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mercredi 27 avril 2011

La plus grande supercherie et moi

Je trouve parfois les athées, et plus généralement les laïcs, fatigants.

Ils ont beau trouver les passions selon saint Mathieu et selon saint Jean de J.S. Bach sublimes, au point de les faire un peu douter de leur athéisme, ils n'en restent pas moins toujours les mêmes: ils éprouvent le besoin d'évoquer une "supercherie", "géniale" néanmoins puisque, sans elle, la création artistique ne représenterait pas grand chose ... Il aura donc fallu à des générations d'artistes une supercherie pour se trouver inspirés et féconds. Sinon, nous n'aurions à contempler que des natures mortes.  Cela fait douter des capacités réelles de l'esprit humain "hors la supercherie" et, à tout prendre, je préfère la supercherie. Encore faut-il s'entendre sur les mots.

Ce que je trouve fatigant, c'est de devoir subir la moquerie, les sarcasmes et parfois le mépris (même  quand ils sont légers ou gentiment ironiques) et d'avoir néanmoins l'envie d'expliquer à qui ne veut pas entendre. Car, ne nous y trompons pas, dans certaines couches de la société  (il s'agit toujours des moins et des plus cultivées, ainsi étrangement réunies) se définir comme un être religieux vous fait très vite passer pour une espèce de demeuré, de crédule ou de manipulé. Comment peut-on trouver en effet un sens à sa vie dans une supercherie?

Je vais, une fois encore, essayer de répondre le plus simplement possible au nom de ceux qui ne trouvent pas absurde d'être religieux.

Après avoir fait le ménage avec ce qui relevait directement de mon éducation - elle a été, il est vrai, catholique et non laïque - et cherché longuement, par des lectures, des expériences de vie et des rencontres avec des gens de toute sortes, j'ai acquis la conviction suivante.

Une petite part de moi m'échappe; elle ne m'appartient pas tout à fait. Il arrive qu'elle soit touchée et devienne alors plus réelle, perceptible. Les occasions, en ce qui me concerne, ont été multiples: nature, musique, silence, oeuvres d'art, rencontres et même, au risque de choquer, expériences sexuelles. Qu'y a-t-il de commun entre toutes ces occasions? L'expérience d'un élargissement de mon être me conduisant au-delà de ce que je vivais, et connaissais de moi, et - ceci est le plus important - la conviction instantanée que ce n'était pas achevé, qu'il resterait toujours, quel que soit le nombre des expériences faites, un au-delà encore à découvrir et qui ne demande qu'à vivre.

Une autre chose m'a frappé: ces expériences-là m'ont globalement rendu heureux. Ces dépassements et ces incursions dans les zones méconnues de mon être ne m'ont pas angoissé; je me sentais plutôt libéré: elles me rendaient confiant, serein, plus vivant, guilleret même, comme peut l'être un amoureux. Quand ces symptômes n'étaient pas au rendez-vous, je faisais généralement fausse route.

S'agissait-il seulement d'émotions? J'ai beaucoup réfléchi à cela. Des émotions auraient-elles trahi ma raison? Je n'arrive pas à trancher, en l'espèce, entre l'émotion et la raison. Car cela se situe entre les deux, comme la "Voie du juste milieu" ... Il s'agissait, disons, d'expériences existentielles.

Un beau jour, j'ai décidé que cette part intime de moi-même, toujours à découvrir, était mon chemin vers Dieu. Il faut bien donner un nom à une expérience qu'on pressent sans limite. Et celui-là m'a paru le plus adéquat. Dieu est peut-être une supercherie, mais je n'ai pas encore trouvé d'autre mot. Et je me suis dit que ceux qui ont parlé de Dieu avant moi n'avaient pas tort quand ils disaient que "Dieu est amour". Cela correspondait à mon expérience.

