Ce blog est resté en veilleuse pendant plusieurs mois.
Plusieurs connaissances se posent légitimement des
questions sur ma vie au monastère : le pourquoi, le comment. Je vais
essayer de satisfaire quelque peu leurs interrogations.
Le pourquoi.
Il faut remonter assez loin dans mon histoire
personnelle, pour comprendre. Déjà enfant, puis adolescent, j’aimais la
solitude et surtout le silence, les longs moments de silence. Je recherchais
l’une et l’autre dans la forêt, seul face à la mer, dans la pénombre des
églises. Le silence ne me paraissait pas vide, creux ; au contraire, je le
trouvais dense, pourvu d’une épaisseur, comme « habité ». Je ne
trouvais ni le silence, ni la solitude ennuyeux. J’étais un enfant plutôt calme,
posé, réfléchi. Je ne recherchais pas particulièrement la compagnie des enfants
de mon âge ; je leur préférais les adultes (plus stimulants ? plus
rassurants ?). Et, lorsque je me trouvais trop longtemps immergé dans des
activités « de mon âge », avec mes congénères, j’éprouvais rapidement
le besoin de m’en soustraire, de me retirer. Comprenons-nous bien : il n’y
avait là nul mépris de ma part pour les autres ; juste le sentiment d’être
étranger (étrange ?) par
rapport à eux, attiré par une autre dimension de la vie, plus intérieure, là où
mes compagnons vivaient, davantage dans l’extériorité, la « fureur de
vivre ».
A l’âge de 17 ans, j’ai découvert la vie
monastique à l’abbaye d’Orval, où j’ai passé une semaine avec un ami. Cela a
été un choc, suivi d’un attrait irrésistible. Cela m’a marqué comme au fer
rouge pour la vie. Bien entendu, le choc n’était pas que spirituel ; il
était aussi et peut-être surtout esthétique. Il n’en reste pas moins que cette
manière « alternative » de vivre « à Dieu seul » dans la
prière et le travail (« Ora et labora »), dans la solitude et le
silence, ne pouvait que me rejoindre et me paraître un chemin de vie
parfaitement crédible. D’autant plus que j’ai rencontré là-bas des hommes qu’un
feu intérieur habitait, des hommes apparemment en paix, unifiés et heureux. Quand
j’ai quitté Orval, après ce premier séjour, je savais que l’idéal monastique
ferait à tout jamais partie de ma vie d’une manière ou d’une autre. Cela a été
le cas jusqu’à aujourd’hui.
Il faut du temps, beaucoup de temps parfois,
avant que ce qui a été un jour semé prenne corps et s’épanouisse. C’est le
temps de la maturation. A la réflexion, ce temps fait d’expériences, de rencontres,
d’éblouissements, d’engagements, de découragements, de ténèbres, de ruptures,
de blessures, de recommencements, de découvertes a échappé en grande partie à toute maîtrise. La seule chose que nous puissions faire n'est-ce pas accueillir
ce qui nous est donné. Soyons franc, sur le moment et même après, il n’a pas été toujours commode de discerner une direction dans ce qui pouvait apparaître avant tout, dans ma vie, comme une succession de lignes courbes ou brisées. C’est à ce travail de discernement que je me suis livré ces derniers mois.
Ce travail m’a conduit à demander aux frères
de Wavreumont, que je connais de longue date, à pouvoir vivre la vie monastique
au sein de leur communauté. Je terminerai, fin de cette année, un stage de six
mois. A partir de janvier, je m’engagerai pour un an, avec le soutien des
frères, pour un temps de noviciat. A terme, j’aurai la possibilité de m’engager
pour des périodes renouvelables en tant qu’oblat régulier. Ce statut un peu
particulier de laïc au sein de la communauté repose sur un engagement d’ordre
privé et ne comporte pas des vœux au sens strict.
La vie monastique, telle que vécue à
Wavreumont, en communauté, selon la règle de Saint Benoît et guidé par un abbé
(en l’occurrence un prieur) est un moyen, pas une fin en soi. Le moine est
avant tout un chercheur de Dieu. Il entend se décentrer de lui-même, se
désencombrer, pour donner la première place à Dieu et unifier son être en lui.
Pourquoi ? Par amour, ai-je envie de dire. En réponse à un amour au-delà de tout amour humain qui s’est laissé découvrir, un jour, dans le
silence de la prière et a éclairé d'un jour particulier tout mon parcours de vie. Pour m’y aider, je fais confiance à la sagesse
bénédictine, longuement éprouvée, et à l’exemple des anciens.
Le comment
Ma
vie est celle de tous les frères de la communauté. A titre indicatif,
voici l’horaire type d’une journée de semaine.
6 h 00 : Lever
6 h 20 : Office
de Laudes chanté (psaumes et lecture)
6 h 50 : Petit
déjeuner
7 h 05 : Lectio
divina (lecture ruminée, méditée et priante de la Bible)
8 h 00 : Eucharistie
8 h 45 : Travail
ou étude
12 h 00 : Office
de midi chanté (psaumes et lecture)
12 h 30 : Repas
de midi en silence (avec une lecture : actuellement « Congo » de
D. van Reybrouck)
13 h 45 : Travail
17 h 15 : Lecture
spirituelle
18 h 00 : Office
de Vêpres chanté (psaumes et lecture)
18 h 30 : Temps
de silence
19 h 00 : Repas
du soir en silence (avec de la musique)
19 h 45 : Papote
communautaire
20 h 15 : Office
de complies chanté (psaumes et lecture)
20 h 30 : Soirée
en cellule ou au jardin (pas de télé … mais musique, livres, ordi)
Le
dimanche, soirée cinéma
22 h 00 : Coucher
En ce qui concerne le travail,
- je prends ma part dans les différents
services communautaires (service à table, vaisselle, lecture au repas,
nettoyage)
- j’offre une aide ponctuelle au jardin et à
l’atelier de peinture
- j’assure la diffusion dans les media des
activités proposées au public par le monastère
- je compte suivre prochainement une formation
à la reliure de livres
- et surtout, je réalise et coordonne
l’informatisation du fichier de la bibliothèque (plus ou moins 18.000 ouvrages
… on est au début) : un vrai travail de bénédictin.
En ce qui concerne l’étude,
- j’ai participé à une session musicale sur
les psaumes et la psalmodie,
- j’ai participé à un cours d’histoire
monastique (des pères du désert d’Egypte au 3ème siècle jusqu’à
Saint François d’Assise)
- je travaille chaque semaine un passage de la
règle de saint Benoît en vue d’un partage avec le prieur,
- lecture commentée de l’évangile de Marc et
de l’épître aux romains.
En ce qui concerne les lectures :
- Islam, Hans Küng, Ed. du Cerf, 2010 ;
- Noyau d’olive, Erri de Luca, Gallimard,
2004 ;
- Paroles des anciens, Jean-Claude Guy ,
Ed. du Seuil, 1976
- Mon corps mis à nu, Stéphane Lambert,
Impressions nouvelles, 2013
- Mark Rothko : rêver de ne pas être,
Stéphane Lambert, Impressions nouvelles, 2011
- Les trois colonnes du monde : un chemin
vers l’essentiel, Benoît Standaert, Albin Michel, 2012
A bientôt, pour un prochain partage.