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lundi 28 novembre 2011

Une petite librairie va à nouveau fermer ses portes

Le contraste est saisissant.

J'étais ce matin, à Maastricht, avec mon fils Ben. Il avait des raisons personnelles de s'y rendre que je ne veux pas connaître. Je préfère retenir les moments de complicité, le shopping, le thé en terrasse. Nous avons fait, comme à chaque fois, deux haltes, une pour moi, une pour lui :

- ma halte : l'exceptionnelle librairie située dans l'ancienne église des dominicains ... on y vend même des lunettes pour lire, pour ceux qui, comme moi, ne peuvent plus s'en passer ! Et le site est grandiose. Une exceptionnelle reconversion. On se croirait dans la bibliothèque d'un "old english college".








- sa halte : le supermarché asiatique au niveau moins un du parking central, où il achète des nouilles à 0,59 euros, prix conforme à son budget. Nous en profitons pour découvrir et commenter les choses étonnantes et étranges qui sont vendues là-bas, non sans quelques fous rires. Nous avons ainsi pensé à Louise, notre cousine par alliance du Québec qui ne mange que de la salade et des graines. Je ne vous dis pas la mine qu'elle a !

Le bonheur éprouvé dans la librairie des dominicains à Maastricht était cependant terni par la triste décision de Christiane Pivont de fermer le beau projet qu'était L'échappée belle, boulevard Saucy, à la date du
31 décembre prochain. Une petite librairie de quartier, avec une libraire qui lit pour vous et avant vous, pour mieux vous conseiller.

Quand une petite librairie comme cela disparaît, cela est toujours, pour moi, une grande tristesse.

Le maître en voyage

Depuis les années que je parcours la Bible dans tous les sens, cela fait bientôt 40 ans, et pas toujours autant que je voudrais, je suis frappé par une chose : la parfaite adéquation des textes aux situations d'aujourd'hui.

Je devrais dire de toujours, car il semble que le Bible parle de choses qui ont toujours été, sont encore aujourd'hui et seront encore demain. Cette capacité à transcender le temps, à inviter à dépasser les situations du moment, les conjonctures et les sujets ponctuels me fascine depuis toujours et m'a conduit peu à  peu à reconnaître dans ces vieux textes - qui n'ont pas été dictés par Dieu (Allah) - mais, qui,  à l'épreuve du temps, semblent bien avoir été inspirés par "un je ne sais quoi, un je ne sais qui", qui transcende l'humain - une source, du souffle et une inspiration pour un homme d'aujourd'hui, jour après jour.

Une autre chose qui m'interpelle est l'extrême connivence des textes offerts par la liturgie chrétienne, au long des jours, avec l'actualité.

Ce dernier dimanche, le premier d'une période que les chrétiens appellent l'Avent, le temps d'une attente, d'une vigilance, le récit suivant leur était proposé (Mc, 13, 33-37) : un homme, un maître, est parti en voyage pour un temps indéfini ; à l'époque de Jésus, on ne savait jamais, quand on entreprenait un voyage si on rentrerait, ni quand. Ce maître confie à ses serviteurs tout pouvoir pour le temps de son absence. C'est dire s'il les estime aptes et compétents pour gérer les choses à sa place. Au moins autant que lui.

La parabole ne dit pas ce que le maître attend trouver à son retour ; elle dit seulement qu'il avait recommandé au portier de veiller son retour, qui aurait sans doute lieu à l'improviste.

A partir de là, on peut imaginer  ...

Première hypothèse : les richesses.

Les serviteurs diraient au maître : "Regardez, maître, vous êtes encore plus riche maintenant qu'avant ! Nous avons tout fait pour. Nous avons investi, spéculé, délocalisé. Nous avons exploité le monde que vous nous avez confié : la nature, les ressources naturelles, le travail des hommes. Certes, il y a des pauvres, des affamés et des exploités,  mais il y en a toujours eu. Ce qui compte, n'est-ce pas, c'est que vous êtes maintenant plus riche ! Enfin, au moins autant que nous".

Deuxième hypothèse : les êtres.

Les serviteurs diraient au maître : "Regardez, maître, vous êtes aussi riche qu'avant. Nous avons géré vos biens afin  qu'il y ait moins de pauvres et moins de riches. Nous avons cherché à assurer un juste équilibre dans ce que vous nous avez confié. Nos efforts ont eu pour but que chacune de vos créatures soit respectée. Nous avons tenté d'assurer à chacun de quoi se sentir digne, heureux et en sécurité".

Quelle sera la réponse du maître ?

La Bible ne le dit pas, car la Bible n'apporte jamais de réponse, elle pose des questions.

L'absinthe

Toujours curieux, j'interrogeais, hier, mon épicier tunisien sur quelques branches un peu séchées, à côté des bouquets de menthe, de coriandre et du persil plat. Il m'a dit que c'était de l'absinthe.

Il étaient là plusieurs maghrébins à ignorer que l'absinthe avait été, en Occident, l'objet d'interdictions et de bien des anathèmes des ligues anti-alcooliques, des syndicats, de l'Eglise catholique, des médecins, de la presse, à la fin du 19ème siècle. Il faut dire que l'absinthe des occidentaux entrait dans la composition de boissons (fort) alcoolisées dont les effets néfastes ont été narrés par Emile Zola, dans L'assommoir (1877). On parlait alors de "l'absinthe qui rend fou", Vincent Van Gogh en étant l'exemple le plus significatif. Il faut dire que les musulmans ne boivent généralement pas d'alcool. Et il n'est pas sûr du tout que l'absinthe ait joué un rôle quelconque dans la folie de Van Gogh. Par contre, il est établi que de grands créateurs de l'époque étaient aussi de grands consommateurs d'absinthe : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Oscar Wilde.

La grande Barbara l'a évoqué dans une de ses chansons :





Mon épicier était un peu inquiet de vendre une substance peut-être illicite. J'ai dû lui expliquer qu'aujourd'hui quelques distilleries peu nombreuses, en France et en Suisse, ont le droit à nouveau de distiller l'absinthe, dont le taux d'alcool se situe quand même entre 45° et 90 °, sinon ce n'est pas de l'absinthe!

Je lui ai conseillé d'aller lire le site suivant :
http://www.museeabsinthe.com/absinthe

Le haut degré d'alcool de l'absinthe explique qu'on ne la boive pas comme un vulgaire "pékèt". Il faut suivre un rituel et utiliser des accessoires spécifiques, fort beaux au demeurant.


" La préparation de l'absinthe est qualifiée de rituel en raison des nombreux accessoires spécifiques nécessaires à son élaboration ainsi qu'à son aspect codifié.
L'absinthe pure est tout d'abord versée dans un verre spécifique sur lequel on place une cuillère (appelée pelle) à absinthe. On place ensuite un demi-sucre ou un sucre sur la cuillère sur lequel on verse de l'eau glacée au goutte à goutte. Comme le pastis, l'absinthe se dilue dans trois à cinq fois son volume d'eau. La manière de préparer l'absinthe joue un rôle capital dans son goût final en permettant aux arômes de plantes de se libérer et de prendre de l'ampleur face aux autres arômes.
Durant ce processus, les ingrédients non solubles dans l'eau (principalement ceux de l'anis vert ou étoilé, ainsi que le fenouil) forment des émulsions ; ce qui trouble l'absinthe.
Avec l'accroissement de la popularité de la boisson au XIXe siècle, l'usage de la fontaine à absinthe se répandit. Cette fontaine particulière permet de verser l'eau au goutte à goutte sans avoir à le faire à la carafe, ainsi que de servir un grand nombre de verres à la fois.










samedi 26 novembre 2011

Parodie d'une série américaine (à propos de série et de feuilleton)

Le texte qui va suivre n'est pas de moi. Je ne connais plus le nom de son auteur. Il a pourtant chanté et dansé en ma compagnie, le mardi soir, dans un projet décalé et gay ("Les gay-chats") associant une douzaine de participants. Ce projet n'a pas survécu aux égo surdimensionnés de quelques-uns. Ce texte m'a toujours amusé. Je l'ai retrouvé par hasard. Je vous le propose aujourd'hui.

Personnages:
* Kristel
* Blake
* Alexis
* Fallon
* Steven
* Adam


(Kristel est assise dans la pièce, lisant un magazine de mode- Blake entre)


KRISTEL

Oh, Blake, déjà de retour, mon chéri ! Tu m'as tant manqué !

BLAKE

Voyons chérie, tu savais bien que j'avais cette très importante réunion avec nos partenaires chinois à propos de notre projet de développement du transport maritime pétrolier dans les mers du Sud !

KRISTEL

Bien entendu, chéri, mais que veux-tu ? Je t'aime !
Steven n'est pas avec toi ?

BLAKE

Non, et je suis inquiet, on ne l'a pas vu au bureau aujourd'hui.

KRISTEL

Tout va bien avec Steven, Blake ? Il me semble si désemparé, ces temps-ci. Je me demande s'il s'est vraiment remis de son divorce.

BLAKE

Tu crois qu'il en veut toujours à son frère de s'être marié avec Claudia ?

KRISTEL

Je ne sais pas, chéri, moi, je parlais de son divorce avec Sammy-Jo. Tu sais à quel point il aimait ma nièce ! A propos de Claudia, elle a téléphoné en fin de journée. Elle compte passer en début de soirée ... Bientôt donc.