Je dois dire que ma foi ne suit pas toujours les chemins du catéchisme. Si l'homme n'est rien sans Dieu, Dieu n'est rien sans l'homme. La religion est donc pour moi avant toute chose un cheminement vers le plus profond et le plus intime de notre être. Car c'est là que nous attend la rencontre avec nous-même, tel que Dieu nous voit, pourrait-on dire. Cela suppose de se dépouiller de beaucoup de choses, différentes pour chacun. Etablir, rationnellement ou scientifiquement, que le monde n'avait pas besoin d'un dieu pour advenir ne m'intéresse pas, car cela ne change rien.

J'aurais pu peut-être trouver dans le bouddhisme une expression de ma foi, mais pourquoi chercher ailleurs ce qui m'a été offert depuis toujours?

Oui, je me trouve en adéquation avec la religion chrétienne.

Il faut d'abord lever un obstacle: ce que Jésus a dit et donné au monde n'a souvent rien à voir avec le discours de l'Eglise (des Eglises, faudrait-il dire). Les hommes sont ainsi faits qu'en toute chose ils créent des institutions et toute institution finit par trahir ce qui la fonde. C'est une loi universelle. Faisons donc fi de l'Eglise institutionnelle, celle qui par ses paroles, aussi bien que par ses silences, faillit plus souvent qu'il ne faudrait à sa mission. Les hommes d'Eglise, surtout ceux qui ont un rang dans la hiérarchie (la hiérarchie: quelle horreur dans un tel contexte!) ou sont appelés à communiquer, ont plus que les autres peut-être beaucoup à apprendre de l'évangile.

Jésus n'a pas seulement dit des choses sublimes (les Béatitudes, par exemple). Il a surtout été le premier à avoir fait absolument le chemin jusqu'au plus profond de lui-même, chemin auquel il nous invite tous. Il n'y avait plus de différence entre lui et le Père au moment où il a rendu l'âme. Tout était accompli. Il était donc allé au fond de lui-même, là où est Dieu. Il était unifié. La résurrection, après cela, semble un détail, un symbole. Car, jusqu'à la résurrection, qui reste un mystère, la voie, pour nous, est plausible. Abraham avait été invité, avant Jésus, au même pari, mais il ne devait pas être tout à fait prêt; au dernier moment, la main de Dieu a fait obstacle pour le conduire vers d'autres destinées.

Il faut vivre les offices de la semaine sainte pour comprendre cela, car rien de notre condition humaine n'est oublié.

Une fois encore pourtant, il faut déconstruire les préjugés, les attaques classiques. Notamment, il faut oublier à tout jamais l'idée de rédemption: la mort de Jésus n'est en rien un rachat exigé par le Père pour expier le péché originel. Beaucoup de choses, en chrétienté, seraient restées pures sans Saül de Tarse, dit Paul. Il faut le dire, car c'est précisément sur des points de foi comme ceux-là que les chrétiens se voient harponnés par les plus sceptiques, et le conflit de sensibilité déjà présent aux premiers siècles, parmi les chrétiens eux-mêmes, existe toujours aujourd'hui. Y aurait-il dans l'Eglise catholique (qui se prétend pourtant "une, sainte, catholique et apostolique"), au-delà des courants nouveaux liés au monde moderne, des "pauliniens" et des "johannites"? Entre celui qui a tout fait pour être  reconnu comme apôtre, après coup, et celui que Jésus aimait (Jean le lui rendant bien), mon choix est vite fait. Seul, celui qui a aimé et été aimé me paraît digne de confiance, puisque c'est de cela qu'il s'agit. Paul a écrit de belles choses, d'autres fort alambiquées et d'autres encore qui font problème à qui veut être croyant aujourd'hui ... et puis, beaucoup de choses sans intérêt.

