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vendredi 23 mars 2012

Le visage de Dieu

La liturgie de ce jeudi 22 mars invitait à lire et à méditer un extrait du livre de l'Exode (32, 7-14).

Le passage en question me pose beaucoup de questions.

Il y est dit que, dans son dialogue avec Dieu, Moïse "apaisa le visage de Dieu". Je suis surpris que le texte parle ainsi du visage de Dieu. Dieu, qu'on ne peut même pas, dans l'Ancien Testament, nommer, aurait donc un visage. Dieu, un tétragramme qui ne pouvait être dit. J'en étais resté, avec Moïse, au buisson ardent (Ex, 3, 1 et sv.). Un feu, qui l'intrigue avant toute chose (il brûle, mais ne se consume jamais), un feu qu'il va contourner sans jamais oser le regarder en face. D'ailleurs, quand une voix se fait entendre, en son coeur, comme une intuition, Moïse se voile la face : il craint de regarder Dieu. Je me reconnais tellement dans le parcours spirituel de Moïse, tel qu'il est décrit ici.





Dans la religion juive, comme dans la religion musulmane, il ne peut y avoir de représentation de Dieu, du visage de Dieu. L'islam ira même plus loin en interdisant, dans certaines régions, la représentation humaine, l'homme étant à l'image de Dieu. D'où cet art abstrait musulman sans cesse renouvelé et fécond. Le Dieu de l'islam est d'abord avant tout un concept, une idée. En Islam, Dieu est-il une personne ?

http://www.patterninislamicart.com/

Cfr. aussi : Malek Chebel, Dictionnaire amoureux de l'islam, Plon, 2004, p. 41 (à propos d'Allah)

Voici ce que dit Jacques Attali : "J'ai aimé cette idée d'une présence abstraite, d'une immanence (en hébreu, Chekhinah, signifie demeure), d'une idée universelle hors de toute culture spécifique. Une réalité abstraite".  Il cite alors Spinoza "Dieu est en tout et partout", phrase qui valut au philosophe juif d'être exclu de la communauté juive d'Amsterdam. Attali traduit Spinoza en des termes qui me plaisent : "Dieu est comme celui - ou celle - qui sacrifie tout pour ceux qu'il (ou elle) aime et qui les suit là où ils vont" (J. Attali, Dictionnaire amoureux du judaïsme, Plon, 2009, 133).

C'est le christianisme, avec Jésus, fils de Dieu, qui a rendu possible le visage de Dieu, à tort ou à raison, et a conduit des artistes à représenter Dieu, parfois avec génie, mais aussi à voir en tout être humain le visage de Dieu. Le côté ineffable du Dieu de l'islam me paraît pourtant fort juste. Il laisse à Dieu sa part de mystère, d'infini, d'innommable. Dieu ne peut jamais être réduit à un mot, un nom, une image, une représentation, une idéologie. Il est toujours au-delà. Je dis bien: toujours.

Le christianisme a peut-être eu tort de vouloir donner un visage à Dieu en Jésus ou de voir en Jésus le visage de Dieu. Cela ne change rien à ma foi chrétienne. J'adhère toujours autant aux invitations, aux paroles et aux actes de Jésus. Et je reconnais en lui un modèle exemplaire pour un chemin vers la vérité et la vie. Un des chemins les plus aboutis à ce jour même, me semble-t-il, pour qui veut grandir en humanité, le bouddhisme en étant, à  mon avis, le seul autre.

Dans le même passage, Moïse apparaît comme l'intermédiaire obligé entre Dieu et le peuple d'Israël. Oui, obligé, comme si le dialogue entre Dieu et son peuple ne pouvait pas se passer de relais. Voilà une dimension importante et peut-être un peu oubliée. La foi, le dialogue avec Dieu, est devenu de plus en plus un dialogue intime et individualiste. Le coeur à coeur existe évidemment. Il n'est pourtant pas accessible à tous et la plupart ont besoin d'intermédiaires pour nouer le dialogue. On en trouve dans tous les pays, toutes les cultures, toutes les croyances, toutes les Eglises. Les  bons relais sont-ils offerts ?

Le reste du texte me pose problème. Il dit que, grâce à l'intervention de Moïse, Dieu renonça au mal qu'il avait voulu faire à son peuple. N'est-il pas choquant de voir Dieu animé d'une intention de faire du mal ? Et plus étonnant encore de le voir empêché d'agir de la sorte grâce à une intervention humaine, l'intercession de Moïse ?

Des questions fondamentales sont ici posées :
- Dieu n'est-il que bon ? Ou faut-il voir, à travers l'action de Moïse, une tentative de l'humanité de faire face à un dilemme, qui le dépasse depuis toujours, le dilemme bien/mal ? Une tentative, désespérée peut-être, pour faire pencher le plateau de la balance plutôt du côté du bien que du côté du mal ;
- ce qui nous dépasse n'est pas nécessairement que l'amour ... des événements récents viennent de nous le rappeler ;
- quelle est notre marge de manoeuvre face à ce qui nous dépasse ? Avons-nous réellement un pouvoir d'action ? Ou faut-il nous soumettre à un éternel conflit bien/mal, jusqu'au jour peut-être du jugement dernier ?

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