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mercredi 25 juillet 2012

Le plaisir retrouvé de l'étude

Je n'avais plus, depuis longtemps, éprouvé autant de goût pour l'étude, avec prise de notes, liste de questions à poser, élaboration de synthèses, transcription de celles-ci dans un cahier.

Je me confronte en effet à de nouvelles disciplines comme l'exégèse, la théologie, l'anthropologie biblique, avec une joie de la découverte permanente. A travers les vieux mythes de la Bible, l'Ancien testament, pour le moment, j'entends avant tout parler de l'homme et des expériences existentielles qui le définissent.

Je me familiarise aussi à de nouvelles méthodes de lecture, donnant une grande place aux symboles. Je découvre que la Bible est bien une parole vivante, qu'elle se vivifie d'elle même une fois qu'on la connaît suffisamment pour établir des rapprochements entre les passages, des oppositions, des intuitions
répétées sous des formes parfois différentes. Les découvertes sont encore plus passionnantes pour ceux qui s'adonnent à l'hébreu biblique. Nous ne lisons en effet généralement les textes aujourd'hui qu'après traduction de l'hébreu en grec ou de l'araméen en grec, puis en latin, puis en français, etc. Un exemple : "fuit vir", en latin, est traduit en français "il fut un homme" ... or, en hébreux, le "un" n'est pas, dans la même expression, article, mais adjectif. Il s'agit donc d'un homme "un", unifié. La nuance est importante.

On ne peut plus lire la Bible aujourd'hui comme hier et c'est ce qui la différencie le plus du Coran, parole largement figée et, paraît-il, intraduisible. Il y a eu tout d'abord bien sûr l'apport des sciences historiques (histoire des faits, des idées et des religions), tout autant que de l'archéologie. Cela permet de ne pas soumettre ces écrits inspirés à une lecture fondamentaliste. Mais on peut aussi compter aujourd'hui sur l'apport des sciences humaines, l'anthropologie, la psychanalyse et la psychologie des profondeurs en particulier, lesquelles permettent de nouvelles lectures prometteuses et d'une richesse insoupçonnée.

Je voudrais en donner une illustration à propos des deux récits de la création du monde figurant dans le livre de la Genèse.

Premier récit (Gn, 1 à 2,4) : Dieu crée le monde en 6 jours, il met de l'ordre dans le chaos originel, il sépare notamment le jour et la nuit, la terre et la mer et termine, le 6ème jour, avec ce qu'il considère comme son chef d'oeuvre : l'être humain. Le 7ème jour, il se repose. ll remet ensuite la terre à l'homme pour qu'il la domine, notamment en maîtrisant les animaux (Gn, 1, 26 et 28), tout en l'invitant à suivre un régime végétarien (Gn, 1, 29) ! C'est aussi dans ce récit, qu'il est dit que Dieu a créé l'homme à son image et qu'il l'a créé, mâle et femelle (Gn, 1, 26-27). On observera aussi que le Dieu de la Genèse exerce sa puissance créatrice, sans violence, uniquement par la force de sa parole (ce qui était loin d'être le cas dans les autres religions du Proche-Orient antique).

Deuxième récit (Gn, 2) : dans ce récit (le plus ancien des deux), Dieu crée l'homme en premier et puis tout ce qui est nécessaire à son bonheur. Il va même le gratifier d'un véritable paradis et ... d'une femme pour ne pas qu'il s'ennuie. L'homme (Adam) est façonné avec de la terre, de l'humus, auquel Dieu insuffle la vie (c'est plus que la vie biologique, c'est aussi l'anima). Dieu offre le paradis à l'homme pour qu'il y soit heureux. Il lui dit toutefois : tu peux manger tous les fruits du paradis, même ceux de l'Arbre de Vie, mais ne touche pas aux fruits de l'Arbre de la connaissance du bien et du mal, si tu le fais, tu mourras. Tentée par le serpent, la femme conduira l'homme à la faute et ils seront chassés du paradis. L'harmonie est rompue. La vie ne sera plus que souffrance, labeur et larmes. C'est la fin du paradis offert.

Les lectures classiques faites de ces deux récits disent toutes généralement ceci :
- Dieu est Tout-Puissant, il a manifesté cette Toute-Puissance dans son oeuvre de création ;
- L'homme est subordonné à Dieu ; quand Dieu lui confie la terre, il en devient seulement le gérant, non le propriétaire. Certes, il est appelé à poursuivre l'oeuvre créatrice de Dieu, mais dans la soumission à celui-ci ;
- C'est parce que Dieu lui confie cette part de création que l'homme est à l'image de Dieu, mais non point son égal ;
- Dieu est jaloux de sa supériorité sur l'homme, c'est pourquoi il entend mettre une distance entre eux (l'interdiction de toucher à l'Arbre de la connaissance du bien et du mal ... qui représente l'autonomie morale) ;
- En ayant cherché à être l'égal de Dieu, en bravant l'interdit, l'homme a scellé son destin pour l'éternité : une vie, on l'a dit, faite de labeur, de souffrance et de larmes ;
- Il faudra que Dieu envoie son fils et qu'il meure pour racheter le péché du monde.

Si vous avez été au catéchisme, comme moi, dans les années 1950-1960, et même après, c'est ce qu'on vous aura appris. Et si le texte voulait dire tout autre chose ?