ADAM (entrant)

Bonjour, Papa ... Kristel

KRISTEL

Bonjour, Adam

BLAKE

Bonjour, Adam. Cela me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais en Chine pour préparer notre projet de transport maritime de pétrole libanais avec nos associés du Honduras ?

ADAM

J'y étais encore ce matin, mais j'ai reçu ton message, et je suis revenu dès que j'ai pu trouver un avion pour Denver !

BLAKE

Mon message ? Quel message ?

KRISTEL

Oui, pourquoi ?

ADAM

Mais le message qui ...

STEVEN (entrant)

Bonjour, Kristel ... Papa ... Adam ...

BLAKE

Bonjour, Steven

KRISTEL

Bonjour. Ca me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais à Las Vegas pour préparer notre projet humanitaire avec Fallon.

STEVEN

J'y étais encore ce matin, mais j'ai reçu ton message, et je suis revenu dès que j'ai pu trouver un avion pour Denver !

KRISTEL

Mon message ? Quel message ?

BLAKE

Oui, quand ?

STEVEN

Mais le message qui ...

ALEXIS (entrant)

Bonjour, mon chéri ... Blake .. Kristel ... Bonjour, mon chéri.

BLAKE

Bonjour, Alexis

KRISTEL

Bonjour, Alexis

ADAM

Bonjour, maman

STEVEN

Bonjour, maman. Ca me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais à Paris avec  Dex, e que vous ne reveniez de votre voyage de noces que mercredi, pour préparer ton projet d'extraction de pétrole maritime en Mer rouge avec les partenaires honduriens et libanais !

ALEXIS

Nous étions encore dans la capitale française hier soir, mais j'ai reçu ton message, et nous sommes revenus dès que nous avons pu trouver un avion pour Denver !

STEVEN

Mon message ? Quel message ?

KRISTEL

Oui, d'où ?

BLAKE

Oui, avec qui ?

ADAM

Oui, comment ?

ALEXIS

Mais le message qui ...

FALLON (entrant)

Bonjour maman, bonjour papa, bonjour Steven, bonjour Kristel, bonjour Adam ...

ALEXIS

Fallon, ma chérie, ça me fait plaisir de te voir, mais je croyais sue tu étais sur le côte ouest pour régler les modalités du contrat de mariage avec Jeff qui t'a demandé de le ré-épouser après quatre ans de divorce suite à ton amnésie totale.

BLAKE

Fallon, ma chérie, ça me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais au Mexique pour retrouver la trace de ton père naturel, puisque ta mère 'a trompé pendants nos premières années de mariage et que tu n'es pas de moi.

STEVEN

Fallon, ma chérie, ça me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais avec moi à Las Vegas pour préparer le projet humanitaire pour les enfants des marins pétroliers que nous avons engagés dans notre projet Honduro-libanais en mer de Chine !

ADAM

Fallon, ma chérie, ça me fait plaisir de te voir, mais je croyais que tu étais morte, puisque tu avais disparu de la série le jour de ton mariage avec Jeff. Ce jour-là, il pleuvait. Tu t'es disputée avec Jeff et rtu a pris ta voiture. Tu roulais vite et tu pleurais. Puis, au détour d'un tournant, tu as voulu éviter un camion et tu as dérapé. L'accident fut horrible, terrible : la voiture est tombée dans un ravin. Tu avais le bras droit replié devant les yeux et tu as poussé un terrible cri d'angoisse. Nous n'avons appris ta disparition que le lundi suivant,  20 h 10, à la télévision, avant le grand film de 21 heures, lors de l'épisode 638 ...

FALLON

Disons simplement que j'ai reçu un coup de téléphone qui ...

KRISTEL

Oui, mais de qui ?

BLAKE

Oui, comment ?

ALEXIS

Oui, surtout pourquoi ?

ADAM

Et par quel miracle ?

STEVEN

Quelle heure est-il ?

Tous se retournent vers Steven avec un cri d'effroi.


Fin de l'épisode.

jeudi 24 novembre 2011

L'université et la cité

Je pense, pour ma part, que l'université a un rôle important à jouer dans la cité, comme pôle de culture, de réflexion et de conscience et comme moteur de développement par la recherche, le brassage des idées, la créativité. Je pense aussi que l'université doit être présente auprès des membres de la cité. Il semble que ce rôle semble aller de soi, une fois qu'il s'agit de contacts avec les politiques, les patrons d'industrie et autres magnats de l'establishment, mais qu'il soit moins spontanément accepté, jusqu'à être stigmatisé, une fois qu'il s'agit d'être auprès de travailleurs menacés dans leur emploi, c'est-à-dire des pères et mères, des frères et soeurs de nos étudiants.

Je suis donc étonné par les réactions de certains membres de l'université de Liège suite à un courrier du recteur de celle-ci.

Le Recteur de l'Université de Liège a, dans un premier courrier, invité à une suspension des activités ordinaires de l'institution, le 7 décembre 2011, jour d'une manifestation syndicale dans le bassin liégeois pour contester les décisions de la multinationale Mittal mettant en cause des milliers d'emplois. Il ne faut pas se méprendre. Ceux qui manifesteront, le 7 décembre, le feront pour leur emploi, pour leur famille, et au-delà d'eux-mêmes pour l'emploi de sous-traitants. L'université, qui voit, ou devrait voir, à plus long terme, n'a-t-elle pas une place à jouer ? Est-il concevable qu'elle soit absente du débat ? Une présence, une solidarité, une action.

L'appel du Recteur lui a valu une volée de bois vert, qui en dit long sur la mentalité des corps qui composent l'université.

Morceaux choisis :
- Est-ce bien le rôle de l'université de prendre parti dans les questions qui ne concernent que la cité ?
- Le Recteur, par son appel, invite (?) à faire grève.  Si la grève est un droit, il ne faudrait surtout pas faire grève, sous la pression de l'autorité ;
- Réaction réelle d'un étudiant: oui, mais les cours seront donnés ou pas ?
- Réaction totalement imaginaire (?) d'un prof : il n'est pas question que je perde deux heures de cours ; je me fous d'être payé ou pas, mais mon cours compte 30 heures ; déjà que ce n'est pas assez, si on m'enlève encore deux heures, pour des broutilles ...
- Le même prof, suivi par la déléguée de cours "frotte-manche", on nous assure 30 heures de cours d'après les programmes, ce serait un scandale de perdre encore deux heures de cours, au prix du minerval.

Pauvre recteur ! Le travail semble bien long encore pour lui, et pour ses successeurs sans doute.

Les grands esprits, leurs principes et leurs arguments, semblent tellement à côté de la plaque.

Les principes ? Des jouets aux mains de purs esprits, qui feraient bien de temps en temps de mettre un peu la main dans le cambouis.

Le recteur a cru devoir préciser sa pensée, pour faire taire tous ces murmures (dans la Règle de Saint Benoît, le murmure est toujours une pensée qui ne vaut rien de bon, qui détruit plus qu'elle construit, qui enferme au lieu d'ouvrir les perspectives).

Bernard Rentier :

Mon souhait n'est évidemment pas de mettre l'Université en grève. Il consiste, au contraire, tout en suspendant les activités habituelles de l'Institution, geste dont la symbolique ne peut échapper à personne, à faire preuve, durant cette journée, d'esprit d'initiative et d'organiser, au sein de l'Université, des activités consacrées à la problématique du moment. Nous démontrerons ainsi que non seulement nous sommes solidaires, mais que cette solidarité se traduit par une réflexion, par des actions, et qu'il ne s'agit en aucun cas de prendre une journée de congé.

C'est la raison pour laquelle je n'envisage pas que cette journée ne soit pas rémunérée. Il va de soi que je compte sur la participation active de tous, précisément dans cet esprit.

Nous travaillons actuellement à l'élaboration d'un programme de conférences et de débats ainsi que d'ateliers qui occuperont cette journée, tout en laissant à ceux qui le souhaitent la possibilité de se joindre à la manifestation annoncée.

Je vous tiendrai informés de l'évolution de ce programme, et j'accueille dès à présent les différentes suggestions que vous souhaiteriez faire dans ce cadre.

Je précise également que la suspension des activités habituelles n'implique nullement celle des tâches indispensables qui doivent être assurées dans les services. Ces exigences seront rappelées par les responsables. L'Université ne sera donc pas fermée, mais hormis les nécessités professionnelles impérieuses, l'activité sera recentrée sur la thématique de la reconversion et du rebond économique régional. J'espère que cet évènement sera le déclencheur d'activités interdisciplinaires durables qui auront un prolongement bien au delà du 7 décembre 2011.

Je souhaite également que nos étudiants puissent être confrontés le plus directement possible à cette problématique. Cette journée doit être pour eux l'occasion de participer activement à une réflexion générale et à une prise de conscience des réalités qui les entourent.

C'est dans cet esprit constructif que j'envisage la journée du 7 décembre et c'est en ces termes que je souhaite que cette décision soit rendue publique. En effet, une manifestation de solidarité est bien peu de chose si elle ne s'accompagne d'une recherche de solutions à plus long terme comme l'Université doit pouvoir en proposer.

