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dimanche 27 juin 2010

L'autre et moi

Vive et douloureuse altercation, hier, avec ma mère sur un sujet qui me paraît capital: quelle est ma capacité à donner à l'autre sa place? A ne pas agir / penser  /dire uniquement selon mes propres critères?Quelle est ma capacité à ressentir ce que l'autre peut ressentir?

Le débat fut vain et a témoigné, de la part de ma mère, d'une incapacité totale à voir d'un autre regard ses propos, ses attitudes, ses jugements.

Pis, sa réaction - cela m'a stupéfié - était toujours une réaction de défense, d'auto-justification: je ne suis pas (ne peux pas) être coupable (qui a parlé de culpabilité?); j'agis pour bien faire et tu me le reproches; tu te permets de me juger (qui a parlé de juger?). J'ai quand même bien le droit de poser des questions à mes petits enfants. Si je n'en posais pas, il pourrait considérer que je fais preuve d'indifférence et il n'est pas question qu'on me considère comme indifférente.

C'est pourtant simple: avec tes questions - qu'ils ressentent comme une inquisition - tu fais pression sur eux et ils se referment; tu leur enlèves toute envie de se livrer. Ce n'est pas pour rien qu'ils me disent des choses qu'ils ne disent pas à d'autres. Et, quand, ils me demandent de garder le secret, je tiens ma promesse. Tes questions, maman, n'ont pas pour objet de mieux les connaître, elles ont pour but de te rassurer toi.

Réaction:
- de toute façon, ces enfants-là n'ont pas été éduqués comme il fallait, heureusement que je suis là pour faire un peu leur éducation;
- je ne peux pas tout savoir, mais tu penses bien que j'imagine;
- si c'est comme ça, je ne dirai plus jamais rien, puisque je ne peux rien dire, mais alors il peut venir rechercher les affaires qui sont encore chez moi.

Je retiens deux choses de ce moment difficile:
- je suis triste;
- ma mère n'est pas la seule, dans mon entourage, à réagir comme cela. Je vais peut-être ici dire quelque chose de très dérangeant, mais ils sont finalement fort nombreux ceux qui se retranchent derrière la conviction de bien agir, de faire ce qu'il faut faire et qui pourtant causent de très grands dommages autour d'eux, sans en avoir aucunement conscience et sans être prêt à admettre ces dommages.

Mal agir en étant persuadé de bien agir est un comportement fort répandu.

Ouvrir les yeux, se quitter soi-même pour intégrer sans jugement ce que l'autre ressent, est bien difficile et pourtant il n'y a pas d'autre voie, qu'on l'appelle "compassion" ou "empathie".

En vrac

Exit la France. Exit l'Italie. Il s'agit ici du championnat du monde de football. Voilà bien un sujet qui ne me concerne pas. Sauf pour ceci:
- la France et l'Italie, deux pays dont le passé culturel est exceptionnel, et l'apport au monde capital en termes de civilisation, témoignent de la manière la plus lamentable qui soit, de leur adhésion à un modèle de société qu'incarnent dans le fond leurs présidents respectifs: celui de l'argent, du paraître, de la vulgarité, de l'allégeance. Ceci est inquiétant, car cela veut dire qu'une majorité de français et d'italiens se reconnaissent dans leur dirigeant, sinon ils n'auraient pas voté pour eux, quoique disent les sondages sur leur popularité;
- la disqualification de la France est aujourd'hui affaire d'Etat. Tout le monde est d'accord: cela se serait beaucoup mieux passé, si Nicolas Sarkozy avait pu prendre la place du pitoyable Domenech et diriger l'équipe de France. Il a envoyé au front les deux ministres des sports: la "chef", l'inénarrable Roselyne Bachelot; la "sous-chef", la tout aussi inénarrable Yama Rade. Il n'y a sans doute qu'en Corée du nord que le chef de l'Etat se mêle à ce point de l'avenir du foot. Bref, la France, ne doit pas seulement gérer les mauvaises performances de ses sportifs, elle doit en plus essayer de composer avec le ridicule, celui que son président distille en toutes choses.

J'habite un quartier folklorique. Depuis trois jours, on y fête Saint Pholien et Sainte Barbe.

Précisons que Sainte Barbe n'a rien à voir avec les barbus.

Fêter, dans mon quartier, cela veut dire des fanfares, une braderie (j'ai acheté un plat pour tajine, 2 euros), de gens qui déambulent, des personnages "haut en couleur". Cela grouille. Hier soir, à une heure du matin, les terrasses étaient encore noires de monde. On vit en Outremeuse comme dans les villes du sud (et de l'extrême sud).

Hier, le Ghana a gagné (comme Bobby Lapointe chantait: "ma Cathy ma quitté"). Dans mon quartier, les habitants africains faisaient la fête. Alors, ils dansaient au milieu de la rue. Et les attablés du café Randaxhe applaudissaient: ceux qui boivent des bières comme ceux qui n'en boivent pas. J'aime vraiment beaucoup mon quartier.

Ce matin, c'était la procession, comme dans le temps: les bannières, les acolytes avec leurs robes rouges, le dais, la fanfare jouant des marches lentes, les statues de Saint Pholien et de Sainte Barbe, le tour des quartiers,  les reposoirs ... Les curés n'ont plus l'air d'y croire. Le folklore si.

Ils se se sont tous ligués contre moi

Mais, enfin, je n'ai rien fait pour mériter cela!

Voici le récit de ma dernière nuit à partir de 3h45 ...

Elle m'énerve la lune: chaque fois qu'elle est pleine, je ne parviens pas à dormir ...

Il m'énerve le décérébré qui a traversé, mon quartier, entre 4 h 00 et 4 h 45, en soufflant dans sa vuvuzela, gracieusement offerte par la société VOO. Jusqu'à hier, le supporter de foot meuglait, dorénavant, il barit.

Il m'énerve (mais un peu moins) le couple dont les ardeurs - que je partageais fenêtre ouverte - s'exprimaient de manière plutôt sonore entre 2 heures et 5 heures du matin.

Ils m'ont énervé les deux pigeons dont les ardeurs n'avaient rien à envier à celles du couple dont je viens de parler.

J'ai cru devenir fou, quand des habitants de ma résidence sont partis en vacances à 5 h 15 avec force claquements de portière, altercations ... et, coup fatal, le coup de klaxon pour signifier à tout le monde: "on est bien parti".

La lune, les pigeons, les humains manquent de plus en plus d'éducation.