Dans un ouvrage, costaud, qui m'a passionné, le théologien belge André Wenin (L'homme biblique, Cerf, 2004) propose une toute autre lecture, que je vais synthétiser ici.



Dieu, le Tout-Puissant a mis une limite à l'exercice de sa Toute-Puissance. Il aurait pu continuer son oeuvre créatrice après le 6ème jour, ne pas se reposer le 7ème ou au moins s'y remettre le 8ème pour l'éternité, avec un éventuel repos hebdomadaire, le "sabbat de Dieu". Non, Dieu est plus fort que sa force. La Toute-Puissance ne l'intéresse pas dans le fond. Il préfère la relation, faire alliance. Il laisse ainsi une place à l'homme. Il en fait son partenaire. Dieu est fondamentalement, essentiellement, ouvert à l'altérité.

Dans aucun des deux récits, Dieu ne se proclame supérieur à l'homme et jaloux de cette supériorité. C'est le serpent, dans le deuxième récit, qui instille ce discours ; il parle d'une concurrence entre Dieu (le Tout-Puissant) et l'homme (subordonné à ce Dieu Tout-Puissant) et dit à l'homme qu'en mangeant de l'Arbre de la connaissance, il rompra cette distance entre Dieu et lui, devenant ainsi son égal. C'est le serpent qui invente de toutes pièces la jalousie de Dieu pour sa supériorité et l'envie chez l'homme de le rattraper. Pourquoi donne-t-on, dans l'interprétation traditionnelle, autant de poids à ce que dit le serpent et si peu à ce qu'il est dit de Dieu ?

Ceci pose la question de la limite et du sens de l'interdit dans ces récits.

S'agit-il d'un interdit, avec la frustration qui peut en naître, ou plutôt d'un conseil d'ami de la part de Dieu ? Pourquoi, quand on veut élever Dieu, faudrait-il toujours abaisser l'homme ?

Rappelons-nous que Dieu, le Tout-Puissant, a mis une limite à son oeuvre créatrice pour ouvrir une place à l'homme. Quand il est dit que Dieu a créé l'homme à son image, quel est le sens ? Et si cela était une invitation donnée par Dieu à l'homme d'agir comme lui, c'est-à-dire de refuser la toute puissance, le tout à moi, le tout dépend de moi, une invitation en d'autres termes à laisser toujours un espace pour l'autre, l'Autre. On perçoit aisément la force de ce message dans notre monde actuel de finance folle et de surexploitation de la planète.

Je t'offre tout ce qui constitue le paradis, mais si tu veux la vie, ne l'accapare pas pour toi, laisse une place. Ne cherche pas à tout avoir. Tu domines la terre, mais pour te nourrir, tu peux te contenter d'un régime végétarien. Ce sont de petits indices, mais le message est capital.

Celui qui ne réserve pas une place à l'autre, à l'Autre, celui qui n'est plus capable d'entrer en relation ne vit pas. Il génère la mort. Car il n'est point de vie sans relation aux autres, au monde, à l'Autre. Tel est le message.

Voici une autre illustration de cette manière d'aborder les textes anciens.

Lors de mon séjour au monastère, fr. Renaud, le prieur m'a invité à  travailler un peu sur la vie de Saint Benoît, telle qu'elle a été rapportée par Grégoire le Grand (540-604), dans ses Dialogues. Un récit avant tout hagiographique, comme on aimait à l'époque, un catalogue de miracles, de prodiges, mais moins bien anodin qu'une lecture au premier degré pourrait laisser supposer.

Le chapitre 2 parle ainsi d'un crible brisé et réparé par Benoît. Voici un résumé du récit.

Benoît avait été envoyé à Rome pour suivre des études de lettres. Le milieu qu'il va rencontrer dans cette grande ville, lui qui dès son plus jeune âge avait déjà le mode de vie d'un ancien, par sa tempérance et son caractère raisonnable, va l'effrayer. Il a l'impression qu'il pourrait, en y souscrivant, perdre son identité et que ce n'est pas en faisant comme les autres qu'il pourra réaliser son chemin d'homme. Il décide donc de vivre à l'écart et part à la recherche d'un endroit retiré, une grotte comparable à celles occupées déjà par des moines ermites. Sa nourrice le suit. Elle est prête à le servir, de devenir "bonne du curé", en quelque sorte. Lors de leur périple, ils sont invités à s'arrêter dans un village et la nourrice, pour préparer le repas, emprunte à une villageoise un crible, cet ustensile sous forme de tamis qui sert à séparer des solides entre eux : des grains de blé de leurs scories, des cailloux des pépites d'or. Elle le laisse tomber (consciemment ou non ?) et il se brise. Elle vient en larmes auprès de Benoît qui se montre plein de compassion pour elle. Il se retire alors à l'écart : il pleure et prie. Il revient ensuite près de la nourrice avec l'ustensile réparé. Le soir même, il part en secret pour se retirer du monde.

Une fois encore, sous l'anecdote, il y a peut-être plus que cela. Ce n'est pas un hasard si le premier miracle de Benoît concerne un crible (objet de séparation) et si c'est la nourrice qui brise le crible, et non Benoît. La nourrice (la mère) refuse, au fond d'elle-même, la séparation. Benoît, par son miracle, rend la séparation à nouveau possible et part, loin, dans le secret, vivre sa vie propre. Belle leçon !


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