et plus doux.

Quarante jours, comme les quarante ans de traversée du désert par les Hébreux aussi. Le temps de passer de l’esclavage à la liberté.

Il nous faut bien, à nous aussi, au moins quarante jours pour passer de la crédulité vacillante à la foi. Cela en valait la peine, car la fête de l’Ascension est bien celle d’un pont, d’un autre pont.

Plus d’apparitions pour les disciples pour se rassurer, ou se convaincre, comme Thomas (Jn, 20, 24- 29). Notre situation aujourd’hui.

Jésus disparaît à tout jamais de tout regard, de tout sens, de toute perception, mais pas n’importe comment.

D’après Luc, il se sépare d’eux et est emporté au ciel, une nuée le soustrait à leurs regards (Lc, 24, 51 ; Ac. 1, 9). Lui qui est descendu parmi nous s’élève ou, plus exactement, est élevé. Et ils le voient. Le texte ne veut évidemment pas dire qu’ils le voient matériellement, à moins de considérer tous les auteurs du passé comme des obscurantistes patentés, amateurs de miracles.  Je préfère une autre interprétation.  "Voir" veut dire ici "comprendre". Quelque chose de l’ordre de la lucidité. Enfin, je vois clair et donc je comprends.

Toute vie, je le pense, est animée de ce double mouvement : descente et élévation, plus ou moins en équilibre, avec parfois des tensions entre les deux mouvements. Que Dieu ait choisi de s’associer à ce mouvement, n’est-ce pas extraordinaire ? Plonger au plus profond de ce qui fait notre humanité et être élevé ensuite, à cause de cette plongée en nous-même.

Mais, ce Jésus, qui nous ressemble tellement, que nous dit-il de plus que nous ?

Il nous indique qu’il existe un pont entre la terre et le ciel, entre l’humain et le divin, entre le temps présent et l’éternité,  entre le sublime et le prosaïque et, si on admet ces prémisses, il en existe fatalement d’autres entre bien des êtres et des choses encore, sans cesse à découvrir et à explorer.

Un autre pont en effet.



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