Les langues, le nationalisme et le foot

La Belgique compte, en son sein, un fort courant nationaliste flamand - les dernières élections en sont le témoin - lequel ne cesse de tirer sur la "ficelle Belgique" en espérant (jusqu'à quel point?) qu'elle cède, mais avec lequel il faut composer. La flandre belge se définit à partir de deux éléments: une langue et un territoire. Je dis bien la Flandre belge, car il existe aussi une Flandre française.

Il y a, en Flandre belge, une majorité de néerlandophones, mais aussi des francophones (un  peu plus, un peu moins, parfois beaucoup plus, selon les endroits), mais pas que. Il y aussi des turcs, des marocains, des algériens, des fonctionnaires européens de 27 pays de l'Union européenne, des ressortissants des Pays-Bas et bien d'autres encore.

Les néerlandophones des Pays-Bas (ce pays qu'on appelle aussi la Hollande, comme le fromage: avez-vous remarqué qu'on ne dit jamais d'un fromage qu'il est des "Pays-Bas", mais toujours de "Hollande") représentent une catégorie particulière (on en trouve beaucoup dans les communes belges le long de la frontière, par exemple, dans les Fourons ou dans la périphérie d'Anvers). A priori, ils parlent le néerlandais, mais le néerlandais que parlent les néerlandophones de Hollande (ou des Pays-Bas, comme vous voulez) n'est pas exactement le même que le flamand que parlent les flamands, malgré le fait que la Flandre a un jour choisi - il n'y a pas si longtemps - une langue officielle le A.B.N.  ("Algemeen Beschaafd Nederlands" - traduisez par: "néerlandais commun civilisé"). Quand un peuple fait un tel choix, on est enclin à croire qu'il fait un terrible aveu: celui, par ce choix, de devenir enfin civilisé. Grave erreur! Les flamands, qui n'étaient pas si peu civilisés que cela, avaient un autre choix: le français. Mais le français était alors, en Flandre, la langue de l'élite intellectuelle, économique et politique. En Wallonie, on aurait pu agir de même et on ne l'a pas fait. Les wallons auraient pu défendre leurs dialectes locaux. A Liège, sous la Principauté, on parlait plusieurs langues, latines et germaniques. Le français s'est imposé peu à peu. Mais quand je fais mon marché, le dimanche, à Liège, j'entends parler français, wallon, flamand du Limbourg, allemand, arabe, italien, espagnol, portugais, swahili ... et je me dis quelle chance de vivre à Liège!

Car les différences entre les flamands et leurs voisins bataves ne sont pas qu'une question d'accent. Les néerlandophones de Hollande émaillent leur conversation de sons gutturaux, d'interjections incessantes comme "nou" ou "leuk" et d'expressions anglo-saxonnes rendant leur langage incompréhensible pour nombre de flamands de la base. A un journaliste flamand qui l'interrogeait, un ministre hollandais a même, un jour, répondu, en anglais! Les néerlandophones flamands sont moins rocailleux, sauf à Anvers; ils émaillent sans cesse leur conversation de mots français. Un flamand, en fait, parle le plus souvent le néerlandais comme un Marocain parle l'arabe, c'est-à-dire en intercalant mots et interjections en français, simplement parce qu'il est plus simple de dire certaines choses en français qu'en arabe marocain ou en flamand.


Le nationalisme inquiète. En Europe, des forces centrifuges s'expriment face à une volonté qui se veut  centripède. Quand les uns parlent de rapprochement, d'harmonisation, de politique commune, d'autres parlent de séparation, d'identité, de nation. L'avenir devra, je le pense, être fondé non plus sur les Etats d'hier, et leurs frontières, mais sur des bases euro-régionales. De ce point de vue, il y a beaucoup à apprendre du passé, à mon avis. Je repense ainsi à la principauté de Liège.


Nous avons eu les fêtes de la musique. J'ai dit comment je concevais la chose, moi qui n'ai jamais les pieds sur terre: un jour, un week-end, un seul par année, où les musiciens, quels qu'ils soient, amateurs ou professionnels, sortent des structures habituelles, et jouent pour une seule raison: le plaisir de partager gratuitement, bénévolement, leur passion à d'autres. Dans mon esprit, j'aurais bien vu les musiciens de l'Orchestre philharmonique venir à quelques uns jouer au coin d'une rue. Mon propos a suscité une réaction de mon ami J.P.R. sur son blog. Je persiste et signe: l'événement que l'O.P.L., a créé, à l'occasion des fêtes de la musique (la venue de Wayne Marshall pour des prestations éblouissantes) est bien un événement, mais il aurait pu être tout aussi bien programmé à un autre moment.


Ceci nous amène à la fête du foot: le championnat du monde qui a lieu actuellement en Afrique du Sud. Impossibilité totale de transposer ma vision de la fête de la musique à la fête du foot. Ici, il s'agit d'abord d'argent, ensuite seulement de foot, mais pourtant aussi de fibre nationale.

Les peuples soutiennent leur équipe nationale, peu importe qu'elle soit formée avec une majorité de faux nationaux. Seule l'équipe de la Corée du Nord fait peut-être exception à la règle (mais elle a quand même envoyé des coréens japonais sur place comme supporteurs, à défaut de coréens du nord). Ainsi, celui qui joue d'habitude dans un club anglais appartient-il pour un temps (et moyennant de juteuses tractations financières) à l'équipe d'un autre pays, dont il a acquis la nationalité pour la cause. Bref, les équipes nationales, non seulement ne comptent pas de vrais nationaux, mais elles demandent en plus à leurs joueurs de jouer en quelque sorte "contre eux-mêmes". Et on s'étonne de voir des jeunes gens, parfois issus d'un milieu modeste, grassement payés, éduqués à la seule école du football, "péter les plombs" face à ce défi schizophrénique! Et tout cela, pour le fric, et non pour offrir à tous une fête du football. C'est lamentable.

A quoi pourrait ressembler - en cas de scission de la Belgique - la future équipe nationale flamande de foot? Sera-t-elle réservée à ceux qui ne parlent que le flamand? Admettra-t-on des hollandais? Ecartera-t-on tout wallon (de sang? de langue?).  Y engagera-t-on un joueur nord-coréen (le seul coréen qui ait marqué un but, par exemple)? Devra-t-il alors apprendre le flamand? Les joueurs flamands qui ne pourront bien entendu parler que le "néerlandais commun civilisé" (A.B.N.) seront-ils plus civilisés que les joueurs de l'équipe de France?

Comme toujours, je ne dois pas poser les bonnes questions.

mercredi 23 juin 2010

Les mots pour le dire - Quelques méditations pour les enseignants

Ils ont trouvé les mots.
J'aurais aimé les trouver aussi.
Comme ils ont dit ce que j'aurais voulu dire,
permettez-moi de vous le dire,
avec leurs mots à eux.

