"Il n'y a plus qui rien qui va", me disait, ce matin, mon octogénaire voisine, qui avait lu le journal la Meuse.
Il y avait de quoi : les bus TEC du dépôt de Jemeppe n'assuraient qu'un service au compte-goutte ; d'autres avaient décidé de ne pas respecter les horaires, et de freiner subitement, pour perturber la circulation ; les postiers de la région de Tournai étaient en grève ; les cheminots annonçaient une grève à cause des projets du ministre Magnette. Il y avait eu au moins deux accidents et trois agressions dans la région. Et ne voilà-t-il pas, en plus, que les écoles catholiques veulent donner des cours de religion islamique ! Pas une semaine, sans que des milliers d'emplois soient perdus (Arcelor Mittal, Ford Genk, La Louvière). Et, en plus, la reine Paola aurait eu une liaison avec Salvatore Adamo (j'ai cru déceler ici un peu d'envie) et aussi avec un ministre (André Cools, Alain Vanderbist, Guy Mathot, à moins que ce ne soit Paul van den Boeynants ?). Et, pour finir, le prince Philippe serait homosexuel ! Trop c'est trop ! Pauvre Mathilde ! Mais je n'ai rien contre les homosexuels, me dit-elle finalement : ils sont souvent très prévenants et délicats ... Euh, oui, sans doute, vous devez avoir raison et en faire un peu l'expérience tous les jours.
Bref, mon octogénaire voisine, qui aime le service public et la famille royale, ne savait plus que penser. Etat d'âme qu'elle a résumé en me disant : "Il n'y a plus rien qui va". Je lui ai conseillé de lire un autre journal que La Meuse, et surtout de ne pas lire le livre du sieur Deborsu sur la famille royale. Je ne trouvais pas d'autre réponse, à vrai dire. Pour la divertir, je lui ai prêté le DVD de Brokeback Mountain, la prévenant qu'elle aurait besoin de kleenex. J'avais peur que le sujet ne la perturbe. Mais elle est très ouverte d'esprit, mon octogénaire voisine. Elle a pleuré, comme moi. Elle, au moins, a su reconnaître l'amour là où il est. Du coup, elle m'a demandé d'autres films où des hommes s'aiment. Le problème avec les films où deux hommes s'aiment, c'est qu'ils finissent souvent mal.
Un autre voisin s'en prenait au facteur, un des derniers facteurs à être encore payé par l'Etat, m'a expliqué ce dernier (un vieux facteur en quelque sorte). Tout le courrier de mon voisin émanant de la banque de BPost est systématiquement envoyé à une autre adresse que la sienne. Il est envoyé rue de Gaulle à 4020 Bressoux, alors qu'il habite Quai de Gaulle à 4020 Liège. Le logiciel de Bpost se montre incapable de faire la différence : il imprime systématiquement la première adresse. La poste livrée à la privatisation ne s'est pas contentée de remplacer les fonctionnaires par des contractuels, des stagiaires et des intérimaires, elle ne s'est pas limitée à imposer aux facteurs des tournées surréalistes, dictées par un logiciel tout aussi surréaliste, elle se montre en outre incapable de faire la différence entre deux adresses : une rue à Bressoux et un Quai à Liège, tous les deux à 4020. Vive la privatisation des services publics !
Evidemment, il y a des choses qui ne vont pas. Il y en a toujours eu. Essayons d'être un peu lucide.
La vie privée de la famille royale n'est pas, à cet égard, le dysfonctionnement le plus important à commenter.
J'en retiendrai quatre parce qu'ils me semblent nous concerner tous concrètement comme citoyens de mon pays. Je ne développerai pas, mais il faudrait un jour avoir le courage de pointer les responsabilités politiques de ce qui apparaît à maints égards comme un gâchis.
Premier sujet d'inquiétude. Les effets peu probants, voire néfastes, de la privatisation et de la libéralisation des services publics. Non, la libre concurrence n'assure pas toujours au consommateur le meilleur service au meilleur prix loin de là. La libre concurrence pratique en outre l'obscurité et non la transparence. Allez donc comparer les tarifs de deux sociétés de téléphonie/internet ! Ce qui est surtout très inquiétant, c'est que le mouvement pourrait s'étendre à des domaines aussi essentiels que l'enseignement, les soins de santé, les pensions, les prisons. Voulons-nous être soumis au même sort que les citoyens américains ? Notons quand même que les républicains américains, tellement opposés à l'Etat sous toutes ses formes, sont les premiers à voter des budgets militaires. On sait le lobby des armes fort puissant aux Etats-Unis.