Célébrer la semaine sainte, pour un chrétien, c'est se rappeler, à l'exemple de Jésus, ses engagements, ses doutes, ses peurs, ses moments de noirceur; c'est se rappeler une attitude, celle de l'humilité, lors du lavement des pieds; c'est ne pas oublier que la lumière n'existerait pas sans la nuit et accueillir la lumière aussi; c'est croire qu'aucun chemin n'est fermé, qu'il est toujours possible d'aller plus loin; c'est affirmer que pour vivre plus, il faut parfois faire mourir en soi certaines choses; c'est réaliser qu'on n'est pas seul à adhérer à cette conviction. C'est aussi donner du sens à des gestes, à des rites, à des symboles qui ne sont en rien grotesques et sont même éternels: le feu, la lumière, l'eau, la renaissance ... Le sens et l'absence de rites font, à mon avis, défaut aux psychothérapies qui poursuivent pourtant tellement les mêmes valeurs et les mêmes buts.

Non, les chrétiens ne fêtent pas à Pâques une résurrection désincarnée, pour l'au-delà, ce serait absurde, il affirment la conviction d'un certain cheminement bien concret pour aujourd'hui qui sera parsemé de morts et de résurrections successives au coeur de la vie de chacun d'entre eux.

Pour ceux - y en aura-t-il? - qui veulent aller un peu plus loin, deux homélies:

- celle de Frère Etienne, à propos de la lecture de la passion, le jour des Rameaux.










Les Rameaux:

J’aimerais vous convaincre, si vous ne l’êtes déjà, que le texte que nous venons d’entendre, ce long récit de la passion de Jésus, n’a rien d’une exaltation de la souffrance. Dieu n’a pas besoin de la souffrance de son Fils pour nous libérer. Le supplice de Jésus n’est pas le prix fixé par son Père des cieux, pour nous racheter. Comprendre la passion de Jésus de cette façon-là nous condamne, je pense, à nous la rendre totalement étrangère et à ne rien saisir de ce qui y est en jeu. 
La souffrance brute, le mal ou, pour le dire autrement, ce qui fait mal, la Bible n’en donne pas le sens, car peut-être, tout simplement, elle nous conduit à prendre conscience que cela n’a pas de sens ! Même pour Dieu ? Oui, je crois profondément que même pour Dieu, ce qui fait mal est d’abord absurde.
Le mal qui touche l’être humain est comme un abîme qui engloutit tout, qui prend toute la place et dans lequel il semble qu’on se noie. Mais cet abîme de douleur excessive peut devenir, de façon surprenante, le lieu inattendu, mystérieux, où le sens même d’une existence se dévoile, où se révèle aussi le sens de l’existence d’un Dieu infiniment proche, capable de rejoindre celui qui se voit presque détruit pour lui donner accès à une lumière dont il n’avait même pas idée. Cet abîme de douleur qui appelle l’abîme de l’amour sans limite de Dieu, selon les termes du psaume 41, voilà peut-être ce qui se révèle en Jésus sur la croix, et qui nous donne à contempler la profondeur du pourquoi de chaque vie, et combien, pour citer un autre psaume, elle est chère et précieuse aux yeux de Dieu (psaume 15).
Jésus est venu établir l’Alliance nouvelle annoncée et mise en route par les vieux prophètes d’Israël, commencée et ouverte au mont Sinaï, mais dont la portée, si on la prend vraiment au sérieux, acquiert tout à coup une dimension inattendue et pour tout dire, explosive. La force, l’énergie vitale du Royaume des cieux que Jésus annonce et inaugure, vient mettre en question les certitudes les mieux établies, les évidences et les sécurités les mieux verrouillées, interpelle enfin nos ambiguïtés les mieux refoulées. De ce point de vue, l’annonce lumineuse du Royaume spirituel dont Jésus est la clef prophétique, affronte de plein fouet l’obscurité humaine et la menace dans ses fermetures, ses refus, ses illusions et ses valeurs.
On comprend que Jésus ait payé de sa vie les déchirures libératrices qu’il a provoquées. Cela allait trop loin et plus que probablement, il a jaugé les conséquences de son action, avant de l’assumer jusqu’au bout et d’en faire le lieu crucial de son message. On lui a pris sa vie, mais il l’a aussi donnée. C’est ce qu’on peut en effet appeler sa passion : La souffrance mortelle qui lui fut infligée, mais aussi, et sans doute d’abord, cette passion qui l’animait pour ce renouveau de vie de l’humanité, l’offre faite à tout homme de cette plongée vertigineuse en Dieu, celui que Jésus appelait familièrement son Père, et qu’il nous a appris à nommer ainsi, comme il le faisait.
Jésus vivait de cette passion de Dieu pour un monde plus humain. Pas un peu plus humain, ce qui n’aurait déjà pas été si mal : un monde vraiment humanisé, totalement, infiniment, éternellement, divinement humanisé, à la mesure même d’un Dieu sans mesure et qui seul a le secret de la source de toute humanité. Voilà ce que Jésus croyait, ce qu’il savait, ce pour quoi il était prêt à donner sa vie, sans compromis possible. Voilà la Présence divine qui en lui se laissait voir au cœur des histoires de nos finitudes, et les transfigurait.
Ainsi, le chemin de Jésus, jusqu’à la croix, dit Dieu, dit sa passion d’amour pour chacun d’entre nous. Car il s’offre encore à nous et nous invite, nous qui avons mis en lui notre confiance, à construire avec lui ce chemin extraordinaire et risqué qui fait de nous, à notre tour, de nouveaux christs, des filles et des fils du Père, définitivement, éternellement.

