En France, en Belgique, ailleurs aussi, les méninges sont fort sollicitées pour le moment, car, dit-on, il faut réformer la fiscalité.
Constatation avant toute autre chose: s'il faut réformer la fiscalité, c'est que la fiscalité existante n'est pas satisfaisante. Pourquoi ne l'est-elle pas? En quoi? Faut-il considérer que les choix opérés, ces dernières années, par les politiques n'ont pas été opportuns? Comment les politiques, auteurs de ces choix, vont-ils parvenir à justifier certaines réformes, qui risquent bien de contredire leurs promesses électorales et leurs slogans de campagne?
La ministre française des Finances et de l'Economie, Christine Lagarde, qui, tous les jours, est confrontée aux chiffres, a apporté un début de réponse, quand elle a affirmé que le remaniement ministériel orchestré par "son" Président était totalement "révolutionnaire", opérant un virage à "360 degrés". Ceci a fait rire, surtout en Belgique. Un virage à 360° n'augure-t-il pas une "fuite en avant", comme l'a fait sournoisement remarquer un belge, Nicolas Ancion.
Méfiez-vous des chiffres! On arrive toujours à leur faire dire n'importe quoi.
Ainsi, l'église orthodoxe grecque a demandé au gouvernement hellène que la suite "666", symbole de l'Antéchrist, ne figure sur aucune carte d'identité électronique. Demande acceptée par le gouvernement en ce pays où la religion et l'Etat ne sont pas encore tout à fait séparés. Convenons-en, cela ne fait de mal à personne.
Revenons à la fiscalité.
Cela craque partout ... et, en plus, les Etats font face à des déficits budgétaires hallucinants issus aussi bien de politiques de gauche que de droite. Les premiers font peser sur l'Etat des charges trop élevées, les amenant à s'endetter; les seconds, avec leur baisse d'impôts, assèchent les caisses de l'Etat, ne leur permettant plus de jouer le rôle que l'on est en droit d'attendre de l'Etat.
Et un point à l'envers, et un point à l'endroit ...
(Jacques Brel, Les dames patronnesses).
In fine, le résultat est toujours caca d'oie, sauf pour quelques-uns.
http://www.youtube.com/watch?v=kMw8nIZw2js&feature=related
Cette chanson sarcastique n'a pas pris une ride. Elle dit, dans le fond, tout ce que je pense.
Dans la marge de manoeuvre réduite qu'ont encore les Etats européens, que reste-t-il?
On a déjà tellement taxé le travail et la consommation que les regards se tournent nécessairement vers ... le capital et les entreprises.
Halte-là! Pas touche aux entreprises! Pourtant, elles ne paient parfois pas d'impôts du tout (ou presque rien). Mais on n'attire pas une mouche avec du vinaigre, me rétorque-t-on! On a ainsi offert des ponts d'or à des investisseurs étrangers, français, américains ou chinois, qui n'en ont rien à foutre de tout cela. Ils empochent les avantages, puis ils restructurent et licencient. Qu'est ce qu'on est con en Europe et en Belgique! En effet, il eût peut-être mieux valu résister à ce capitalisme mondialisé qui n'apporte pas grand chose de bon pour nos économies. Mais les tenants de la croissance et du libéralisme n'en démordent pas! Ils raisonnent en boucle ... alors que la croissance ne bouge pas, ou plus, ou seulement pour d'autres! Bien entendu, ce n'est pas leur faute, c'est toujours la faute des autres (les syndicats et leurs revendications abjectes, la compétitivité insuffisante, ...). Et ne parlez pas de protectionnisme à des européens convaincus par la libre circulation.
Donc, ne touchons pas aux entreprises. Moi, je suggère pourtant de leur imposer, de manière ferme et contraignante, une charte de responsabilité morale et sociale. La Belgique ne doit pas (ne peut pas) être un pays où des capitalistes étrangers viennent s'en mettre plein les poches et puis, trois petits tours après, s'en vont "petit pon patapon". Restons dignes!
Alors, le capital? Quoi le capital? Le capital comme tel? Les revenus du capital? Les plus-values générées par le capital?
La France, qui est un des derniers Etats européens, à imposer le capital comme tel (l'impôt de solidarité sur la fortune - I.S.F., depuis toujours considéré comme injuste et inadapté) est prête à le supprimer. Après elle, il ne restera plus que la Finlande et la Grèce.
