Je m'étais juré de ne pas commenter le "mariage pour tous", en débat, en France. Je ne pouvais pas être neutre. Et puis tout allait être dit par des gens plus compétents que moi. Il n'empêche.
En Belgique, le droit pour un couple homosexuel de se marier est acquis depuis 2003 ; le droit à l'adoption a été ouvert à ces mêmes couples, trois ans plus tard. Le pays ne s'est pas soulevé. Et dix ans après, la société ne s'est pas encore effondrée. Il n'y a pas plus d'homos, plus de pédophiles, plus de polygames, plus de cas d'inceste, plus de zoophiles qu'avant. Au contraire, il y a plus de couples et d'enfants heureux qu'avant, formant une famille. Et, quand ce n'est pas le cas, c'est sans doute pour les mêmes raisons qui font que le bonheur n'est pas toujours au rendez-vous dans un couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel.
En France, c'est le tollé. Les clivages sont exacerbés, les émotions à fleur de peau. Les propos tenus, pas seulement au café du coin, mais aussi par des hommes politiques ou religieux, sont souvent haineux, et parfois franchement imbéciles. Si j'ai évoqué l'inceste et la zoophilie, c'est que d'autres ont évoqué cette menace. Et pas n'importe qui. Certes, on peut toujours compter sur l'un ou l'autre élu de l'UMP pour tenir des propos injurieux ou débiles. Mais il s'agit ici d'un archevêque de Lyon, bien secondé par son primat, le bien nommé XXIII.
Au pays de la
liberté, de
l'égalité et de la
fraternité, on découvre ainsi, atterré, à quel point ces valeurs semblent parfaitement étrangères à un nombre non négligeable de citoyens français. Après plus de 200 ans, les acquis de la révolution n'ont pas été assimilés par tous de la même manière.
Car il s'agit bien de liberté, d'égalité et de fraternité.
Liberté. Il s'agit de liberté, puisqu'il s'agit de reconnaître à deux personnes de même sexe le droit de s'aimer, de prendre un engagement de vie à deux et de voir reconnaître cet engagement par la société, dans le mariage, tel qu'il est organisé par le Code civil, avec tous ses droits et obligations. Ceux qui entendent réserver le label "mariage" aux seuls couples hétérosexuels, garants de la normalité et de la loi naturelle, limitant par leur propos la liberté des autres, feraient bien de considérer qu'un mariage hétérosexuel sur deux se solde par un divorce et qu'il ne suffit donc pas d'être étiqueté hétérosexuel pour faire un mariage acceptable et qui tient. La prétention de certains hétéros à être les garants de l'institution "mariage" me paraît déplacée, sinon suspecte. Les homos ont déjà obtenu le PACS, disent-ils. Ils devraient pourtant se réjouir, ces parangons de vertu, que les gay - dont les moeurs sont tellement dissolues, n'est-ce pas - s'intéressent à autre chose que les aventures d'un soir. De quel droit ceux-là veulent-ils s'approprier le mariage ? Le mariage civil serait, selon eux, une expression du droit immuable, fondé sur la nature, qu'on appelle le droit naturel : un homme et une femme s'unissent pour procréer et éduquer des enfants.
On en vient au coeur du débat : les enfants ; car, à la limite, ils seraient prêts les anti à un pacs amélioré, calqué sur le mariage, pourvu qu'il ne porte pas ce nom. Un couple homosexuel ne peut, par définition, engendrer un enfant, comme c'est le cas aussi des couples hétérosexuels stériles, soit dit en passant. Est-ce à dire qu'ils sont inaptes, les uns et les autres, à susciter la vie et à éduquer un enfant ? C'est faire peu de cas de l'amour et associer, me semble-t-il, fort artificiellement procréation et éducation. Nombre de procréateurs s'avèrent de très mauvais éducateurs.
C'est d'abord se voiler la face sur la réalité concrète de la famille hétérosexuelle d'aujourd'hui. Combien d'enfants nés hors mariage ? Combien d'enfants nés dans une famille hétérosexuelle, finalement éduqués par leur mère ou leur père, dans une famille monoparentale, suite à un divorce ou un décès ; ou élevés par d'autres membres de la famille ; ou placés dans une institution à cause de la défaillance des parents. Il faudra qu'on m'explique pourquoi, dans l'esprit de certains, les hétérosexuels sont présumés être des parents aptes à élever un enfant et les homosexuels inaptes par définition. Pourquoi ne demande-t-on aucun brevet de "maritalité" ou de "parentalité" aux hétéros, alors qu'on en demande aux homos ?
