Les lectures de ce dimanche abordent deux réalités
intemporelles : le mariage et les enfants. Je parlerai seulement du mariage.
Le sujet du mariage est abordé aujourd'hui sous l'angle de
la controverse (Mc, 10, 1-12).
On sait que les rabbins aiment beaucoup discuter à perte de
vue sur un texte, une loi. Ils ne se contentent pas de couper les cheveux en
quatre, ils sont capables de bien plus.
Ils entendent mêler Jésus à leur jeu et lui tendent un piège
(Mc, 1, 2) : "Est-il permis à un
homme de répudier sa femme ? ". Observez que, pour eux, la question ne
se pose même pas de savoir s'il est permis à une femme de répudier son mari.
La réponse à la question posée est oui, dans la loi de Moïse
(Dt, 24, 1), mais il faut un motif
: quelque chose chez la femme doit "faire honte"
au mari. C'est sur ce motif que les rabbins se divisent. Les partisans du Rabbi
Shamaï estiment qu'il faut une
raison très grave, ceux du Rabbi Hilliel estiment que tout motif est bon (... mauvaise
cuisinière, rencontre d'une femme plus jolie?). Il s'agit bien d'un piège, car,
quoi qu'il puisse dire, Jésus se mettra à dos les partisans de l'un ou de
l'autre.
Jésus, dans un premier temps, va refuser d'entrer dans cette
vaine controverse.
Si vous aviez le coeur pur, la question ne se poserait pas :
"C'est en raison de l'endurcissement
de votre coeur que Moïse a formulé cette loi" (Mc, 10, 5). Et toc !
Jésus, selon Marc, se serait alors référé à la Genèse pour
remettre les choses un peu à leur place (Gn, 2, 18 - 24).
Il y a deux récits de la création de l'homme et de la femme dans la Genèse (Gn, 1, 26-27 et
Gn, 2, 18-24). Les deux récits ne datent pas de la même époque et ne sont pas
du même auteur.
Dans le premier récit, au sixième jour de la création, Dieu
crée l'homme et la femme, à son image, parfaitement égaux, et leur confie la
terre en héritage, les associant à son pouvoir créateur en le leur partageant.
C'était tellement bon, aux yeux de Dieu, qu'il s'est reposé le lendemain, le
septième jour. Tout était accompli ... ou à peu près.
Dans le second récit, le plus ancien, Dieu fait comme le
constat d'une faille dans sa création. Lui, qui avait pensé à tout, se retrouve
avec un être humain un peu perdu. L'homme créé par Dieu souffre de solitude. Il décide de lui accorder "une
aide". Dieu prit alors une côte (un côté ?) de l'homme pour en faire une
femme pour servir d'aide à l'homme souffrant de solitude. La femme ainsi n'est
rien sans l'homme (elle lui doit d'exister) et est appelée à l'aider, ce qui ne
la met pas vraiment sur un pied d'égalité. Cette conception-là n'est-elle pas
exactement celle que le pouvoir islamiste, en Tunisie, entend faire figurer
dans sa future Constitution ?
En relisant ces textes, on comprend mieux les références des
uns et des autres.
Je suis un peu déçu que Marc ait choisi le second récit,
plutôt que le premier, que je trouve plus moderne.
Que fait-il dire à Jésus?
Quand un homme et une femme quittent leurs père et mère pour
s'unir, ils ne font plus qu'un, aux yeux de Dieu. Il ne leur appartient pas de
séparer ce que Dieu a uni.
Dans la tradition religieuse qui a nourri Jésus, trois
concepts reviennent sans cesse : dualité, altérité et union. Ils apparaissent clairement dans la réponse de Jésus. Ces mêmes concepts
nous interpellent toujours aujourd'hui. Ils ne sont pas imperméables
l'un à l'autre. J'écrirai sans doute plus tard à ce propos.
Jésus tire pourtant des conséquences sans concession.
" Celui qui
renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle.
Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable
d'adultère" (Mc, 10, 11-12).
Je ne voudrais pas jouer au rabbin, mais je constate
plusieurs choses :
- Jésus, selon Marc, ne semble accorder aucun égard aux
motifs de la rupture, contrairement aux rabbins qui se disputaient à ce propos ;
- Jésus ne semble pas réserver à l'homme le droit de
répudiation ;
- est adultère, selon Jésus, celui qui, étant déjà uni,
cherche à vivre "la même chose", d'autres "épousailles",
avec un ou une autre partenaire. Mais que faut-il entendre exactement par
"épousailles" ?
- est adultère celui qui, pour vivre ces autres épousailles,
répudie son conjoint, la répudiation étant un acte juridique selon la loi juive.
Tout cela est bien subtil et de nature à alimenter de nouvelles
controverses entre rabbins. Le Jésus
de Marc me déçoit un peu dans sa réponse.
Est-il possible d'en tirer une leçon pour mieux vivre
aujourd'hui ?
Est-il possible de transposer à l'homme l'image du Dieu
fidèle, que rien ne distrait de son amour et qu'aucune faiblesse de notre part
ne fait vaciller ?
Demander à l'homme qu'il aime à l'image de Dieu, discours
que l'on entend parfois, dans l'Eglise, me paraît une erreur. Si l'homme
pouvait aimer comme Dieu, il n'y aurait plus de place pour Dieu. Point de place
pour Dieu, en effet, sans les failles qui existent en l'homme.
Dieu ne nous impose jamais rien que nous ne puissions
supporter, il enverrait plutôt un ange (Thomas d'Aquin). Or, il peut arriver
qu'un couple devienne un enfer. Il se peut même, dans un couple, que les
partenaires s'aiment vraiment, mais se rendent finalement malheureux. On ne divorce
pas toujours par légèreté ou inconstance.
Quelle place alors pour Dieu, pour la vie ?
Sûrement pas dans la condamnation, dans la culpabilisation,
dans la mise à l'écart.
Les lectures de ce dimanche sont dérangeantes. Le discours
actuel de l'Eglise à propos des divorcés remariés peut y trouver une
justification. Je ne puis
m'empêcher de me demander où l'amour est alors ?
La loi ou l'amour ?
Je me rassure en me disant que ceux qui "ratent"
en amour sont peut-être les plus proches du coeur de Dieu. Ce Dieu qui, d'après
le second récit de la Genèse, proposé ce jour, n'a pas réalisé du premier coup
son acte créateur et doit ainsi comprendre mieux que d'autres ceux qui
demandent une deuxième chance (ou plus).
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