Les plus-values générées par le capital? Il y a là une matière imposable anormalement négligée. Pourquoi les plus-values sur le capital échappent-elles si aisément à l'impôt, sauf exception, en Belgique? Les nombreux français fortunés, qui ont choisi de devenir résident belge, ne se sont pas demandé pourquoi. Ils en ont profité.
Les plus-values? Quelles plus-values? Il en existe de deux sortes: les plus-values réalisées et les plus-values non-réalisées, mais que l'on peut constater à un moment donné. Les premières ont pour avantage d'être incontestables. Les secondes sont moins certaines. Taxons donc les premières et pas les secondes. La question est fondamentale: un enrichissement virtuel, mais bien réel, doit-il être exonéré de toute contribution une fois qu'il s'agit du bien commun?
Et puis, il y a les revenus du capital. Celui-ci peut être immobilier ou mobilier. Une fois encore, la marge de manoeuvre est fort réduite.
Personne, à mon avis, n'osera jamais plaider pour un accroissement des impôts sur la maison d'habitation familiale, au risque d'un lynchage public, avec goudron et plumes. Sur les immeubles donnés en location, une marge existe: il serait opportun, en Belgique, d'imposer le revenu réel net. Mais, la plus grande marge existe, à mon avis, sur les immeubles vides et inoccupés. Ils sont légion. Certes, on ne sait pas pourquoi ils restent en l'état (étages inoccupés au dessus d'un magasin de la rue Léopold à Liège, hôtel de maître place des Vosges dont les squatters sont expulsés ... pour prendre deux exemples aux antipodes l'un de l'autre). La volonté clairement affichée par un propriétaire de rendre un lieu improductif, inhabité, vide ne mérite-t-elle pas d'être taxée? Si l'impôt a pour vocation le bien commun, la réponse ne fait aucun doute.
Quant aux revenus du capital mobilier, j'ai lu récemment la réflexion suivante. En Belgique, les revenus du capital mobilier "à risque" sont plus lourdement taxés (25 %) que les revenus du capital mobilier "non à risque" (15 %). Cette inégalité de traitement, réelle, est injustifiable, disent certains: n'est-ce pas le contraire qui devrait exister? L'investissement à risque contribue en effet à la création d'entreprises et donc d'emplois; celui qui investit dans des placements non à risque cherche la sécurité, il n'apporte rien en termes de croissance. Pourquoi pénaliser celui qui prend des risques?
Une proposition médiane circule actuellement, dans certains milieux autorisés: une taxation uniforme à 20 % pour les deux catégories d'investissement.
Il faut se montrer extrêmement méfiant face à des propositions de ce genre. Elles se parent d'une apparente logique, qui n'est bien souvent qu'un voile de fumée.
Sans chercher à épuiser le sujet, je ne suis pas compétent pour cela, deux remarques quand même:
- d'abord, il n'est pas sûr du tout que l'on trouve les mêmes investisseurs dans les deux catégories d'investissement citées: le petit épargnant a bien raison de ne pas prendre de risques et de chercher une certaine sécurité, il agit en bon père de famille; on ne peut prendre des risques que si on a les moyens de le faire et même certains moyens. Il en est toujours ainsi, dans le domaine de la fiscalité: les paramètres sont nombreux et on est toujours injuste quand on refuse de prendre en compte tous les paramètres;
- ensuite, la plus grande part des placements sans risque correspondent à de la dette publique, ce qui correspond au financement de ce que l'on est en droit d'attendre de l'Etat: des missions régaliennes bien sûr (défense, justice, affaires étrangères), mais aussi une mission en matière d'enseignement, de culture, d'aide à l'emploi, d'encadrement et de reconversion des travailleurs licenciés, à tort ou à raison, d'assistance aux plus démunis, de protection du patrimoine. Bref, ce qui relève de la solidarité et du bien commun. Ai-je la berlue? Il y aurait alors une grande masse d'individus, aux moyens modestes ou raisonnables, qui financent toutes ces fonctions collectives, et une autre, beaucoup plus réduite, qu'il faut protéger, parce qu'elle finance l'activité économique, grâce à son remarquable esprit d'entreprise et son goût du risque.
Le bien commun. Toute la question n'est-elle pas là? Le système fiscal d'un Etat devrait être l'expression d'une juste participation de tous aux charges collectives en vue du bien commun. Il faut, pour cela admettre, que raisonner au-delà de soi peut être un plus et même un bien pour tous.
"Le problème, ce n'est pas l'argent en soi, mais les inégalités" (Eric Orsenna).
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