Je dois l'avouer, comme beaucoup d'autres sans doute, Paul de Tarse me met mal à l'aise. Il livre, dans ses écrits, quelques passages sublimes, mais se perd aussi dans des discours d'auto-justification et des développements théologiques difficilement compréhensibles.
Son parcours surtout m'irrite : après une illumination sur le chemin de Damas et un séjour mystérieux en Arabie, ce curieux apôtre auto-proclamé va commencer à prêcher l'évangile de Jésus, sans jamais l'avoir entendu, ni vu (à moins que ...), sans se référer à ses paroles ou ses actes, ni prendre langue avec les vrais témoins et ceux qui s'étaient regroupés autour d'eux (Ga, 1, 17-18). Il ne les rencontrera que trois ans plus tard, non sans méfiance de leur part (Ac, 9, 26).
Il s'agit d'un personnage controversé, hier comme aujourd'hui, et il le restera.
Un usurpateur ? Il est clair que sans Jésus, Paul ne serait rien, mais que, sans Paul, le christianisme serait sans doute aussi resté une secte locale, une mouvance du judaïsme.
C'est la raison pour laquelle je recherche inlassablement à en savoir un peu plus. La tâche sera longue, je le crains, avant de me sentir à l'aise avec lui.
J'ai lu récemment un petit ouvrage très bien fait, et très convaincant, tellement bien fait, qu'il m'a fait un peu changer mon regard sur Paul : Daniel Marguerat, Paul de Tarse - Un homme aux prises avec Dieu, Editions du Moulin, 4ème éd., 2011.
Je voudrais modestement répondre ici à une critique habituelle souvent adressée à Paul : sa misogynie. Pourquoi ce sujet-là précisément ? Parce qu'il continue à poser problème à plusieurs de mes amies et relations féminines.
D'abord, il faut établir une distinction nette entre ce que Paul a dit et tout ce qu'on lui a fait dire au fil du temps.
Ensuite, il ne faut pas négliger le fait que Paul écrit dans un contexte socio-culturel déterminé, celui du premier siècle, où partout il allait de soi (chez les juifs, chez les romains, chez les grecs et chez les autres ... ) que la hiérarchie était la suivante : Dieu (les dieux) communiquent avec l'homme qui se soumet à lui (eux), lequel transmet à sa femme (ses femmes) le message de Dieu (1 Cor., 11, 3). Il ne faut pas demander à Paul de Tarse de dire ce qu'il ne pouvait pas dire, alors que cela était simplement inconcevable, en imposant un regard féministe d'aujourd'hui. Ce serait vraiment lui faire un mauvais procès. Mais, j'en conviens, plusieurs passages de la première épitre aux Corinthiens sont insoutenables, si on ne les remet pas dans leur contexte (1 Cor, 11, 1 à 16).
Et pourtant, Paul se montre audacieux et révolutionnaire par rapport aux femmes. Il est même sans doute le premier porte-parole de l'égalité entre hommes et femmes.
Au coeur du message de Paul, il y a en effet ceci : sous le regard de Dieu, plus aucune des distinctions en vigueur dans la société ne tient. "Il n'y a plus ni Juif, ni Grec; il n'y a plus ni esclave, ni homme libre; il n'y a plus ni homme, ni femme, car tous vous n'êtes qu'un en Jésus Christ " (Gal, 3, 28).
Paul casse les identités formatées par le temps, la tradition, le droit, les préjugés, la religion, la race, le genre. C'est bel et bien une attitude révolutionnaire. Un nouvel ordre.
Mais ce n'est pas tout.
On oppose souvent à Paul le discours qu'il tient à propos de la soumission des femmes à leur mari (Ep, 5, 21). On oublie ceci : Paul parle sans cesse de réciprocité.
Quelques exemples :
- après avoir affirmé : 'ce n'est pas l'homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l'homme" (1 Cor, 11, 8), il ajoute que la femme est " la gloire de l'homme" ;
- du constat venu de la Genèse selon laquelle "la femme vient de l'homme", il tire la réciproque : "de même l'homme existe par la femme et tout vient de Dieu" (1 Cor, 11, 12);
- quand il enjoint aux femmes de ne pas se séparer de leur mari, il enjoint aux hommes de ne pas répudier leur femme (ce que la la loi juive permettait pourtant), ils sont inséparables (1 Cor, 11, 13);
- quand il dit : "Ce n'est pas la femme qui dispose de son corps, c'est le mari " ... il faut lire un peu plus loin : "de même, ce n'est pas le mari qui dispose de son corps, c'est la femme " (1 Cor, 7, 4).
Bref, Paul admet que, face à Dieu, le modèle patriarcal, qui est une réalité sociale, ne tient pas la route.
Voulez-vous une autre preuve ? L'oeuvre missionnaire de Paul n'aurait pas été possible sans des relais, des fidèles sur lesquels il pouvait compter. Il en évoque quelques-uns dans l'épître aux Romains (Rom, 16) : on y trouve autant de femmes que d'hommes. L'Eglise catholique vieillissante ferait bien de s'en inspirer.
Enfin, j'ai beaucoup aimé, dans ce livre, l'épisode de la querelle du foulard (1 Cor, 11, 2-16). A l'époque, à la synagogue, les hommes priaient tête nue et les femmes devaient porter un voile dissimulant leur chevelure. Aujourd'hui, ce sont les hommes qui doivent porter une kippa, ou un chapeau, pour entrer dans la synagogue et, pour les femmes, une perruque fait l'affaire. Ainsi sont les usages, fluctuants. Paul a dû affronter une rébellion des femmes de la communauté qu'il avait fondée à Corinthe. Paul y avait introduit l'usage juif : les hommes tête nue, les femmes voilées. Mais celles-ci ont prétendu assister aux rassemblements non voilées, s'en référant aux propos de l'apôtre : s'il n'y a plus de différence entre les femmes et les hommes, il n'y a plus aucune raison que les femmes soient obligées de se voiler ! Elles sont vraiment géniales ces féministes de Corinthe ! Paul va s'en sortir comme un jésuite en disant que certes, hommes et femmes sont égaux dans le Christ, mais qu'il ne faut point entretenir une confusion entre les sexes ... Apparemment, cela est pour lui capital : point de confusion entre les sexes. Lisez ce passage. Les homos apprécieront.
" Jugez par vous-mêmes : est-il convenable qu'une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas qu'il est déshonorant pour l'homme de porter les cheveux longs ? Tandis que c'est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile " (1 Cor, 11, 14-15). Deux mille ans après, c'est encore le discours de beaucoup de musulmans.
Plus inquiétante est la conclusion : "Et si quelqu'un se plaît à contester, nous n'avons pas cette habitude et les Eglises de Dieu non plus " (1 Cor., 11, 16).
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