Je connais une grand-mère - elle pourrait même être arrière grand-mère - qui a toujours été économe. Elle faisait, chaque mois, six enveloppes, une pour chaque semaine du mois (et pas question de dépenser un franc de plus que ce qui se trouvait dans l'enveloppe), une pour les extras et une pour les économies (il faut penser à l'avenir, à ses enfants et à ses petits-enfants).
Elle avait organisé les choses, sans faire pour autant de la planification patrimoniale ou successorale, des cours fort en vogue dans les facultés de droit et les écoles de commerce aujourd'hui. Son patrimoine, bien que confortable, était trop humble pour cela : quelques économies (la sixième enveloppe) et deux successions, l'une modeste, l'autre raisonnable. Tout cela a été investi dans des placements sages (comptes à terme, fonds d'Etat, bons de caisse, fonds communs de placement, pour ne pas s'exposer à trop de risque).
Elle avait calculé, la grand-mère, qu'ainsi, sans jamais toucher à son capital, elle pourrait vivre honorablement, avoir de quoi disposer d'un complément de pension, car elle avait travaillé aussi, la grand-mère, une carrière complète, pour vivre peut-être un jour dans une maison de retraite. Et sa plus grande fierté restait, jusqu'il y a peu, de pouvoir léguer son capital intact à ses enfants et petits-enfants.
Seulement ses petits-enfants ont connu, parfois de leur faute, parfois à cause de la crise, parfois aussi à cause du refus de s'engager en leur faveur de certains proches, de plus en plus de difficultés financières. Quand elle voyait que les chose allaient mal, la grand-mère intervenait, elle y a consacré de plus en plus les revenus de ses économies, jusqu'à finir par devoir puiser sur son sacro-saint capital.
Quelle gestionnaire indigne ! Elle aurait dû laisser ses petits-enfants, et parfois ses enfants et beaux-enfants, se débrouiller, faire face à la vie, quitte à connaître la précarité. Cela n'aurait pu que leur faire la leçon, n'est-ce pas ?
Seulement, voilà, la grand-mère, souffre de deux maux : elle s'inquiète pour les autres (trop parfois) et est généreuse.
Ce matin, la grand-mère était inquiète et révoltée. Elle venait de toucher les intérêts d'un petit placement venant à échéance. Elle attendait 300 euros (soit des intérêts bruts de 353 euros, moins 15 % de précompte mobilier).
Non, non, madame, dorénavant, dans votre cas, le précompte mobilier est de 21 %, soit un net de 287 euros.
La grand-mère ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a été économe, elle a tout géré en bonne mère de famille, elle pensait plus à ses enfants et ses petits-enfants qu'à elle même, elle a même su se montrer généreuse et le gouvernement lui réclame 6 % supplémentaires sur les revenus de ses modestes économies.
Ne venez pas chicaner, grand-mère, cela ne représente que 13 euros en moins sur votre compte !
Cette grand-mère est révoltée, car elle sait que d'autres vont contribuer beaucoup moins qu'elle à ce grand marchandage budgétaire concocté par le gouvernement des contraires. Comme la grand-mère n'est plus à même de manifester lundi, elle n'a d'ailleurs jamais manifesté de sa vie, je me demande si je n'irai pas manifester à sa place, pour exprimer sa révolte.
Cette grand-mère vient de découvrir, sur le tard, qu'il ne sert à rien d'agir comme un honnête homme ou une honnête femme. Car, le fruit de ses économies a permis que ses petits-enfants ne deviennent pas des assistés sociaux ou qu'ils vivent dans la misère. Elle a donc évité à l'Etat des dépenses et elle n'en est même pas remerciée, au contraire d'autres qu'on laisse profiter du système de manière totalement indécente et qui finissent par devenir une nouvelle catégorie, fort immonde, d'assistés ... Il ne faut pas chercher loin pour les identifier. Je vous en laisse le soin.
En contrepoint :
"En face du trône, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup. Vint une veuve, qui mit deux petites pièces, quelques centimes. Appelant ses disciples, Jésus leur dit : "En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc. Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. " (Mc, 12, 41-44).
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