C'est là, à mon avis, une mission majeure des institutions universitaires, une participation active à la résolution des problèmes de notre société. J'espère que chacun d'entre vous comprendra l'esprit dans lequel cette opération s'organise et que vous aurez à cœur d'y participer activement.

Montserrat Figueras est partie ailleurs, mais ne peut pas nous avoir quittés

J'ai appris, ce matin, le décès de Montserrat Figueras. Et j'en suis tout tourneboulé. Le cancer une fois de plus frappe une personnalité d'exception.


Sentiment étrange : la mort de membres de ma famille m'ont fait moins d'effet. Mais qu'est-ce qu'une famille ?

Celle que Montserrat constituait avec son mari Jordi Savall et leurs deux enfants est exemplaire. Pour deux raisons, à mes yeux :
- la fidélité dans la durée : que de disques remarquables portés par leur amour, la connivence parfaite entre eux ;
- la fécondité. Ce beau couple a communiqué à deux rejetons son sang et sa passion musicale. Mais la fécondité se réduit-elle à ce que nous parvenons à faire vivre en nos enfants ? Ce couple Jordi-Montserrat a été fécond bien au-delà de ses enfants. Et leur apport à un répertoire ancien, souvent méconnu, qu'ils ont fait découvrir, fait aussi partie de leur fécondité de couple.






La voix de Montserrat m'a toujours rejoint au plus profond. Je l'ai déjà dit, je ne suis guère sensible aux effets de voix, aux performances, aux sentiments trop explicités. Une voix naturelle, simple, sûre, voix de l'émotion ou de la nostalgie, me plaît bien davantage.

Une voix des profondeurs ? Je le crois, en tout cas, je le sens. Cela explique peut-être pourquoi je me sens à ce point de la famille de Montserrat Figueras et si ému, en ce jour.






mercredi 23 novembre 2011

Séries et feuilletons

Les séries américaines ne sont généralement pas des feuilletons. Chaque épisode peut être vu, sans avoir vu les précédents, ni donner nécessairement l'envie de voir les suivants. Vous pouvez prendre le train en marche à l'épisode 154 puis le reprendre à l'épisode 487, vous n'aurez rien perdu entre les deux. C'est un produit qui ne connaît pas l'espace-temps. Les acteurs se ressemblent tous. Ils jouent tous de la même manière, basique, extrêmement basique, parfois. Les conditions de tournage, paraît-il, n'autorisent pas toujours les nuances. Il arrive même aux acteurs de devoir lire leur texte sur un prompteur. Exemple : Dallas, Santa Barbara ou Melrose Place. Comment se fait-il que ces séries aient un public fidèle ? Malgré leur caractère indéniablement formaté, certaines séries anglo-saxonnes se hissent un cran au dessus par leur folie (The family Adams, Desesperate Housewifes) ou un personnage qui accroche (docteur House).  Je ne regarde guère les séries anglo-saxonnes, encore une part de mon inculture.  Enfant, pourtant, je regardais assidument des séries totalement oubliées aujourd'hui, comme Ma sorcière bien aimée (qui est lamentablement devenue un dessin animé), Papa a raison ou Ma mère à moteur.


Génériques :


http://www.youtube.com/watch?v=rRAgyqonACk
http://www.dailymotion.com/video/x57uts_ma-sorciere-bien-aimee-generique_fun#rel-page-3
http://www.dailymotion.com/video/x5juy2_la-famille-addams-generique_music#rel-page-1
http://www.dailymotion.com/video/x1g2ux_generique-fr-dr-house-saison-1_news


Le feuilleton est tout autre chose.  Il a vu le jour dans les journaux au 19ème siècle, d'abord sous la forme de chroniques principalement sur les spectacles théâtraux et bien vite sous la forme de romans-feuilleton. Une histoire était alors racontée qui mettait les lecteurs en haleine et donnait l'envie de connaître l'épisode suivant. Chaque épisode appelait en fait le suivant. ll y avait une réelle intrigue. Un avant et un après, une vraie continuité. Dans les séries, il n'y a pas d'avant, ni d'après, juste un présent à peu près toujours le même au long des épisodes. Ici, le désir était sans cesse créé de vouloir en savoir plus, d'aller plus loin. Il s'agissait bien de romans, toutes catégories confondues. Il ne faut pas mépriser ce genre littéraire, populaire. De grands romanciers n'ont pas jugé indignes d'y contribuer. Balzac a publié plusieurs de ses romans par épisodes, dans la presse, avant de les éditer en volumes. Eugène Sue, Paul Féval, Alexandre Dumas, Ponson du Terrail ont illustré le genre. Il ne s'agissait pas d'écrire un roman, puis de le découper en tranches, mais d'écrire régulièrement, et souvent vite, pour respecter les contraintes éditoriales. Il a beaucoup été reproché au roman-feuilleton son côté populaire, le considérant comme un sous-genre. Fantomas, illustré ensuite au cinéma, a d'abord été un roman-feuilleton !

On ne trouve plus guère de roman-feuilleton dans les journaux ou les magazines d'aujourd'hui, sauf peut-être dans le magazine gay Têtu, sous la plume d'un jeune écrivain marocain, Abdellah Taïa, que j'aime beaucoup. J'aime beaucoup Abdellah pour ses écrits, pour son engagement et pour la gentillesse qu'il m'a témoignée un jour (un fort beau texte inédit qu'il avait écrit et qu'il m'a envoyé, suite à un courrier que je lui avais adressé). Tous les mois, Abdellah conte la vie d'un jeune égyptien venu en Europe chercher une vie fatalement meilleure. Il parle de la galère et des solidarités qu'elle entraîne. Il explique comment les exclus se reconnaissent. Il évoque le manque affectif quand on est loin de son pays, de sa culture, de sa famille. Il évoque la promiscuité (un grand lit pour trois) et les débordements bien compréhensibles chez de jeunes hommes en manque de tout, c'est-à-dire aussi de tendresse et d'affection. Ce n'est pas triste, ce n'est pas misérabiliste. C'est d'une extrême finesse qui creuse, toujours avec justesse, au fond du coeur des protagonistes. Là où on est soi-même, hors de tout souci de paraître.




Le reste - l'actualité politique belge - qui pourrait s'apparenter au feuilleton (528 épisodes déjà) relève , à vrai dire, plus de la série américaine. Les mêmes acteurs toujours, la même impression de tourner en rond, l'aptitude à pouvoir reprendre le fil à n'importe quel moment, sans l'impression d'avoir raté un quelconque épisode, malgré les mises en scène, les psychodrames ou les coups d'éclat.

lundi 21 novembre 2011

Les chansons d'enfance

Enfant, nous chantions bien des choses sans tout comprendre.

Qui étaient donc cette mère Michel et son chat ? Et surtout ce père Lustucru ? Ce nom m'a toujours fait peur, même après que je l'eusse associé à des pâtes, mais pas des Panzani. Internet me donne aujourd'hui raison. Il était un personnage douteux. Ne parlons pas de la mère Michel, elle sévit encore ! Pourquoi d'ailleurs écris-je spontanément "Michel" et non "Michèle" ? Quant au pauvre chat ?

A la claire fontaine, se passaient bien des choses que je ne pouvais nommer. Mais quand même que venait faire ce rossignol voyeur, qui a le coeur à rire quand la belle a le coeur à pleurer ? Et moi, dans tout ça ? Pourquoi aucun oiseau ne venait-il, quand moi j'étais à la claire fontaine, même pas un corbeau, alors que je n'avais pas le coeur à rire, mais plutôt à pleurer ?

Pourquoi le bon tabac n'était-il pas pour moi, mais toujours pour les autres ? Cette chanson n'arrêtait pas de me dire : "tu n'en auras pas". Je ne savais pas alors qu'il s'agissait d'autre chose que le tabac.

Et puis, il y avait le cerf, le lapin et le chasseur. J'aurais pu m'identifier au cerf ou au chasseur, ce que ne manquaient pas de faire certains de mes congénères, que l'on retrouve aujourd'hui aux plus hautes fonctions. Pas de chance pour moi, j'étais bien entendu le lapin !"Cerf, cerf, ouvre-moi, ou le chasseur me tuera".  Quand un gamin de 8 ans chante cela avec toutes ses tripes, cela doit vouloir dire quelque chose. Il doit, je veux dire, ressentir comme un danger. La peur peut-être de ne jamais pouvoir être lui-même.

Alors, il s'arrête sur une chanson plus douce, plus "dans ses cordes", pourrait-on dire. Il a fini par choisir,  pour compagnons, la lune et l'ami Pierrot.  En cet ami, il finira par trouver l'interprète pour dire en son nom : "ouvre-moi la porte pour l'amour de Dieu". J'enjolive un peu la chanson, ne m'en veuillez pas.


Frère François, dans une homélie inattendue comme toujours, a évoqué cette chanson dimanche dernier. Il devait parler du Christ-Roi pourtant !

Habile, comme toujours, il a évoqué Lacordaire. Lacordaire, dominicain et grand prédicateur (une plaque commémorative dans la cathédrale Saint Paul de Liège, rappelle qu'il y a prêché un jour le carême), aurait dit - il s'agit de ses dernières paroles : " Mon Dieu, ouvrez-moi, ouvrez-moi ". Il ne l'a pas dit une fois, mais deux fois. Pourquoi deux fois ? Pourquoi cette insistance ? On peut imaginer, pourquoi pas, que ses deux invocations ne voulaient pas dire exactement la même chose.

