Ils ont trouvé les mots.
J'aurais aimé les trouver aussi.
Comme ils ont dit ce que j'aurais voulu dire,
permettez-moi de vous le dire,
avec leurs mots à eux.
Ceci est l'amorce de réflexions que je voudrais suggérer sur l'enseignement/l'enseignant, leur rôle, leur finalité.
Diriger un concert ... "C'est la chose la plus difficile au monde qu'il m'ait été donné de tenter. Tout est à l'oeuvre: le corps, les mains, le bras, la tête, les yeux, l'intelligence, la mémoire, la sensibilité. Tout se joue dans le travail, d'abord seul avec les partitions, puis en répétition, pupitre par pupitre, puis en concert, où le chef danse avec l'orchestre, dans un acte d'amour et de confiance réciproque: nul n'est rien sans l'autre. Je n'ai un peu compris de ce métier qu'en saisissant l'importance du regard sans cesse échangé entre le chef et ceux des musiciens dont il attend quelque chose dans la seconde qui suit. Et alors la joie est indicible: la musique ainsi vécue est tout autre que celle qu'entend le spectateur. Elle est fragile, vivante, mortelle. Elle m'aide en tout cas à m'approcher de l'essentiel, c'est-à-dire la beauté".
A propos de l'invention de la perspective (dans la peinture): "... la perspective n'est pas une découverte. On a découvert l'Amérique parce qu'elle existait au préalable; la perspective, elle n'existe pas avant qu'on l'invente. Quand on entend dire que les italiens découvrent la perspective, cela sous-entend qu'elle existait déjà. Non, c'est une invention, et un système de représentation parfaitement arbitraire qui a été inventé par toute une société sur près d'un siècle ... Quelle est la fonction de ce système de représentation tellement arbitraire? Une perspective ... cela suppose un spectateur immobile, fixé à une certaine distance de ce qu'il regarde, et le regardant avec un seul oeil. Cela n'a rien à voir avec la façon dont nous percevons: nos yeux n'arrêtent pas de bouger, même lorsqu'on fixe quelque chose, je crois que la science moderne a montré que l'oeil n'arrête pas de scanner autour du point fixé mais n'est jamais immobile. Or la perspective suppose un oeil absolument immobile, un seul oeil, et absolument pas le mouvement des deux yeux qui balaieraient le champ. Il faut se rappeler que cette invention d'un système aussi arbitraire que la perspective centrée monofocale n'est pas la seule hypothèse. Pourquoi l'emporte-t-elle? Il y avait d'autres systèmes de perspective parfaitement efficaces à l'époque ... un système de perspective bifocale centralisée: il n'y a pas un mais deux points de fuite, qui correspondent à chacun des deux yeux ... il y avait encore deux autres systèmes tout à fait excellents: le bifocal latéralisé de Pablo Uccelo, où l'on suppose un point de fuite à l'extrême gauche, parce que le regard se porte à l'extrême gauche, et puis un autre point de fuite à l'extrême droite parce que le regard se porte à l'extrême droite, et entre les deux on organise les lignes de fuite, mais les foyers de ligne de fuite sont l'extrême droite et l'extrême gauche. Enfin, il y a le système de Fouquet, "français" entre guillemets puisque cela ne voulait pas dire grand chose à l'époque. Lui, il met au point une perspective tournante, c'est-à-dire convexe: l'espace et les pavements, les plafonds, viennent vers le spectateur par le milieu et repartent vers le fond sur le côté; ils viennent du fond et repartent vers le fond ... Un historien qui s'appelle Schwartz a fait l'hypothèse, que je crois très convaincante, selon laquelle ce système de perspective circulaire convexe vient du fait qu'à l'époque, pour peindre, on avait très souvent dans les ateliers des miroirs, dans lesquels on regardait la réalité, parce que finalement le miroir fait le tableau. Et ces miroirs étaient convexes, le miroir plat étant postérieur au miroir convexe. Donc, la perspective convexe était proche de l'expérience des miroirs de l'époque...". Et aussi ceci, "on observe alors (dans la peinture) des processus équivalents à ceux qu'on observe en histoire des sciences. Il est extrêmement intéressant de pouvoir utiliser certains modèles d'interprétation élaborés par l'histoire des sciences pour voir s'ils permettent de mettre au clair certaines transformations artistiques qui sans cela ne sont pas vraiment compréhensibles".
A propos des priorités, "Qui est professeur dans l'âme ne prend nulle chose au sérieux qu'en rapport à ses élèves - lui inclus".
Quant au courage, "(dans nos société individualistes, le courage) ne sert à rien, du moins très souvent dans le court terme ... C'est l'anti-réussite. Car le courage est sans victoire. Ce n'est pas parce que vous avez été courageux que vous le serez demain ni que vous "réussissez". Dans le courage, ce qui compte, c'est l'acte lui-même, pas ce que vous obtenez. Seulement, si le courage ne s'occupe pas de votre réussite sociale, il s'occupe de votre salut. Sur le long terme, le prix du non-courage est bien plus élevé que celui du courage. Car le courage fait de vous un sujet, l'agent de votre vie. A force de démissionner chaque jour, d'accepter ce qui semble inique, on se corrode. L'érosion est un mal qui détruit le sujet clandestinement. Au final, on croit qu'avoir "souci de soi" c'est passer entre les gouttes, être le cavalier seul de l'absence de morale de notre système. Mais le courage est le plus sûr "souci de soi" et ce qui protège l'individu des abus des autres et de ce monde".
C'est délibérément que je n'ai pas cité mes sources, pour titiller la curiosité. Les voici, dans l'ordre:
- Jacques Attali, Le Nouvel Observateur (17-23 juin 2010), dans le dossier intitulé "L'orchestre national";
- Daniel Arasse, Histoires de peinture, éd. Denoël, 2004 (paru également, dans la collection Folio essais);
- Nietzsche, Par-delà bien et mal, section 4, § 63, cité par mon collègue Nicolas Thirion ... sur Facebook;
- Cynthia Fleury, La fin du courage, Fayard, 2010.
D'autres réflexions viendront, je le promets.
Asphalt Jungle, un podcast littéraire à découvrir !
Il y a 11 mois
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.