Ceci est l'amorce de réflexions que je voudrais suggérer sur l'enseignement/l'enseignant, leur rôle, leur finalité.

Diriger un concert ... "C'est la chose la plus difficile au monde qu'il m'ait été donné de tenter. Tout est à l'oeuvre: le corps, les mains, le bras, la tête, les yeux, l'intelligence, la mémoire, la sensibilité. Tout se joue dans le travail, d'abord seul avec les partitions, puis en répétition, pupitre par pupitre, puis en concert, où le chef danse avec l'orchestre, dans un acte d'amour et de confiance réciproque: nul n'est rien sans l'autre. Je n'ai un peu compris de ce métier qu'en saisissant l'importance du regard sans cesse échangé entre le chef et ceux des musiciens dont il attend quelque chose dans la seconde qui suit. Et alors la joie est indicible: la musique ainsi vécue est tout autre que celle qu'entend le spectateur. Elle est fragile, vivante, mortelle. Elle m'aide en tout cas à m'approcher de l'essentiel, c'est-à-dire la beauté".


A propos de l'invention de la perspective (dans la peinture): "... la perspective n'est pas une découverte. On a découvert l'Amérique parce qu'elle existait au préalable; la perspective, elle n'existe pas avant qu'on l'invente.  Quand on entend dire que les italiens découvrent la perspective, cela sous-entend qu'elle existait déjà. Non, c'est une invention, et un système de représentation parfaitement arbitraire qui a été inventé par toute une société sur près d'un siècle ... Quelle est la fonction de ce système de représentation tellement arbitraire? Une perspective ... cela suppose un spectateur immobile, fixé à une certaine distance de ce qu'il regarde, et le regardant avec un seul oeil. Cela n'a rien à voir avec la façon dont nous percevons: nos yeux n'arrêtent pas de bouger, même lorsqu'on fixe quelque chose, je crois que la science moderne a montré que l'oeil n'arrête pas de scanner autour du point fixé mais n'est jamais immobile. Or la perspective suppose un oeil absolument immobile, un seul oeil, et absolument pas le mouvement des deux yeux qui balaieraient le champ. Il faut se rappeler que cette invention d'un système aussi arbitraire que la perspective centrée monofocale n'est pas la seule hypothèse. Pourquoi l'emporte-t-elle? Il y avait d'autres systèmes de perspective parfaitement efficaces à l'époque ... un système de perspective bifocale centralisée: il n'y a pas un mais deux points de fuite, qui correspondent à chacun des deux yeux ... il y avait encore deux autres systèmes tout à fait excellents: le bifocal latéralisé de Pablo Uccelo, où l'on suppose un point de fuite à l'extrême gauche, parce que le regard se porte à l'extrême gauche, et puis un autre point de fuite à l'extrême droite parce que le regard se porte à l'extrême droite, et entre les deux on organise les lignes de fuite, mais les foyers de ligne de fuite sont l'extrême droite et l'extrême gauche. Enfin, il y a le système de Fouquet, "français" entre guillemets puisque cela ne voulait pas dire grand chose à l'époque. Lui, il met au point une perspective tournante, c'est-à-dire convexe: l'espace et les pavements, les plafonds, viennent vers le spectateur par le milieu et repartent vers le fond sur le côté; ils viennent du fond et repartent vers le fond ... Un historien qui s'appelle Schwartz a fait l'hypothèse, que je crois très convaincante, selon laquelle ce système de perspective circulaire convexe vient du fait qu'à l'époque, pour peindre, on avait très souvent dans les ateliers des miroirs, dans lesquels on regardait la réalité, parce que finalement le miroir fait le tableau. Et ces miroirs étaient convexes, le miroir plat étant postérieur au miroir convexe. Donc, la perspective convexe était proche de l'expérience des miroirs de l'époque...". Et aussi ceci, "on observe alors (dans la peinture) des processus équivalents à ceux qu'on observe en histoire des sciences. Il est extrêmement intéressant de pouvoir utiliser certains modèles d'interprétation élaborés par l'histoire des sciences pour voir s'ils permettent de mettre au clair certaines transformations artistiques qui sans cela ne sont pas vraiment compréhensibles".


A propos des priorités, "Qui est professeur dans l'âme ne prend nulle chose au sérieux qu'en rapport à ses élèves - lui inclus".


Quant au courage, "(dans nos société individualistes, le courage) ne sert à rien, du moins très souvent dans le court terme ... C'est l'anti-réussite. Car le courage est sans victoire. Ce n'est pas parce que vous avez été courageux que vous le serez demain ni que vous "réussissez". Dans le courage, ce qui compte, c'est l'acte lui-même, pas ce que vous obtenez. Seulement, si le courage ne s'occupe pas de votre réussite sociale, il s'occupe de votre salut. Sur le long terme, le prix du non-courage est bien plus élevé que celui du courage. Car le courage fait de vous un sujet, l'agent de votre vie. A force de démissionner chaque jour, d'accepter ce qui semble inique, on  se corrode. L'érosion est un mal qui détruit le sujet clandestinement. Au final, on croit qu'avoir "souci de soi" c'est passer entre les gouttes, être le cavalier seul de l'absence de morale de notre système. Mais le courage est le plus sûr "souci de soi" et ce qui protège l'individu des abus des autres et de ce monde".


C'est délibérément que je n'ai pas cité mes sources, pour titiller la curiosité. Les voici, dans l'ordre:
- Jacques Attali, Le Nouvel Observateur (17-23 juin 2010), dans le dossier intitulé "L'orchestre national";
- Daniel Arasse, Histoires de peinture, éd. Denoël, 2004 (paru également, dans la collection Folio essais);
Nietzsche, Par-delà bien et mal, section 4, § 63, cité par mon collègue Nicolas Thirion ... sur Facebook;
Cynthia Fleury, La fin du courage, Fayard, 2010.


D'autres réflexions viendront, je le promets.

dimanche 20 juin 2010

Fête(s) de la (des) musique(s)

A Liège, mais pas seulement, cette fin de semaine a été l'occasion de faire la fête à la musique.
Traditionnellement, depuis sa création par Jack Lang, cette fête coïncide avec le solstice d'été.
Le 21 juin.
Le jour le plus long ... brrr!
Jours de frimas, en effet, cette année, où on nous parle sans arrêt de réchauffement de la planète.