Ouvre-moi la porte de ton Royaume, comme le lapin implore et comme le demande l'ami de Pierrot, qui avait besoin, lui, que les choses soient dites précisément.

Mais aussi, ouvre-moi, ouvre mon coeur, rends moi accueillant ... Car, s'il y a une porte à ouvrir, pour entrer dans le Royaume, n'est-ce pas celle-là : une porte ouverte où on laisse entrer ce qui vient. N'est-ce pas ce que Jésus veut dire quand il nous dit que le Royaume de Dieu est "parmi" ou "en" nous (les traducteurs hésitent) ?

Et pour conclure, avec humour, car c'est un peu moi dans le fond :

http://www.youtube.com/watch?v=CnrtqGRh7vA&feature=related

J'aurais aimé être un arbre

Plus les années passent, plus je me dis que j'aurais aimé être un arbre. Un tilleul de préférence, au beau milieu d'une grande prairie.

L'arbre est stable, il garde toute sa vie le même lieu de vie. Il n'éprouve pas le besoin de voyager. Il est ancré, là où sont ses racines.

L'arbre comporte une partie visible et une partie invisible : une partie au-dessus de la terre et une partie enfouie dans la terre.

Ce que nous parvenons à exprimer et ce que nous ne parvenons pas à exprimer, mais qui nous constitue tout autant.

Dans l'arbre, circule la vie. Cette vie est puisée au plus profond de l'invisible. Et elle amène l'arbre à tendre toujours plus vers la lumière.

Toujours plus profond et toujours plus haut.

L'arbre nous rappelle que la vie, nos vies, sont faites de cycles. Des moments de vie, des moments de mort ou de sommeil, des passages, et un éternel recommencement pour passer de la mort à la vie.

L'arbre offre gratuitement :
- sa beauté ;
- ses couleurs différentes selon les saisons ;
- ses fruits ;
- l'ombre en été ;
- un abri pour les oiseaux ;
- et surtout le courant de sa sève : adossez-vous à un arbre, au printemps, vous sentirez le courant de la sève qui monte et vous vous sentirez mieux.

Et, quand l'arbre a fini sa vie, il sert encore à nous chauffer, à écrire nos pensées, à entretenir une mémoire.

La mémoire de l'arbre. Peu peuvent prétendre en notre monde détenir la même mémoire que les arbres. Plusieurs fois centenaires parfois, ils ont tout vu, tout entendu. Ils ont résisté. Ils ont pourtant été agressés et exploités.

J'aimerais être un vieux tilleul qui a beaucoup vu, beaucoup entendu, vécu beaucoup de tempêtes et de tornades, mais qui reste là, ancré, et capable encore d'offrir des choses gratuitement à ceux qui veulent bien s'adosser à son tronc ou s'abriter sous son ombre.

Baptême estudiantin et famille roumaine

C'était hier, je me rendais au concert.

Je croise une première fois des étudiants, des "bleus", comme on dit, en train de marcher au pas, en chantant (beuglant ?), sous les invectives des organisateurs de leurs agapes. Comme cela n'avait rien de bien méchant, je me suis résolu à jouer au vieux ronchon qui se tait.

Revenant d'où je devais aller, je croise à nouveau ce triste cortège. Oui triste, parce que rien n'y était drôle. Les "bleus" devaient se prosterner devant les anciens, puis monter à genoux les escaliers qui mènent à la passerelle et ensuite franchir celle-ci à quatre pattes, après s'être roulés antérieurement dans de la boue et de la farine, toujours sous les invectives, notamment de deux walkyries en tablier blanc, particulièrement démontées. Personne ne riait, ne souriait. C'était un rituel sans humour et aux relents plutôt malsains.

Une homme m'aborde alors, il était accompagné de sa famille, sa femme et ses deux enfants, un jeune ado et une petite fille. Ils avaient l'air horrifié, ils ne comprenaient pas ce qui se passait. De toute évidence, ils venaient de Roumanie, la maman n'avait que des dents en or. Des demandeurs d'asile sans doute. Ces demandeurs d'asile étaient indignés, et paniqués, cela évoquait peut-être pour eux des choses qui n'avaient rien d'un jeu de rôle. Ils ne comprenaient pas que des choses comme celles-là existent ici, chez nous.

J'ai dû leur expliquer que c'était une tradition estudiantine, que je ne l'approuvais pas du tout, qu'ils devaient se rassurer, que c'est un jeu. J'ai vu dans leurs yeux qu'ils ne comprenaient pas et qu'ils avaient peur.

Les arabes du quartier sont tout aussi perplexes. Je ne sais si de jeunes musulmans participent à ces drôles d'agapes païennes. Je pense que, pour leurs parents, c'est incompréhensible, pour eux aussi peut-être. A cela aussi, entre autres choses, mesure-t-on le degré de civilisation, d'un individu.

Devais-je répondre, à la famille roumaine qui m'interpelait, que les futures élites intellectuelles de notre pays voient deux raisons pour perpétuer ces pratiques :
- cela favorise l'intégration ;
- cela crée de la solidarité.
Mettez-vous à ma place, j'aurais donc dû expliquer à ces roms, fuyant l'humiliation qu'ils subissent un peu partout, qu'en Belgique, il faut passer par des rites d'humiliation pour pouvoir s'intégrer et espérer bénéficier de solidarité ! Et que ce sont les jeunes qui le leur disent. J'ai imaginé combien grandes devaient être leur désillusion et leur détresse.

Les walkyries, auxquelles je me suis adressé un peu vertement, tout en appelant les jeunes à quatre pattes à se relever, à ne pas courber l'échine, à savoir dire non, m'ont répondu que c'est la tradition et que le Recteur de l'université l'autorise (ou à tout le moins le tolère).

L'argument de la tradition. Bien des traditions ne sont pas bonnes (le crime d'honneur, par exemple, dans certaines sociétés musulmanes). Une pratique ne devient pas acceptable parce qu'elle repose sur une tradition. On parle aussi souvent, à propos de ce qui nous préoccupe, de folklore estudiantin.  Ce que je vois à l'occasion des baptêmes d'étudiants ne relève en rien du folklore. Vivant dans un quartier très folklorique, je puis vous dire que si la capacité bibitive de la population folklorique n'a rien à envier à celle des étudiants, l'esprit est tout autre. Voulez-vous que je vous dise la différence ? Quand une haguette de Malmédy, vous demande de vous agenouiller et de demander : "pardon, haguette !". Tout se fait dans la bonhomie et la rigolade. Il n'y avait ni rigolade, ni bonhomie, chez les étudiants que j'ai croisés hier. Juste une tradition vide de sens et inquiétante.

L'autorisation, ou la tolérance, du Recteur me font un peu sourire. Je me dis en effet ceci. Je ne suis nullement opposé aux guindailles étudiantes, aux manifestation en tous genres, mais, si j'étais recteur (ce que je ne serai jamais et qui ne représente pas grand chose face aux cercles d'étudiants), je dirais : amusez-NOUS ! faites preuve d'HUMOUR! ne faites pas, chaque année, la même chose : SURPRENEZ-NOUS ! créez donc, tous les ans, un événement dans la ville qui profite à TOUS les citoyens, plutôt que d'imposer à tous, dans la ville, vos cortèges pitoyables et les résidus de vos débordements. L'intégration et la solidarité ne seraient pas absentes, bien au contraire.

Il y a bien des années, des étudiants de l'UCL avaient visité une école très catholique avec un faux roi Baudouin. La police alertée par la direction de l'établissement, qui trouvait l'entourage du jeune roi un peu trop jeune, a alerté la police. Le gag n'a pas pu aller jusqu'à sa fin.


Par contre, moi j'ai vécu le gag jusqu'au bout, au collège Saint Servais, je devais être en 6ème ou 5ème, donc avoir 13-14 ans. La tradition était alors, dans les collèges et les lycées, de fêter les 100 jours (qui restent avant la fin de l'année). A la manoeuvre, les étudiants de rhétorique.

Ce jour-là, le préfet de discipline, le père Notté, était passé dans toutes les classes pour expliquer que le ministre de l'éducation nationale allait visiter le collège et que l'horaire des cours serait un peu perturbé. A une heure, qui n'était pas celle de la récréation, tous les élèves devaient être rassemblés dans la cour principale du collège, les 6A à tel endroit, les 6B à tel autre et ainsi de suite, chaque classe avec son titulaire. Une organisation très précise et très sérieuse. A l'heure dite, tout le monde était à sa place. Arrivent alors le père Recteur, les pères préfets des études (il y en avait deux: un pour les petits, un pour les grands), le père préfet de discipline, le père préfet spirituel et le ministre entouré de quelques autres autorités. Ils montent sur le podium préparé à cet effet. Le ministre s'adresse alors à nous les collégiens dans un discours bien préparé .... Quand tout à coup, au milieu de son discours, trois individus s'emparent du ministre et le jettent dans la piscine (à l'époque en plein air, juste à droite du jardin des pères). Je vous laisse imaginer le délire dans la cour, plus de 1000 élèves rassemblés ! Je ne sais pas si, après cela, nous avons été plus solidaires ou plus intégrés, mais au moins nos aînés fêtards nous avaient offert un bon moment avec une réelle complicité des autorités. C'est ce que n'offrent précisément pas  les "comitards" qui organisent  les baptêmes.