Deuxième sujet d'inquiétude. La faiblesse (l'impuissance ?) des Etats face au capitalisme mondialisé. Les Etats ne pèsent plus rien face aux groupes financiers ou industriels. Le dieu Mammon, assure de plus en plus sa suprématie, fait toujours plus de victimes et trouve chez les politiques parfois des alliés, le plus souvent des suiveurs contraints et dépassés. Est-il admissible que les Etats, en principe gardien de l'intérêt général et du bien-être de tous les citoyens, soient ainsi asservis à des intérêts particuliers et doivent en outre supporter les conséquences de leurs errements ?
Troisième sujet d'inquiétude. L'épargne et son allocation. La Belgique, dit-on, aurait un atout considérable par rapport aux autres Etats de l'Union européenne : le niveau de l'épargne y est très élevé. Mais une épargne pour quoi faire ? Je parle ici surtout des fonds appartenant à des épargnants modestes, ou moyens, ceux qui réussissent à mettre quotidiennement un peu de côté, en se privant parfois. Cette épargne est bien plus importante qu'on ne croit. Rien à voir, avec ceux qui, bien nés, gèrent, plus ou moins bien, un capital acquis. L'épargne des premiers vient de leur travail, celle des seconds d'un capital qui leur a été transmis et a souvent été permis par le travail des autres. Ces seconds investissent, et jouent, en bourse, sans payer aucun impôt sur les plus-values qu'ils réalisent. Le fait de ne payer aucun impôt sur le revenu, ou sur le capital, ne les perturbe en rien : mais je paie la T.V.A. comme tous les autres, m'a répondu, un jour, un de ces rentiers ! Leurs capitaux tournent, de ventes en rachats, mais quel est leur apport pour une économie vivante?
Mes parents, ont toujours cherché la sécurité, pour s'assurer un avenir, et ont confié leur argent à une banque pour en retirer un revenu garanti. Ils voulaient aussi que leur épargne soit utile dans des investissements locaux au service de tous : ils n'avaient pas choisi le Crédit Communal sans raison. Mes parents ont été trahis par les dirigeants de cette banque des communes, quant à l'allocation de leur épargne, sans compter leur revenu de moins en moins garanti. Aujourd'hui, le risque est réel que cette épargne dorme dans des bas de laine : les banques n'offrent même plus un taux d'intérêt de nature à couvrir l'inflation et l'Etat belge ne sachant plus quoi taxer se tourne vers les revenus de l'épargne (on est ainsi passé de 15 % à 21 % sur les intérêts et on parle aujourd'hui de 25 %, tandis que les plus-values sur actions pourraient encore être épargnées). Il est amusant de relever que, lorsque l'Etat émet un emprunt destiné au public, le taux d'intérêt annoncé ne veut rien dire, puisqu'avant même de vous payer les intérêts auxquels vous avez droit l'Etat en remet illico une partie dans sa poche.
Quatrième sujet d'inquiétude, et non le moindre. Le chômage des jeunes. Le sujet est vaste : il concerne la formation et l'adéquation de la formation aux besoins du marché de l'emploi, tout autant que l'offre d'emploi. Les entreprises privées abusent des statuts précaires ou licencient tant et plus (pour des raisons qui peuvent parfois se comprendre, mais pas toujours). L'Etat ne remplace plus ses fonctionnaires qu'au compte-goutte. Quel espoir pour un jeune ? Il se sent lâché par les uns et par les autres, surtout s'il est peu diplômé. A charge de qui va-t-il se retrouver ? Un peu de l'Etat et surtout de ses parents, s'il a la chance d'en avoir pour l'aider. Ou alors à la rue. Chacun assume-t-il alors toutes ses responsabilités ? Il est clair qu'une économie basée sur le profit ne peut pas répondre aux besoins de toute une population, elle finit toujours par ne profiter qu'à quelques-uns. L'exemple américain devrait nous faire réfléchir davantage.
Les démocraties occidentales se sont fondées sur le trio "Liberté, égalité, fraternité". La fraternité semble aujourd'hui bien mal en point. Quant à l'égalité, l'ultra-libéralisme n'en a pas davantage cure puisqu'il crée partout où il est appliqué une société duale faite de riches et de pauvres avec des droits différents. 47 % de pauvres et d'assistés aux Etats-Unis dont le candidat à la présidentielle Mitt Romney estime ne pas avoir à tenir compte, ceux-là ne feront rien pour la croissance de l'Amérique, mais pourront être envoyés comme soldats lors d'un prochain conflit, car on imagine mal des Etats-Unis républicains sans guerre.
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