Pour moi, le plus important dans cette initiative est la gratuité.
Des musiciens offrent leur musique gratuitement à qui est prêt à la recevoir.
Et les auditeurs sont nombreux.
Une autre chose importante est (ou devrait être) qu'on puisse fêter la musique partout.

A la salle philharmonique, plusieurs concerts gratuits étaient proposés autour d'une personnalité hors du commun: Wayne Marshall. Un musicien "trans-genre". Ses prestations ont été, paraît-il, époustouflantes. A n'en pas douter, les dirigeants de l'O.P.L. ont créé l'événement.




Je n'y ai pas assisté, mais j'ai écouté Wayne Marshall. Je vais expliquer pourquoi je n'y ai pas assisté.

A vrai dire, j'ai déjà, dans le fond, exposé les deux raisons qui fondent ma position:
- si le public pouvait assister gratuitement aux prestations de Wayne Marshall, je doute que lui soit venu gratuitement;
- les fêtes de la musique sont, pour moi, une occasion unique d'inverser les mécanismes classiques: pendant ces jours, il ne s'agit pas de convier le public dans les lieux traditionnellement dédiés à la musique, mais d'inviter la musique là où on ne l'entend pas d'habitude.

N'allez pas croire que je sois un esprit chagrin, je vais vous décrire comment la "fête de la musique" s'est déclinée, pour moi, au pluriel: "fêtes" et "musiques".

Vendredi soir.

Ils devaient avoir dix huit ans ... mais, nom d'une pipe, si j'ose dire, ils offraient un jazz des plus convaincants sur le podium de la place des Carmes.

Samedi soir.

A l'initiative de l'Aquilone, boulevard Saucy, trois concerts en plein air.

http://www.aquilone.be/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=2&Itemid=35

Le premier, le plus inattendu: " Les Anchoises", soit deux filles, l'une à la clarinette, l'autre au saxophone baryton ... pour des arrangements inédits, rythmés, revisitant des chansons des années 60-70. Ambiance garantie: les gens chantant en choeur "Les champs Elysées" ou "Killie watch". Leur programme: "Les Anchoises se crèpent le chignon, à cause des garçons, et aussi pour savoir qui est poupée de cire et qui poupée de son. ...".

Le second "Seydou Sanou & Yiri-Massa", la musique du Burkina-Faso descendue boulevard  Saucy. Djembé, xylophone traditionnel et chant. Et "Bougez ..." les burkinabe, les ghanéens, les ivoiriens, les marocains, les algériens, les liégeois, les femmes, les hommes ... "bougez". Impossible de rester sans bouger, il est vrai, j'en témoigne. En témoigne aussi une dame très âgée du boulevard qui, écoutant la musique de chez elle, m'a dit, le lendemain, avoir écarté les meubles ... pour bouger elle aussi!

Enfin, un moment inoubliable: Sukarma. Trois musiciens népalais. Leur musique était beauté. Ils étaient beaux. Etaient-ils beaux parce que leur musique était belle ou leur musique était-elle belle parce qu'ils étaient beaux? Ils ont été généreux et, contraint de rentrer chez moi à cause de mon dos douloureux, je les ai encore entendus, de ma chambre la fenêtre ouverte. Moment absolu de pureté. Plus pur encore entendu de loin dans la nuit naissante.




Dimanche matin

Place aux fanfares. J'adore les fanfares! Je préfère les suivre ... car, si je reste sur place, au fur et à mesure qu'on va vers les tubas, les bombardons et les hélicons, plus les larmes me submergent!

Ici encore, la diversité est aujourd'hui réjouissante.

Le monde des fanfares a bien changé.

La fanfare liégeoise des "Cadets de la marine" incarne toujours la fanfare en uniforme, rigoureuse, qui joue principalement des marches militaires et leur prestation musicale est toujours irréprochable.
 
http://www.musiquedescadets.be/



Suit la catégorie des fanfares villageoises, gardienne d'une tradition qui incroyablement se maintient.

 Le "Royal guidon hesbignon" reste, à ce jour, la seule fanfare cycliste au monde!

http://www.royalguidonhesbignon.be/



Le monde des fanfares villageoises est aussi un extraordinaire écho des querelles villageoises d'antan. Ainsi, en est-il des deux fanfares de Jauche, qui étaient respectivement: "La Fanfare royale - Les fanfares" et "La Fanfare royale - Les Amateurs", devenues après fusion "Les Fanfares de Jauche", nom qui a moins de panache, convenons-en.

http://www.lesfanfaresdejauche.be/index2.html



Enfin, viennent les nouvelles venues: les "fanfares foutraques" (je laisse de côté les "bandas" de la Basse-Meuse, qui sont au monde des fanfares ce qu'est Patrick Sébastien au regard de l'académie française).

Ces "fanfares foutraques" ont des costumes "foutraques", des noms "foutraques", ne jouent pas toujours absolument juste, mais elles se marrent et leur bonne humeur est communicative. Elles sont aussi parfois un peu engagées. J'ai ainsi entendu:
- "Pas ce soir, chéri", une fanfare de femmes en rose ...
- "Pouet-en-stock - Fanfare sauvage" ... tout un programme!
- "Sans tambour, ni trompette", la seule fanfare, à ma connaissance, comportant deux violoncellistes!
- "On prend l'air": un fabuleux bastringue, c'est eux qui le disent!


http://video.rtlinfo.be/video/177658.aspx
http://www.pouetenstock.be/
http://www.stnt.be/
http://www.esperanzah.be/index.php/fr/programme/les-scenes/on-prend-lair




Dimanche après-midi

La fenêtre était ouverte, je repassais. Il faut bien repasser de temps en temps, quand solitaire on est. J'entends des voix, des harmonies. Je laisse là mon linge. A quoi bon le linge, quand la musique appelle.

Une chorale: "Les Bengalis". Ayant fait partie, dans ma jeunesse et mon jeune âge adulte, d'une autre chorale qui s'appelait "Les Colibris", j'avais nourri une once de mépris pour ces concurrents. Sous la bannière des Colibris, nous avions un avantage: le colibri est le seul oiseau qui ne chante pas! Le seul son qu'il émet est celui de ses ailes. Et vous ne m'avez jamais entendu voler ...

J'ai été "bluffé" (comment dit-on en français: "épaté", "esbaubi", "espatrouillé"?). En plein air, a cappella, cela se tenait! Excellent équilibre des pupitres. Répertoire éclectique: du classique, de la comédie musicale américaine, de la chanson française (heureusement pas de gospel). Et surtout des chanteurs heureux de chanter. J'ai connu plusieurs chefs de chorale: ils sont rares (très rares même) ceux qui mettent le sourire aux lèvres de leur chanteur. C'était le cas, cet après-midi. Ne vous étonnez pas, si le public aussi avait le sourire aux lèvres.