Petite provocation pour terminer : si j'avais disposé de fiches individuelles concernant les étudiants associés au rite du baptême estudiantin, j'aurais pu croire que tous ont une propension à se fondre dans la masse, à manquer d'esprit critique, à manquer de créativité, à organiser des choses vaines et répétitives ... bref, exactement tout le contraire de ce que l'on attend d'un esprit universitaire. Heureusement, je n'ai jamais disposé de telles fiches et je dois reconnaître que les pires d'entre eux n'ont pas toujours été les moins bons à l'examen. 

dimanche 20 novembre 2011

Un concert exceptionnel

Je ne vais pas souvent au concert. Aujourd'hui, je ne l'ai pas regretté. Ce concert m'a beaucoup ému.


Au concert exceptionnel de cet après-midi - l'église Saint Denis était comble - je n'ai vu aucun des porte-paroles habituels de la vie musicale à Liège. Ou alors, j'ai mal vu. J'ai vu quelques têtes connues cependant. Il faut dire que mon émotion était tellement forte que parcourir les travées, après le concert, pour saluer l'une ou l'autre connaissance m'a paru hors de portée. J'ai remercié furtivement un des deux chefs et fait l'accolade à un des chanteurs que j'aime beaucoup. Cela remonte au temps où je chantais avec eux.

Eux ?

Il s'agissait de l'ensemble vocal Marignan qui, depuis qu'il est dirigé par Joël Hurard, a beaucoup progressé, le situant vraiment tout près de certains choeurs professionnels.

Le second choeur Alba nova, trouve son ancrage dans la région de Malmédy. Il est peut-être un peu moins professionnel dans ses éléments constitutifs, mais d'une qualité qui ne le fait pas démériter, loin de là, par rapport à son partenaire.

J'ai dit que le concert était exceptionnel. Il l'était en effet pour plusieurs raisons.

Le lieu : la collégiale  Saint Denis, à Liège, est un écrin somptueux pour les concerts de musique ancienne. L'acoustique, pour les choeurs, y est, à mon avis, un peu trop généreuse. Elle assure une ampleur certaine, mais arrondit ou lisse certains détails.






Le thème du concert :  De profundis (ou la mort sublimée). Un thème risqué. Peut-on concevoir d' évoquer la mort, et rien que cela, pendant à peu près une heure et demie ?  Le pari est réussi. Ce n'était pas un concert triste, et s'il m'est arrivé d'avoir les larmes aux yeux, ce n'était pas de tristesse, mais à cause d'un trop plein d'émotion face à la beauté ou la sérénité promise. Le programme a suivi un ordre chronologique : Roland de Lassus, Monteverdi, Henrich Schütz, Henry Purcell, J-C Bach, Friedrich Mendelssohn, Anton Brückner, Paul Hindemith et puis des compositeurs trop contemporains pour que je les connaisse (Lodewijck De Vocht, Vic Nees, Knut Nysteed). Une grande unité parmi toutes ces oeuvres, comme si le thème de la mort, effaçait la barrière du temps.

Les deux choeurs ont merveilleusement occupé l'espace : chant dans le choeur et chant dans le narthex (le meilleur endroit à mon avis) et chant en cercle tout autour de l'édifice.

Comme souvent, à la fin du concert, je me trouve tellement sous le coup de l'émotion que je ne m'imagine pas aller serrer des mains à des connaissances, à demander des nouvelles, à partager ma vision du concert un verre à la main, j'ai la larme à l'oeil. J'ai  fait le service minimum comme toujours. Puis, je me suis enfui avec mes émotions. Il est vrai qu'une part de mon émotion était aussi de n'être plus parmi les créateurs d'émotion de cet après-midi ; je veux dire comme chanteur.

J'ai lu dans la presse, cette semaine, des choses ahurissantes

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que les entrepreneurs de pompes funèbres déplorent le réchauffement climatique. On ne meurt plus assez, selon eux, et leur profession serait en péril. Le temps est trop doux. Les vieux n'acceptent plus de mourir, cela affecte leur chiffre d'affaires. Pourtant, on peut dire que les entreprises de pompes funèbres sont assurées d'un fonds de commerce garanti et qu'elles ne souffrent guère de la mondialisation. Faudra-t-il, pour soutenir ce secteur en crise, réguler les décès ? Ou va-t-il, comme celui des restaurateurs, demander des avantages particuliers. Un taux de TVA réduit? Un allègement des charges sociales ? Des intérêts notionnels? A chaque fois qu'un lobby particulier d'indépendants hausse le ton, tous les politiques de droite se mettent à genoux devant eux, il s'agit de leur électorat. De la sorte, ils n'agissent pas autrement que les politiques de gauche quand les syndicats de travailleurs font pression sur eux. Et, quand des enseignants déplorent le sous-financement de l'enseignement, la réduction de l'encadrement, la paupérisation des écoles, la réduction du financement public de la recherche, les mêmes politiques de droite estiment superflu d'écouter tous ces gauchistes que sont censés être les enseignants ... Voyez notamment, mais pas que, en France et en Italie.

http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/700806/la-diminution-du-nombre-de-deces-affecte-le-secteur-des-pompes-funebres.htm

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que, selon une décision gouvernementale américaine (je veux dire celle du nord, car, en Amérique du sud, il semble qu'on soit un peu moins idiot), la pizza est dorénavant un légume ! Un lobby encore ? Il fallait en effet que la pizza soit reconnue comme un légume au risque de mettre en péril les fabricants industriels de pizza. En effet, une autre décision gouvernementale américaine, en matière de santé, a fixé un certain quota de légumes dans les repas préparés pour les cantines scolaires et les mess d'entreprises ... toujours plus à la masse, ces états-uniens !

http://fr.news.yahoo.com/élus-américains-pizza-légume-103731081.html

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que des chrétiens luttent contre la "christianophobie" en France, cette "fille aînée de l'Eglise". Généralement, ces mêmes "chrétiens" sont en même temps homophobes, islamophobes, gauchophobes, souverainistes, voire royalistes. Bref, ils ont peur de tout, et surtout de ceux qui ne leur ressemblent pas, car rien de ce qui les constituent ne semble apparemment les rendre très forts face au monde dans lequel ils doivent vivre. Ils manifestent à torts et à travers avec la détermination d'une tribu amazonienne en voie d'extinction. Leur combat ne fait pas rire, vraiment pas, sauf d'eux mêmes. Car ils sont ridicules ces chrétiens-là qui doivent plaire pourtant au Vatican. Ils ont fait parler d'eux à propos de spectacles de théâtre blasphématoires à leurs yeux, de photos publicitaires ou d'expositions. Qu'un des leurs soient l'auteur des propos ou des représentations qu'ils incriminent, on ne voit pas comment on pourrait leur dénier le droit de le condamner. Par contre, ont-ils ce droit à l'encontre de personnes qui ne pensent pas comme eux ou qui n'ont pas le même rapport à la religion qu'eux ?

http://info.france2.fr/france/manifestations-contre-la--christianophobie--71038552.html

J'ai lu dans la presse, cette semaine, qu'un tribunal français a imposé, à la demande d'un baptisé mécontent, la radiation de son baptême des registres paroissiaux. Beau cas d'école pour mon ami et estimé collègue Nicolas. Ce monsieur n'est sans doute pas le seul à avoir été baptisé sans qu'on lui demande son avis. Qu'il soit en paix avec sa conscience ! Ce qui est gênant, c'est l'existence d'un registre des baptêmes, donc des consciences, où, même en cas de baptême forcé ou non consenti, la prétention affirmée de l'Eglise est que la mention de ce baptême dans ce registre est ineffaçable, vu que le baptême est lui-même ineffaçable. Ineffaçable aux yeux de qui ? En vertu de quoi ? Est-il seulement concevable qu'une appartenance qui devrait relever de la seule foi, soit encore traitée dans une espèce de registre d'Etat civil ? On peut s'interroger sur le fait que le plaignant se soit adressé à un tribunal civil pour régler un problème relevant finalement de l'ordre juridique ecclésiastique, et s'étonner que ce tribunal se soit jugé compétent. Ce recours aux tribunaux d'un autre ordre juridique sur des bases plus universelles était peut-être la seule issue ? Jolie question ! Plus fondamentale, à mes yeux, est la question si l'Eglise vaticane doit (est en droit), à propos de ce qui devrait relever de la conscience de chacun, d'encore tenir des registres et un appareil juridique chargé de les faire respecter. Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Dans quel but ?

http://www.dici.org/actualites/france-un-tribunal-ordonne-deffacer-linscription-dun-bapteme/

J'ai lu, dans la presse, cette semaine, que l'Etat allemand envisage de réclamer un impôt, avec un effet rétroactif, sur la maigre pension qu'il verse aux personnes qui ont été enrôlées pour un travail obligatoire, par les nazis, lors de la seconde guerre mondiale. Mon père a fait partie du lot, quand un de ses condisciples d'école plus fortuné que lui a pris le chemin de l'exode vers la France libre, attendant dans une ferme des Pyrénées que tout se tasse avant de revenir. Mon père nourrit depuis une vaine rancoeur, qui ne risque pas de s'assagir aujourd'hui. Comment faut-il considérer le tout petit pécule allemand que mon père de 90 ans touche ? Comme une pension, parce qu'il a travaillé en Allemagne, comme une espèce de travailleur immigré, pour bénéficier d'avantages, à prouver, ou comme une indemnité parce qu'on l'a "forcé" à travailler en Allemagne ? Il semble bien, plus de 50 ans après, que cela ne soit toujours pas tranché dans l'esprit de certains conseillers allemands appelés à trouver des recettes nouvelles.

http://www.lesoir.be/actualite/monde/2011-11-19/le-fisc-allemand-reclame-de-l-argent-aux-belges-877871.php

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que Danone ment aux consommateurs depuis quinze ans à propos des vertus supposées de son yogourt Activia. En fait, que vous en mangiez ou pas, cela ne change rien, et cela favoriserait plutôt l'obésité. Je laisserai aux experts le soin d'en débattre et vous renvoie à Google pour les très nombreuses références à ce sujet. Un lobby encore ... "anti-Danone" ? Si c'est vrai en tout cas, ceux qui mangent depuis quinze ans des yaourts Activia et autres Actimel de Danone, ce qui n'est pas mon cas, se sont bien fait avoir.

