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lundi 30 mai 2011

L'art de la traduction

J'ai toujours aimé traduire. Je veux dire mettre des mots sur d'autres mots pour les rendre compréhensibles à d'autres.

Quand j'usais mes fonds de culottes chez les bons pères (on se demande aujourd'hui, s'ils l'étaient toujours), j'étais régulièrement le premier en version latine, j'étais un peu moins bon quand il s'agissait de traduire en français du grec ancien et je n'aimais pas ce l'on appelait alors "le thème" (traduire du français en latin ou en grec ancien). Les mêmes qualités et défauts se manifestaient au cours de néerlandais (2ème langue) et anglais (3ème langue). J'avais aussi opté pour un cours, où il fallait être volontaire, d'allemand (une heure par semaine sur le temps de midi qui, dans mon collège jésuite était fort long de 12h05 à 14h10, pour favoriser la pratique du sport en équipe, activité que j'essayais de fuir par tous les moyens ... la chorale, les équipes de vie chrétienne et le cours d'allemand).

Le professeur d'allemand s'appelait monsieur Drösch. En fait,  au collège tous les professeurs de langue étrangère venaient soit de la région flamande (appelée aujourd'hui: Vlaanderen, c'est-dire non pas LA Flandre, comme on le dit souvent, mais LES flandres, car Vlaanderen est, me semble-t-il, un pluriel), soit de la région germanophone du pays: ils s'appelaient Drösch, Comoth, Geelen, Pomé, Costermans ou de Droogh. Monsieur Drösch avait une heure par semaine, sur le temps de midi, pour nous révéler des choses, plus que pour nous apprendre à parler la langue de Goethe.

Il nous lisait des poèmes que nous ne comprenions pas nécessairement pour nous familiariser avec le son, le rythme, les intonations, l'accent tonique. Il s'emportait sur l'accent des rhénaniens comparé à celui des berlinois (cela pouvait durer dix minutes). Je regrette qu'il ne nous ait pas fait connaître l'allemand chanté (il y avait pourtant tellement de possibilités). Et puis, il nous proposait des tableaux de mots en colonnes: français, néerlandais, allemand, anglais. Il nous montrait les similitudes et les différences, les racines qui se déclinent différemment, le "ung" en allemand qui devient "ing" en néerlandais, les origines germaniques, saxonnes ou normandes. J'adorais ce cours et j'adorais monsieur Drösch, ce grand monsieur un peu déguiguandé, lymphatique et débonnaire. J'ai suivi son cours pendant quatre ans à raison d'une heure par semaine sur le temps de midi comme volontaire.

Avec le recul, je réalise que monsieur Drösch m'a inspiré quand je suis devenu professeur à la faculté de droit. J'avais inconsciemment pris le parti d'enseigner le droit comme monsieur Drösch nous enseignait l'allemand. Un mélange de mots, de références, de comparaisons, de similitudes, d'évolution et de pourquoi. Comprendre plutôt qu'agir, sans ignorer le réel.

J'ai fini par découvrir qu'il n'y a pas de place pour les monsieur Drösch à l'université. Bien qu'étant docteur, l'université n'avait déjà pas voulu de lui à l'époque. Un professeur de droit, ai-je découvert, doit apprendre à parler la langue juridique avec efficacité, comprenez pour agir. La méthode Drösch n'a pas la cote chez les fervents de l'enseignement du droit positif qui préfèrent penser à l'utilisation professionnelle la plus grande possible et, si possible, la plus immédiate.

Mon maître es langues m'aurait-il abandonné? Pas tout à fait et cela m'a permis de renouer avec tous mes autres "professeurs de mots" que j'oppose à mes "professeurs de chiffres", le professeur de gymnastique ne comptant pas à mes yeux, qu'il me pardonne. Lui et moi étions incompatibles ... il me mettait 20/40, par lassitude, malgré mon évident manque de coopération.

Dans ma vie professionnelle, je n'ai cessé d'exercer l'art de la traduction: dire le plus justement possible et de la façon la plus compréhensible possible un message donné qui n'est pas nécessairement, ni souvent, compréhensible. C'est à cela que servent les pédagogues.

Pendant près de quinze ans, j'ai aussi collaboré à une revue juridique bilingue où les membres du comité de rédaction, flamands et francophones, étaient appelés à se traduire les uns les autres. J'adorais cet aspect du travail ainsi fourni en commun, à une réserve près. La plupart des traductions que nous étions appelées à valider étaient souvent du "petit nègre", une espèce de mot à mot inélégant qui semblait satisfaire les autres membres du comité de rédaction, tous avocats, sauf moi qui, au delà des mots, pensait à dire les choses avec style tout aussi fidèlement.

Depuis quelque temps, je communique avec un correspondant colombien, qui est professeur d'anglais là-bas. Il entretient son français en lisant mon blog. J'ai entrepris de traduire en français les poèmes qu'il a publiés, en anglais et en espagnol, récemment. Et cela me réjouit vraiment.

1 commentaire:

  1. Nous avons de plus en plus de points communs, de l'amour de la traduction telle que vous la concevez à l'intérêt pour la gymnastique - un honnête homme, pourtant, si nous pensons bien au même - en passant par les premiers prix de version et l'attrait de la linguistique comparative.

    Feu le brave Drösch, grand germaniste, aurait aimé lire votre bel hommage. J'ai plus de reconnaissance à Pomé, qui m'a permis d'acquérir un anglais très solide, devenu ma langue habituelle de travail.

    Il faudra qu'un jour nous parlions - et notamment de typographie ! Quelques tout petits ajustements suffiraient à mon parfait bonheur.

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