Le gourou a conçu, le bateleur a vendu, le professeur s'est interrogé.
Evidemment, le professeur est toujours un peu mal pris. Il doit rester neutre. Il peut souligner les enjeux, mettre en perspective, dénoncer les imperfections de la loi, mais il ne peut pas prendre parti. Il n'a pas à se prononcer sur l'opportunité de ce qui est soumis à sa réflexion.
Le gourou - qui est aussi parfois professeur - peut être, lui, comme gourou, de parti-pris. S'il veut éviter toute confusion des genres, il doit par conséquent sans cesse jongler entre neutralité et parti-pris. Pour réussir un exercice aussi schizophrénique, il faut être doté d'un esprit supérieur. Généralement, le gourou n'a aucun doute à ce sujet: il sait qu'il est un esprit supérieur. Il n'a même pas besoin qu'on le lui dise, mais il aime ceux qui le renforcent dans sa certitude.
Le bateleur est celui qui vante les mérites des trouvailles de son gourou. Il est prêt à dire n'importe quoi, pour vendre la marchandise, même à tromper les gens, comme tout bon bateleur. Il excelle à noyer le poisson, à esquiver les questions, à séduire ou à effrayer les esprits faibles. Il fait confiance au gourou et est sûr de son pouvoir.
Vous pensez que je vais parler de Nicolas Sarkozy et de ceux qui l'entourent. Que nenni!
Je vais, une fois de plus, parler des intérêts notionnels, un sujet bien belge, tellement belge que cette mesure "unique au monde" ... l'est restée. C'est la dernière fois que j'en parle. Certains sujets finissent par lasser.
Le gourou - le "père spirituel" comme le nomme le journaliste - a livré, le 14 juillet dernier, sa pensée dans une interview parue dans La Libre Belgique.
http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/596139/les-interets-notionnels-50-moins-chers.html
Il y fait preuve d'une réelle humilité, quand il admet que son projet a coûté au budget de l'Etat beaucoup plus que ce qui avait été initialement prévu, quand il reconnaît qu'il sera sans doute à jamais impossible de mesurer l'effet bénéfique de celui-ci sur l'emploi, quand il concède que la loi a créé pour certains grands groupes internationaux un "effet d'aubaine". Il admet même qu'un certain nombre de choses auraient dû être intégrées dans la loi ... et non des moindres (notamment, d'une part, une distinction entre les apports de capitaux frais et les fonds propres accumulés et, d'autre part, une différenciation plus nette - mais pourtant évidente - entre les grands groupes et les P.M.E.). Car non seulement, on ne peut mesurer l'impact sur l'emploi, mais on ne présente pas davantage de données attestant d'un meilleur équilibre entre le financement par fonds propres ou par endettement dans l'ensemble des entreprises belges (principalement constituées de P.M.E.).
Ceci, le professeur l'avait souligné et, une fois cela admis, on se demande encore si on n'aurait pas pu faire l'économie du projet du gourou pour des mesures plus transparentes ...
Le gourou fait aujourd'hui deux propositions:
- il y a, selon lui, moyen de réduire de 50 % (!) le coût budgétaire de son enfant, tout en renforçant les avantages octroyés pour les P.M.E. En d'autres termes, une plus grande efficacité à moitié prix! Il aurait pu y songer plus tôt! Comment dès lors ne pas douter? Cela ne pouvait pas échapper à un esprit aussi éclairé que celui du gourou. Est-il possible que, pendant plusieurs années, le budget de l'Etat ait été amputé de sommes considérables (entre 700 millions et un milliard d'euros!), non pas uniquement pour une fin vraiment utile, mais pour des usages indéfinis ou guère opportuns ...?
- piqué au vif, quant à l'emploi, le gourou renvoie à un ancien ministre des finances qui estimait qu'un même incitant fiscal ne doit pas poursuivre deux objectifs différents. Il suggère donc que parallèlement à un incitant portant sur le capital, il faut aussi organiser un stimulant distinct à l'emploi ... un intérêt notionnel calculé sur la masse salariale des entreprises! Pourquoi pas?
Je ne suis pas économiste et je ne suis pas gourou. Je m'informe du mieux que je peux. Ceci ne m'a pas laissé indifférent: "(Il faut) ... soutenir le secteur privé qui va mal, en finir avec cette obsession de toujours plus de rigueur et de toujours moins de dépenses publiques. D'autant que le danger n'est pas forcément là où on le pense. Dans la zone euro, hormis le cas pathologique de la Grèce, le taux d'intérêt moyen sur la dette publique ne cesse de baisser. C'est donc que, quoi qu'on en dise, les opérateurs préfèrent détenir de la dette publique plutôt que de la dette privée. Difficile de sortir de ce casse-tête car personne n'est réellement en charge de l'intérêt général dans la zone euro. A moins que nous décidions de faire quelque chose de grand ampleur à l'échelon européen, je pense donc que l'on va droit dans le mur ... Ma suggestion des "eurobonds", le lancement d'un grand emprunt dédié à des secteurs porteurs. La Banque européenne d'investissement pourrait parfaitement émettre des obligations afin de financer des programmes européens, comme, par exemple, l'économie de la connaissance ... ou la création d'une Communauté européenne de l'environnement, de l'énergie et de la recherche qui investirait dans ces domaines essentiels pour l'avenir. Dans les discours politiques comme dans ceux des économistes "bien-ensants", nous assistons à un vigoureux retour de la doctrine qui masque un manque de volonté de coopération à l'échelon européen. C'est cet obstacle qu'il faut surmonter. Les stratégies actuelles d'austérité encouragées par l'Allemagne sont nuisibles à l'ensemble des pays de l'Union et au reste du monde" (Jacques Fitoussi, Nouvel Observateur, 15-21 juillet 2010, 55).
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