Référence parmi d'autres (attention âmes sensibles s'abstenir) :

http://www.kiloki.com/fr/forum/sport-dietetique/16077/attention-danone-actimel-activia-probiotique-obesite.html

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que les candidats républicains à la primaire pour les prochaines élections présidentielles sont à peu près tous pourvus de tares rédhibitoires : ils n'ont aucune culture et connaissent encore moins la culture des autres qu'eux; ils ne connaissent pas la géographie, en dehors des Etats-Unis et encore ; ils n'ont aucune conscience de ce qui se passe dans le monde ; ils n'ont jamais voyagé en dehors de leur amérique profonde ; ils ne parlent qu'une seule langue "l'américain" (que l'on peut qualifier d'anglais bâtard) ; ils ne sont même pas capables, dans une interview, de se rappeler leur propre programme ; ils sont prêts pour de nouvelles guerres ; leur comportement sexuel n'est pas irréprochable ... Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la presse, n'ai-je pas raison de m'inquiéter ?

http://www.lalibre.be/societe/insolite/article/701127/herman-cain-decideur-pose-un-peu-fatigue.html
http://www.latribune.fr/blogs/election-usa-2012/20111117trib000664833/l-impitoyable-examen-des-candidats-republicains-.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20111115.OBS4532/video-quand-herman-cain-seche-sur-la-question-libyenne.html
http://fr.news.yahoo.com/débat-entre-les-candidats-républicains-cain-perry-et-063723612.html

J'ai lu dans la presse, cette semaine, que le pape Benoît XVI invitait les prêtres africains à venir en mission chez nous, pour la nouvelle évangélisation qu'il souhaite de nos contrées déchristianisées. J'aime beaucoup la simplicité et l'exubérance des chrétiens africains et communier avec eux dans une liturgie donne chaud au coeur. Mais, je crains que le pape ne fasse faute route une fois de plus. L'occident ne sera pas rechristianisé par des prêtres africains ou polonais. Je crains même que les églises se vident encore un peu plus. Il y a, dans nos contrées déchristianisées, des chrétiens convaincus et engagés, des hommes de leur temps, de leur milieu. Il y a, dans nos contrées déchristianisées, des chrétiens qui ont du souffle, du répondant, qui acceptent le pluralisme et le dialogue inter-religieux ou avec le monde de la laÏcité. Il y a, dans nos contrées,  des chrétiens qui pensent l'avenir, qui voient loin, plus loin, me semble-t-il, que dans les cénacles vaticans. Je dis bien des chrétiens, car il s'agit bien de chrétiens, qui pensent de plus en plus à une nouvelle réforme, un nouveau protestantisme. Je me sens de plus en plus proche d'eux. L'Eglise à laquelle je continuerai d'appartenir ne sera pas, ô grand jamais, une structure du passé maintenue en vie vaille que vaille. En voici un exemple, mes frères moines de Wavreumont se sont implantés au Pérou, dans les années 1960, dans une démarche d'engagement auprès des pauvres, ce qui veut dire "avec" les plus pauvres et "comme" les pauvres. Leurs réalisations sont remarquables : concrètes et symboliques. Cela va notamment d'une petite coopérative à un centre de défense de la culture indienne lequel rayonne maintenant dans tout le continent sud-américain. Leur implication dans la vie paroissiale, là où se trouve leur monastère, à Chucuito (3850 m alt.), a été remise à sa place par le nouvel évêque de l'Opus Dei et ses prêtres en col romain, dans lesquels la population locale ne se reconnaît pas et n'a aucune raison de se reconnaître. Comme moi, ils préféreront, peut-être continuer à aller chez les moines plutôt que de subir les représentants du pouvoir ecclésiastique romain ? Un peu comme moi.

http://www.lepoint.fr/monde/le-pape-appelle-les-pretres-africains-a-devenir-missionnaires-en-europe-20-11-2011-1398162_24.php

vendredi 18 novembre 2011

A propos de la musique d'ascenseur ou muzak

La musique d'ascenseur, appelée "muzak", aux Etats-Unis, désigne de manière péjorative une forme de musique aseptisée, sans pianissimo, ni fortissimo. Une musique que l'on n'écoute pas vraiment. Une musique à laquelle il est souvent difficile de se soustraire. Une musique lisse, sans relief.

Si certains ont composé ou arrangé de la muzak (Richard Clayderman sûrement, mais aussi Brian Eno et Glenn Miller), le plus souvent il s'agit d'un recyclage fade de tubes de la musique classique ou populaire (à commencer par "Les quatre saisons" de Vivaldi surexploitées ou "La mer" de Charles Trenet).

http://www.youtube.com/watch?v=E6AVPNEleKc&feature=related

Y a-t-il une différence entre la musique d'ascenseur et le courant Easy listening ? Je ne suis pas compétent pour en décider.

Exemple : Claudine Longet

http://www.youtube.com/watch?v=4_ZtwNZh5Wc

Je discerne quand même un point commun : c'est nunuche !

La muzak, depuis les années 30, n'est plus cantonnée aux ascenseurs des gratte-ciels new-yorkais. Elle a envahi les aéroports, les supermarchés, les centres commerciaux, les parkings, et même les rues. Elle fait un tabac dans les pays asiatiques qui sont devenus, je le pense, les plus gros producteurs de muzak du monde. Je vous invite à vous promener, un jour, dans une quelconque Chinatown de la planète et d'écouter les disques qui y sont vendus dans les magasins.

La muzak, au Japon, a été aussi l'inspiratrice de jeunes créateurs qui l'ont un peu revisitée tout en en respectant les codes.

http://www.youtube.com/watch?v=E3Gfs_It9Rw&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=2oAvDgKQMTE
http://www.youtube.com/watch?v=hIjE789TFzw&feature=player_embedded#!
http://www.youtube.com/watch?v=V-Uyp_nzinU&feature=related

Il est une catégorie particulière de muzak : celle des chants de Noël audibles dans les villages de Noël, les galeries marchandes, les rues même, dès le 15 novembre ! Celle-ci m'horripile particulièrement, parce que généralement, elle est encore plus mauvaise que les autres (alors que tant de bijoux chantent Noël). Quand en plus, je dois entendre au moins 84 fois entre le 15 novembre et le 1e janvier Johnny Halliday chantant "O marie", je n'ai qu'une envie m'enfuir, et même m'enfouir, dans un cocon protégé.

On ne parle pas assez de ces musiques envahissantes qu'on n'entend pas et surtout dont on se passerait fort bien. Toujours la même chose. Rappelez-vous mes articles précédents : la place laissée au vide ; comme si tout voulait contribuer à ce qu'il n'y ait plus aucune place pour le vide, le vrai silence. Même, dans les églises, les collégiales et les cathédrales, une musique (religieuse) de fond est proposée, en sourdine, il est vrai. Je ne dis pas que l'idée est mauvaise ; elle n'autorise simplement pas le silence.

Soyons de bon compte, si je pouvais fréquenter les hôtels 5 étoiles et les palaces, j'aimerais pourtant qu'un pianiste joue au bar de la musique douce. J'y boirais un Martini "on the rocks", dans une ambiance feutrée, entouré de belles créatures si possible (ou pire, en train de préparer un dossier pour une réunion très importante dans un organisme fatalement très important, lui aussi, mondial si possible). Il n'est pas dit que je n'y fixerais pas un rendez-vous galant. Il paraît cependant que les pianistes de bar sont de plus en plus rares.  Et en ce qui me concerne, les rendez-vous galants tout autant.

Non, voilà Angela. Ne me dites pas que Nicolas va suivre ...






Heureusement pour moi, le barman ressemble à George Clooney et le serveur à Salim Kechiouche. Un cinq étoiles à recommander donc.

Ambiance musicale :

http://www.youtube.com/watch?v=9gcVned3s6s&feature=related

jeudi 17 novembre 2011

Mines vs talents

J'ai consacré un précédent billet à la parabole des talents (Mt, 25, 14-30).

Quelques jours après, la liturgie a offert à la méditation une autre version de ce récit (Lc, 19, 11-28).

