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mardi 20 mars 2012

Une société, pour quoi faire ?

Le ministre Johan van de Lanotte (S.P.A.) a dû s’expliquer, ces derniers jours, sur l’existence d’une société dont il est le seul actionnaire et qui servirait à recueillir les revenus qu’il perçoit en tant qu’administrateur dans des sociétés privées. Il a expliqué qu’il s’agissait pour lui de faire une distinction claire entre ce qui relève de son activité publique (comme parlementaire et aujourd’hui ministre) et de son activité privée. Observons qu’il est en outre professeur d’université.


A l’origine, pour faire une société, il fallait être au moins deux (après, parfois plus, 3 ou 7). Il s’agissait d’un contrat entre plusieurs associés décidant de mettre en commun un certain nombre de moyens pour exercer une activité destinée à générer des bénéfices que les associés se répartiront ou décideront de réinvestir dans leur aventure commune. En cas de perte, il était acquis qu’ils en subiraient le poids chacun pour sa part. Il s’agissait donc d’une structure destinée à encadrer les activités économiques exercées à plusieurs.

Deux facteurs ont modifié ce schéma simple : d'une part, certaines formes de sociétés vont être dotées d’une personnalité juridique propre ; d'autre part, d'autres formes de sociétés vont assurer une responsabilité limitée aux associés.

J’ai ainsi longtemps expliqué à mes étudiants en comptabilité, ignorant tout du droit des sociétés, mon cours intervenant avant le cours portant sur cette matière , que :
la personnalité morale accordée aux sociétés permet de les rendre seulement responsables des dettes qui leur sont propres. Les créanciers personnels des associés n’ont aucun pouvoir sur le patrimoine de la société, ce qui est une garantie de continuité pour les entreprises en société; 
- la responsabilité limitée permet aux associés de ne pas devoir contribuer aux pertes éventuelles au-delà de leur mise de départ.

Un grand bouleversement est intervenu, lorsqu’il a été décidé qu’il serait dorénavant possible de créer une société unipersonnelle dotée de la personnalité juridique et offrant en outre la responsabilité limitée (S.P.R.L.U : société privée à responsabilité limitée unipersonnelle). L’intention était noble : la société “à soi tout seul” évite aux indépendants d’être mis sur la paille en cas de mauvais sort.

Les choses sont cependant plus complexes, car à ce mouvement s’adjoint la dimension fiscale. Ma thèse de doctorat, qui allait plutôt à rebours de l’idéologie alors en vigueur, s’interrogeait sur une question simple somme toute : la taxation des entreprises doit-elle être unique ? Peut-elle être différente selon la forme juridique donnée à l’entreprise ? En d’autres termes, est-il acceptable, rationnellement, moralement, politiquement, juridiquement, de taxer différemment deux entreprises semblables pour la seule raison qu’elles ont adopté une structure juridique différente ?

Je m’étais limité à l’exercice d’une activité d’entreprise.

Etant donné que le taux de l’impôt des sociétés est inférieur à celui de l’impôt des personnes physiques et qu’une société offre des déductions que ne permet pas le régime de l’impôt des personnes physiques, des conseillers éclairés ont vu les avantages que l’on pouvait tirer de la constitution d’une société pour d’autres usages qu’une activité d’entreprise.

Je me limiterai ici à celles pour lesquelles il est difficile de nier l’intérêt fiscal. Une société patrimoniale peut servir, en effet, dans certaines grandes familles, ayant un important patrimoine immobilier et de nombreux enfants, à éviter les aléas de l’indivision et à sauvegarder le patrimoine familial. C’est bien entendu autre chose.

Il n’en est pas de même des “sociétés villa” (pures ou mixtes) où un immeuble d’usage privé est mis en société pour bénéficier d’avantages fiscaux. Cela fait trente ans au moins que le phénomène existe et perdure. Il y a eu l’une ou l’autre réaction du législateur pour s’opposer  à celui-ci, mais il renaît toujours de ses cendres.

Il n’en est pas de même non plus des “sociétés de management”. Le phénomène est complexe. A l’origine, il s’agissait de cadres dans une entreprise. En n’étant plus rémunéré personnellement, mais via une société prestataire de services, qu’ils avaient constituée généralement personnellement, la société consommatrice des services n’avait plus de charges sociales à payer pour ce collaborateur … qui, en société, bénéficiait en outre du taux de l’impôt des sociétés sur ses revenus et d’autres avantages. On découvre, en l’espèce, une des formes de ce que l’on appelle parfois “le faux indépendant”.

Cela dit, c’est bien de thésauriser ses revenus dans une société; encore faut-il pouvoir les faire sortir de la société, sans dommage … mais c’est une autre question et pour une autre fois.

Le ministre S.P.A., dans la tourmente, s’accroche au volet commercial de la question pour se justifier : grâce à sa société de management, il sépare différents aspects de son activité lucrative (publique et privée). C’est légal. Je le concède.

Que retenir ?

Deux choses :
- le commercial et le fiscal s’articulent mal : les bonnes raisons commerciales ouvrent souvent la voie à de mauvaises raisons fiscales ;
- la société, personne morale, fausse depuis toujours les règles du jeu fiscal. Elle est comme un “électron libre”, qui ne rentre dans aucun moule. Tous les débats concernant l’impôt des sociétés sont en fait de faux débats. Les sociétés ne sont fiscalement que des écrans de fumée. Les seuls contribuables sont toujours les individus, les citoyens. Il faut cependant bien constater que certains citoyens répugnent à être soumis au même traitement que les autres et que la diversité des régimes de taxation leur donnant raison, ils en tirent profit.

Un débat en profondeur sur l’impôt des sociétés me paraît une priorité pour les gouvernements à venir. Rappelons qu'avant la réforme de 1962-63, la Belgique ne connaissait pas d'impôt sur le bénéfice des sociétés, mais des impôts équivalents pour les personnes physiques et morales sur les revenus immobiliers, mobiliers et professionnels. La seule différence entre les personnes physiques et morales était un impôt supplémentaire, pour les personnes physiques, sur l'ensemble de leurs revenus (une espèce de C.G.S., dans le fond).

A méditer.








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