J'ai ainsi fêté la musique à ma mesure. Sur le terrain. Plusieurs genres de musiques. Et surtout des musiciens qui avaient le bonheur de partager, amateurs d'abord et surtout, semi-professionnels ou professionnels accomplis.

Dimanche soir

Je serai présent à 20 heures pour un concert "Jasstango": une rencontre entre chants populaires et musique de chambre.

J'en parlerai demain.

Histoire vraie

Il a 29 ans.
Il a un père auquel il croit.
Il n'a pas choisi son père, mais son père l'a choisi.
Ce n'est pas tous les jours facile, ni pour lui, ni pour son père.
Depuis le premier jour, son père savait, par intuition, que cela ne serait pas facile,
que l'adoption n'est pas (ne peut pas, ne doit pas être) une voie pour assouvir un désir de paternité ou de maternité.
Il a fait ce qu'il pouvait pendant ses études.
Elles n'ont pas été universitaires.
D'autres choses que les études encombraient son esprit.
Il n'en est pas encore libéré aujourd'hui.
Il veut faire quelque chose de sa vie, mais la vie ne l'a pas gâté.
Récemment, il avait trouvé une stabilité, une raison de croire en lui, dans un travail.
Un travail où il se sentait bien, mieux que dans les précédents emplois qu'il avait trouvés antérieurement.
Il en voulait.
Les trajets, les horaires, les heures supplémentaires ne l'arrêtaient pas.
Il était fier de relever du "Plan Activa",
qui offre à l'employeur des réductions de charges sociales à l'embauche.
Il était confiant dans son brevet de cariste,
acquis lors d'une formation du FOREM.
Il a  fait ce qu'on lui a dit de faire.
Il a fait ce que les politiques disent de faire.
Il a travaillé.
Et puis, il n'a pas été payé.
Il devait débourser ses frais de déplacement et ses autres charges,
mais l'argent ne rentrait pas.
Sa famille l'a aidé.
Ses prestations de février et de mars n'auront été rémunérées, après une multiplication de démarches, de coups de téléphone, de lettres, qu'à la fin du mois de mai.
Il a encore travaillé en avril et en mai.
Il attend toujours d'être payé.
Il a refusé de travailler depuis encore dans ces conditions.
Il ne peut plus faire confiance.
Il a subi une pression - celle du pot de terre contre le pot de fer - qui a nourri en lui une profonde révolte.
Cela a été plus loin qu'une révolte verbale.
Le sentiment de ne pas exister aux yeux de l'autre (l'employeur), des autres ...
l'a même conduit à tenter l'irréparable.
Le père essaye d'être là.
Il comprend son fils.
Il ne comprend plus le monde dans lequel son fils doit trouver sa place.
Surtout, qu'on ne parle pas, ni au fils, ni au père, de la crise.

mardi 15 juin 2010

Humeurs électorales

Les résultats des élections de ce 13 juin 2010 sont maintenus connus et feront date: la N.V.A. de Bart de Wever, au nord du pays, provoque un tsunami; le Parti socialiste est le vainqueur, incontesté, au sud du pays. Comment ceux-là vont-ils faire pour s'entendre?

Je n'ai aucune compétence pour analyser les résultats d'une élection, sauf celle d'un citoyen qui tente de réfléchir un peu au-delà des mots et des chiffres.

Voici donc, en vrac, quelques réflexions:

1. - Les libéraux, tant au nord qu'au sud, sont désavoués. Le président du M.R., Didier  Reynders, l'a reconnu avec une humilité qu'on ne lui connaissait pas. Tentons de voir clair. Quel est le poids de la pensée libérale en Belgique? Enlevons au M.R. ses élus F.D.F., dont le fonds de commerce principal reste la défense des francophones de Bruxelles et de la périphérie, que reste-t-il? Le libéralisme social, incarné particulièrement en son temps, par Louis Michel ne parvient pas à convaincre, car sans doute peu vraisemblable et vérifiable dans les faits. Les mouvements qui se veulent "réformateurs" ont de la peine à être crédibles: songeons à Nicolas Sarkozy et à ses projets de réformes tous azimuts ... dont bien peu aboutissent, mais dont beaucoup créent la polémique. On n'a guère entendu Bart de Wever sur le volet socio-économique de son programme, mais il apparaît que les plus grandes convergences existeraient, sur ce point, avec les idées du M.R., et peut-être même seulement avec celles du M.R. Ah, s'il n'y avait pas Olivier Maingain au M.R.!

2. - Je n'ai pas la fibre socialiste, question de tradition familiale sans doute. Je dois reconnaître qu'il y a des gens très bien au P.S. et que le discours social du P.S. est bien plus crédible que celui du M.R. Elio di Rupo est appelé à jouer un rôle important dans les semaines qui viennent. Il a les qualités pour le faire. Je lui souhaite bonne chance.

3. - Ecolo était le seul parti dont les candidats s'étaient engagés à exercer le mandat pour lequel ils seraient élus. Ceci mérite le respect. Les autres partis ne peuvent pas en dire autant. Et ceci en dit long sur le respect du citoyen.

4. - J'ai beaucoup de sympathie pour la mouvance écologique, depuis bien longtemps. Je trouve cependant que c'est dans l'opposition  que les écologistes se révèlent les plus efficaces (cfr., par exemple, les travaux de la commission parlementaire sur la fraude fiscale). Il faut, en démocratie, une force prête à  jouer un rôle d'opposition constructive. Une voix qui n'hésite pas à jouer le rôle du "poil à gratter", qui pense un peu plus loin que les autres pour leur rappeler leur étroitesse de vue. Comme l'exercice du pouvoir corrompt toujours, nécessairement, il est bon que certains candides soient là pour penser la politique autrement, pas nécessairement pour exercer le pouvoir.

5. - Le C.D.H. reste, pour moi, un parti sans saveur. Et sa présidente joue un rôle de repoussoir pour bon nombre d'électeurs par le passé acquis à l'ancien parti social-chrétien. Quant au slogan de campagne du C.D.H. "L'union fait la force", il a bien fait rire au nord, comme au sud ... Il aura été jugé passéiste au sud et ridicule au nord de la part de "Mevrouw nee".