Il n'y est plus question de talents, mais de mines. Il s'agissait peut-être de toucher davantage certains ingénieurs plus portés sur les mines que par les talents ... Voici pourtant qui devrait intéresser aussi les économistes. La "mine" est une pure unité de compte, elle correspond à 100 deniers ; et il n'a jamais existé de pièce de monnaie valant une mine. Le denier, quant à lui, était une pièce en argent, frappée par l'autorité romaine, et censée représenter le salaire journalier d'un ouvrier agricole. Voilà qui est intéressant : une monnaie dont la valeur est fixée sur le salaire journalier de l'ouvrier agricole. C'est un peu comme si la valeur de nos billets en euros était fixée en fonction du salaire minimum garanti. Dans un tel système, quand on acquiert un bien, on serait censé payer un certain quota de salaire minimum garanti. Cela a beaucoup plus de sens évidemment que de payer avec un billet dont la valeur dépend de marchés imprévisibles et de spéculateurs voraces qui ne représentent pas grand chose. Le sens et la perte de sens toujours et encore.

Ceci dit, si un talent vaut d'après mes calculs précédents, aux alentours de 41.000 euros, une mine, au cours d'aujourd'hui, ne pèse vraiment pas lourd.

Le récit, pour l'anecdote, met en scène ici des "traders" encore plus fortiches que les précédents, la différence est que chacun reçoit la même chose au départ, ce maître-ci, un peu moins fin que l'autre, ne tient pas compte des capacités de chacun. Il doit jubiler particulièrement, quand le serviteur le plus doué lui rend 10 mines pour une seule investie : un return sur investissement de 1.000 % ! Plus fort que ça, tu meurs. Ceci appelle un impôt sur la fortune particulièrement salé !

Mais si le récit semble fort outrancier, il contient une pépite.

"Je vais te juger d'après tes propres paroles", dit le maître au serviteur timoré et trop prudent. Tu as fait de moi un Dieu de la peur, je serai dès lors pour toi un Dieu de la peur, à moins que tu ne changes d'avis. Tant que tu en resteras là, tu risques bien d'être encore exclu de mon Royaume pour un bon bout de temps. Alors, songes-y, moi je t'attends !



"J'ai eu peur et c'est à cause de toi ... 
C'est l'image qu'il se fait de son maître qui lui inspire son discours. 
Il se croit juste et considère au contraire son maître comme intraitable.
 Une telle image du maître rappelle celle que le fils aîné se fait de son père 
(dans la parabole du fils prodigue) (Lc, 15, 29-30)
 et celle que Luc attribue aux pharisiens.

La générosité, le pardon, l'amour deviennent impossibles 
quand seule triomphe la stricte rétribution ...

Le maître prend son troisième serviteur au mot ... 
Dans un certain sens, on a le Dieu que l'on mérite ou on a celui que l'on décide d'avoir ".

Francois Bovon, exégète protestant

mercredi 16 novembre 2011

Dépouillement et lâcher-prise

Est-ce l'âge ou les expériences heureuses ou malheureuses d'avant l'âge ?

Deux sujets m'interpellent particulièrement, ces temps-ci. Ils ne font pas partie du discours ambiant, j'estime devoir en parler d'autant plus.

Le dépouillement

Je me suis posé la question suivante toute simple : y a-t-il des choses, dans ma vie concrète, dont je serais capable de me passer ? Si la question est simple, la réponse ne l'est pas nécessairement. J'ai donc cherché à définir des critères pour opérer ce dépouillement. J'ai opposé ce qui est éphémère à ce qui est durable, ce qui est indispensable à ce qui est superflu, ce qui est "à la surface" des choses ou des êtres et ce qui les rejoint en profondeur, notamment.

Faites l'exercice. Moi, je l'ai fait, et le bilan est astronomique !

La liste des choses dont nous pouvons nous dépouiller touche à tous les domaines : nos consommations, nos lectures, nos addictions, nos relations humaines,  nos rationalisations, des désirs, notre manière de travailler, nos voyages, nos boulimies (d'informations, de CD, de films, d'événements culturels).

Si je parle ici de dépouillement, c'est que je pense que cela a un sens. Un sens parmi d'autres sens possibles.

Je suis convaincu d'une chose : rien de tel que le vide pour évoluer.

A trop vouloir combler les vides de nos existences, nous finissons par ne plus être ouvert à autre chose que ce que nous avons construit de toutes pièces (ou que les autres ont construit pour nous de toutes pièces). Sans vide dans nos vies, nous ne laissons plus aucun espace à Dieu.

Quand je dis Dieu, je pense à ce souffle en nous qui ne demande qu'à nous surprendre, nous faire prendre le large, nous conduire à rompre les entraves, à changer de cap. Dieu a besoin d'un vide en nous pour nous aimer et nous amener au meilleur de nous-mêmes.

Je pense sincèrement, pour ma part, qu'il n'y a pas de bonheur, sans un vide, que j'appelle moi la place pour Dieu.

Le "lâcher-prise"


Tout contrôler, tout maîtriser, tout organiser, tout prévoir ...

Mes parents sont comme cela, moi pas ; enfin si quand même, mais un peu moins qu'eux.

J'ai beaucoup réfléchi à ce sujet pour ma vie concrète. Cette réflexion amène à prendre conscience de ses limites, à découvrir tout ce qui nous échappe.

D'abord, cela commence avec les autres. Nous n'avons absolument aucun pouvoir de les transformer, et encore moins de les rendre "à notre image". Aurions-nous cette ambition, nous pécherions par orgueil. Mais nous pouvons vivre avec, aider, accompagner, susciter, encourager, interroger ...

Ensuite, la vie comporte des choses inéluctables, contre lesquelles il est vain de se battre, mais qu'il faut accepter, assumer, vivifier. Cette voie permet d'éviter de perdre beaucoup de nos énergies à lutter contre l'impossible, combat qui peut nous anéantir. Je pense ici à tellement de choses qu'il faudrait tout un autre post pour en faire le tour. A celui qui me lit de se livrer à l'exercice.

Le lâcher-prise a aussi avoir avec le temps. Nous ne sommes jamais maîtres du temps. Une fois le grain semé, nous pouvons l'abreuver, lui donner les meilleures conditions d'ensoleillement, le protéger du froid, mais nous ne définissons pas son temps de maturation. Il nous appartient alors d'être patient et habité d'espérance. Cela veut dire aussi : évacuer tout sentiment d'urgence. Enorme défi pour les hommes d'aujourd'hui!

lundi 14 novembre 2011

Les talents

Même les non-chrétiens doivent avoir entendu parler de cette parabole, une des plus connues du Nouveau Testament : la parabole des talents (ce dimanche, dans sa version de Matthieu, 25, 14-30).

En voici les termes. Un homme part en voyage et confie la totalité de ses biens à trois serviteurs. 5 talents pour le premier, deux pour le second, un pour le troisième, " à chacun selon ses capacités ", dit le texte. Au retour du maître, chacun se présente : le premier a fait fructifier ce que le maître lui avait confié, il lui rend le double ; il en va de même du second. Chacun d'eux se voit alors gratifié de belles récompenses : il sont invités à la table des réjouissances du maître et se voient promettre d'autres missions bien plus grandes. Le troisième serviteur rend à son maître le capital qui lui avait été confié, mais il ne l'a pas fait fructifier. Le texte dit que, confronté à cette responsabilité, l'homme " a eu peur ", il redoutait le jugement du maître qu'il percevait comme quelqu'un " de dur " et d'intraitable en affaires et, plutôt que de prendre des risques inconsidérés, il a caché dans la terre ce que le maître lui avait confié, pour être sûr de pouvoir le lui rendre. Il se voit exclu et soumis à un avenir pas très rose.

Les paraboles de Jésus autorisent généralement plusieurs lectures. On les comprend selon son coeur. En cela, elles sont toujours actuelles.

Un talent à l'époque de Jésus représentait une quantité d'or non négligeable. Un talent équivalait en effet à 49, 200 kg d'or. Le maître de la parabole possédait au moins huit talents. En possédait-il d'autres investis ou cachés sous d'autres cieux ? Selon le texte, il confie en tout cas son avoir à ses serviteurs. Au cours de l'or aujourd'hui (41.821,76 euros le lingot d'un kilo), cela représente une fortune considérable (plus de 16 millions d'euros) ! Je comprends un peu l'appréhension du troisième serviteur ... surtout si le maître attend un return sur investissement de 100 %, comme le réalisent les deux premiers serviteurs. Oserais-je les appeler "traders" ? En tout cas, ceux-ci sont manifestement gratifiés par le maître d'un bonus. Quant au troisième, s'il n'a pas enrichi son maître, il ne lui a fait subir aucune perte non plus ! Le maître le prive pourtant de tout et remet au plus avisé des trois le talent qu'il avait confié au moins hardi des trois. En conséquence, ce collaborateur un peu trop timoré se fait licencier sur le champ comme un "bon à rien" au point de se retrouver, ce qui est bien compréhensible, dans "les ténèbres", là où ne l'attendent plus que "des pleurs et des grincements de dents". En outre, le maître dit cette parole inouïe : "A tout homme qui a, l'on donnera et il sera dans la surabondance, mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré ". Bigre !

