Le hasard fait que je suis l'ami Facebook d'actuels étudiants en droit, qui ne m'auront jamais comme prof et qui parfois me connaissent à peine. Ce lien me donne accès à certaines réflexions et à quelques états d'âme.
Au risque de paraître ringard, une fois de plus, je définirais le bon prof de droit à l'université comme ceci.
Il peut arriver à son cours les mains dans les poches et user de sa parole, d'une craie et d'un tableau pour faire passer l'essentiel. Il maîtrise la matière et est capable d'improviser son cours. Les cours que j'ai improvisés ont toujours été les meilleurs. Cela ne veut pas dire qu'ils n'étaient pas précédés de longs temps de lecture, de méditation et de prises de note, puis d'une certaine rumination, toute monastique dans le fond.
Je veux dire par là qu'il n'est pas nécessaire de disposer de "power points" ou d'animations sur écran pour faire un bon cours. Je veux dire aussi que l'on perd beaucoup de temps à s'adonner à ces nouvelles méthodes de communication.
Un bon syllabus pour un cours de 60 heures ne doit pas excéder 150 à 200 pages. Il ne sert à rien de donner à ses étudiants le dernier traité de 800 pages qu'on vient de publier, avec les tout derniers développements jurisprudentiels, les moindres détails du détail. Le public étudiant représente cependant pour certains profs une clientèle obligée. Ces professeurs se trompent de métier. Ils feraient mieux de consacrer leur temps à rédiger pour leurs étudiants un syllabus digne de ce nom.
Ce que les étudiants attendent de leurs professeurs, c'est, outre leur connaissance approfondie d'une matière, d'une part, leur capacité à en faire la synthèse avec le recul suffisant, d'autre part, leur aptitude à discerner dans cette matière ce qui bouge, les fractures annonciatrices de débats à venir, de choix à faire. Ces débats à venir doivent être éclairés à l'aune du passé autant que par les enjeux plus actuels. Il n'incombe pas au professeur, vis-à-vis de ses étudiants, de les informer de la dernière décision somme toute provisoire rendue par un tribunal quelconque dans une question controversée, mais de les sensibiliser au problème posé, d'en mesurer les enjeux, de peser les arguments.
J'ai toujours été surpris par mes collègues qui donnent des dossiers de documentation monumentaux ... comme si l'apprentissage à l'université s'apparentait à une compilation, toujours plus énorme, d'informations.
Je crois profondément aux vertus de l'enseignement ex cathedra, et tout autant aux vertus de l'examen oral. Je ne dis pas que l'enseignement ex cathedra est tout. Il doit évidemment se poursuivre au contact des réalités, quoique la réalité sert tout le temps à illustrer l'enseignement ex cathedra dans la vision que j'en ai. La différence est peut-être celle-ci : le but de l'enseignement universitaire n'est pas d'apprendre aux étudiants des solutions. Il est de les confronter à des questions ... parfois sans solution.
Il est un autre aspect. L'enseignement du droit à l'université doit évidemment doter les étudiants d'un certain bagage intellectuel. Il repose sur deux piliers :
- des bases solides dans les matières juridiques ... mais aussi malheureusement de plus en plus des compétences, qui n'avaient pas leur place à l'université, auparavant, car elles étaient censées acquises, mais qu'il faut aborder aujourd'hui : l'art de la dissertation, l'art de l'argumentation, l'art de la rhétorique. Aujourd'hui, certains étudiants maîtrisent à peine le français et ses subtilités, quant à l'orthographe ! Un jour, je lisais à des étudiants de 2ème bac (licence en France) l'extrait d'un arrêt où figurait le mot "nonobstant", personne dans l'auditoire ne comprenait ce terme. Certains résistent, jusqu'à tenter l'épuration des auditoires. Ainsi, un de mes collègues, disciple de son maître, n'hésite pas à proposer à ses étudiants de 2ème bac, semble-t-il, la lecture d'une phrase comme celle-ci : " ... mais il faut renoncer à rien comprendre aux sociétés humaines si l'on ne réfléchit sur ce dont l'homme est capable qu'à partir des êtres que l'on accepte de fréquenter " (sic). C'est un étudiant qui me l'a communiquée. Cette phrase est lexicalement correcte, mais obscure. Certains étudiants face à une telle phrase s'avouent vaincus : ils ne comprennent rien. D'autres, les nouveaux disciples, se targuent, eux, de comprendre, et font preuve d'euphuisme : ils partagent le bel esprit et le style particulier de l'auteur et par ricochet du personnage fictif qui donna son nom à cette posture. Ils finissent par s'exprimer de la même manière quitte à n'être compris que par quelques-uns. Horresco referens, comme disait un romain dans Astérix. Il est intéressant de relever que cette posture, car telle est bien le nom, a sévi, dans tous les domaines, au 17ème siècle anglais, avant d'être stigmatisée, un peu plus tard, par Walter Scott (une brute), qui la couvrit de ridicule. Il parla alors d'individus pédants.
- si on donne à nos étudiants des outils, ne faut-il pas aussi qu'on leur apprenne à s'en servir ? Cela me paraît évident. Pour cela, quand j'étais étudiant, l'université organisait des séances de travaux pratiques où l'on étudiait des casus, souvent un peu tordus, avec un assistant. J'ai toujours pensé que des assistants bien formés auraient pu prodiguer utilement l'enseignement théorique, conçu par le professeur, mais que le professeur devait être là pour les séances de travaux pratiques, car il faut alors canaliser les suggestions diverses, faire le lien avec l'une ou l'autre théorie, et surtout conclure (avec souvent le constat que tout reste possible et ouvert). Dit par un assistant, cela peut paraître un signe de faiblesse ; dit par le prof, cela devient un signe d'humilité. Il n'en a pas souvent été ainsi dans ma faculté.
Quand et comment faut-il apprendre à jouer avec les outils dans un cursus d'étudiant en droit ? Je pose la question parce qu'il existe une ambiguité. Pour devenir avocat, il faut plusieurs années de stage. Pour devenir notaire, itou, plus un concours. Pour devenir magistrat, il vaut mieux avoir été avocat, puis réussir un concours. Si des stages professionnels sont prévus, dans les filières les plus prestigieuses du droit, pourquoi l'université doit-elle faire la même chose, au détriment d'autre chose ?
Je ne parle ici que des carrières prestigieuses : car on ne parle guère, dans les facultés de droit, des juristes qui finissent par travailler comme fonctionnaire aux finances, comme gestionnaire de dossiers dans une compagnie d'assurances, comme secrétaire communal, comme conseiller dans un centre d'accueil aux jeunes en difficulté. J'ai toujours eu l'impression qu'ils étaient considérés comme des juristes de seconde zone. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours eu en horreur la séance de remise des diplômes qui, pour moi, ne devrait pas avoir lieu en présence de magistrats et de membres du barreau et du notariat. Si ces solennités veulent dire quelque chose, il y a lieu de s'interroger sur ce qu'elles veulent dire. Je ne dis pas qu'il faut se contenter d'afficher les résultats ad valvas, comme pour le bac en France, mais une proclamation sobre, digne, sans flonflon, avec juste les parents et les lauréats, et sans mettre toujours les meilleurs en avant me conviendrait mieux. Ainsi, à l'issue, ne verrait-on pas, toujours le même tableau, les parents du sérail, gonflés d'orgueil pour leur progéniture, parfois médiocre, serrant les mains de tous les professeurs, qu'ils avaient croisé au Rotary ou dans d'autres cénacles, deux jours avant, et les autres, hors sérail, qui sont heureux aussi, mais un peu exclus ... à moins qu'un prof n'aille vers eux.
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