- celle de Frère Pierre, pour le Jeudi-Saint (inspirée par Jean Vanier)











Jeudi Saint :

Avant ce passage du lavement des pieds dans l’évangile de saint Jean, Jésus était apparu fort : il avait fait des miracles, il avait guéri des malades, il a commandé aux vents et à la mer, il a parlé avec autorité aux scribes et aux pharisiens, il est apparu comme un grand prophète, même le Messie pour certains. Le Dieu de la force était avec lui. Les gens le suivaient de plus en plus pensant qu’il allait sauver Israël… Tous se demandaient ce qui allait se passer à la Pâque, ils attendaient un événement spectaculaire. Mais au lieu de faire quelque chose d’éclatant, Jésus descend dans la faiblesse, il se laisse vaincre. Et les jours que nous vivons expriment cette descente dans la souffrance, la crucifixion et la mort.
On a du mal  à entrer dans la réalité d’un Dieu qui se met à genoux devant nous. Jésus est en train de manifester un rapport nouveau entre Dieu et nous. Et c’est ce rapport nouveau qu’il est venu nous dire en nous lavant les pieds, en nous partageant son corps et son sang.
Dans l’eucharistie comme dans tous les sacrements, il veut résider en nous. Dieu nous donne son corps pour être en communion avec lui. On ne peut pas comprendre l’Eucharistie si ce n’est pas en lien avec le lavement des pieds des pauvres. Il y a un lien entre recevoir le corps de Jésus et laver les pieds des pauvres. Le corps de Jésus que nous mangeons nous met en communion avec lui et avec nos frères et nos sœurs dans le service. Jésus ne donne pas quelque chose, ni même un enseignement, il se donne.
Pierre ne supporte pas cette vision de Dieu, d’un Dieu qui se met à genoux. Comment allons-nous accueillir un Dieu qui se met à genoux ?
Pierre représente un peu le cri de l’humanité en face de l’évangile.
Il pense que Jésus devrait être vu comme un chef, un libérateur, quelqu’un qui a autorité, il ne supporte pas l’idée d’un Jésus faible qui a besoin de nous.
Jésus veut vivre en nous. Comment nous laisser trouver par lui ?
En touchant notre corps, Jésus révèle à chacun qu’il est plus beau que ce qu’il croyait. Ton corps est le temple de Dieu et l’Esprit Saint habite en toi. Jésus à genoux, ce n’est pas du théâtre, mais une révélation.
En nous partageant son corps, Jésus fait corps avec nous et en nous lavant les pieds, il souligne le côté sacré de chacun. Nous serons bientôt prêts à marcher avec lui vers le calvaire. Restons ensemble et ne le quittons pas des yeux.



1 commentaire:

  1. si bien écrit, comme d'habitude...
    Et belle homélie du jeudi Saint (elle me parle plus que la première) ; merci de nous faire partager vos réflexions !

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