6. - Que penser des "machines à voix"?  Il y a celles qui les méritent par leur action, par leur charisme, par leurs idées. Il y a celles, politiques, que l'on inscrit sur la liste juste pour obtenir des voix, mais qui ne siégeront jamais (procédé détestable, car méprisant pour l'électeur). Il y a celles que l'on impose sur une liste, en dernière minute, comme représentant de la société civile, peu importe leur compétence. Ainsi de Jean-Denis Lejeune, sur la liste C.D.H., à Liège. Je me réjouis qu'il n'ait pas été élu. Et puis, il y a Michel Daerden, dont la présence sur la liste P.S. ternit à elle seule le succès du parti.
Le degré zéro. Une campagne avec un seul slogan 'Tout le monde aime papa". Une bête de foire, sur le marché de la Batte, juché hilare sur un tabouret dans l'étal d'un marchand d'épices et signant des autographes. Le P.S. se grandirait en n'admettant plus ce personnage sur ses listes.

7. - Et, pour finir, une constatation réjouissante. Habitant un quartier pluri-culturel, je me rends compte que les "nouveaux belges"s'investissent souvent bien plus que certains belges de souche dans leur devoir d'électeur. A la lassitude des uns répond la fierté des autres.

lundi 14 juin 2010

Origène et la pédagogie

"C'est en se trompant maintes fois qu'on parvient à la perfection" (Origène, mort vers 254).

Quelle place donnons-nous à l'erreur, nous enseignants, dans nos enseignements?

Cette question concerne autant l'enseignant que l'apprenant (comme diraient mes collègues pédagogues).

Comme enseignant,
- avons-nous assez d'humilité pour reconnaître que nous pouvons nous tromper, dans notre discours et  dans nos évaluations?
- quand un étudiant échoue, cherchons-nous avec lui les raisons de son échec?
- quand nous enseignons quelque chose, prenons-nous le temps d'expliquer les errements qui ont le plus souvent conduit à ce qui constitue la "vérité relative et provisoire" de l'instant?

Par rapport à nos étudiants,
- comment procédons-nous pour faire de leur échec un chemin vers la perfection?
- comment évaluons-nous celui qui se trompe par rapport celui qui nous restitue ce que nous avons dit?
- donnons-nous à l'étudiant un peu original toute latitude de s'exprimer ou préférons-nous l'étudiant qui s'inscrit parfaitement dans un certain modèle?
- sur la base de quels critères, choisissons-nous nos assistants? comment choisissons-nous les académiques eux-mêmes?

Le meilleur est-il celui qui aligne les PGD, obtient des prix, ne connaît que l'excellence? Si oui, il a alors encore beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre la perfection.

Je ne prétends pas avoir épuisé ici le sujet, mais il me paraît mériter plus ample réflexion.

Cela dit, j'aime les rencontres inattendues.

Hier soir, je lisais sur un banc, écoutant au casque de la musique comme j'aime. S'assoient à mes côtés deux jeunes filles à l'exubérance méditerranéenne. "Zut", me dis-je, "voilà ma quiétude perturbée". Après un temps, j'enlève mes écouteurs et une des jeunes filles me demande ce que je lisais. La conversation s'engage. Elles sont italiennes, étudiantes Erasmus, l'une en langues, l'autre en économie. Nous parlons de leurs sentiments à propos de Liège et des liégeois puis, surtout, des différences entre l'enseignement universitaire en Italie (Gênes et Naples) et Liège.

Au gré de la conversation, je retiens les quelques observations suivantes:
- en Belgique, les profs sont jeunes; en Italie, ils sont généralement vieux;
- en Belgique, les profs s'investissent dans leurs cours; en Italie, pas;
- en Belgique, les profs remettent un syllabus et utilisent des power points; en Italie, pas;
- en Belgique, le travail personnel est encadré; en Italie, pas;
- en Belgique, les profs sont disponibles; en Italie, pas.

Intéressante conversation.

Arts, mouvement et espace. A propos de Calatrava

Interrogez un habitant, par exemple, de Schlafensiegutensheim, et demandez-lui: qui est Santiago Calatrava? Il vous répondra peut-être: un joueur de football. Les liégeois, eux, savent tous que  Santiago Calatrava est celui qui a conçu leur nouvelle, et superbe, gare des Guillemins.

Une exposition, au Grand Curtius, permet d'en savoir un peu plus sur ce génial architecte. Puissent de nombreux liégeois la visiter.

Voici mes impressions:

1. - quand je vois des choses belles et épurées, je me sens toujours meilleur;
2. - l'exposition explique le parcours du créateur: un réel fugitif qui accroche le regard, un dessin, une sculpture qui donne forme, un projet architectural qui donne de l'espace à la forme, un lieu où les visiteurs ne contemplent pas l'oeuvre de l'extérieur, mais sont au coeur de celle-ci;
3. - l'union de la forme et du mouvement: sculptures ou tableaux bougent chez Calatrava et, ceci me paraît essentiel, il faut du temps pour les découvrir.

On découvre ainsi à quel point l'art met en question les choses les plus importantes. J'en retiens deux, dans le cas présent:
- la nécessité de prendre le temps. La culture de l'instant, de l'urgence, voire de l'extrême urgence, ne produit pas grand chose de bon, je le pense en tout cas ;
- l'épure. Simplifier toujours et encore, pour enfin toucher à l'essentiel. La pensée la plus profonde est celle qui tient en "trois fois rien". De "e=mc2" à "aime ton prochain plus que toi-même", en passant par "connais-toi toi-même".






dimanche 13 juin 2010

Les pensées radicales et le réel

Ce n'est pas dans ma nature de dire pour qui il faut voter, de recommander tel ou tel candidat, et je me suis donc tu. J'ai simplement exprimé, sur Facebook, le profil que chacun devrait pouvoir attendre des candidats auxquels le pouvoir va, somme toute, être accordé. 


Voici comment je me suis exprimé:
"Pour qui voter? D'abord pour des hommes ou des femmes, pas pour un parti. Ensuite, pour des femmes ou des hommes qui ne sont pas liés à une idéologie. Enfin, pour des hommes ou des femmes assez courageux pour dénoncer toute compromission, tout amalgame, toute pensée unique, tout lien avec l'un ou l'autre lobby. Et pour finir, quand il s'agit de candidats qui se représentent, sur la base de leur bilan".


Les réactions que j'ai reçues m'ont laissé entendre qu'aucun candidat ne répond - en quelque sorte, par définition - au profil que j'ai tracé. Si cela est vrai, j'ai encore plus de raison d'être alarmé et de détester les systèmes qui ronronnent sur eux-mêmes et reproduisent à l'infini les mêmes clivages, les mêmes comportements, les mêmes idéologies, les mêmes complaisances, les mêmes débats, les mêmes certitudes.