Dois-je dire que j'ai été troublé ? Cela ressemble tellement à des situations d'aujourd'hui. Jésus aurait-il fait, il y a deux mille ans, l'apologie de ce qui me heurte et me révolte le plus, en ces temps troublés qui sont les nôtres, sur cette planète soumise à la loi et à la folie des financiers ?

De la parabole des talents, j'avais gardé une vision très simpliste. Jouant sur les mots, on m'avait expliqué que Dieu m'avait donné des dons et que je ne devais pas les laisser dormir, sous peine de châtiment. Je devais les cultiver et en faire profiter les autres. Il s'agissait, par exemple, de ma capacité à chanter et à lire un texte, de mon aisance à parler en public, de mon aptitude à parler simplement de choses compliquées, de ma capacité d'écoute aussi, de mon talent de concepteur de projets (bien davantage que de maître d'oeuvre), de cuisinier peut-être ...

Une autre interprétation définit les talents comme étant tout ce qui structure la vie chrétienne : le baptême, l'eucharistie, la parole, le pardon, la prière, les dons de l'Esprit (science et sagesse, prophétie, discernement, guérison, don de parler en langues et d'interpréter cette prière si particulière) ( 1 Cor, 12, 1-11).Voilà le bien remis qu'il faut faire fructifier. Benoît XVI  a proposé jadis cette lecture dans une homélie. Il n'a sans doute pas tort, mais cela semble tellement convenu, attendu même, qu'on ne l'entend plus.

Ya-t-il moyen de s'en sortir avec ce texte, tout en restant crédible et audible ?

Voici une autre interprétation encore, une parmi d'autres sans doute, la mienne.

Il est dit, dans le texte, que le maître en départ " confie " tous ses biens à ses trois serviteurs. Il ne se réserve rien pour lui-même, même pas un droit de regard. N'est-ce pas là un geste inouï de confiance ? En plus, le maître sait y faire, il tient compte de la particularité de chacun, pour n'imposer à aucun plus que ce qu'il peut, "à chacun selon ses capacités", dit le texte. Un jour pourtant, les serviteurs vont être appelés à revoir le maître et à envisager avec lui comment les choses se sont passées en son absence.

Les trois serviteurs de toute évidence ne perçoivent pas le maître de la même manière. Du troisième seulement, le récit nous dit ce qu'il ressent : pour lui, le maître est un homme "dur", il est intraitable en affaires, d'où sa peur, son appréhension. Sans doute les deux autres serviteurs ne voient-ils pas leur maître du même regard, on peut le supposer. Bref, alors que le maître leur a également fait confiance, la réponse des trois serviteurs n'est pas identique.

Deux serviteurs vont recevoir en retour ( oserais-je dire le bonheur ?), le troisième en sera exclu. Ce qu'il reçoit, ce sont "les ténèbres", "les pleurs et les grincements de dents".

Le maître confiait tout, sans limite, sans réserve. Peut-on recevoir, avec fruit, si on est sur la défensive, replié sur ses craintes, en train de préparer à l'avance son auto-justification ? Le bonheur promis n'implique-t-il pas certaines prises de risque que d'aucuns ne manqueront sans doute pas de juger insensées ?

Ne voyons surtout pas dans la conclusion du récit ( " à tout homme qui a l'on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé ") une quelconque loi de la justice divine, qui serait aussi injuste que révoltante. Interrogeons-nous plutôt sur notre attitude qui est seule en cause. Plus nous sommes ouverts au don de Dieu, que celui-ci ajuste à notre personnalité, à nos capacités, à nos faiblesses, plus nous connaissons la vie en sur-abondance. Plus nous nous laissons enfermer dans des schémas de peur, de sécurité à tout prix et de frilosité, moins nous avons part à cette vie qui nous est pourtant offerte. Et il y a bien des choses à dire sur la peur, le besoin de sécurité et la frilosité dans nos vies concrètes. Et ceci n'a rien à voir avec la culpabilité, comme je l'entends encore trop souvent en réplique à mes propos.

Cette manière d'aborder un texte ou une situation avec des points de vue différents a toujours représenté, pour moi, une des choses que je voulais apprendre à mes étudiants comme professeur d'université agissant dans la sphère juridique. Vous l'aurez compris, cela n'a rien à voir avec l'exposé de solutions "clé sur porte". Les méthodes d'interprétation des textes, issues des grandes traditions juives, chrétiennes ou musulmanes mériteraient, à mon avis, d'être enseignées aux juristes, ils y trouveraient grande matière à réflexion. Pour démêler le vrai du faux, autre enjeu, il  faut compter sur les philosophes du droit.

vendredi 11 novembre 2011

De belles rencontres

Comme toujours, je reviens de mon séjour d'une semaine au monastère de Wavreumont totalement serein, ragaillardi, plus fort. Pour combien de temps ?

J'ai retrouvé, à peine un instant, Bruno. Entre un voyage au Niger et un autre encore à définir, pour Caritas international, il est revenu au port, ce port qu'il a découvert, il n'y a pas si longtemps. Le jour où j'arrivais, il repartait. Nous avons trouvé le temps de parler un peu. Il était venu avec son accordéon. Il dirige en effet deux chorales chantant des musiques du monde. La veille de mon arrivée, quelques moines l'avaient rejoint pour chanter un peu de tout, le frère prieur ayant apporté un casier de bières d'Orval, de Chimay et de Rochefort. Rien que des bières monastiques. Pour avoir bonne conscience ? Je ne crois pas. Mes frères de Wavreumont sont simplement ancrés dans la vie et ils cultivent la mesure, le juste équilibre.

Quand je séjourne à Wavreumont, je fais bien plus de rencontres que dans ma vie habituelle. Il y a eu Sophia, venant d'Angola, qui demande l'asile, et que les moines hébergent, parce qu'il n'y a pas assez de place dans les centres officiels pour ceux qui sont comme elles. Il y a eu Albert et Anne. Un couple de sexagénaires à l'humour ravageur. Elle est dessinatrice et toujours demandeuse d'emploi, m'a-t-elle dit. Lui, était prof de français et écrit maintenant des ouvrages sur les vitraux modernes en France ou sur les "sotays", ces petits gnomes de nos régions qui ont leur correspondant un peu partout en Europe, voire ailleurs (les djinns). A eux deux, ils ont huit enfants et une multitude de petits enfants, comme Abraham. Ils m'ont fait rire. Et puis, Conrad, 22 ans, chevelu, étudiant à Saint Luc ... qui se pose des questions sur son avenir. Il a l'impression d'être plus attiré par la musique que par ses études (installateur d'installations). Et puis soeur Pascale, qui est comme moi boulimique d'informations ; une soeur "à la mode", d'après des jeunes qui lui faisaient face dans le train. "T'es une soeur, toi ? Oui ! Alors, t'es une soeur à la mode". Je suis heureux d'avoir parlé avec eux, d'avoir échangé des adresses ou la promesse qu'on se reverra un jour. C'est étrange, mais quand je suis au monastère, je suis bien plus doué pour nouer des contacts que dans ma vie dans le siècle.

Les moines de Wavreumont sont très ouverts au monde et aux autres. Il existe vraiment autour des moines comme une famille. Ainsi, cette communauté d'hommes donne une place importante aux femmes pour l'accueil à l'hôtellerie, pour la cuisine, pour le partage, pour la prédication des retraites. Je trouve cela rassurant. Et il n'est pas dit que l'un ou l'autre moine ne compte pas sur cette présence féminine, le jour où il doit acheter une nouvelle paire de lunettes ou un nouveau vêtement ... Les moines, en effet, ne portent pas d'habit religieux en dehors du choeur.

Et puis, il y a l'autre rencontre. Celle que l'on fait avec soi-même. Celle qui se fait dans le silence et que parfois on ne sait pas nommer. Les moines nous offrent cette possibilité et acceptent, si on leur demande, de nous accompagner.

Il faut comprendre ceci. Un moine n'est pas un saint. Il est à jamais un homme en chemin, et d'abord un homme. Il vit sa vie avec ses faiblesses, ses interrogations, ses fantasmes, ses désirs, ses émotions. Il a choisi un mode de vie et une référence. Il a décidé de mettre sa vie entre les mains de Dieu. Il croit fermement que la parole de Dieu, dans toutes ses manifestations, et bien sûr avant tout dans la Bible, a un réel pouvoir de guérison et de transformation. C'est pourquoi il choisit de la fréquenter quotidiennement. Il serait erroné de croire que le moine ne vit que pour lui-même, pour sa réalisation personnelle. Il prie bien sûr pour le monde et pour ceux plus proches qui sont confiés à sa prière. Plus fondamentalement, cependant, il est le témoin d'une certaine manière de vivre avec les autres, avec la terre, avec l'économie du monde. Il est peut-être le témoin, l'exemple, d'un autre monde. De l'autre monde, celui que Jean-Caude Guillebaud évoque ainsi :

"Le vrai défi est le suivant : comment reconfigurer nos démocraties pour les adapter à cette perspective de croissance faible ou nulle ? On sait déjà qu'il faudra plus d'éthique, plus de partage, plus de justice, plus de cohésion sociale. Bref, un autre monde. Les "indignés" et les écolos - tant moqués - le pressentent et le disent. Avec vingt ans d'avance ". (J.C. Guillebaud, " Le mythe de la gouvernance ", Nouvel Observateur, 10 novembre 2011, n° 2453, p. 38).