On y croise au printemps, et en été, comme maintenant, de jeunes amoureux attendrissants, et, à mon âge, cela fait du bien de les voir, et, sans nostalgie, de ressentir encore un petit quelque chose, un émoi, d'un passé que j'aimerais encore vivre.
Parmi les usagers des bancs publics, il y a aussi beaucoup de personnes âgées, qui s'y assoient pour reprendre souffle ou papoter entre elles. Je pense à mes parents, mais aussi à quelques dames d'un âge respectable du quai Van Beneden, qui, au moindre rayon de soleil, se précipitent pour bronzer au bord du fleuve, se croyant sans doute à Nice ou à Cannes.
Le dimanche surtout, des mères de famille, avec de jeunes enfants, s'y installent. Bien sûr, elles ne sont pas tout à fait d'ici. Leur couleur de peau en témoigne. Leur vêtement aussi (voile, boubou, sari).
On y croise aussi souvent, en journée, de jeunes maghrébins solitaires. Ils n'ont plus l'âge d'être à l'école. Ils ont autour de la trentaine. Comment sont-ils arrivés ici ? De quoi vivent-ils ? Ils sont toujours corrects. Ils sont là. Ils tuent le temps.
Puis, il y a les lecteurs comme moi, prêts à partager leur lecture avec leur voisin de banc. Ceux-là on les retrouve surtout lorsque le sport envahit tous les media : tennis, foot, formule 1, tour de France. Ces lecteurs-là fuient la télé, encore plus que d'habitude, et, quand les cohortes échauffées de supporters envahissent les rues de leurs cris, de leurs beuglements, de leurs klaxons, ils ne savent plus où se mettre. En voilà, tiens, une nuisance pour les autres : le supporter sportif ! On n'agit guère contre lui pourtant. On traque les plus récalcitrants, mais on ne protège pas le vivre ensemble.
Et puis, moi, qui suis de nature très solitaire, je trouve toujours un grand plaisir à parler avec un ou plusieurs compagnons de banc. Que de belles rencontres n'ai-je pas faites ainsi ? Le banc public favorise la convivialité.
Le soir, en été, le quai s'anime un peu. Des jeunes organisent des pics-nics et des veillées à la guitare sur le quai de halage, un peu en contrebas, cela sent la fumette, mais tout cela reste bon enfant.
Alors pourquoi les services de la ville ont-ils démonté tous les bancs publics ? Pour les rénover, les repeindre ?
J'ai interrogé l'agent de quartier : il n'y aura plus de bancs publics en dessous de chez vous (soit entre la Passerelle et le Pont des Arches), m'a-t-il dit. Pourquoi ? Pour éviter que des populations indésirables s'y rassemblent (des toxicomanes et des étrangers trop bruyants), m'a-t-il dit encore. Qui a demandé ou suggéré cela ? Alors qu'il s'agit de mon lieu de vie, et de mon mode de vie (j'aime les bancs publics), personne ne m'a consulté, ne m'a demandé mon avis. Et ce motif ne correspond pas à ce que je vis moi.
Que vont faire ces dénommés indésirables ? Ils iront un peu plus loin ou un peu plus bas (sur le quai de halage). Je ne saisis vraiment pas la portée de ces mesures étriquées qui cependant recueillent l'assentiment d'un certain nombre de personnes parmi mes voisins. Elles doivent lire, tous les matins, le journal La Meuse qui ne manque jamais de nourrir un perpétuel sentiment d'insécurité chez ses lecteurs (ou leur propose des nouvelles croustillantes, où il est toujours question de sexe ou de personnages célèbres qui se sont montrés nus). Voilà la lecture des vieilles dames. Et dire que je m'efforce toujours d'être aimable avec elles !
Bref, je suis indigné, révolté et j'en passe ...
Georges Brassens
Les amoureux des bancs publics
Les bancs publics ont disparu
Quelques bancs publics
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