Elisabeth Badinter, dont on sait qu'elle ne croit pas à l'instinct maternel, n'hésite pas à relever les nombreuses névroses et malheurs engendrés par la famille traditionnelle pour conclure qu'il n'y a pas de raison que ce soit pire dans une famille homoparentale. Démonstration, par l'absurde.
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=hjzzq38O0js
Il s'agit bien de liberté, pas seulement d'égalité. Quand certains, à qui on n'enlève aucun droit, refusent à d'autres les mêmes droits que les leurs, il s'agit bien d'une entrave à la liberté pour ces autres.
Quand un couple gay demande la reconnaissance de sa stabilité et son désir d'éduquer un enfant, cela est souvent très réfléchi, bien plus que dans certaines familles hétérosexuelles qui font des enfants sans réfléchir ou pour correspondre à l'ordre social. Je connais plusieurs couples gay élevant des enfants, au sein d'une famille élargie, avec des grands-parents, des oncles et tantes, des cousins et des cousines, des parrains et marraines. Ces enfants-là ne me paraissent pas manquer de références féminines et être malheureux, tandis que, dans des familles hétérosexuelles, l'absence réelle ou symbolique du père et l'omniprésence de la mère ont fait parfois bien des ravages. Entre autres, favoriser l'homosexualité chez le fils, par rejet de la femme, identifiée à la mère possessive et castratrice, ou par recherche d'un vrai père. Il ne faut pas oublier quand même que les homosexuels sont tous nés d'un père et d'une mère hétéro ! Et on voudrait nous faire croire que les enfants élevés par un couple homo risquent de devenir homos eux aussi ... et que bientôt il n'y aura plus de naissances. Oui, certains pensent cela, notamment à l'UMP (le sordide député Vanneste).
Michel Serres, dont la pensée est souvent éclairée, a proposé que, dans toute aventure entre des parents et un enfant, il s'agit toujours d'une adoption. Le sexe des parents n'a rien à voir. Il y a simplement des individus plus doués que d'autres pour l'adoption. Il donne de la sorte une issue aux propos d'Elisabeth Badinter qui ne croit pas à la paternité ou la maternité naturelles. Cela me paraît très juste. Le fondement de cette position ne l'est pas moins. Michel Serres invoque étonnamment l'évangile de Luc et la Sainte Famille, telle qu'elle nous est proposée.
http://www.oulala.info/2012/12/michel-serres-et-le-mariage-gay/
De qui Jésus est-il le fils ? Pas de Joseph en tout cas. De Marie ? Cela est difficilement compatible avec les voies naturelles puisqu'elle est restée vierge. Jésus se trouve donc avec deux parents non biologiques qui vont l'élever avec amour, par adoption. Oserais-je ajouter que Marie est peut-être la première "mère porteuse" de l'humanité ? Et que sa fécondation ne semble pas avoir suivi des voies très naturelles ; elle a dû au moins être assistée. Il est peut-être bon de le dire aux grenouilles de bénitiers qui tiennent tant à la famille traditionnelle. Non, la famille de Jésus n'était pas traditionnelle.
Je suis, pour ma part, totalement favorable à l'adoption par des couples gay ; on l'admet bien pour des célibataires. Aux mêmes conditions strictes que pour les couples hétéros stériles ou altruistes.
Je suis, par contre, plus réservé à l'égard de la gestation pour autrui (GPA, comme ils disent en France) et de la procréation médicalement assistée (PMA, comme ils disent toujours en France).
Ayant été, à une époque de ma vie, le conjoint hétéro d'un couple stérile, j'ai subi tous les affres de la procréation médicalement assistée : don de sperme dans une cabine, fivete, traitements hormonaux, insémination artificielle, obligation de multiplier les chances en copulant en période fertile selon la fameuse méthode Ogino. Je ne le souhaite à personne. C'est dégradant. Cela ressemble à ce que l'on fait avec les vaches et les taureaux. L'enfant à vivre ne mérite pas cela. Le désir d'enfant ne devrait pas autoriser cela. Ce n'est pas à la médecine qu'il revient de faire naître des enfants. On ne provoque pas la vie, on l'accueille.
Quant à la gestation pour autrui, je suis tout aussi réservé. Surtout, parce que la gestation pour autrui n'est généralement pas gratuite. Un enfant ne s'achète pas ; il doit rester un don. On peut aussi s'interroger sur le fait de louer son ventre. Vous me direz qu'une soeur (une mère) peut offrir son ventre à son fils ou frère homo ... Pour quelle raison ? Je connais un cas de GPA, pour un couple gay, où la raison était d'assurer la lignée par le sang au sein de la famille. Cet argument ne me paraît pas relevant et m'a fait frémir. Il n'était pas concevable, dans cette famille, parfaitement ouverte au couple gay, qu'un enfant porte le nom familial sans que coule en lui du sang familial.
