Il existe un évangile selon Matthieu. Comme toujours avec les évangiles, on ne peut être sûr qu'un dénommé Matthieu soit bien l'auteur de ces lignes. Ils ont dû être plusieurs qui conservaient un souvenir. J'ai entendu, ce dimanche, une parole très belle: "
on ne signe pas plus un évangile qu'on ne signe une icône,
ce n'est pas l'auteur qui compte; c'est ce qui est dit ou montré. L'auteur ne compte pas".
Il n'y a pas non plus de titre à l'évangile selon Mathieu, pas plus sans doute, à l'origine, que de chapitres et de versets. Cela commence néanmoins comme ceci: "
Livre des origines de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham". N'est-ce pas là le titre?
Les origines, comme du temps de la Genèse, de la création du monde et de l'homme. Fils de David et d'Abraham. Une lignée, mais aussi, surtout peut-être, une nouvelle genèse.
J'aime à penser que Dieu n'est pas aussi parfait que nous le croyons, qu'il lui est arrivé d'avoir du regret pour ce qu'il avait fait et qu'il est prêt à recommencer son oeuvre. Il faut dire qu'avec nous, les hommes, il a fort à faire. Ne fait-il pas, d'une certaine manière, aveu d'échec quand il expulse Adam et Eve du paradis?
Dans une lignée, on est engendré de père en fils (les lignées sont moins souvent fondées sur la filiation maternelle, alors que la filiation maternelle est plus aisée à établir que la filiation paternelle). L'évangile selon Matthieu propose, en son début, une filiation de Jésus selon la lignée paternelle pour le rattacher, sans doute de manière fort artificielle, à David et à Abraham.
Ce n'est pas cela qui est important. Le plus important se trouve au verset 16 du chapitre 1er de l'évangile: "
Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l'on appelle Christ".
Extraordinaire renversement: une femme est mentionnée tout à coup dans la lignée. C'est que quelque chose d'important se passe. Un cycle est rompu. Un nouveau cycle commence, qui sera suivi peut-être d'autres cycles.
Le début de l'évangile selon Matthieu ne précise pas non plus ce qu'il va se passer après la dernière étape de la litanie. On n'y parle pas de la descendance de Jésus. Pourquoi tout s'arrête-t-il là? A-t-il eu des enfants? On nous dira que cela n'est pas très important de le savoir. On occultera d'ailleurs le fait. Cela me réjouirait pourtant qu'il en ait eu, pour confirmer encore un peu plus son humanité, son incarnation. Jésus aura néanmoins une grande descendance (comme Abraham). Il y aurait beaucoup à dire sur cette descendance-là de Jésus.
Pauvre Joseph?
Joseph sera l'époux de Marie, mais il n'aura pas engendré son enfant. Il lui faudra un certain temps, le temps de la patience, pour accepter de la prendre chez lui. Dans la Bible, quand un ange vient pour révéler la solution, cela veut toujours dire que le destinataire a surtout beaucoup réfléchi, qu'il est "rentré en lui-même". Joseph aurait pu sombrer dans la récrimination, dans le scandale, répudier Marie. Il en avait le droit.
Pourquoi ne l'a-t-il pas fait?
Parce qu'il lui a été concédé un grand privilège, celui de donner un nom à l'enfant de Marie. Donner un nom, c'est reconnaître. Donner un nom, c'est créer une identité. Donner un nom, c'est faire un pari pour l'avenir. Jésus, Josué, Yeshouah veut dire "
le Seigneur sauve". La responsabilité et la clairvoyance de Joseph ont donc été capitales, quand il a donné à cet enfant un nom.
Je suis fort interpelé par la paternité de Joseph, parce qu'elle me rejoint, dans ma vie personnelle. Moi non plus, je ne suis pas le géniteur de mes deux fils. Mais je leur ai donné un nom et fait ainsi un pari sur leur avenir.
Samuel veut dire, en hébreu, "
son nom est Dieu".
Benjamin veut dire, en hébreu, "
fils de la chance".
Je n'avais pas pensé à tout cela au moment de leur donner un nom, avec Anne. Nous avions pensé à d'autres choses. Avec le recul, cela me paraît tellement juste et interpelant pour moi-même.
Pour en parler, il me faudrait des pages et des pages ...