Pour prolonger cette réflexion, je voudrais faire écho ici à une chronique de Jean-Claude Guillebaud, dans le supplément au Nouvel Observateur "Télé Ciné Obs" (n° 2378, 3 au 9 juin 2010). Il y évoque un "
débat sur la crise" organisé par France inter, le 21 mai 2010, opposant deux personnalités: d'une part, Susan George, présidente d'honneur du mouvement Attac et théoricienne de l'altermondialisme; de l'autre, Philippe Manière, ancien patron du club Montaigne et avocat du libéralisme intégral. Deux grands formats. Deux penseurs. De quoi rompre avec le jeu des politiques.

La finale de cette chronique est particulièrement intéressante. Je vous la soumets:
"
Le désaccord se révéla abyssal entre les deux intéressés. Crise ou pas, chacun campa sur ses positions. Demorand (l'animateur du débat)s'en étonna et demanda à Manière s'il se sentait toujours "droit dans ses bottes". L'intéressé acquiesca illico. Au total, la qualité du débat nous permit de prendre la mesure d'une stupéfiante réalité cognitive: les croyances radicales résistent toujours aux démentis du réel, fussent-ils cinglants. Souvenons-nous: dans les années 1960, les marxistes expliquaient le désastre économique des pays de l'Est en assurant que ces derniers n'étaient pas encore "assez communistes". Aujourd'hui, ce sont les libéraux qui justifient les échecs répétés du système planétaire en nous disant - comme le fit Manière ce matin-là - "qu'on n'était pas encore allé assez loin dans la voie du libéralisme".

"Mamma mia!", comme s'exclame, le chroniqueur (que j'apprécie).

Que conclure? Le défi est colossal. Il nécessite, dans le bien de l'humanité tout entière, une autre manière de penser le monde des hommes, leurs rapports entre eux et leur rapport à la planète. La mondialisation que nous connaissons aujourd'hui n'est pas la bonne, j'en suis convaincu. Je ne souhaite pas non plus un nouveau prophète. Il y a toujours eu de vrais prophètes et de faux prophètes. Je fais dès lors le pari suivant: partir de la base, des relations quotidiennes, de la découverte de l'autre, du partage des cultures, de la mise en commun de ce qui rassemble et pas de ce qui divise, arriver à ce que l'autre ne soit plus perçu comme un ennemi ou un adversaire, mais comme un compagnon de fortune et d'infortune.



Utopie, me dire-vous? Bien entendu. Mais le moment n'est-il pas venu de formuler de nouvelles utopies, c'est-à-dire un nouveau but pour le monde. Le "tout à l'économie" a fait son temps et, s'il a à son actif quelques réussites, a fait aussi la preuve de ses limites et de ses inacceptables dérives. Il faut donc de nouveaux paradigmes, une autre vision. L'investissement prioritaire de demain doit être dans la culture et dans l'éducation. Dans le partage des cultures et des traditions. Mais surtout pas un modèle uniformisé! Tout ce qui unit fait avancer. Tout ce qui divise fait régresser. Mais, là gît le paradoxe, c'est la diversité même qui est richesse. Et si l'on substituait à la croissance la sagesse?

vendredi 11 juin 2010

Sondages

Glanés dans la presse de ce jour, quelques sondages méritant que l'on s'y arrête un instant.

1. - D'après un sondage IFOP, de plus en plus de nos voisins français sont prêts à accueillir leurs voisins wallons, si d'aventure les Flamands rompaient le pacte belge. 3 Français sur 4 même, dans les régions limitrophes de la Belgique: le Nord, le Pas-de-Calais, les Ardennes. Je me rappelle ainsi une conversation avec un couple de Charleville-Mézières, sur un bateau entre Saint Malo et le Cap Fréhel. Ils m'expliquaient que leur fille était inscrite aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur. C'était l'université la plus proche et la plus immédiatement accessible pour eux. Que représentent encore les frontières aujourd'hui? A fortiori, une frontière linguistique.

http://www.francesoir.fr/europe/les-francais-massivement-prets-adopter-les-belges-francophones

2. - Avant même qu'il ne commence, 54,4 % des 871 votants au sondage organisé par le journal Le Soir, en ont "déjà marre" que le Mondial (de football) truste  les media pendant un mois. 22,6 % s'en réjouissent. Avec la marge d'erreur propre à tout sondage, comment interpréter celui-ci?

Quelques pistes totalement subjectives:
- les amateurs de foot ne voient pas l'intérêt de répondre à un sondage, et encore moins à un sondage sur le foot;
- les amateurs de foot ne lisent pas Le Soir, voire ne lisent pas du tout;
- plus de la moitié des citoyens ne trouve plus aucun intérêt aux programmes proposés par les télévisions;
- le foot étant un sport populaire, la Belgique compte une élite intellectuelle réfractaire au foot particulièrement élevée;
- il y a plein d'homos qui ont répondu à ce sondage. Ceux-là, ils n'arrêtent pas de fausser les statistiques.

Quant à moi, je me réjouis de plus en plus de faire partie de ceux qui ne regardent pas la télé et attends avec impatience le soir de la finale, où je pourrai goûter en quasi solitaire deux heures de paix totale, au bord de la Meuse, un livre à la main.

3. - Un panel de jeunes a été appelé à se prononcer sur l'homme politique "le plus cool" de Flandre et de Wallonie. Le résultat est inattendu: Bart De Wever, au nord; Michel Daerden, au sud. Le gouvernement des "cools" (à prononcer à l'anglaise, bien entendu ...) est plein de promesses. Où les jeunes (les "djeuns") ont-ils la tête?

http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2010-06-10/daerden-et-de-wever-les-plus-cool-775452.php

mardi 8 juin 2010

Dazibao

Ce matin, en sortant de chez moi, j'ai découvert sur tous les immeubles du quai de Gaulle, où j'habite, donc aussi sur le mien, une affiche. Un candidat aux élections, dont l'équipe de colleurs aurait manifesté un peu trop de zèle? Non. Pas vraiment.

L'affiche était la suivante:





Voilà une initiative individuelle -  je le suppose -  qui ne manque pas de susciter un grand nombre d'interrogations.

Réflexe de prof, ma première réaction a porté ... sur l'orthographe défaillante du message: "Dégager". Alors que l'auteur se voulait assurément impératif, il parle à l'infinitif. Mais, je ne m'étonne plus de rien. Un jeune homme liégeois, qui sévit sur Facebook et a appartenu à presque tous les partis de l'échiquier politique, ne pensait-il pas en toute bonne foi que, si l'on veut être "discret", il faut être "discrétionnaire".

