J'ai entretenu, avec une des deux soeurs plus jeunes de ma mère, une relation singulière et privilégiée. Surtout à la fin de sa vie. A l'époque où elle était devenue solitaire, et malade, gardant toutefois des liens d'amitié forts et rares.
Je me rappelle, quand j'étais un tout petit garçon, dans les années 50, des photos qu'elle et son mari avaient rapportées d'Algérie, où ils vivaient, à Tamanrasset. Du soleil sur le massif du Hoggar. On la jugeait atypique et les bien-pensants de l'époque la considéraient comme un être perdu et peu recommandable.
Plus tard, je me rappelle avoir logé dans le minuscule mazot qu'elle possédait aux Houches (Le Crêton, route des Aillouds), mes parents avaient logé dans une auberge proche "Les sonnailles". C'était alors le bout du bout d'une route. J'y suis retourné bien des années après pour retrouver l'endroit. Des imbéciles avaient construit tout autour et le minuscule mazot avait été agrandi et englouti... Grande déception. Je me souviens de tout de ce qui y fut ma première visite: la couverture rouge, le poulet au basilic, les bougies, la porte qu'on ne fermait pas à clé.
Autre souvenir. Ayant souffert d'une très grave maladie du sang, et se retrouvant seule, elle a vécu chez ma grand-mère pendant un an ou deux. Sainte grand-mère! Je venais tous les mardis faire mes devoirs et manger là-bas. Ma grand-mère m'inculquait, ce qui n'était pas très compliqué avec un tel élève, la rigueur, la discipline, l'ordre. Après, elle m'ajoutait des exercices d'un livre qui s'intitulait "Vite et bien". Ma récompense: je pouvais lui faire l'école, en retour, pendant une demi-heure! Voilà comment on crée une lignée d'enseignants.
Ma tante, pendant ce temps, apparaissait de temps en temps et elle venait tout changer de place sur mon petit bureau bien rangé. Après son passage, plus rien n'était droit ou à sa place, tout était de travers. J'ai compris beaucoup plus tard ce qu'elle voulait me dire.
C'est à la fin de sa vie solitaire qu'elle m'a parlé de ce qu'elle aimait et ainsi fait découvrir: Samson François (dans les nocturnes de Chopin), Paul Auster, Brancusi, Chet Baker, entre autres. Elle avait coché dans un magazine un entrefilet sur Ben Harper et, comme j'assurais alors le lien avec le monde extérieur, les week-ends où je venais à Poissy, elle m'avait chargé d'aller acheter le premier album de Ben Harper. Elle ne supportait pas, par contre, la mère Evora ... (Cesaria). Comme elle ne sortait plus, elle m'envoyait voir des expositions; j'y achetais des cartes postales et, après, je lui racontais.
C'est elle aussi qui m'a fait découvrir Pierre Soulages. Elle découpait dans les magazines des reproductions, puis les encadrait. Cela lui permettait d'être accompagnée. C'est ainsi que j'ai au-dessus de ma télévision un faux Soulages ...
Quand je venais, c'était toujours champagne et foie gras ... Et puis, chacun dans sa chambre, quand elle avait décidé qu'elle en avait fait assez et devait retrouver sa chère solitude.
Pourquoi ces souvenirs? A cause de Pierre Soulages justement. parce qu'une exposition rétrospective lui est consacrée au Centre Pompidou.
http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/AllExpositions/1F34F8382E5324A5C12575CC0032C831?OpenDocument&sessionM=2.2.2&L=1
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