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mercredi 12 septembre 2012

Monsieur Arnault / Monsieur Arnaud

Claude Sautet a consacré un merveilleux film à un certain monsieur Arnaud, en 1995, avec un génial Michel Serraut et une touchante Isabelle Béart (d'avant la chirurgie esthétique).

Le monsieur Arnault dont on parle tant aujourd'hui, dans les media et les cénacles politiques, est bien moins intéressant a priori. Il ne suffit pas d'être une grande fortune pour être intéressant, il est vrai. On raconte surtout, à son propos, à peu près n'importe quoi.

Donc, ce monsieur de nationalité française demande à acquérir la nationalité belge (outre sa nationalité française à laquelle il n'entend pas renoncer). Il en a le droit, il n'y a là rien d'illégal, s'il répond aux conditions prévues, notamment disposer d'une résidence principale en Belgique depuis trois ans au moins. Il dispose d'une résidence en Belgique, à Uccle, depuis fin 2011, et depuis a payé en Belgique le précompte immobilier pour celle-ci. Comme il dispose de plusieurs résidences dans le monde, la commission sénatoriale des naturalisations devra apprécier si cette résidence est sa résidence principale, "le lieu où il fait et défait ses bagages avant d'aller ailleurs" et si le délai de trois ans est acquis. Un magistrat d'un autre temps définissait la résidence principale comme étant le lieu où un citoyen retrouve "sa pipe et ses pantoufles". Ce magistrat est un goujat : à la résidence principale, se trouve parfois aussi une femme (dans les autres aussi parfois). Le critère de la résidence principale n'en est pas moins délicat à vérifier.

Monsieur Arnault serait, dit-on, mu par un souci d'évasion fiscale.

Il convient, de ce point de vue, de mettre certaines choses au point.

Si les Etats-Unis d'Amérique ont la prétention de taxer leurs nationaux, partout dans le monde, aucun Etat européen n'agit de la sorte. La répartition des compétences fiscales y est fondée avant toute autre chose sur la résidence. On paye ses impôts là où on réside, qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune, quand il existe, ou de l'impôt sur les successions. Certains impôts échappent à cette règle ; par exemple, un consommateur paie la T.V.A. là où il consomme. Des conventions internationales entre Etats peuvent aussi contredire le principe : par exemple, les revenus d'immeubles sont imposables, là où se trouve l'immeuble, non dans l'Etat de résidence du bénéficiaire. Un revenu professionnel est taxé là où il trouve sa source, non dans l'Etat de résidence.

Compte tenu de cela, on peut affirmer, sans se tromper, que :

- même devenu belge, monsieur Arnaut devra continuer à payer, en France, l'impôt sur ses revenus de CEO, et même y subir le taux de 75 % promis par le président Hollande, le cas échéant. Lui-même l'admet. Je ne vois pas où est le problème. La nationalité n'a rien à voir. A moins qu'il ne situe sa résidence principale en Belgique, ce qu'il n'a jamais dit.

Il est intéressant de noter que deux critères, en droit belge, servent à définir la résidence fiscale. Parmi ceux-ci, figure "le siège de la fortune". En droit belge, on n'est pas seulement un résident fiscal là où l'on a "sa pipe et ses pantoufles", on l'est aussi là où on gère concrètement sa fortune. Cela tient, par exemple, au lieu où l'on détient des comptes bancaires et aux endroits où l'on participe à des conseils d'administration. Certains "nouveaux" monégasques en ont été pour leurs frais. Il serait étonnant que la France ne dispose pas d'une disposition similaire, j'avoue ne pas le savoir. Je veux dire par là que monsieur Arnault, même devenu résident belge, pourrait encore, à bien des égards, être considéré comme un résident fiscal français, avec toutes les conséquences qui s'en suivent ...

- ce n'est pas en devenant belge que monsieur Arnault échappera aux droits de succession français, ses héritiers devront justifier, avec suffisance, de l'endroit de sa résidence principale le jour de son décès ;

- ce n'est pas en faisant l'acquisition de la nationalité belge que monsieur Arnault pourra bénéficier d'une immunité quant à l'impôt français sur la fortune, ni qu'il profitera du régime belge aberrant consistant à ne pas imposer les plus-values sur actions : il doit devenir résident fiscal en Belgique ;

- ce n'est pas en devenant belge que monsieur Arnaut aura droit au généreux régime des intérêts notionnels. Il ne faut pas être belge pour créer une société de droit belge. J'ai même entendu que, dans la crainte, d'une politique plus sévère vis-à-vis des intérêts notionnels, qui pourraient être réservés aux seules sociétés belges (?), monsieur Arnault aurait demandé, à cette fin, la nationalité belge ...

Bref, je me dis que les media et les politiques racontent vraiment n'importe quoi.

Je reste tout aussi sceptique sur un projet d'investissement commun avec le belge, et ami, Albert Frère. On ne nous a plus habitué, à vrai dire, à ce que les fortunes nationales investissent dans des projets nationaux. Elles investissent là où cela leur rapporte de l'argent.

Deux explications seulement sont possibles :
- la première : comte tenu qu'un français, en vertu d'un traité franco-monégasque, ne peut pas devenir citoyen et résident monégasque aussi facilement qu'un autre citoyen européen, la nationalité belge pourrait être un laisser-passer vers un vrai paradis fiscal (merci Justine Henin) ;
- la seconde : monsieur Arnaut trouve plus stimulant d'être le citoyen d'un pays surréaliste que d'un pays qui, engoncé dans ses principes républicains, a de la peine à rire de lui-même. Mais même de cette raison, je doute.



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