Est-il légal, même si on est en colère, d'utiliser des immeubles privés comme support de sa colère? L'affichage électoral est réglementé, l'affichage citoyen serait-il "hors norme"? Il se pourrait même que l'auteur des affiches soir le premier à râler sur les tags. Sa manifestation d'humeur, j'en conviens, est moins indélébile que celle des "taggeurs",  mais elle relève d'un comportement semblable: utiliser le bien d'autrui pour s'exprimer. 

Sur le fond, il y a en effet, à nouveau, quai de Gaulle à Liège une concentration de dealers et de drogués au-delà de la normale, et peut-être de l'acceptable. Ont-ils lu l'appel qui leur était intimé par les affiches apposées? En d'autres termes, la réaction du citoyen colleur d'affiches était-elle adaptée? Une pétition, une lettre au commissariat de quartier n'auraient-elles pas été plus utiles? L'impunité qui entoure ce trafic et ses "à côtés" est-elle normale? Est-il acceptable de croiser en rue, en se promenant, des individus qui se piquent au vu et au su de tous? On ne voit guère en tout cas de présence policière. 

On pourrait être tenté de faire une différence entre les dealers et leurs clients. Il y aurait des profiteurs criminels et des victimes. Les rôles sont moins définis que cela. Les comportements délictueux doivent être poursuivis. Et les victimes aidées et soignées. En matière d'assuétude, il convient en effet toujours de parler de victime ou de maladie. Comme pour le cancer. On ne devient jamais "accro" à l'alcool, à la drogue, au jeu ... par choix. Existe-t-il une assuétude à l'argent?

Plus fondamentalement encore, se pose la question de la cohabitation dans un même espace de populations différentes dont certaines sont perçues, à tort ou à raison, comme différentes, dangereuses, marginales, heurtantes ... J'ose espérer ne jamais voir quai de Gaulle, à Liège, d'autres affiches que je préfère ne pas imaginer. 

Concernant le Dazibao, voici ce qu'en dit Wikipedia:


Le dazibao (chinois traditionnel 大字報, chinois simplifié 大字报, pinyin dàzìbào, littéralement « journal à grands caractères ») en Chine est une affiche rédigée par un simple citoyen, traitant d'un sujet politique ou moral, et placardée pour être lue par le public.
Journaux affichés, Pékin, 2005
L'expression de l'opinion publique par l'affichage est une tradition de la Chine impériale. Les voyageurs rapportent que les citoyens mécontents écrivaient ou imprimaient des affiches pour critiquer l'administration du magistrat impérial, qui étaient placardées dans la ville et jusque dans la rue devant le tribunal, siège du magistrat. Le peuple se rassemblait autour des affiches pour les commenter1.
C'est en 1966, avec la révolution culturelle lancée par Mao Zedong que les dazibao refirent leur apparition en Chine. Un des éléments clés de la révolution culturelle fut la publication de dazibao le 25 mai 1966 par Nie Yuanzi et d'autres à l'Université de Pékin, affirmant que l'université était contrôlée par la bourgeoisie antirévolutionnaire. La lecture de ces textes par de jeunes étudiants comme Xing Xing Cheng les conduisirent à participer à la révolution culturelle et rejoindre les gardes rouges. L'affiche est venue à l'attention de Mao Zedong, qui l'a diffusé nationalement en la publiant dans le Quotidien du peuple. Les dazibao furent bientôt très répandus, utilisés pour tout, du débat sophistiqué au divertissement satirique à la dénonciation enragée ; être attaqué dans une affiche de grand-caractère était suffisant pour mettre fin à une carrière. Réalisées à la main, ces affiches couvrirent d'abord les murs de Pékin avant de gagner les provinces. Ce média illégal et spontané véhicula l'information non-officielle et eut l'audace d'attaquer les autorités du pays.
Un des « quatre grands droits » dans la constitution d'état de 1975 était le droit d'écrire un dazibao.
Une nouvelle floraison eut lieu après la fin du maoïsme, lors du mouvement du mur de la démocratie en 1978 à Pékin; un des plus célèbre dazibao fut La cinquième modernisation, dont l'appel hardi à la démocratie a apporté une renommée immédiate à son auteur, Wei Jingsheng. La répression finit par mettre fin à cette presse libre à la fin de l'année 1979



mardi 1 juin 2010

Prendre de la hauteur

Paradoxalement, on n'approfondit bien un sujet que si on prend par rapport à celui-ci de la hauteur. Certes, l'analyse au scalpel jusqu'au détail du détail a son intérêt en soi. Elle plaît beaucoup aux juristes. S'il ne fait pas de doute qu'elle puisse donner des arguments aux plaideurs, elle est généralement insuffisante pour inspirer une réforme digne de ce nom. Quant aux politiques, non seulement la plupart d'entre eux manquent singulièrement de hauteur de vue, mais, lorsqu'ils font mine de ne pas s'attarder aux détails, c'est généralement pour s'abriter derrière des slogans. En période électorale, c'est le cas en Belgique pour le moment, ceux-ci sont tellement creux qu'ils font bien peu de cas de l'intelligence des citoyens. Le candidat dont le slogan de campagne est actuellement "Tout le monde aime papa" bat évidemment tous les records.

C'est toujours avec satisfaction que je lis les auteurs qui préfèrent les grands mouvements de fond à la réaction immédiate. Je lis ainsi avec beaucoup d'intérêt les réflexions que proposent Amin Maalouf, dans un essai paru fin 2009: Le dérèglement du monde (Grasset). Dans une campagne électorale belgo-belge, qui restera dans les annales par sa brièveté et par le désintérêt qu'elle suscite chez le citoyen, je ne résiste pas à l'envie de reproduire le passage suivant:



"Pour toute société, et pour l'humanité dans son ensemble, le sort des minorités n'est pas un dossier parmi d'autres; il est, avec le sort des femmes, l'un des révélateurs les plus sûrs de l'avancement moral ou de la régression. Un monde où l'on respecte chaque jour un peu mieux la diversité humaine, où toute personne peut s'exprimer dans la langue de son choix, professer paisiblement ses croyances et assumer sereinement ses origines sans encourir l'hostilité ni le dénigrement, que ce soit de la part des autorités ou de la population, c'est un monde qui avance, qui progresse, qui s'élève. A l'inverse, lorsque prévalent les crispations identitaires comme c'est aujourd'hui le cas dans la grande majorité des pays, au nord de la planète comme au sud, lorsqu'il devient chaque jour un peu plus difficile d'être sereinement soi-même, de pratiquer librement sa langue ou sa foi, comment ne pas parler de régression?" (p. 69).