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dimanche 22 juillet 2012

Quand le frère en charge de l'homélie se demande ce qu'il va bien pouvoir dire


Homélie extraordinairement bien troussée d'un pauvre moine qui s'est demandé ce qu'il allait bien pouvoir raconter sur l'évangile du jour ! Sans des frères comme cela dans une communauté, la vie serait fort triste ...

Il y a huit jours, j'ai eu l'occasion de rencontrer un professeur qui, sans renier ses ascendances flamandes, a traduit en wallon l'évangile selon saint Jean. Au cours de cette lecture forcément attentive, il a été impressionné par le nombre de répétitions. En effet, la pensée du quatrième évangile avance volontiers en spirale, en repassant plusieurs fois aux mêmes endroits, pour approfondir ses découvertes. Remarquez que, pour le traducteur, c'est toujours ça de travail en moins.



Dans les écrits anciens, la répétition a aussi un autre rôle. C'est la façon normale de mettre en évidence, de souligner. Les anciens répètent ce que nous imprimerions en gras, ce que le lecteur doit retenir s'il veut lire la suite avec profit, en comprenant ce qu'il lit et en le savourant. Ainsi, dans notre passage, Jésus dit à ses apôtres : "Venez à l'écart, dans un endroit désert, et reposez-vous un peu." Marc pourrait se contenter d'ajouter : "Aussitôt dit, aussitôt fait." Il économiserait du parchemin. Mais il préfère écrire : "Ils partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l'écart." Car le détail a toute son importance pour la suite, il veut être certain que nous l'avons bien enregistré.



Quand Jésus et les apôtres arrivent à destination (à l'écart, donc, dans un endroit désert), le désert est noir de monde. La foule qui les empêchait de manger sur l'autre rive les a devancés à pied, elle a même rameuté des gens de toutes les villes des environs, la cohue est pire qu'au départ. Pour goûter le comique de la situation, il faut avoir entendu Jésus dire à ses apôtres : "Venez à l'écart, dans un endroit désert." Tu parles !



Mais ce n'est pas tout. Jésus se met à instruire cette multitude. Longuement, précise Marc. Ce qui veut dire que l'heure du repos et du repas est encore retardée, mais aussi que le temps passe et que le soir finit par approcher. Tant et si bien que les apôtres s'impatientent au bout du compte, non seulement parce qu'ils ont faim, mais parce qu'ils voient venir le moment où il sera trop tard pour renvoyer les gens. Ils viennent dire à Jésus : "L'endroit est désert." Ce qui ne manque pas de malice. Tu voulais aller dans un endroit désert, à l'écart, c'est réussi. Nous sommes effectivement à l'écart, à l'écart de tout, à l'écart des magasins où tes auditeurs pourraient se procurer de quoi nourrir leurs corps quand ils seront, enfin, rassasiés de ta parole.



Les apôtres avaient emporté de quoi manger, puisque c'était pour le faire en paix qu'ils avaient pris le large. Notez qu'ils n'étaient pas gourmands : cinq petits pains et deux poissons, pour treize, cela suppose des appétits modestes. Mais de là à partager avec tout ce monde ! La nécessité d'une multiplication des pains est ainsi adroitement amenée par les détails du récit, que Marc souligne avec humour.



On a souvent présenté Marc comme un écrivain de seconde zone, brouillon, s'exprimant mal dans un mauvais grec. Mais il est très fin et les maladresses apparentes de son évangile sont souvent pleines de sel. Il mérite bien de prendre un peu de repos lui aussi, à l'écart, dans un endroit désert et tenu secret. Les cinq dimanches à venir, l'évangile de Jean assurera l'intérim. En français, car nous ne disposons pas du texte wallon.



Et vous vous demandez sans doute où j'ai voulu en venir. Peut-être à vous donner l'envie de lire ou de relire l'évangile de Marc, en vous arrêtant à toutes ses bizarreries et en vous demandant si ce sont de vraies sottises ou des traits de génie. Je vous promets beaucoup de plaisir.

Fr. François 

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