J'ai été réveillé par le jour. Que rêver de mieux? Les rêves que je faisais dans mon demi sommeil commençaient à m'ennuyer. Je ne leur trouvais pas d'issues. Et comme j'occupais seul ma couche, c'est généralement le cas, personne à côté de moi n'était là pour me réveiller. J'ai donc accueilli le jour et me suis levé à 6 heures du matin.
Si j'avais été au monastère, j'aurais pu aller à l'office (matines et laudes). A défaut, j'ai décidé d'aller marcher. A cette heure, il n'y avait personne en rue, mais je percevais les bruits de la vie. Les oiseaux bien sûr, qui sont connus pour être des lève-tôt et, sur l'autre rive, les commerçants de la Batte qui installaient leurs étals. Il doit régner, sur l'autre rive, dans les bistrots, une ambiance un peu semblable à celle mythique qui régnait jadis, à Paris, dans le quartier des Halles.
Petit café et croissant au Randaxhe et quelques mots aux habitués.
Puis, j'ai entrepris de faire mon marché: gruyère d'alpage, fraises de Wépion, coppa picante, asperges de Malines, thé à la menthe chez mon ami Youssef, jus de fruit frais, une belle dorade, quelques légumes de saison. Et, à chaque fois, la même ritournelle: "Au revoir, à la semaine ...!" J'aime beaucoup entendre cela, car cela instille dans ma vie une continuité, des attaches.
D'habitude, après le marché, quand je ne vais pas à la messe, je consacre une heure au repassage. Une activité que beaucoup ont en horreur. Moi pas dès lors que je l'accompagne de musique, que je chante avec ou ... que je me branche sur la messe télévisée de Fr2. Aujourd'hui, elle était retransmise de l'île de la Réunion. S'il est un endroit au monde où j'ai vraiment envie d'aller un jour, c'est bien là. Une île qui porte tellement bien son nom. Un modèle exceptionnel de métissage et de cohabitation. En plus, les paysages y sont grandioses. Je me suis souvenu, ce matin, que deux amis d'hier y vivaient.
Début d'après-midi, j'ai décidé d'aller place Saint Lambert, là où quelques jeunes ont choisi de camper, de s'indigner et de refaire le monde. Je suis arrivé, en plein milieu de la première AG, une autre doit avoir lieu, le soir, vers 21 heures. J'y suis resté 2 heures et demie quand même, intervenant modestement dans les débats.
Ce qui est amusant, outre la logistique d'une petite république auto-gérée, c'est chez ces jeunes gens la question des mots et de leur sens.
Une grande partie des débats a tourné autour des mots. Comment appeler leur mouvement pour un blog et un site Facebook? Assemblée, rassemblement, espace de parole, campement, camp, démocratie populaire, rejet du mot démocratie (dévoyé et donc mal perçu ...). Il fallait à la fois rattacher l'initiative à un mouvement "mondial", disaient-ils, et indiquer l'attache liégeoise. "Occupent-ils ou investissent-ils" la place Saint Lambert? Ces jeunes-là ne sont point rétifs aux nuances, simplement elles se négocient.
J'aurais pu me lasser très vite devant tant de palabres, mais j'ai préféré rester d'un point de vue sociologique.
Puisque la parole était libre, je l'ai demandée et on me l'a donnée:
- un premier texte, issu des cogitations de la veille, était soumis au vote de l'AG. Il était rédigé sous la forme d'un long catalogue: "las de ceci, las de cela ...". J'ai dit que se définir par le refus n'était pas constructif et que le mouvement serait sans doute mieux perçu s'il construisait son texte sous la forme de désirs et d'espoirs (pour les moyens, on verra après);
- certains ont reproché à l'auteur du texte de ne pas parler simplement, d'utiliser des mots et des concepts ... question vraiment délicate, vieille comme le monde! J'ai essayé de faire comprendre que sans les mots, rien n'est possible;
- enfin, un passage du texte soumis au vote, portait sur la représentativité de ceux qui étaient là. D'accord, chacun ne représente que lui-même. En même temps, les participants à cette AG n'étaient-ils pas en train de se structurer, pour être reconnus et avoir une visibilité. J'ai posé la question s'ils estiment que le pouvoir directement exercé par les citoyens peut réellement se passer d'intermédiaires et de structures? Et finalement de représentants.
Je ne sais pas si je serai le bienvenu à l'AG de demain, car ce soir, je me repose.
J'ai aimé que, parmi les participants, il n'y avait pas que les habituels alternatifs, mais aussi des étudiants, dont pas mal d'espagnols, et même des grand-mères et moi. C'est ce qui m'a le plus interpelé, la sympathie des personnes plus âgées pour ces jeunes en ébullition qui refont le monde. Comme une nostalgie de ne pas l'avoir pu faire.
Lâchement, j'ai décidé de finir mon après-midi place du Marché, en sirotant un mojito très capitaliste. J'y ai été rejoint par mon fils et deux de ses amis qui, comme moi apparemment, veulent bien être révolutionnaires, mais à mi-temps.
Après leur départ, j'ai un peu prolongé ma présence en ces lieux fort agréables. Paolo est passé... il a toujours besoin de sous, surtout à la fin du mois. Lui, au moins, il ne vous propose pas des cartes postales ... et aussi des crayons (comme Christian, dit Dudule), il vous propose des livres. Je lui ai d'ailleurs dit que je pouvais lui donner des livres que je ne lirai plus pour accroître son stock. Je lui ai ainsi acheté deux ouvrages: Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas Ier (je l'ai déjà lu, mais je l'offrirai à mon père) et Jankélévitch, Le pur et l'impur.
Après cela, mes lunettes de presbyte ne m'empêchant pas de jeter un regard par dessus, feignant de lire, j'ai observé les garçons (et même les hommes ... pfftttt).
Il y a, le dimanche après-midi, place du Marché, une exceptionnelle concentration de beaux mecs.
Etant attablé à la terrasse de l'établissement qui jouxte le Petit Paris, LE bar gay de la place du Marché (mais ils sont tous un peu gay friendly le dimanche), j'ai pu observer tout à loisir: les vieux homos qui font ce que font tous les vieux, les homos qui n'en ont pas l'air et pourraient très bien se trouver dans une tribune du Standard, les jeunots qui en ont l'air et ... le pire: le couple de 45-50 ans, hyperbronzé, looké, ne cessant de passer la main dans des cheveux mi-longs coupés le vendredi par leur coiffeur, avec lunettes solaires évidemment, n'ayant rien à se dire et posant, vérifiant à tout instant si on les remarque.
Mon mojito valait bien ces intéressantes observations.
Asphalt Jungle, un podcast littéraire à découvrir !
Il y a 11 mois
J'aimerait de regarde ton monde, avec un mojito. Ici, Il fait chaud et personnes ne sourrit pas. Merci Xavier, je suis sur le point de practiquer mon francais, je dois te lire toujours..
RépondreSupprimerPassionnant. On ne peut que saluer chapeau bas un homme qui prend le temps d'aider ces jeunes à formuler leurs revendications et à seller leurs rêves avant de les chevaucher.
RépondreSupprimerTiens, j'ai moi aussi bien des livres à offrir à Paolo pour l'aider à vivre dans la dignité. Tout plutôt que de faire brocante moi-même !