J'aime les livres qui me font rêver et ceux qui me font réfléchir.
Dans la première catégorie, j'ai relu récemment avec émotion le roman de Jean Giono "Que ma joie demeure" (1934).
C'est en lisant ce roman, à l'âge de 17 ans, que j'ai compris ce qu'était la poésie, à travers les mots suivants:
- Tu te souviens, dit Bobi, de la grande nuit ? Elle fermait la terre sur tous les bords.
- Je me souviens.
- Alors, je t'ai dit : " Regarde là-haut, Orion-fleur-de-carotte, un petit paquet d'étoiles ".
Jourdan ne répondit pas. Il regarda Jacquou, et Radoulet, et Carle. Ils écoutaient.
Et si je t'avais dit "Orion" tout seul, dit Bobi, tu aurais vu les étoiles, pas plus, et des étoiles, ça n'était pas la première fois que tu en voyais, et ça n'avait pas guéri les lépreux cependant. Et si je t'avais dit : " fleur de carotte ", tout seul, tu aurais vu seulement la fleur de carotte comme tu l'avais déjà vue mille fois sans résultat. Mais je t'ai dit : " Orion-fleur de-carotte ", et d'abord tu m'as demandé : "Pardon ? " pour que je répète, et je l'ai répété. Alors tu as vu cette fleur de carotte dans le ciel et le ciel a été fleuri.
- Je me souviens, dit Jourdan à voix basse.
- Et tu étais déjà un peu guéri, dis la vérité.
- Oui, dit Jourdan.
Bobi laissa le silence s'allonger. Il voulait voir. Tout le monde écoutait. Personne n'avait envie de parler.
De cet Orion-fleur-de-carotte, dit Bobi, je suis le propriétaire. Si je ne le dis pas, personne ne voit ; si je le dis, tout le monde voit. Si je ne le dis pas, je le garde. Si je le dis, je le donne. Qu'est-ce qui vaut mieux ?
Ce passage m'a beaucoup marqué. Je me sentais alors une âme de Bobi, aujourd'hui encore d'ailleurs.
J'ai relu aussi, cet été, un très beau roman de Yves Simon, Le prochain amour, Grasset, 1996, lu pour la première fois il y a quinze ans.
Des passages de ce roman m'ont marqué à vie :
Il est de toute évidence que celui qui aime le plus vit en permanence avec une douleur qu'il s'oblige à accepter, mais n'a de cesse de retrouver l'énergie et le pouvoir de la faire disparaître.
L'amour, c'est du plaisir et de la souffrance. Evidemment, si l'un envahit l'autre, on s'écarte de la vie et de l'amour ...
... un telle rencontre des corps est rare. Fusionnelle, magique, elle nous surprenait autant qu'elle nous effrayait, et lorsque nous apercevions que le jour avait baissé, qu'il s'était déroulé pour tout l'univers, sans nous, nous défaisions nos bras et nos jambes l'un de l'autre comme des jumeaux tristes, malheureux d'avoir à continuer de vivre séparés, éloignés, elle et moi, d'un gouffre d'à peine quelques centimètres ...
Parmi mes lectures plus sérieuses, il en est deux que je souhaite mentionner. J'aime assez les penseurs chrétiens qui se situent un peu à la marge. J'ai déjà parlé sur ce blog de Marcel Légaut et d'Eugen Drewermann.
Deux petits livres ont retenu mon attention, cet été.
Maurice Bellet, Dieu, personne ne l'a jamais vu, Albin Michel, 2008. Cela tranche rigoureusement avec le cri d'André Frossard, journaliste et écrivain français, qui a écrit un livre, en 1969, intitulé "Dieu existe, je l'ai rencontré".
Maurice Bellet est psychanalyste, théologien, prêtre et dominicain.
Le propos de son ouvrage, qu'il qualifie de "petite théologie à grande vitesse " n'a qu'une fonction : désencombrer, défaire les préjugés de tous genres, du même coup ouvrir l'espace de parole où " ce qu'il en est de Dieu " puisse être abordé librement. Librement, c'est-à-dire : " de cette liberté de pensée qui n'est pas le droit de penser n'importe quoi, mais recherche inconditionnelle de la vérité".
- Qu'est-ce que vous cherchez ?
- Je n'ose le dire.
- Qu'est-ce que vous cherchez ?
- Je ne peux le dire - c'est impossible.
- Qu'est-ce que vous cherchez ?
- Dieu.
- Savez-vous ce qu'il est ?
- Non.
- Savez-vous du moins comment le trouver ?
- Non.
- C'est donc une quête désespérée ..
- Non.
- Comment, si vous ne savez le trouver ?
- Le chercher, c'est le trouver. Ainsi parlent les vieux maîtres.
- Ah ! Vous voici rassuré. Vous l'avez trouvé.
- Non.
- Comment cela ?
- Le trouver, c'est le chercher.
- Encore la parole des vieux maîtres ?
- Oui.
- Supposons que vos projets aient un sens. A quoi peuvent-ils aboutir ? Au silence ?
- Oui.
- Alors, la parole meurt ...
- Non. Le silence est frère de la parole, la parole est soeur du silence.
- Eh bien, parlez !
- J'en dirai ce que je peux dire, et comme de biais, et provisoirement, et dans le sentiment irrépressible de passer outre à la limite qui s'impose aux humains.
- Mais il le faut, n'est-ce pas ?
- Sans doute.
- Ainsi espérez-vous vous perdre en Dieu, loin du tracas des hommes et dans la solitude bienheureuse du seul, contemplant l'ineffable ...
- Ce n'est pas là mon Dieu.
- Vraiment ? Mais comment le savez-vous, puisque vous ne savez pas ce qu'il est ?
- Je sais ce qu'il n'est pas.
- Alors, il n'est rien pour nous et ne change rien à rien.
- Il change tout en tout.
- Pourriez-vous m'expliquer ? Car c'est obscur ...Mais soyez bref. La théologie est trop souvent un épanchement sans fin de considérations, elle aime l'interminable, c'est sa façon de respecter l'infini !
- Rassurez-vous, je serai bref. Et humble, autant que faire se peut : car s'il est un thème où est durement requise l'humilité de la pensée, c'est bien celui-là.
La suite, dans le livre ...
J'ai acquis un deuxième ouvrage, que je n'ai pas encore complètement lu : Jean-Yves Leloup, Jésus, Marie-Madeleine et l'Incarnation, Albin Michel, 2008.
Quelle fut la nature des relations entre Jésus de Nazareth et Marie-Madeleine ? Si "le Verbe s'est fait chair", s'il faut prendre au sérieux le mystère de l'Incarnation, peut-on imaginer que le Christ se soit interdit tout amour charnel ? La question est subversive, car elle touche à quelques interdits de la religion catholique romaine. L'auteur, qui était dominicain, est aujourd'hui prêtre orthodoxe, en partie pour cette raison-là. Il s'en explique dans un très beau récit autobiographique : L'absurde et la grâce, Albin Michel, 2001.
La sexualité, tout comme l'intelligence et l'affectivité, si elle manque d'orientation (d'orient) ne peut conduire qu'à des abîmes ou à des régressions ... Rendre au Christ une sexualité humaine et véritable, c'est rendre à l'être humain la possibilité de vivre spirituellement cette dimension inévitable de lui-même, peut-être même de la transfigurer, et trouver le soleil là où on l'avait habitué à ne voir que des ombres.
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