Egalité. Je n'ai parlé jusqu'à présent que de liberté. Or, le premier argument invoqué est généralement celui de l'égalité des droits et des devoirs.
On sait qu'on ne peut parler d'égalité, sur un plan juridique, que si des situations suffisamment proches pour être comparables sont en présence.
De ce point de vue, le couple homo présente une différence objective avec le couple hétéro. Est-elle suffisante pour justifier une différence de traitement ?
Il est nécessaire pour cela de s'interroger un peu sur le mariage civil, conçu à l'origine pour des couples hétérosexuels. De quoi traite-t-il ?
Sur le plan civil, tout d'abord, le mariage d'amour n'existe pas ; le mariage de raison ou le mariage arrangé sont parfaitement valides et sont mis sur le même pied que le mariage d'amour. Or, en l'espèce, s'agissant des gay, la demande vient surtout de gens qui s'aiment. Méritent-ils moins d'égard que ceux qui ne se marient pas par amour, alors qu'ils adhèrent en tout au projet ?
Le mariage civil est un contrat entre deux personnes qui choisissent d'unir leurs destinées, de s'engager l'une vis-à-vis de l'autre dans une communauté de vie durable, souhaitent que cela soit reconnu par la société et que cela ait, dans leur vie, des conséquences.
Ces conséquences sont avant tout patrimoniales (en Belgique, mais aussi en France, j'imagine) : le code civil règle le sort des biens des conjoints au cours du mariage et à sa dissolution ; il donne des droits au conjoint survivant ; il donne lieu à des droits particuliers sur le plan fiscal et parfois social. Il organise leur rupture dans le divorce. Il crée l'obligation de verser des aliments, en cas de besoin, avec une loi de réciprocité. N'est-ce pas ce que veulent les partisans du mariage pour tous ?
Et les enfants ?
Pendant longtemps, le mariage a surtout servi, à distinguer les enfants légitimes des autres (ceux nés hors mariage), les uns n'ayant pas les mêmes droits que les autres. C'était important vu les nombreux enfants bâtards, engendrés particulièrement par la noblesse, les bourgeois ... sans parler de ceux issus du clergé. Les bâtards de basse origine, eux, ne se posaient pas la question. Il a fallu parler de présomption de paternité (en cas de naissance dans un couple marié) et de reconnaissance par le père naturel.
Des enfants, hors les aspects patrimoniaux, le code civil dit ceci : "
Les père et mère sont tenus d'assumer, à proportion de leurs facultés, l'hébergement, l'entretien, la santé, la surveillance, l'éducation, la formation et l'épanouissement de leurs enfants ".
C'est exactement ce à quoi veulent s'engager des couples homos, qu'il s'agisse d'enfants d'avant ou d'enfants à venir. Et voilà les chatouilleux s'emparer des mots "père" et "mère". Voulez-vous le témoignage d'un père gay, qui a été marié et a adopté du temps de son mariage ? Je me sens autant père que mère vis-à-vis de mes enfants et ils le sentent, ils le savent. J'ai peut-être tort. Le rôle maternel ne me revient pas, mais c'est pourtant comme cela que l'on fonctionne.
Avant d'aborder la fraternité, rions un peu.
Le duc d'Anjou, au nom de la tradition et des valeurs, et de la défense de la famille, s'est fendu d'un manifeste appelant à manifester contre le projet de loi d'un mariage pour tous. Je vous invite à le lire.
http://www.institutducdanjou.fr/fr/discours/219-manifeste-de-mgr-le-duc-danjou-au-sujet-du-mariage-pour-tous.html
Le duc d'Anjou associé à Frigide Barjot ! C'est un comble.
Fraternité. A contempler les images de ceux qui ont défilé contre le mariage pour tous, dimanche dernier, on se demande quelle conception ils ont de la fraternité. Il n'y pas de fraternité quand on véhicule la haine, quand on affiche des calicots insultants, quand on désigne du doigt la minorité. Que des disciples de Jésus y figurent, en s'en revendiquant, me paraît une injure à celui-ci. Ou alors, ils n'ont rien compris. Les sympathisants de Frigide Barjot (elle n'a jamais autant mérité son pseudonyme) sont pitoyables.
Lisez aussi ce très beau texte d'un enfant homo confronté à sa famille hétérosexuelle :
http://le-beau-vice.blogspot.co.uk/2013/01/qui-defend-lenfant-queer-par-beatriz.html
Et celui-ci d'un catho :
http://baroqueetfatigue.wordpress.com/2013/01/04/pourquoi-en-tant-que-catholique-il-me-semble-impossible-de-participer-a-la-manifestation-dite-pour-tous-du-13-janvier-2013/